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quelques heures, quel raccourci souhaiter qui soit plus révélateur ?

Publié le 04/11/2013

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quelques heures, quel raccourci souhaiter qui soit plus révélateur ? Passé le plateau, Sigismond n'est plus ien. Deux heures après, on le voit qui dîne en ville. C'est alors peut-être que la vie est un songe. Mais après Sigismond vient un autre. Le héros qui souffre d'incertitude remplace l'homme qui rugit après sa engeance. À parcourir ainsi les siècles et les esprits, à mimer l'homme tel qu'il peut être et tel qu'il est, 'acteur rejoint cet autre personnage absurde qui est le voyageur. Comme lui, il épuise quelque chose et arcourt sans arrêt. Il est le voyageur du temps et, pour les meilleurs, le voyageur traqué des âmes. Si amais la morale de la quantité pouvait trouver un aliment, c'est bien sur cette scène singulière. Dans quelle mesure l'acteur bénéficie de ces personnages, il est difficile de le dire. Mais l'important n'est pas là. Il s'agit de savoir, seulement, à quel point il s'identifie à ces vies irremplaçables. Il arrive en effet qu'il les transporte avec lui, qu'ils débordent légèrement le temps et l'espace où ils sont nés. Ils accompagnent l'acteur qui ne se sépare plus très aisément de ce qu'il a été. Il arrive que pour prendre son verre, il retrouve le geste d'Hamlet soulevant sa coupe. Non, la distance n'est pas si grande qui le sépare des êtres qu'il fait vivre. Il illustre alors abondamment tous les mois ou tous les jours, cette vérité si féconde qu'il n'y a pas de frontière entre ce qu'un homme veut être et ce qu'il est. A quel point le paraître fait l'être, c'est ce qu'il démontre, toujours occupé de mieux figurer. Car c'est son art, cela, de feindre absolument, d'entrer le plus avant possible dans des vies qui ne sont pas les siennes. Au terme de son effort, sa vocation s'éclaire : s'appliquer de tout son coeur à n'être rien ou à être plusieurs. Plus étroite est la limite qui lui est donnée pour créer son personnage et plus nécessaire est son talent. Il va mourir dans trois heures sous le visage qui est le sien aujourd'hui. Il faut qu'en trois heures il éprouve et exprime tout un destin exceptionnel. Cela s'appelle se perdre pour se retrouver. Dans ces trois heures, il va jusqu'au bout du chemin sans issue que l'homme du parterre met toute sa vie à parcourir. * Mime du périssable, l'acteur ne s'exerce et ne se perfectionne que dans l'apparence. La convention du théâtre, c'est que le coeur ne s'exprime et ne se fait comprendre que par les gestes et dans le corps - ou par la voix qui est autant de l'âme que du corps. La loi de cet art veut que tout soit grossi et se traduise n chair. S'il fallait sur la scène aimer comme l'on aime, user de cette irremplaçable voix du coeur, egarder comme on contemple, notre langage resterait chiffré. Les silences ici doivent se faire entendre. 'amour hausse le ton et l'immobilité même devient spectaculaire. Le corps est roi. N'est pas « théâtral « ui veut et ce mot, déconsidéré à tort, recouvre toute une esthétique et toute une morale. La moitié d'une ie d'homme se passe à sous-entendre, à détourner la tête et à se taire. L'acteur est ici l'intrus. Il lève le ortilège de cette âme enchaînée et les passions se ruent enfin sur leur scène. Elles parlent dans tous les estes, elles ne vivent que par cris. Ainsi l'acteur compose ses personnages pour la montre. Il les dessine u les sculpte, il se coule dans leur forme imaginaire et donne à leurs fantômes son sang. Je parle du grand théâtre, cela va sans dire, celui qui donne à l'acteur l'occasion de remplir son destin tout physique. Voyez Shakespeare. Dans ce théâtre du premier mouvement ce sont les fureurs du corps qui mènent la danse. Elles expliquent tout. Sans elles, tout s'écroulerait. Jamais le roi Lear n'irait au rendez-vous que lui donne la folie sans le geste brutal qui exile Cordelia et condamne Edgar. Il est juste que cette tragédie se déroule alors sous le signe de la démence. Les âmes sont livrées aux démons et à leur sarabande. Pas moins de quatre fous, l'un par métier, l'autre par volonté, les deux derniers par tourment : quatre corps désordonnés, quatre visages indicibles d'une même condition. L'échelle