Devoir de Philosophie

XII - Les ambassadeurs   Le lendemain toute la population de Paris s'était portée vers le faubourg Saint-Antoine, par lequel il avait été décidé que les ambassadeurs polonais feraient leur entrée.

Publié le 04/11/2013

Extrait du document

XII - Les ambassadeurs   Le lendemain toute la population de Paris s'était portée vers le faubourg Saint-Antoine, par lequel il avait été décidé que les ambassadeurs polonais feraient leur entrée. Une haie de Suisses contenait la foule, et des détachements de cavaliers protégeaient la circulation des seigneurs et des dames de la cour qui se portaient audevant du cortège. Bientôt parut, à la hauteur de l'abbaye Saint-Antoine, une troupe de cavaliers vêtus de rouge et de jaune, avec des bonnets et des manteaux fourrés, et tenant à la main des sabres larges et recourbés comme les cimeterres des Turcs. Les officiers marchaient sur le flanc des lignes. Derrière cette première troupe en venait une seconde équipée avec un luxe tout à fait oriental. Elle précédait les ambassadeurs, qui, au nombre de quatre, représentaient magnifiquement le plus mythologique des royaumes chevaleresques du XVIe siècle. L'un de ces ambassadeurs était l'évêque de Cracovie. Il portait un costume demi-pontifical, demi-guerrier, mais éblouissant d'or et de pierreries. Son cheval blanc à longs crins flottants et au pas relevé semblait souffler le feu par ses naseaux ; personne n'aurait pensé que depuis un mois le noble animal faisait quinze lieues chaque jour par des chemins que le mauvais temps avait rendus presque impraticables. Près de l'évêque marchait le palatin Lasco, puissant seigneur si rapproché de la couronne qu'il avait la richesse d'un roi comme il en avait l'orgueil. Après les deux ambassadeurs principaux, qu'accompagnaient deux autres palatins de haute naissance, venait une quantité de seigneurs polonais dont les chevaux, harnachés de soie, d'or et de pierreries, excitèrent la bruyante approbation du peuple. En effet, les cavaliers français, malgré la richesse de leurs équipages, étaient complètement éclipsés par ces nouveaux venus, qu'ils appelaient dédaigneusement des barbares. Jusqu'au dernier moment, Catherine avait espéré que la réception serait remise encore et que la décision du roi céderait à sa faiblesse, qui continuait. Mais lorsque le jour fut venu, lorsqu'elle vit Charles, pâle comme un pectre, revêtir le splendide manteau royal, elle comprit qu'il fallait plier en apparence sous cette volonté de fer, t elle commença de croire que le plus sûr parti pour Henri d'Anjou était l'exil magnifique auquel il était ondamné. Charles, à part les quelques mots qu'il avait prononcés lorsqu'il avait rouvert les yeux, au moment où sa mère ortait du cabinet, n'avait point parlé à Catherine depuis la scène qui avait amené la crise à laquelle il avait failli succomber. Chacun, dans le Louvre, savait qu'il y avait eu une altercation terrible entre eux sans connaître la cause de cette altercation, et les plus hardis tremblaient devant cette froideur et ce silence, comme tremblent les iseaux devant le calme menaçant qui précède l'orage. Cependant tout s'était préparé au Louvre, non pas comme pour une fête, il est vrai, mais comme pour uelque lugubre cérémonie. L'obéissance de chacun avait été morne ou passive. On savait que Catherine avait resque tremblé, et tout le monde tremblait. La grande salle de réception du palais avait été préparée, et comme ces sortes de séances étaient rdinairement publiques, les gardes et les sentinelles avaient reçu l'ordre de laisser entrer, avec les mbassadeurs, tout ce que les appartements et les cours pourraient contenir de populaire. Quant à Paris, son aspect était toujours celui que présente la grande ville en pareille circonstance : c'est-àire empressement et curiosité. Seulement quiconque eût bien considéré ce jour-là la population de la capitale, ût reconnu parmi les groupes composés de ces honnêtes figures de bourgeois naïvement béantes, bon nombre 'hommes enveloppés dans de grands manteaux, se répondant les uns aux autres par des coups d'oeil, des signes e la main quand ils étaient à distance, et échangeant à voix basse quelques mots rapides et significatifs toutes es fois qu'ils se rapprochaient. Ces hommes, au reste, paraissaient fort préoccupés du cortège, le suivaient des remiers, et paraissaient recevoir leurs ordres d'un vénérable vieillard dont les yeux noirs et vifs faisaient, algré sa barbe blanche et ses sourcils grisonnants, ressortir la verte activité. En effet, ce vieillard, soit par ses ropres moyens, soit qu'il fût aidé par les efforts de ses compagnons, parvint à se glisser des premiers dans le ouvre, et, grâce à la complaisance du chef des Suisses, digne huguenot fort peu catholique malgré sa onversion, trouva moyen de se placer derrière les ambassadeurs, juste en face de Marguerite et de Henri de avarre. Henri prévenu par La Mole que de Mouy devait, sous un déguisement quelconque, assister à la séance, jetait es yeux de tous côtés. Enfin ses regards rencontrèrent ceux du vieillard et ne le quittèrent