Thermidor et ils oublient Fouché.
Publié le 30/10/2013
Extrait du document
«
enfin
lemot décisif : « C’estdemain qu’ilfautfrapper. » Etcemot estditle7Thermidor.
Le matin du8Thermidor selève, journée historique.
Dèslapremière heure,unechaleur dejuillet, sansaucun
nuage, pèsesurlaville quinesedoute derien.
Etc’est seulement àla Convention querègne, debonne heure,
une singulière excitation : danslescoins, desdéputés segroupent etmurmurent entreeux ;jamais onn’a vu
autant d’étrangers etde curieux danslescouloirs etles tribunes.
Ilsemble qu’unesprit mystérieux animeces
lieux, carlebruit s’estrépandu, d’unemanière inexplicable, qu’aujourd’hui Robespierrevarégler leurcompte à
ses ennemis.
Peut-être quelqu’un a-t-ilépiéetsurpris Saint-Just aumoment oùilsortait, lesoir, delafameuse
chambre close,etl’on connaît tropbien, àla Convention, l’effetdeces consultations secrètes.Oubien
Robespierre deson côté a-t-il étéinformé desplans belliqueux deses adversaires ?
Tous lesconjurés, tousceux quisesavent menacés, examinent anxieusement lesvisages deleurs collègues : l’un
d’eux, etlequel, alaissé échapper ledangereux secret.Robespierre va-t-illesdevancer, oubien pourront-ils
l’étouffer avantqu’ilneprenne laparole ? Etlamasse lâcheetincertaine delamajorité, le« Marais », va-t-illes
sacrifier oules protéger ? Chacunestenproie aufrisson del’incertitude.
Semblableàla lourdeur duciel d’un
gris deplomb, uneinquiétude moralepèsemenaçante surl’assemblée.
Effectivement, laséance àpeine ouverte, Robespierre demandelaparole.
Ilest vêtu solennellement, comme
pour lafête del’Être Suprême ; ilporte l’habit bleucieldéjà historique, aveclesbas desoie blancs, etlentement,
avec unegravité voulue, ilmonte àla tribune.
Mais,cettefois-ci, iln’a plus, comme alors,unflambeau dansles
mains ; ilaseulement quelquechosederond, quiressemble aumanche delahache deslicteurs, ungros rouleau
de papier : sondiscours.
Savoirquesonnom estdans cesfeuillets rouléséquivaut àla mort ; c’estpourquoi
soudain, commetranchés, lespropos etles chuchotements s’arrêtentsurlesbancs.
Dujardin etdes tribunes les
députés accourent occuperleurssièges.
Chacun étudieavecangoisse l’expression decette étroite figure,trop
connue.
Mais,glacial, renfermé enlui-même, impénétrable àtoute curiosité, Robespierre déroulemaintenant,
avec lenteur, sondiscours.
Avantdecommencer salecture, deses yeux demyope, ilregarde lasalle, afin
d’accroître latension, etson regard, allantdedroite àgauche etde gauche àdroite, debas enhaut etde haut en
bas, enveloppe lentement, froidement, commeunemenace, l’assemblée quial’air hypnotisée.
Ilssont làtous
assis : sesquelques amis,legrand nombre desincertains etces lâches conjurés quiguettent saperte.
Illes
regarde lesyeux dans lesyeux.
Iln’y enaqu’un quiéchappe àson examen.
Unseul deses ennemis manqueen
cette heure décisive : JosephFouché.
Mais, chose étrange, lenom decet absent, lenom deJoseph Fouché estleseul quisoit citédans ledébat.
C’est
précisément àpropos decenom ques’allume lalutte dernière etsuprême.
Robespierre parlelonguement avecemphase etd’une manière fatigante ; selonsavieille habitude, ilfait, à
plusieurs reprises,tournoyer lahache surdes gens qu’ilnenomme pas ;ilparle deconjurations etde
conspirations, d’infâmesetde criminels, detraîtres etde machinations, maisilne cite personne.
