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XL Elle aussi sans doute se savonnait en ce moment, pensait-il dans son bain.

Publié le 15/12/2013

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XL Elle aussi sans doute se savonnait en ce moment, pensait-il dans son bain. Enthousiaste de la voir bientôt, il ne pouvait ourtant s'empêcher de ressentir le ridicule de ces deux pauvres humains qui, au même moment et à trois kilomètres l'un e l'autre, se frottaient, se récuraient comme de la vaisselle, chacun pour plaire à l'autre, acteurs se préparant avant 'entrer en scène. cteurs, oui, ridicules acteurs. Acteur, lui, l'autre soir en son agenouillement devant elle. Actrice, elle, avec ses mains endues de suzeraine pour le relever, avec son vous êtes mon seigneur, je le proclame, fière sans doute d'être une éroïne shakespearienne. auvres amants condamnés aux comédies de noblesse, leur pitoyable besoin d'être distingués. Il secoua la tête pour hasser le démon. Assez, ne me tourmente pas, ne me l'abîme pas, laisse-moi mon amour, laisse-moi l'aimer purement, aisse-moi être heureux. orti du bain qu'il avait fait durer longtemps pour abréger l'attente de la revoir, nu et de si près rasé, rasé pour elle, il ansait maintenant, dansait de la voir bientôt, à petits pas nobles et raffinés dansait à l'espagnole, une main sur la hanche, claquait des doigts de l'autre main, soudain tapait du talon ou mettait la main en visière pour follement apercevoir une bien-478 aimée, dansait ensuite à la russe, accroupi, lançait ses jambes l'une après l'autre devant lui, puis se relevait, frappait des mains, lançait un absurde cri guerrier, s'élançait, tourbillonnait, se laissait tomber en grand écart, se relevait, 'applaudissait de la voir tout à l'heure, se souriait, s'aimait, l'aimait, aimait celle qu'il aimait. Oh, il vivait, vivait ajamáis! Dans le taxi qui vers elle le menait, il chantait follement, et le moteur couvrait son chant, et il pressait le chauffeur d'aller plus vite et de mener train d'enfer, et il lui promettait des sommes merveilleuses, et même de l'embrasser à l'arrivée, puis de nouveau chantait d'aller vers elle, chantait de telle joie démoniaque qu'un soir il avait lancé sa plus belle bague dehors, ans les blés, chantait, chantait, chantait infiniment d'aller vers elle, ô chant impatient, effrayé de bonheur, ô cantique insensé, cantique de jeunesse, et il chantait, chantait, infiniment chantait sa victoire d'être aimé, et il regardait cet aimé dans la glace du taxi, glorieux de ses dents et d'être beau, beau pour elle, triomphant d'aller vers elle qui l'attendait, et voici, il la voyait au loin, sur le seuil et sous les roses, ô gloire et apparition, voici labien-aimée, l'unique et pleine de grâce, et gloire à l'Éternel, à l'Éternel en moi, murmurait-il. XLI Soirées des débuts, ravissants entretiens par tant de baisers interrompus, trêves de chasteté, délice si intéressant de se aconter à l'autre, d'apprendre tout de l'autre, de lui plaire. nimée, elle lui racontait son enfance, et les jeux avec Éliane, et la chanson inventée par elle et que les deux petites filles chantaient sur le chemin de l'école, lui racontait son oncle et sa tante et Varvara, lui racontait sa chouette Magali et sa chatte Mousson, âmes charmantes si tôt enlevées à sa tendre affection, lui montrait des photos d'autrefois et ses devoirs d'enfant, ou même lui donnait à lire son journal intime, heureuse qu'il sût tout d'elle, qu'il eût tous les droits, ou gravement lui parlait de son père, et il faisait l'attentif respectueux pour le plaisir de la voir aspirer profondément, fière de ce respect qui justifiait leur amour, l'autorisait. Merveille, tout en parlant, de se regarder avec lui dans la glace, de savoir que c'était pour de bon, qu'elle l'avait, qu'il était à elle. Merveille de tout partager avec lui, de lui faire offrande du plus secret, ses flammes adolescentes, ses rêveries, son ermite d'autrefois, maintenant disparu, le petit bourgeois sur qui elle tirait et qui tombait dans la neige, les fracassements calmants de son corps lancé contre le mur, ô 480 merveille de le sentir son frère de l'âme qui comprenait tout d'elle, mieux qu'elle-même la comprenait. Oui, merveille d'être aussi frère et soeur, et de rire ensemble. Elle lui disait les musiques qu'elle aimait, parfois se levait pour les lui jouer au piano, et elle le regardait lorsqu'elle avait fini, rassurée s'il les aimait aussi, et elle lui baisait les mains. S'il ne les aimait pas, elle les trouvait moins belles, s'apercevait qu'il avait raison. Ó ce besoin d'être unie à lui, de n'aimer que ce qu'il aimait, de connaître les livres qu'il aimait pour les lire et à son tour les aimer. Infinis entretiens, armistices d'amitié qui la rassuraient et lui étaient preuves que leurs liens étaient d'âme et non seulement de corps, délice toujours nouveau de parler d'eux-mêmes, de briller, d'être intelligents et beaux et nobles et parfaits. Deux comédiens occupés à se plaire, se produisant et paradant, pensait-il une fois de plus, mais peu lui importait, c'était exquis, et tout d'elle le charmait, et même son sourire d'enfant modèle devant le photographe lorsqu'il lui faisait compliment sur sa beauté, et même son parler genevois le charmait, ses septante et ses nonante. Il l'aimait. Un matin, elle l'invita à venir dîner chez elle à huit heures. Ce fut leur premier repas ensemble. Si fière d'avoir tout préparé toute seule, fière surtout de son potage à l'oseille, gravement apporté à table. Aimé, c'est moi qui l'ai fait du commencement à la fin, c'est de l'oseille du jardin, je l'ai cueillie ce matin. Charmée de nourrir son homme, émue par l'image de cette épouse et servante sagement dispensant le potage, une louche à la main. Plaisir de le voir manger. Elle se sentait femme d'intérieur et s'admirait. Elle l'ad-481 mirait aussi. Good table manners, se disait-elle en le considérant. Plaisir aussi de jouer à l'épouse raisonnable. Comme il demandait une troisième tranche de gâteau au chocolat, non, mon chéri, c'est trop, dit-elle sentencieusement. Ce même soir, il se fit une très légère coupure au doigt. Si contente alors de le soigner, de mettre de la teinture d'iode, de lui faire un pansement sur lequel elle déposa ensuite un baiser, en bonne mère. XLII Un soir de leur jeune amour, comme il lui demandait à quoi elle pensait, elle se tourna vers lui dans un brusque envol de obe, mouvement qu'elle sentit devoir le charmer. Je pense que je suis enchantée d'avoir fait votre connaissance, dit-elle. Enchantée, répéta-t-elle, ravie de la saveur soudaine de ce mot Elle rit, alla et vint, se sachant admirée, sentant que sa obe plaquait bien aux endroits nécessaires. Et maintenant à quoi pensez-vous? demanda-t-il. Je pense que j'ai pitié de oi, dit-elle, parce que toute ma vie va se passer à vouloir vous plaire, à mettre des talons trop hauts et des jupes trop troites, à faire des rotations avec ma robe, comme tout à l'heure, genre mademoiselle de La Mole, c'est assez lamentable et je me dégoûte, je deviens une femme, c'est affreux. Elle s'agenouilla, lui baisa la main. Terrible, ce besoin de s'agenouiller. Dites, gardez-moi, gardez-moi toujours, lui dit-elle. omme elle était belle, à genoux, le regardant et des deux mains lui enserrant les hanches en un geste d'oraison, les hanches émouvantes d'étroitesse, hanches de son homme. aissez-moi vous regarder, dit-elle, et elle recula pour le voir en entier, le détailla, lui sourit, ô dents parfaites de jeunesse. lle doit peser soixante kilos, et là-dessus quarante kilos d'eau, pensa-t-il. Je 83 uis amoureux de quarante kilos d'eau, pensa-t-il. À quoi pensez-vous? demanda-t-elle. À Timie, dit-il. Elle lui demanda de aconter car elle aimait l'entendre parler de cette chatte exquise, hélas morte. Il raconta n'importe quoi, que Timie était arfois grosse et boudeuse ; parfois menue et angélique d'amitié ; parfois se sustentant sans cesser de ronronner, petite ête penchée sur sa pâtée ; parfois sage comme une image, les yeux levés, patiente, parfaite; parfois rêvant à des temps anciens, immémoriale. Encore, demanda-t-elle. Alors il raconta que Timie voulait sans cesse être caressée parce que l'héréditaire peur du danger était toujours présente et que les caresses la rassuraient. Être caressée, c'était n'être pas en péril. Moi aussi je veux être rassurée, dit-elle, et elle se rapprocha. Tenue par lui, tête renversée, elle entrouvrit les lèvres comme une fleur éclose, et ils burent l'un à l'autre, soigneux, profonds, perdus, et ce fut le grave langage, soudain furieux langage de jeunesse, ongue lutte mouillée, lèvres et langues unies. Plus bas maintenant, osa-t-elle imperceptiblement murmurer. Plus bas maintenant, osait-elle parfois murmurer après les baisers, honteuse de sa demande, parfois entrouvrant ellemême le haut de la robe, et il se penchait alors sur le sein nu, elle aussitôt fermant les yeux pour avoir moins honte et ne rien savoir, ne savoir que la magique nuit où elle entrait, attentive aux suavités qui circulaient, ô elle amollie et fondue, muette aux écoutes d'une agonie exquise, parfois sortant du silence par un râle d'approbation, parfois l'encourageant et le remerciant par de lentes hésitantes caresses sur les cheveux, parfois osant lui murmurer de prendre l'autre aintenant. Je t'aime, ajoutait-elle aussitôt pour se réhabiliter, pour mettre de l'âme, et de nouveau elle râlait, les yeux ermés, privée de pensée, animale, respirant avec un bruit de salive rame-484 ée, née du délice de lui sur l'autre sein penché. Oh, qu'il reste longtemps, qu'il ne passe pas trop vite au reste, osait-elle enser. orsqu'il s'écartait pour la regarder, exposée, si belle, elle restait immobile, lèvres ouvertes et tête abattue, souriante et stupide, bienheureuse d'être impuissante et à sa merci, attendant la reprise, et c'était de nouveau la nuit de velours, l'exquise torture parson amant penché. Mais soudain, elle le prenait par les épaules, l'amenait contre elle, lui disait d'être en elle. Nuits des débuts, longues nuits balbutiantes, incessantes reprises du désir, enlacements, secrets murmures, chocs rapides et lourds, fureurs battantes, Ariane servile, autel et victime, parfois refermant ses dents sur le cou de l'aimé en une morsure plaintive, ô ses yeux blancs de sainte extasiée, et elle lui demandait s'il était heureux en elle, s'il était bien en elle, lui demandait de la garder, la garder toujours. Nuits des débuts, mortelles chairs en lutte, rythme sacré, rythme premier, reins levés, reins abaissés, coups profonds, rapides coups impersonnels, implacabilité de l'homme, elle passionnément approuvant, soudain cambrée, allant au-devant de l'homme. Après l'ardeur, reconnaissante aux yeux cernés, elle lui caressait doucement l'épaule nue, lui parlait de ce qu'elle appelait leur union, lui disait tout bas la joie qu'il lui avait donnée, lui demandait plus bas encore s'il avait été heureux par elle. À son tour, il commentait, conscient du ridicule de cette exégèse lyrique, mais peu lui importait, et nulle femme jamais ne lui avait été aussi désirable. Il aimait ces trêves de douceur, ces caresses, leurs causeries amicales, leurs baisers fraternels. Entre humains de nouveau, pensait-il, et il se blottissait contre elle qui délicatement lui charmait les cheveux. 485 Ils étaient gais en ces trêves, s'amusaient de si peu, riaient si elle racontait l'histoire d'Angeline, la paysanne savoyarde qui faisait semblant de s'apitoyer sur sa vache pour que l'intelligente bête répondît par un meuglement plaintif. Alors Ariane faisait le duo, faisait d'abord Angeline qui disait : « Pauvre Diamant, on l'a battue Diamant?» (Pour que l'histoire eût toute sa saveur, il fallait dire «pauve Diamont».) Ensuite, elle faisait la vache qui répondait par un meuh meuh de vache martyre. C'était le meilleur moment de l'histoire quand la vache répondait. Parfois, ils mugissaient ensemble pour bien déguster la malice de la vache. Comme on voit, ils n'étaient pas difficiles. Ils étaient gais et amis, riant d'un rien, riant s'il racontait d'un petit chat qui s'amusait à avoir peur d'une chaise ou s'il disait son horreur panique des grosses mouches bourdonnantes à reflets verts métalliques, ou s'il s'indignait du cliché de trouver charmants les papillons, ces chenilles

« XLI Soirées desdébuts, ravissants entretiens partant debaisers interrompus, trêvesdechasteté, délicesiintéressant dese raconter àl'autre, d'apprendre toutdel'autre, deluiplaire. Animée, elleluiracontait sonenfance, etles jeux avec Éliane, etlachanson inventée parelle etque lesdeux petites filles chantaient surlechemin del'école, luiracontait sononcle etsa tante etVarvara, luiracontait sachouette Magalietsa chatte Mousson, âmescharmantes sitôt enlevées àsa tendre affection, luimontrait desphotos d'autrefois etses devoirs d'enfant, oumême luidonnait àlire son journal intime,heureuse qu'ilsûttout d'elle, qu'ileûttous lesdroits, ou gravement luiparlait deson père, etilfaisait l'attentif respectueux pourleplaisir delavoir aspirer profondément, fière de cerespect quijustifiait leuramour, l'autorisait. Merveille, toutenparlant, deseregarder avecluidans laglace, desavoir quec'était pourdebon, qu'elle l'avait,qu'ilétait à elle.

Merveille detout partager aveclui,deluifaire offrande duplus secret, sesflammes adolescentes, sesrêveries, son ermite d'autrefois, maintenant disparu,lepetit bourgeois surqui elle tirait etqui tombait danslaneige, lesfracasse- ments calmants deson corps lancécontre lemur, ô 480 merveille delesentir sonfrère del'âme quicomprenait toutd'elle, mieux qu'elle-même lacomprenait.

Oui,merveille d'être aussifrèreetsœur, etde rire ensemble. Elle luidisait lesmusiques qu'elleaimait, parfois selevait pourlesluijouer aupiano, etelle leregardait lorsqu'elle avait fini, rassurée s'illes aimait aussi,etelle luibaisait lesmains. S'il neles aimait pas,ellelestrouvait moinsbelles, s'apercevait qu'ilavait raison.

Óce besoin d'êtreunieàlui, den'aimer que cequ'il aimait, deconnaître leslivres qu'ilaimait pourleslire etàson tour lesaimer. Infinis entretiens, armisticesd'amitiéquilarassuraient etlui étaient preuves queleurs liensétaient d'âmeetnon seulement decorps, délicetoujours nouveau deparler d'eux-mêmes, debriller, d'êtreintelligents etbeaux etnobles et parfaits.

Deuxcomédiens occupésàse plaire, seproduisant etparadant, pensait-ilunefoisdeplus, maispeului importait, c'étaitexquis, ettout d'elle lecharmait, etmême sonsourire d'enfant modèledevantlephotographe lorsqu'il lui faisait compliment sursabeauté, etmême sonparler genevois lecharmait, sesseptante etses nonante.

Ill'aimait. Un matin, ellel'invita àvenir dîner chezelleàhuit heures. Ce fut leur premier repasensemble.

Sifière d'avoir toutpréparé touteseule, fièresurtout deson potage àl'oseille, gravement apportéàtable.

Aimé, c'estmoiquil'aifait ducommencement àla fin, c'est del'oseille dujardin, jel'ai cueillie ce matin.

Charmée denourrir sonhomme, émueparl'image decette épouse etservante sagement dispensant lepotage, une louche àla main.

Plaisir delevoir manger.

Ellesesentait femme d'intérieur ets'admirait.

Ellel'ad-481 mirait aussi.Goodtablemanners, sedisait-elle enleconsidérant. Plaisir aussidejouer àl'épouse raisonnable.

Commeildemandait unetroisième tranchedegâteau auchocolat, non,mon chéri, c'esttrop, dit-elle sentencieusement.

Cemême soir,ilse fitune très légère coupure audoigt.

Sicontente alorsdele soigner, demettre delateinture d'iode,deluifaire unpansement surlequel elledéposa ensuite unbaiser, enbonne mère.. »

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