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Xavier GRALLO - Éloge du grenier

Publié le 22/03/2011

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Y avez-vous songé? Avez-vous songé que si les grands ensembles avaient été conçus avec des greniers, la délinquance juvénile eût été infiniment moins importante qu'elle ne l'est actuellement ? Nos architectes n'ont point oublié les caves dans s plans des nouvelles cités. Ces galeries d'ombres truffent les us-sols. Tous les appartements, du F1 au F5, ont leur cave.

Sur les plans, ces appartements reçoivent du reste, par une aberrante inversion en quelque sorte pénitentiaire, le nom de « cellules « ! Inversion ou prémonition. Il est trop vrai que ces habitats constituent pour bien des jeunes qui y font les « quatre cents coups « l'antichambre de la prison. Mais que peut-on faire dans des caves sinon l'inavouable ? Étranges architectes ! Ils ont tout compris, hormis l'enfance. Faisons l'éloge du grenier, l'endroit où l'on monte, lieu du haut, de la gratuité ludique1 sous la voûte des charpentes. Je l'ai noté : les enfants de mes amis, tous et toutes, qu'ils soient de Paris ou de Bretagne, montent toujours dans mon grenier. C'est automatique. Mais non, c'est infiniment mieux qu'automatique ! C'est un geste naturel, une démarche essentiellement humaine et, pour ainsi dire vitale, si l'on se souvient que le grenier, dans toute civilisation, est l'endroit où l'on entrepose le grain. Allons-y, faisons comme nos jeunes visiteurs, poussons la porte de mon grenier. D'abord la porte chante. Cette porte-là chante toujours à cause des loquets frustes et incertains. Il y a les solives et les poutres, varangues d'un navire où bougent les toiles d'araignées quand ce n'est pas l'aile d'un oiseau aventureux. Le plancher craque. Le soleil tombe de la lucarne, jaune et triomphal, suffocant même dans le cœur de l'été. « Attention au feu... Ne jouez pas avec les allumettes ! « Et par l'hiver, dans les jours de grand vent, c'est ici que la maison gémit sans retenue et sans honte, innocente et enfantine, elle aussi... Il ne suffit pas au grenier d'être tantôt solaire tantôt éolien selon les saisons, d'être le tropique ou le cap Horn selon les humeurs du temps, il est aussi l'imagination même des demeures. Un grenier, ça rêve... Le mien rêve tant que je ne sais par quel bout le prendre. Voici le coin en quelque sorte proustien avec ses vieilles malles d'où dégorgent les lingeries jaunies, féminines, les dentelles mitées, les robes désuètes. C'était le temps des valses et des rondes. Le jerk a rejeté tout ça dans le temps immobile. Plus loin, c'est la brocante invraisemblable des chaises bancales, des étagères brisées, des literies foudroyées. Pourquoi parler de ces cahiers et de ces livres mis au rancart? Ne prennent-ils pas quelque valeur, ces rossignols, d'avoir été négligés, victimes de Y inflation romanesque et littéraire ? Souvenez-vous, livres, que vous êtes mortels ! Et l'on se prend à les feuilleter, à les aimer encore. Et c'est ainsi que le grenier est aussi notre mémoire, et le musée de notre ethnographie et, avec toutes ces anciennetés accumulées, celui de notre archéologie. Et n'est-ce pas pour cette raison aussi que l'enfance et l'adolescence l'affectionnent, comme si les petits d'hommes voulaient avoir une histoire et un lieu pour la retrouver, comme si pour leurs jeux et peut-être pour leurs amours, ils avaient besoin non pas de la haine freudienne du père, mais au contraire, de la sympathie de ce dernier et de tout ce qui témoigne sous la cendre et la poussière de sa vie et de son passé. En ce sens, enfin, le grenier est le lieu de quelque patriarcat bienveillant, le temple des générations une dernière fois unies avant le rapt de l'oubli, ou la chasse des antiquaires. Oui, que les architectes tirent les plans des greniers dans les habitations modernes. Ils émerveilleront les gosses perdus des H.L.M. qui ont, comme tous les autres, moins de dispositions pour le brigandage que pour la poésie. Faites des greniers, vous fermerez des prisons... Questions : 1) Analysez ce texte en dégageant les principaux thèmes évoqués. 2) Expliquez les expressions en italique. 3) Sentez-vous, derrière l'humour attendri de ce texte, quelque vérité actuelle à laquelle vous soyez sensible ?   

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