Illui suffit de
magnétiser l’assemblée : demainSaint-Just porteralecoup mortel auxvictimes paralysées.
Pendanttroisheures
d’horloge illaisse sondiscours, vagueetsouvent creux,seprolonger danslevide et,lorsqu’il termineenfin,
l’assemblée estplus énervée qu’effrayée.
D’abord pasune main nebouge.
Toutlemonde estenproie àl’incertitude.
Personnenepeut diresice silence
est une défaite ouune victoire : cen’est queledébat quil’indiquera.
Enfin undes satellites deRobespierre demandeàla Convention devoter l’impression dudiscours et,par
conséquent, del’approuver.
Personnenes’y oppose.
Lâchement, servilement, eten quelque sortesoulagée en
voyant qu’aujourd’hui onnelui réclame plusdenouvelles têtes,denouvelles arrestations, lamajorité donneson
acquiescement.
Voiciqu’àladernière minuteundes conjurés (sonnom appartient àl’histoire), Bourdon(de
l’Oise), sedresse etparle contre l’impression dudiscours.
Etcette seule voixdélivre touteslesautres.
Lalâcheté
se concentre peuàpeu etse solidifie enun courage désespéré ; l’unaprès l’autre, ilsaccusent Robespierre de
formuler troppeunettement sesdéclarations etses menaces ; qu’ilindique enfinavecprécision quiilaccuse.
Au
bout d’unquart d’heure lascène achangé deface ; Robespierre, l’assaillant,enest réduit àse défendre ; il
atténue sondiscours, aulieu delerenforcer, etildéclare qu’iln’aaccusé nivisé personne.
À ce moment-là s’élèvesoudain unevoix, celled’unpetit député sansimportance, quiluicrie : « EtFouché ? »
Le nom estenfin prononcé, lenom decelui qu’iladéjà flétri unefoiscomme chefdelaconspiration, comme
traître àla Révolution.
C’estmaintenant queRobespierre pourraitetdevrait frapper.
Mais,chose singulière, tout
à fait incompréhensible, ilrecule : « Jeneveux pasm’en occuper actuellement : jen’écoute quemon devoir… »
Cette réponse évasivefaitpartie dessecrets queRobespierre aemportés avecluidans latombe.
Pourquoi
ménage-t-il sonennemi leplus acharné, alorsqu’ilsentdéjà quec’est làune question devie oudemort ?
Pourquoi nel’écrase-t-il pas,pourquoi n’attaque-t-il pasl’absent, leseul absent ? Pourquoi nelibère-t-il pas
ainsi touslesautres, quisesentent inquiets etqui incontestablement sacrifieraientFouchépoursesauver eux-
mêmes ? Cesoir-là, àce que prétend Saint-Just, Fouchéauraitencore unefoisessayé deserapprocher de
Robespierre.
Était-cefeintousincère ? Différents témoinsdéclarent l’avoirvu,alors, assissurunbanc avec
Charlotte Robespierre, sonancienne fiancée :a-t-ilréellement cherchéàpersuader encoreunefoiscette vieille
fille d’intercéder pourluiauprès deson frère ? Avait-il vraiment l’intention, danssondésespoir, poursauver sa
propre tête,detrahir lesconjurés ? Oubien voulait-il, pourdonner lechange àRobespierre etmasquer la
conjuration, feindre,auprèsdelui, lerepentir etledévouement ? Cethomme àdeux faces a-t-iljoué,encet.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- THERMIDOR de Victorien Sardou (résumé et analyse)
- thermidor.
- Joseph Fouché par Jean Tulard Directeur d'études à l'École Pratique des Hautes
- Joseph Fouché Élève des oratoriens puis professeur de mathématiques et de physique chez ces mêmes oratoriens, entre autres à Arras où il rencontre Carnot et Robespierre, Fouché fait immédiatement siennes les idées de la Révolution.
- Le Mot de l'éditeur Fouché Joseph Fouché (1759-1820) est l'une les figures les plus énigmatiques de son temps.