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qualités qui leur apportent blâme ou louange.

Publié le 01/10/2013

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qualités qui leur apportent blâme ou louange. C'est-à-dire que tel est tenu pour libéral, tel pour ladre -- misero -- (usant ici d'un terme toscan : car avaro, en notre langue, est aussi celui qui par rapine désire posséder ; et c'est misero que nous appelons celui qui s'abstient trop d'user de son bien) ; tel est dit généreux, tel rapace ; tel cruel, tel pitoyable ; l'un parjure, l'autre loyal ; l'un efféminé et pusillanime, l'autre fier et courageux ; l'un affable, l'autre orgueilleux ; l'un paillard, l'autre chaste ; l'un franc, l'autre rusé ; l'un dur, l'autre facile ; l'un grave, l'autre léger ; l'un religieux, l'autre incrédule, et ainsi de suite. Et je sais que chacun confessera que ce serait chose tout à fait louable que chez un prince on trouvât, de toutes les qualités susdites, celles qui sont tenues pour bonnes : mais comme elles ne se peuvent avoir ni observer entièrement, à cause des conditions humaines qui ne le permettent pas, il lui est nécessaire d'être , assez sage pour savoir éviter le mauvais renom de ces vices qui lui feraient perdre son Etat ; et de ceux qui ne le lui feraient pas perdre, se garder, s'il lui est possible ; mais ne le pouvant pas, il peut avec moins de réserve s'y laisser aller. Et même, qu'il n'ait cure d'encourir le mauvais renom de, ces vices sans at lesquels il pourrait difficilement sauvegarder l'Ét ; car tout bien considéré, on trouvera quelque chose qui paraîtra vertu, et s'y conformer serait sa ruine, et telle autre qui paraîtra vice, et s'il s'y conforme en résultent sa sécurité et son bien-être. XVI DE LA LIBÉRALITÉ ET PARCIMONIE Commençant donc par les premières qualités susdites, je dis qu'il serait bon d'être tenu pour libéral. Toutefois, exercée de telle façon que tu sois tenu pour tel, la libéralité te nuit. Car si on en use judicieusement et comme on doit en user, elle ne sera pas connue, et ne t'épargnera pas le mauvais renom de son contraire ; et c'est pourquoi, à vouloir conserver parmi les hommes le nom de libéral, il est nécessaire de ne négliger aucune sorte de magnificence ; si bien que, toujours, un prince ainsi fait consumera en semblables oeuvres toutes ses ressources et sera contraint à la fin, s'il veut conserver le nom de libéral, de grever ses peuples de façon extraordinaire, de recourir aux extorsions fiscales et de faire tout ce qu'on peut faire pour avoir de l'argent. Ce qui commencera à le rendre odieux aux sujets, et à le faire peu estimer d'un chacun, puisqu'il devient pauvre ; si bien qu'avec sa libéralité, ayant nui au grand nombre et avantagé peu de gens, il se ressent du premier embarras qui survient, et est en danger au premier péril venu : et lui, s'apercevant de cela et voulant s'en retirer, encourt aussitôt le mauvais renom de ladre. Un prince, donc, ne pouvant sans dommage pour lui user de cette vertu de libéralité de façon qu'elle soit reconnue, doit, s'il est sage, ne point se soucier du nom de ladre : car avec le temps il sera de plus en plus tenu pour libéral, quand on verra que grâce à sa parcimonie ses recettes lui suffisent, qu'il peut se défendre de qui lui fait la guerre, qu'il peut faire des entreprises sans grever le peuple ; si bien qu'il en vient à user de libéralité à l'égard de tous ceux à qui il ne prend pas, qui sont une multitude, et de ladrerie envers tous ceux à qui il ne donne pas, qui sont peu. De notre temps, nous n'avons pas vu faire de grandes choses, sinon à ceux qui ont été tenus pour ladres ; et les autres disparaître. Le pape Jules II, lorsqu'il se fut servi du nom de libéral pour parvenir à la papauté, ne songea pas ensuite à le conserver, pour pouvoir faire la guerre ; le roi de France d'à présent a fait plusieurs guerres sans lever une taxe extraordinaire sur son pays simplement parce que aux dépenses supplémentaires a subvenu sa longue parcimonie. Le roi d'Espagne d'à présent, s'il eût été tenu pour libéral, il n'eût pas fait ni mené à bien tant d'entreprises. Aussi un prince doit-il faire peu de cas -- pour n'avoir pas à dépouiller ses sujets, pour pouvoir se défendre, pour ne point devenir pauvre et méprisé, pour n'être pas forcé de devenir rapace -- d'encourir le nom de ladre, car c'est là un de ces vices qui le font régner. Et si quelqu'un disait : César, par sa libéralité, parvint à l'empire, et beaucoup d'autres, pour avoir été libéraux et tenus pour tels, ont accédé aux plus hautes dignités, je réponds : ou tu es prince fait, ou tu es en voie de le devenir. Dans le premier cas, cette libéralité est dommageable, dans le second il est bien nécessaire d'être tenu pour libéral. Et César était l'un de ceux qui voulaient parvenir à la monarchie de Rome ; mais si, après qu'il y fut arrivé, il eût survécu et n'eût point tempéré ces dépenses, il aurait détruit cet empire. Et si l'on me répliquait : beaucoup ont été princes, et avec leurs armées ont fait de grandes choses, qui ont été tenus pour très libéraux, je réponds : ou le prince prend ses dépenses sur son bien et celui de ses sujets, ou sur celui d'autrui. Dans le premier cas, il doit être économe ; dans l'autre, il ne doit négliger aucune sorte de libéralité. Et ce prince qui va avec les armées, qui se nourrit de butin, de sacs de ville, de rançons, manie le bien d'autrui, nécessaire lui est cette libéralité, autrement il ne serait pas suivi des soldats. Et de ce qui n'est pas à toi ou à tes sujets, on peut être plus large donateur, comme furent Cyrus, César

« XVI DE LA LIBÉRALITÉ ET PARCIMONIE Commençant donc par les premières qualités susdites, je dis qu'il serait bon d'être tenu pour libéral.

Toutefois, exercée de telle façon que tu sois tenu pour tel, la libéralité te nuit.

Car si on en use judicieusement et comme on doit en user, elle ne sera pas connue, et ne t'épargnera pas le mauvais renom de son contraire ; et c'est pourquoi, à vouloir conserver parmi les hommes le nom de libéral, il est nécessaire de ne négliger aucune sorte de magnificence ; si bien que, toujours, un prince ainsi fait consumera en semblables oeuvres toutes ses ressources et sera contraint à la fin, s'il veut conserver le nom de libéral, de grever ses peuples de façon extraordinaire, de recourir aux extorsions fiscales et de faire tout ce qu'on peut faire pour avoir de l'argent.

Ce qui commencera à le rendre odieux aux sujets, et à le faire peu estimer d'un chacun, puisqu'il devient pauvre ; si bien qu'avec sa libéralité, ayant nui au grand nombre et avan- tagé peu de gens, il se ressent du premier embarras qui survient, et est en danger au premier péril venu : et lui, s'apercevant de cela et voulant s'en retirer, encourt aussitôt le mauvais renom de ladre.

Un prince, donc, ne pouvant sans dommage pour lui user de cette vertu de libéralité de façon qu'elle soit reconnue, doit, s'il est sage, ne point se soucier du nom de ladre : car avec le temps il sera de plus en plus tenu pour libéral, quand on verra que grâce à sa parcimonie ses recettes lui suffisent, qu'il peut se défendre de qui lui fait la guerre, qu'il peut faire des entreprises. »

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