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Brancusi: MADEMOISELLE POGANY

Publié le 14/09/2014

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Quand le modèle quitte Paris en janvier 1911, le marbre promis n'est pas même esquissé et elle croit le projet abandonné. Surprise : en 1913, Brancusi l'expose. Il l'a achevé sans avoir jamais revu Margit Pogany. Que reste-t-il de la jeune femme dans cette oeuvre? L'évocation de son image au moyen de deux grands yeux, de quelques courbes peu creusées et de deux mains aux longs doigts. Mais de la ressemblance, que Brancusi sait pourtant si habilement saisir quand il le veut, presque rien. En dépit du titre, est-ce encore un portrait que ce marbre? Une figure allégorique plutôt, un symbole féminin dans lequel la phy­sionomie importe bien moins que l'harmonie de la construction et l'épuration de la forme. Le crâne s'est changé en volume ovoïde. De la face ne restent que les ovales des yeux sans regard. Rien ne demeure de ce qui aurait contrarié un processus de simplification radi­cale, ni chevelure ni pians du visage.

« Des sculptures comme des galets Exposées, ces œuv res déconcertent le public , jusqu'ici accoutumé à une sculpture essentiel­ lement descriptive.

Avant Bran cus i, Rodin a certes déjà exécuté des têtes qui se détachent à peine du bloc de marbre , mai s sans aller si loin dans la simpli f ication.

Pour Brancusi, c'est cette dernière qui impor te avant tout.

Dès 1910, ses séries de la Muse endormie et du Prométhée, celles- là même qui intriguèrent si fort Margit Pogany, l'expérimentent systéma­ tiquement.

Ni la Muse ni Prométhée n 'o nt de corps, pas même d 'épaules et de cou, seule­ ment des têtes ovoïdes aux traits à peine .

inci­ sés, aux chevelures comme effacées, aux bouches invisibles.

On dirait des galets roulés par un torre nt ou par le vent.

Pourquoi ce parti pris d'épuration? Une œuvre de 1916 le révèle avec force : œuf de marbre blanc et gris dénué de tout relief , elle s'intitule le Commencement du monde.

Brancusi ne saurait être plus explicite : il entend renouveler la sculpture en la reconduisant à ces principes pre­ miers, en revenant aux formes fondamentales.

Or, aucune forme n'est plus fondamentale que celle de l'œuf, cellule élémentaire de la création.

Un autre marbre , en 1915, a pour titre le Nouveau-né, et la même idée y est exprimée d'une autre façon.

C'est véritablement une sculpture des origines que Brancusi veut inventer, ou plutôt réinventer , puisque c'est du retour au point de départ qu'il s'agit.

Ma demois elle Po gan y es t un marbr e de 44 cm d e haut eur.

E xp osée à N ew Yo rk dès 191 4, à la Photo Secession Ga llery , animée pa r A lfre d Stie gl itz , elle appart ie nt a ujourd ' hui a ux c oll ectio ns du mu sée de Ph ilad elp hi e.

Le Comme ncement du monde , Constantin Brancusi, 1916 (Philadelphie , Museum of Art).

Retour aux civilisat ions anc iennes a ussi : la Muse endormie, comme Mademoiselle Pogany, ou la Danaide de 1913 empruntent un peu de leur géométrie aux arts de !'Antiquité, non point certes à celle du Parthénon ou de l'art hellénistique, mais à l ' Antiquité bien plus ancienne des idoles cycladiques, des Sumériens, ou même à celle des civilisations néolithiques et méga lithiques.

Brancusi ne s'es t-il pas inspi ré de celles-ci quand il a taillé le Baiser, bloc géométriq u e aux reliefs délibé­ rément schématiques? Plus qu e les cubistes, ses contemporains, il explore les ressou rces du primitivisme.

Quelques années plus tard , il taille le bois en hommage à l ' art des Africains et à celui des Océaniens.

Scandale au Grand Palais Ce tte démarche va de pair avec la volonté violemment affirmée de revenir également aux sentiments et aux pulsions les plus simples et les plus puissants -à commence r par le désir sexuel.

Mademoiselle Pogany se métamorphose en archétype féminin , forme toute de courbes et de galbes arrondis qui év'oquent allus i vement son cor ps entier, et non p as seulement son visage.

L'ovoïde, à l'évidence, est synonyme de fécondité, alo rs que l'allongement des mains et l'immensité des yeux se réfèrent aux canons convention­ nels de la beauté féminine.

Quand il reprend et développe le motif de Mademoiselle Pogany dans les années 20, Brancusi accentue encore cet t e part symbo­ lique.

Sur la n uq ue et le cou, il imagine un décor de volutes emboîtées les unes dans les autres dont la spirale redouble le dessin géné­ ral de la tête.

Mains et poignets fusionnent en une sorte de cône légèrement incliné, autre simplification non moins chargée de sens.

Le matériau lui-même se fait de plus en plus p ré­ cieux et élégant, marb re blanc veiné de gris La Princesse X, Constantin Brancusi, 1916 (Philadelphie, Mu seu m of Art).

L 'œ uvre fut censurée par la police pour cause d'obscénité.

pâle, bronze doré qui donne à l'œuvre l'appa­ rence d 'une idole archaïque.

Margit Pogany est devenue nymp he ou déesse.

E n 1916, Brancus i entrep rend un aut re por­ trai t, celu i de la P rincesse Marie Bonaparte.

D u buste il ne conserve que les globes des seins, et de la tête qu'une forme ovale reliée aux deux sphères par un cou très étiré.

Très vite, l'allusion phallique devient précise, et la prin­ cesse se change étrangement en symbole explicite de la virilité.

En 1920, Brancusi expose l 'œ uvre au Salon des indépendants , au Grand Palais, sou s le titre mystérieux de la Princesse X.

À peine le Salon inauguré,· il est sommé par le commissariat de police de reti­ rer son œuvre, sous le motif que la Prin cesse X est un objet pornographique.

À défaut d 'avoir compris l' œuvre, le commissaire a été du moins sensible à l'un des principes de Brancusi : faire de la sculpture !'expression de l'essentiel... »

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