même du corps humain est insuffisante. Le masque et les cothurnes, le maquillage qui réduit et accuse le visage dans ses éléments essentiels, le costume qui exagère et simplifie, cet univers sacrifie out à l'apparence, et n'est fait que pour l'oeil. Par un miracle absurde, c'est le corps qui apporte encore la connaissance. Je ne comprendrais jamais bien Iago que si je le jouais. J'ai beau l'entendre, je ne le saisis qu'au moment où je le vois. Du personnage absurde, l'acteur a par suite la monotonie, cette silhouette unique, entêtante, à la fois étrange et familière qu'il promène à travers tous ses héros. Là encore la grande oeuvre théâtrale sert cette unité de ton  [16] . C'est là que l'acteur se contredit - le même et pourtant si divers, tant d'âmes résumées par un seul orps. Mais c'est la contradiction absurde elle-même, cet individu qui veut tout atteindre et tout vivre, cette vaine tentative, cet entêtement sans portée. Ce qui se contredit toujours s'unit pourtant en lui. Il st à cet endroit où le corps et l'esprit se rejoignent et se serrent, où le second lassé de ses échecs se etourne vers son plus fidèle allié. « Et bénis soient ceux, dit Hamlet, dont le sang et le jugement sont si urieusement mêlés qu'ils ne sont pas flûte où le doigt de la fortune fait chanter le trou qui lui plaît. « * Comment l'Eglise n'eût-elle pas condamné dans l'acteur pareil exercice ? Elle répudiait dans cet art la multiplication hérétique des âmes, la débauche d'émotions, la prétention scandaleuse d'un esprit qui se refuse à ne vivre qu'un destin et se précipite dans toutes les intempérances. Elle proscrivait en eux ce oût du présent et ce triomphe de Protée qui sont la négation de tout ce qu'elle enseigne. L'éternité n'est as un jeu. Un esprit assez insensé pour lui préférer une comédie a perdu son salut. Entre « partout « et « toujours «, il n'y a pas de compromis. De là que ce métier si déprécié puisse donner lieu à un conflit spirituel démesuré. « Ce qui importe, dit Nietzsche, ce n'est pas la vie éternelle, c'est l'éternelle vivacité. « Tout le drame est en effet dans ce choix. Adrienne Lecouvreur, sur son lit de mort, voulut bien se confesser et communier, mais refusa d'abjurer sa profession. Elle perdit par là le bénéfice de la confession. Qu'était-ce donc en effet, sinon prendre contre Dieu le parti de sa passion profonde ? Et cette femme à l'agonie, refusant dans les larmes de renier ce qu'elle appelait son art, témoignait d'une grandeur que, devant la rampe, elle n'atteignit jamais. Ce fut son plus beau rôle et le plus difficile à tenir. Choisir entre le ciel et une dérisoire fidélité, se préférer à l'éternité ou s'abîmer en Dieu, c'est la tragédie séculaire où il faut tenir sa place. Les comédiens de l'époque se savaient excommuniés. Entrer dans la profession, c'était choisir l'Enfer. Et l'Eglise discernait en eux ses pires ennemis. Quelques littérateurs s'indignent : « Eh quoi, refuser à olière les derniers secours ! « Mais cela était juste et surtout pour celui-là qui mourut en scène et cheva sous le fard une vie tout entière vouée à la dispersion. On invoque à son propos le génie qui excuse out. Mais le génie n'excuse rien, justement parce qu'il s'y refuse. L'acteur savait alors quelle punition lui était promise. Mais quel sens pouvaient avoir de si vagues enaces au prix du châtiment dernier que lui réservait la vie même ? C'était celui-là qu'il éprouvait par vance et acceptait dans son entier. Pour l'acteur comme pour l'homme absurde, une mort prématurée est rréparable. Rien ne peut compenser la somme des visages et des siècles qu'il eût, sans cela, parcourus. ais de toutes façons, il s'agit de mourir. Car l'acteur est sans doute partout, mais le temps l'entraîne ussi et fait avec lui son effet. Il suffit d'un peu d'imagination pour sentir alors ce que signifie un destin d'acteur. C'est dans le emps qu'il compose et énumère ses personnages. C'est dans le temps aussi qu'il apprend à les dominer. lus il a vécu de vies différentes et mieux il se sépare d'elles. Le temps vient où il faut mourir à la scène t au monde. Ce qu'il a vécu est en face de lui. Il voit clair. Il sent ce que cette aventure a de déchirant et 'irremplaçable. Il sait et peut maintenant mourir. Il y a des maisons de retraite pour vieux comédiens.