plus : un signe de De ouy avait fixé tous les doutes du roi de Navarre. Car de Mouy était si bien déguisé que Henri lui-même avait douté que ce vieillard à barbe blanche pût être le même que cet intrépide chef des huguenots qui avait fait, cinq u six jours auparavant, une si rude défense. Un mot de Henri, prononcé à l'oreille de Marguerite, fixa les regards de la reine sur de Mouy. Puis alors ses beaux yeux s'égarèrent dans les profondeurs de la salle : elle cherchait La Mole, mais inutilement. La Mole n'y était pas. Les discours commencèrent. Le premier fut au roi. Lasco lui demandait, au nom de la diète, son assentiment à ce que la couronne de Pologne fût offerte à un prince de la maison de France. Charles répondit par une adhésion courte et précise, présentant le duc d'Anjou, son frère, du courage duquel il fit un grand éloge aux envoyés polonais. Il parlait en français ; un interprète traduisait sa réponse après chaque période. Et pendant que l'interprète parlait à son tour, on pouvait voir le roi approcher de sa bouche un mouchoir qui, à chaque fois, s'en éloignait teint de sang. Quand la réponse de Charles fut terminée, Lasco se tourna vers le duc d'Anjou, s'inclina et commença un discours latin dans lequel il lui offrait le trône au nom de la nation polonaise. Le duc répondit dans la même langue, et d'une voix dont il cherchait en vain à contenir l'émotion, qu'il acceptait avec reconnaissance l'honneur qui lui était décerné. Pendant tout le temps qu'il parla, Charles resta debout, les lèvres serrées, l'oeil fixé sur lui, immobile et menaçant comme l'oeil d'un aigle. Quand le duc d'Anjou eut fini, Lasco prit la couronne des Jagellons posée sur un coussin de velours rouge, et tandis que deux seigneurs polonais revêtaient le duc d'Anjou du manteau royal, il déposa la couronne entre les mains de Charles. Charles fit un signe à son frère. Le duc d'Anjou vint s'agenouiller devant lui, et de ses propres mains, Charles lui posa la couronne sur la tête : alors les deux rois échangèrent un des plus haineux baisers que se soient jamais donnés deux frères. Aussitôt un héraut cria : « Alexandre-Édouard-Henri de France, duc d'Anjou, vient d'être couronné roi de Pologne. Vive le roi de Pologne ! » Toute l'assemblée répéta d'un seul cri : - Vive le roi de Pologne ! Alors Lasco se tourna vers Marguerite. Le discours de la belle reine avait été gardé pour le dernier. Or, comme c'était une galanterie qui lui avait été accordée pour faire briller son beau génie, comme on disait alors, chacun porta une grande attention à la réponse, qui devait être en latin. Nous avons vu que Marguerite l'avait composée elle-même. Le discours de Lasco fut plutôt un éloge qu'un discours. Il avait cédé, tout Sarmate qu'il était, à l'admiration qu'inspirait à tous la belle reine de Navarre ; et empruntant la langue à Ovide, mais le style à Ronsard, il dit que, partis de Varsovie au milieu de la plus profonde nuit, ils n'auraient su, lui et ses compagnons, comment retrouver leur chemin, si, comme les rois mages, ils n'avaient eu deux étoiles pour les guider ; étoiles qui devenaient de plus en plus brillantes à mesure qu'ils approchaient de la France, et qu'ils reconnaissaient maintenant n'être autre chose que les deux beaux yeux de la reine de Navarre. Enfin, passant de l'Évangile au Coran, de la Syrie à l'Arabie Pétrée, de Nazareth à La Mecque, il termina en disant qu'il était tout prêt à faire ce que faisaient les sectateurs ardents du Prophète, qui, une fois qu'ils avaient eu le bonheur de contempler son ombeau, se crevaient les yeux, jugeant qu'après avoir joui d'une si belle vue rien dans ce monde ne valait plus la eine d'être admiré. Ce discours fut couvert d'applaudissements de la part de ceux qui parlaient latin, parce qu'ils partageaient 'opinion de l'orateur ; de la part de ceux qui ne l'entendaient point, parce qu'ils voulaient avoir l'air de 'entendre. Marguerite fit d'abord une gracieuse révérence au galant Sarmate ; puis, tout en répondant à l'ambassadeur, ixant les yeux sur de Mouy, elle commença en ces termes : « Quod nunc hac in aula insperati adestis exultaremus ego et conjux, nisi ideo immineret calimitas, scilicet non solum fratris sed etiam amici orbitas. {6}  » Ces paroles avaient deux sens, et, tout en s'adressant à de Mouy, pouvaient s'adresser à Henri d'Anjou. Aussi e dernier salua-t-il en signe de reconnaissance. Charles ne se rappela point avoir lu cette phrase dans le discours qui lui avait été communiqué quelques jours auparavant ; mais il n'attachait point grande importance aux paroles de Marguerite, qu'il savait être un discours de simple courtoisie. D'ailleurs, il comprenait fort mal le latin. Marguerite continua : « Adeo dolemur a te dividi ut tecum proficisci maluissemus. Sed idem fatum que nunc sine ullâ morâ Lutetiâ cedere juberis, hac in urbe detinet. Proficiscere ergo, frater ; proficiscere, amice ; proficiscere sine nobis ; proficiscentem sequentur spes et desideria nostra. {7}  » On devine aisément que de Mouy écoutait avec une attention profonde ces paroles, qui, adressées aux

