CARPACCIO
Publié le 25/06/2012
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En ce qui le concerne, ce mot, trop souvent employé comme synonyme de jeu ou de caprice, doit être pris dans son acception la plus large, avec tout ce qu'il sous-entend de force créatrice. Bien que moins nettement intellectuel que les Toscans Paolo Uccello e.t Piero della Francesca et plus proche, dans son expression purement picturale, des grands Flamands Van Eyck et Van der Weyden, Carpaccio s'apparente aux esprits picturaux plus sévères, c'est-à-dire aux maîtres qui ont su faire de la peinture une forme de la connaissance de l'homme et de la nature.
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La Légende de sainte Ursule résume toute l'évolution de l'art de Carpaccio et nous dévoile
entièrement son
credo esthétique.
Sa rencontre, à vingt ans, à Venise, avec le génie international
d'Antonello
de Messine fut pour lui décisive.
Alors que Giovanni Bellini, avec son classicisme
vénitien intime,
n'en adopta que les conquêtes picturales préparant la réforme chromatique de
Giorgione, Carpaccio s'appropria totalement sa vision de l'espace, du volume et de la couleur.
Il comprit, en outre, les prodigieux effets de la fusion du nordique et du méditerranéen, et toute
sa
Légende de sainte Ursule est orchestrée sur ce thème.
Aussi,
au lieu de raconter simplement, avec la facilité toute extérieure de Gentile Bellini,
les épisodes de la vie
d'Ursule, il crée, dans chaque morceau, une ambiance adaptée à l'état
d'âme des personnages, avec un art secret de faire parler non seulement les hommes, mais aussi
les objets
et surtout les vibrations ·variées de la couleur, l'éther atmosphérique.
Le morne canal
vaseux
de Cologne, aux rives duquel s'abat le navire des pèlerins- un vrai petit vaisseau fantôme
- remplit
d'anxiété l'âme du spectateur et lui fait vaguement pressentir la tragédie, la mort.
L'arrière-plan spectaculaire de l'Adieu des Fiancés, bien que plein de détails secrets (le rocher de
Candie, les barques
rêvant dans le fond marin), dit, à lui seul, que la gloire des Princes ne sera
pas mondaine, mais mystique.
Enfin,
la lumière craintive qui, dans la chambrette d'Ursule,
plonge tous les accessoires,
du plus humble au plus brillant, dans une immobilité si extatique,
nous fait saisir mieux
que tout autre moyen le mystère sacré auquel nous assistons, la transfigu
ration de la douce jeune fille en holocauste.
Dans les œuvres définitives des « Scuole » de Saint
Georges
et de Saint-Etienne, Carpaccio conserve cet intimisme prestigieux mais abandonne la
manière analytique flamande, accentuant,
en revanche, la composante méditerranéenne de l'art
d'Antonello.
Au style plus ample et plus pictural s'y joint un se.ns de la vie plus ardemment
profane, ce dont témoignent les admirables Courtisanes.
Des tableaux tels que Saint Jérôme lisant,
la Mort de saint Jérôme, le Miracle de saint Georges vainqueur du dragon de la « Scuola »des Esclavons,
la
Dispute de saint Etienne, orgueil de la Brera, ou le Sermon du saint sur la place de Jérusalem, perle
du Louvre, révèlent, dans le narrateur présumé, un artiste doué d'un remarquable pouvoir de
contemplation, source de son
étonnante fantaisie.
En ce qui le concerne, ce mot, trop souvent employé comme synonyme de jeu ou de caprice,
doit être pris dans son acception
la plus large, avec tout ce qu'il sous-entend de force créatrice.
Bien
que moins nettement intellectuel que les Toscans Paolo Uccello e.t Piero della Francesca
et plus proche, dans son expression purement picturale, des grands Flamands Van Eyck et Van
der Weyden, Carpaccio s'apparente aux esprits picturaux plus sévères, c'est-à-dire aux maîtres
qui ont su faire de la peinture une forme de la connaissance de l'homme et de la nature.
De cette
profondeur spéculative, leurs œuvres
gardent un reflet mystérieux, sensible dans le caractère
plastique essentiel,
la valeur universelle de la lumière et dans tous les traits que la critique moderne,
nous l'avons dit,
a définis comme « métaphysiques )) ou « magiques », reconnaissant ainsi dans
ces rares génies les précurseurs
de l'intellectualisme figuratif, dans la mesure où les préoccupe
le problème des relations cosmiques
entre l'homme et l'univers.
La douce voix de Carpaccio, de même que celle de Van Eyck, donne de ce problème une
solution sereine, en mettant en évidence l'harmonie des rapports régnant entre l'homme et le
monde
et en exaltant le pouvoir donné à l'artiste de transfigurer tous les instants de la vie des
hommes
et de la nature, en en créant de la beauté.
FERNANDA WITTGENS
Conservateur à la Pinacothèque de la Brera Milan.
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