Devoir de Philosophie

Pierre Mendès-France, La République moderne

Publié le 27/04/2011

Extrait du document

Les institutions politiques et économiques d'un pays ne peuvent constituer à elles seules la démocratie : elles n'en sont que le cadre. En vérité, il n'y a pas de démocratie sans démocrates. Le propre de la démocratie est d'être volontaire et la démocratie est d'abord un état d'esprit.    De quoi est fait cet état d'esprit ? Avant tout d'un intérêt profond pour le destin de la communauté à laquelle on appartient et du désir d'y participer à tous les niveaux (compréhension, décision, action), du sentiment qu'une vie humaine sera toujours amputée si elle reste bornée à un horizon individuel, de la conviction aussi que ce monde n'est pas le meilleur possible, que plus de raison et de justice doivent y régner et qu'il faut lutter pour les faire triompher. Tel est l'esprit civique que Montesquieu appelait vertu ou amour de la République, c'est-à-dire de la chose publique.    Mais dès lors que le citoyen entend ne pas rester replié sur sa vie privée, il est prêt à accepter certaines disciplines : assumer le secrétariat d'un groupe ou seulement décider d'y adhérer, consacrer temps et efforts à une œuvre parfois ingrate ou austère, sacrifier des heures prises sur le loisir et le repos.    La journée de travail n'est plus ce qu'elle était au siècle dernier ; elle rend possible cet exercice plus généralisé de la démocratie. Il appartient aux citoyens d'utiliser une partie du temps gagné pour préparer un avenir où les hommes disposeront de plus de temps encore et de plus d'ouvertures sur le monde.    Le travail dans un groupe, la pratique d'une responsabilité, l'expérience d'une action exercée sur les autres, la réussite d'une entreprise commune, la victoire sur des forces adverses constituent autant d'affirmations de soi et apportent, à celui qui s'y est donné, la satisfaction de se connaître utile à la collectivité.    C'est l'esprit civique tel qu'il se manifeste surtout dans les nouvelles générations. Car il est vrai que les déceptions accumulées depuis des années et les illusions perdues ont détourné beaucoup de jeunes gens de l'idéologie abstraite et des discussions sur les principes, en faveur de positions réalistes tournées vers les faits et les démonstrations concrètes. Ils n'ont pas moins d'esprit civique que leurs aînés, mais ils entendent l'exercer directement sur des réalisations et des objets précis. Ils se passionnent pour les problèmes d'aménagement, d'équipement, d'organisation de leur région et de leur activité professionnelle. Il faut non seulement reconnaître ces nouvelles données humaines, leur permettre de se manifester et de s'épanouir, mais leur adapter les institutions locales et nationales.    Sans doute, aussi, faut-il voir dans l'exercice de cette démocratie démultipliée, un moyen de combattre l'étrange ennui qui s'abat parfois sur certaines sociétés contemporaines.    Un responsable, un militant, n'a guère l'occasion de s'ennuyer même quand il fait des démarches ennuyeuses. Il échappe à la passivité, à l'inertie. Il devient un de ces hommes « plus libres parce que plus engagés « ; il est habité par l'image d'un combat exaltant auquel il participe pour gagner un avenir qu'il aura bâti lui-même.    Car c'est bien de quoi il s'agit en dernier ressort : le citoyen est un homme qui ne laisse pas à d'autres le soin de décider de son sort et du sort commun. Parce qu'elle dépend essentiellement de la volonté des citoyens, parce qu'elle suppose un effet permanent, la démocratie n'est jamais acquise. On ne peut jamais se reposer sur elle, s'endormir en elle.    Pas plus qu'elle ne peut être acquise, elle ne peut être parfaite. Il n'existe pas de démocratie atteinte et accomplie une fois pour toutes. Elle est ce vers quoi on tend, ce qui demeure à l'horizon.    Mais aussi parce qu'elle n'est jamais pleinement acquise, la démocratie est toujours menacée. Par ses adversaires, sans aucun doute. Mais bien plus encore par la négligence ou l'inertie des citoyens. Eux seuls peuvent la faire vivre, en la portant jour après jour, dans une action incessante de solidarité.    Pierre Mendès-France, La République moderne, 1962.    Vous ferez de ce texte un résumé ou une analyse.    Puis vous choisirez un problème étudié ou abordé dans le texte ; vous en préciserez les données et vous exposerez, en le justifiant, votre point de vue personnel.

Liens utiles