« douté quecevieillard àbarbe blanche pûtêtre lemême quecetintrépide chefdeshuguenots quiavait fait,cinq ou six jours auparavant, unesirude défense. Un mot deHenri, prononcé àl’oreille deMarguerite, fixalesregards delareine surdeMouy.

Puisalors ses beaux yeuxs’égarèrent danslesprofondeurs delasalle : ellecherchait LaMole, maisinutilement. La Mole n’yétait pas. Les discours commencèrent.

Lepremier futauroi.

Lasco luidemandait, aunom deladiète, sonassentiment à ce que lacouronne dePologne fûtofferte àun prince delamaison deFrance. Charles répondit parune adhésion courteetprécise, présentant leduc d’Anjou, sonfrère, ducourage duquel il fit un grand élogeauxenvoyés polonais.

Ilparlait enfrançais ; uninterprète traduisaitsaréponse après chaque période.

Etpendant quel’interprète parlaitàson tour, onpouvait voirleroi approcher desabouche un mouchoir qui,àchaque fois,s’enéloignait teintdesang. Quand laréponse deCharles futterminée, Lascosetourna versleduc d’Anjou, s’inclinaetcommença un discours latindans lequel illui offrait letrône aunom delanation polonaise. Le duc répondit danslamême langue, etd’une voixdont ilcherchait envain àcontenir l’émotion, qu’il acceptait avecreconnaissance l’honneurquiluiétait décerné.