« . C'est làque l'acteur secontredit -le même etpourtant sidivers, tantd'âmes résumées parunseul corps.

Maisc'est lacontradiction absurdeelle-même, cetindividu quiveut toutatteindre ettout vivre, cette vainetentative, cetentêtement sansportée.

Cequi secontredit toujourss'unitpourtant enlui.

Il est àcet endroit oùlecorps etl'esprit serejoignent etse serrent, oùlesecond lassédeses échecs se retourne verssonplus fidèle allié.« Etbénis soient ceux,ditHamlet, dontlesang etlejugement sontsi curieusement mêlésqu'ilsnesont pasflûte oùledoigt delafortune faitchanter letrou quiluiplaît. » * Comment l'Eglisen'eût-elle pascondamné dansl'acteur pareilexercice ? Ellerépudiait danscetartla multiplication hérétiquedesâmes, ladébauche d'émotions, laprétention scandaleuse d'unesprit quise refuse àne vivre qu'un destin etse précipite danstoutes lesintempérances.

Elleproscrivait eneux ce goût duprésent etce triomphe deProtée quisont lanégation detout cequ'elle enseigne.

L'éternité n'est pas unjeu.

Unesprit assezinsensé pourluipréférer unecomédie aperdu sonsalut.

Entre « partout » et « toujours », iln'y apas decompromis.

Delàque cemétier sidéprécié puissedonner lieuàun conflit spirituel démesuré.

« Cequiimporte, ditNietzsche, cen'est paslavie éternelle, c'estl'éternelle vivacité. » Toutledrame esteneffet danscechoix. Adrienne Lecouvreur, surson litde mort, voulut bienseconfesser etcommunier, maisrefusa d'abjurer saprofession.

Elleperdit parlàle bénéfice delaconfession.

Qu'était-ce donceneffet, sinon prendre contreDieuleparti desapassion profonde ? Etcette femme àl'agonie, refusant dansleslarmes de renier cequ'elle appelait sonart, témoignait d'unegrandeur que,devant larampe, ellen'atteignit jamais.

Cefut son plus beau rôleetleplus difficile àtenir.

Choisir entreleciel etune dérisoire fidélité, se préférer àl'éternité ous'abîmer enDieu, c'est latragédie séculaire oùilfaut tenir saplace. Les comédiens del'époque sesavaient excommuniés.

Entrerdanslaprofession, c'étaitchoisirl'Enfer. Et l'Eglise discernait eneux sespires ennemis.

Quelques littérateurs s'indignent : « Ehquoi, refuser à Molière lesderniers secours ! » Maiscelaétait juste etsurtout pourcelui-là quimourut enscène et acheva souslefard unevietout entière vouéeàla dispersion.

Oninvoque àson propos legénie quiexcuse tout.

Maislegénie n'excuse rien,justement parcequ'ils'yrefuse. L'acteur savaitalorsquelle punition luiétait promise.

Maisquelsens pouvaient avoirdesivagues menaces auprix duchâtiment dernierqueluiréservait lavie même ? C'étaitcelui-là qu'iléprouvait par avance etacceptait danssonentier.

Pourl'acteur commepourl'homme absurde, unemort prématurée est irréparable.

Riennepeut compenser lasomme desvisages etdes siècles qu'ileût,sans cela, parcourus. Mais detoutes façons, ils'agit demourir.

Carl'acteur estsans doute partout, maisletemps l'entraîne aussi etfait avec luison effet. Il suffit d'unpeud'imagination poursentir alorsceque signifie undestin d'acteur.

C'estdansle temps qu'ilcompose eténumère sespersonnages.

C'estdansletemps aussiqu'ilapprend àles dominer. Plus ilavécu devies différentes etmieux ilse sépare d'elles.

Letemps vientoùilfaut mourir àla scène et au monde.

Cequ'il avécu estenface delui.

Ilvoit clair.

Ilsent ceque cette aventure ade déchirant et d'irremplaçable.

Ilsait etpeut maintenant mourir.Ilyades maisons deretraite pourvieux comédiens.. »

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