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LES AVATARS PHILOSOPHIQUES D’UN HÉRITAGE CHRÉTIEN

LES AVATARS PHILOSOPHIQUES D’UN HÉRITAGE CHRÉTIEN

Etienne Gilson, qui fut en France le grand investigateur de la philosophie médiévale, posait en 1931 la question de la légiti­mité d’une philosophie chrétienne. Il semblait l’écarter au pre­ mier abord, comme un malentendu, un monstre logique tel « du fer en bois », si l’on prétend par là faire supporter au christia­nisme une visée de rationalité universelle. Mais le problème rebondit si l’on considère la possibilité de philosopher dans la foi, ou dans la théologie, comme ce fut le cas bien sûr au Moyen Age, ou à partir de certains de ses matériaux. Ce fut notoirement la situation de la philosophie classique.
Le XXe siècle offre à cet égard un paysage encore plus ambigu.
D’abord subsistent à l’horizon les cicatrices des luttes pour la laïci­sation encore récente, dans la société française, dans l’Université, dans les mentalités ; philosopher au voisinage ou au nom de la foi peut passer alors pour un acte de résistance, une fidélité et un témoignage ou, simplement, une conviction à faire partager.
Sans évoquer des sous-entendus politiques non négligeables. Mais l’arène philosophique n’est pas en ce début de siècle à feu et à sang ; tout se complique du fait de connivences discrètes, d’affini­tés personnelles, entre ceux qui croient au ciel et ceux qui font mine de ne pas vouloir en parler. Il se tisse d’un bord à l’autre, des polémiques feutrées et courtoises, sur la base d’un héritage partagé : l’Esprit. Il n’y a qu’un cheveu entre Lavelle, chrétien, et Brunschvicg, laïc et rationaliste : «Je ne me reconnaîtrais pas moi-même », dit Brunchvicg que Lavelle cite avec délectation, « avec tout ce que je pense et tout ce que je sens, s’il n ’y avait pas eu tout le mouvement du christianisme ». Le médium, c’est cet Esprit passe-partout, toujours là quand on l’appelle, Protée prompt à se transformer à la demande en Vérité ou en Amour de Dieu. La bannière de l’Esprit couvrira les projets les plus contradictoires et mobilisera pour des combats divers et respec­tables plus ou moins, aussi bien contre la barbarie monstrueuse que contre les émancipations légitimes.
Mais l’inspiration chrétienne ne se limite pas à ces alliances de circonstances avec les courants du temps. A partir d’une souche enracinée depuis le XIXe siècle, la foi s’est engagée dans une pré­ occupation du social au contact des problèmes concrets du siècle. Dans cette perspective, va se développer autour des années quarante l’esquisse d’un projet global, mitoyen entre la foi personnelle, la responsabilité sociale et la philosophie. Ce mouvement connu sous le nom de personnalisme, s’il ne peut faire littéralement figure de philosophie chrétienne, pèsera par ses influences dans la théorie comme dans la pratique, à titre de guide de conscience et d’engagement, à portée tant individuelle que communautaire ; un peu à la manière du jansénisme dans la société du XVIIe siècle. Leur mot de ralliement sera encore « Esprit », cette fois en titre d’une revue : preuve que le terme en tout cas n’était pas usé ni discrédité.
Enfin, on verra traverser le ciel philosophique des météores flamboyants et difficilement identifiables, aux visions person­nelles originales jusqu’au paradoxe, mais marquées par une illu­mination intérieure confessée comme chrétienne : Teilhard de Chardin et Simone Weil.
Trois auteurs émergent par l’acuité de leur méditation, parmi ceux qui se placent dans l’obédience affichée du catholicisme, explorant dans une voie étroite le projet d’accoupler raison et
foi, sans se couper pour autant du dialogue universitaire où toute philosophie s’atteste alors. Ce sont Blondel, Lavelle et Marcel.

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