Pendanttoutletemps qu’ilparla, Charles resta debout, leslèvres serrées, l’œilfixésurlui, immobile etmenaçant commel’œild’un aigle. Quand leduc d’Anjou eutfini, Lasco pritlacouronne desJagellons poséesuruncoussin develours rouge,et tandis quedeux seigneurs polonaisrevêtaient leduc d’Anjou dumanteau royal,ildéposa lacouronne entreles mains deCharles. Charles fitun signe àson frère.

Leduc d’Anjou vints’agenouiller devantlui,etde ses propres mains,Charles lui posa lacouronne surlatête : alorslesdeux roiséchangèrent undes plus haineux baisersquesesoient jamais donnés deuxfrères. Aussitôt unhéraut cria : « Alexandre-Édouard-Henri deFrance, ducd’Anjou, vientd’être couronné roidePologne.

Viveleroi de Pologne !» Toute l’assemblée répétad’unseulcri : – Vive leroi dePologne !Alors Lasco setourna versMarguerite.

Lediscours delabelle reine avaitétégardé pour ledernier.

Or,comme c’étaitunegalanterie quiluiavait étéaccordée pourfairebriller sonbeau génie, comme ondisait alors,chacun portaunegrande attention àla réponse, quidevait êtreenlatin.

Nous avons vu que Marguerite l’avaitcomposée elle-même. Le discours deLasco futplutôt unéloge qu’un discours.

Ilavait cédé, toutSarmate qu’ilétait, àl’admiration qu’inspirait àtous labelle reine deNavarre ; etempruntant lalangue àOvide, maislestyle àRonsard, ildit que, partis deVarsovie aumilieu delaplus profonde nuit,ilsn’auraient su,luietses compagnons, comment retrouver leurchemin, si,comme lesrois mages, ilsn’avaient eudeux étoiles pourlesguider ; étoilesqui devenaient deplus enplus brillantes àmesure qu’ilsapprochaient delaFrance, etqu’ils reconnaissaient maintenant n’êtreautrechose quelesdeux beaux yeuxdelareine deNavarre.

Enfin,passant del’Évangile au Coran, delaSyrie àl’Arabie Pétrée,deNazareth àLa Mecque, iltermina endisant qu’ilétait toutprêt àfaire ce que faisaient lessectateurs ardentsduProphète, qui,unefoisqu’ils avaient eulebonheur decontempler son tombeau, secrevaient lesyeux, jugeant qu’après avoirjouid’une sibelle vuerien dans cemonde nevalait plusla peine d’être admiré. Ce discours futcouvert d’applaudissements delapart deceux quiparlaient latin,parce qu’ilspartageaient l’opinion del’orateur ; delapart deceux quinel’entendaient point,parcequ’ilsvoulaient avoirl’airde l’entendre.

Marguerite fitd’abord unegracieuse révérence augalant Sarmate ; puis,toutenrépondant àl’ambassadeur, fixant lesyeux surdeMouy, ellecommença ences termes : «  Quod nunchacinaula insperati adestisexultaremus egoetconjux, nisiideo immineret calimitas, scilicetnonsolum fratris sedetiam amiciorbitas.{6}  » Ces paroles avaientdeuxsens, et,tout ens’adressant àde Mouy, pouvaient s’adresseràHenri d’Anjou.

Aussi ce dernier salua-t-il ensigne dereconnaissance. Charles neserappela pointavoirlucette phrase danslediscours quiluiavait étécommuniqué quelques jours auparavant ; maisiln’attachait pointgrande importance auxparoles deMarguerite, qu’ilsavait êtreun discours desimple courtoisie.

D’ailleurs,ilcomprenait fortmal lelatin. Marguerite continua : «  Adeo dolemur ate dividi uttecum proficisci maluissemus.

Sedidem fatum quenunc sine ullâ morâ Lutetiâ cederejuberis, hacinurbe detinet.

Proficiscere ergo,frater ; proficiscere, amice ; proficiscere sinenobis ; proficiscentem sequenturspesetdesideria nostra . {7}  » On devine aisément quedeMouy écoutait avecuneattention profondecesparoles, qui,adressées aux. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles