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EDGAR DEGAS: vie et oeuvre

Publié le 02/05/2019

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degas

simplification plus extraordinairement profonde, ces fo rmes crispées et compliquées de notre civilisation, les chevaux et les jockeys, qui ont d'ailleurs une grande analogie et une sorte de parenté avec les danseuses ; personne n'a exprimé comme lui, avec plus de noblesse, avec un art plus intime, plus pénétrant, la gracilité nerveuse et fé brile, le fr issonnant et le maladif de ces êtres essentiellement modernes. Jamais une faute de dessin, toujours la même logique implacable, et toujours ces variations admirables et justes sur la première figure, d'après laquelle le tableau s'est, pour ainsi dire, composé de lui-même, dessiné et peint.

 

Degas semble avoir depuis quelque temps abandonné la peinture pour se livrer presque exclusivement au dessin, cet art si charmant, si artiste et si méprisé. C'est peut-être parce qu'on le méprise aujourd'hui que Degas a voulu le faire revivre, comme aux belles époques de l'art fr ançais. On n'aime plus le dessin, pour la raison qu'il n'y a plus de dessinateurs. On dirait que cette magnifique éclosion des artistes du XVIII' siècle a pour longtemps épuisé la France de ce goût exquis, qui est aussi un art plus difficile, plus savant et moins compréhensible que la peinture. Et puis le goût -ou mieux le mauvais goût - s'en est allé aux tableaux de la mode et a fait délaisser cet art, pour lequel il faut non seulement des artistes pour l'exécuter, mais aussi des amateurs pour le comprendre.

 

C'est chose curieuse qu'en France, à l'heure actuelle, il n'y ait plus que Degas qui vraiment soit un dessinateur. Personne, sous ce rapport, n'ose plus le contester, sans qu'on sache pourquoi, du reste. C'est qu'il y met la perfe ction et la puissance au plus haut degré, et chacun de ses dessins est un pur chef-d'œuvre dont la place est marquée au Louvre, à côté des dessins d'Holbein, de Wa tteau, de Fragonard, d'Ingres. Degas va, dans le dessin, plus loin qu'Ingres. Aussi savant que lui, il sait donner à ses fo rmes plus de vie, par un procédé plus simple et une synthèse plus mystérieuse. Rien n'y est laissé au hasard, au mauvais conseil de l'inspiration, au chic. Chaque ligne, chaque forme est le résultat d'une étude approfondie;on sent, sous les vêtements dont il les recouvre, l'ana

pour le comprendre, car il ne gracieuse aucune ligne, aucune fo rme, aucun ton, et ne flatte pas, par des prestidigitations de virtuosité, les goûts bourgeois, dégageant au contraire d'une forme la pure essence, et laissant de côté les détails qui encombrent et qui alourdissent. Nul ne connaît mieux le fond et le tréfonds de son art, et nul ne saurait y être plus habile ; mais il dédaigne ces petites habiletés qui rapportent et qui éblouissent, et ne sont, en réalité, que des escamotages. Il a appliqué à la contemporanéité - et à la contemporanéité vue à travers son tempérament spécial -le procédé simplificateur, absolument synthétique, des maîtres de l'École de Sienne. Degas est un primitif égaré dans notre civilisation à habit noir.

 

On peut dire que ce n'est pas lui qui fait la composition de son tableau, c'est la première ligne ou la première figure qu'il y dessine ou qu'il y peint. Tout découle nécessairement, mathématiquement, musicalement, si vous voulez, de cette première ligne et de cette première figure, comme les fu gues de Bach de la première phrase ou de la première sonorité, qui en forme la base. Il n'y apporte aucune mélodie pour faire surgir l'effet et l'enjoliver d'accessoires qui attendrissent et qui charment. Quelque sujet qu'il traite, des blanchisseuses, des cafés-concerts, des intérieurs de modistes, ille traite avec la même logique impitoyable.

 

Ses danseuses sont, comme il le dit lui-même, non point de simples tableaux ou de simples études, mais des méditations sur la danse. Il en a rendu, avec une netteté, une suite terrible dans l'esprit, une ténacité dans l'observation, une cruauté dans l'exécution, les fo rmes ou gracieuses, ou voluptueuses, ou crispées, ou douloureuses, et avec une telle intensité d'expression que quelques-unes semblent de véritables suppliciées. Et l'on voit sous leurs ballons de gaze claire, dans les lumières blondes et les clartés violentes où il les jette, ces pauvres corps torturés par ces durs exercices qui broient les chairs et qui souvent ne sont indiqués que par les apophyses bossuant le maillot rose.

 

Des tableaux de courses ont le même caractère de synthétisme violent et cruel. Personne n'a peint, comme Degas, et avec une

degas

« EDGAR DEGAS et ces barbouilleurs de modes, incompatibilité absolue.

Il est telle­ ment fort et tellement lui, que cet éclectisme semblerait impossible et monstrueux.

Ou Degas sera avec ses pairs : Ingres, Delacroix, Corot, Whistler, Puvis de Chava nnes, ou il ne sera pas du tout et nulle part ; car soyez certains que les collectionneurs et les amateurs poussent la logique jusque dans l'extrême bêtise et le manque de goût le plus triomphant.

J'imagine aussi qu'aucune cocodette très renommée, et qu'aucune élégante très influente, lesquelles ornent volontiers l'atelier et les toiles de M.

Jacquet, n'auront jamais demandé à De gas de faire leur portrait.

Il est de ceux, au contraire, à qui des amis ou des relations de passage demandent négligem­ ment le nom et l'adresse d'un peintre, pour un por trait « ressem­ blant et disting ué».

Ceux qui achètent des Degas passent encore pour des toqués, et M.

Durand-Ruel, cet oseur impénitent, qui possède des dessins, des pastels, des tableaux de lui - d'admirables chefs-d'œuvre ­ est communément traité de sectaire.

Il est vrai que le temps lui a donné raison pour Millet, à propos de qui on le plaisantait et on le plaignait si fort, comme il lui donnera bientôt raison, je l'espère, pour Degas et les jeunes artistes, si particuliers, si per sévérants et si pleins de talent, qu'il s'acharne à faire connaître.

Degas est donc, dans toute l'acception du mot, un grand artiste, c' est-à-dire qu'il croit à l'a rt, qu'il en a l'a mour hautain et jaloux, et que, pour une fave ur gouvernementale, une commande ou un bout de ruban, il ne fera jamais de concessions, de palinodies et de cour­ bettes.

Nous vivons un temps où la bassesse de l'esprit et les habi­ tudes de camelotage sont choses si courantes, chez les peintres, que nous en sommes venus à nous étonner davantage de ce que nous rencontrons, sur notre chemin, un homme de conscience plutôt qu'un homme de génie.

Et quand l'homme, comme Degas, réunit en sa personne ces deux vertus presque disparues aujo urd'hui, il con vient de le dire bien haut et de le saluer bien bas.

La caractéristique du talent si intense, souvent abstrait, et qui étonne, de Degas, c'est la logique implacable de son dessin et de sa couleur ; aussi, faut-il une éducation artistique très développée. »

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