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Friedrich : L'ABBAYE DANS UN BOIS

Publié le 14/09/2014

Extrait du document

«Les ouvrages de cet homme forcent à rêver; ils sont tellement poétiques; il sent admirablement bien la tragédie du paysage.«

Rendant une visite au peintre à Dresde, un soir de novembre 1834, le sculpteur français David d'Angers raconte ainsi l'émotion qu'il a ressentie dans l'atelier dépouillé «aux murs peints en verdâtre«. Après un long purgatoire, ]'oeuvre étrangement inspirée du paysagiste allemand a retrouvé aujourd'hui ce pouvoir de fascination.

Les brumes de la mélancolie

Mieux que les témoignages, nombreux, les autoportraits disent la mélancolie de l'homme : Friedrich s'y représente toujours le regard fiévreux, un geste las exprimant son découragement. Ce tempérament dépressif date de sa jeunesse : la noyade de son frère en décembre 1787, lors d'une partie de patinage, le marque à jamais...

Dès ses premières oeuvres, l'artiste privilégie l'étrangeté et la tristesse au travers de paysages qui semblent des visions. L'Abbaye dans un bois,

comme le Moine au bord de la mer dont elle est le pendant, est une des plus saisissantes : des arbres dénudés, encadrant les ogives d'une ruine gothique, hissent vers le ciel leurs tor­sions pathétiques. Les deux tiers supérieurs du tableau sont baignés d'une étrange clarté, fran­gée de rose, que ne peut seul expliquer le timide croissant de lune. Du sol, plongé dans la pénombre, pointent les croix éparses d'un cimetière qu'on dirait à l'abandon. Des sil­houettes pourtant surgissent, sombre proces­sion de moines qui accompagnent un cercueil. La mort de la nature, celle des hommes et de

« Exé c utée à l'huile sur toi le, /'Abb ay e dans un bois est le pen ­ dant d 'un e œ uvre de dim ensio n s i d e ntique s (110 cm de ha ut sur 17 1 c m de la rg e), le Moine au b ord d e la mer, con servée a u m ê me endro it ( B e rlin , S taatli che Mu see n ).

Les deu x tabl e au x ont été envoyé s à l'e xposition d e l' Acad ém ie de Berlin e n o ctobr e 1810 , si mplement intitu ­ l és Deu x Pay sag e s.

À 36 a ns, Friedri ch conna ît al or s la co nséc ra­ tion : s ur les co nsei ls du jeune prin c e h é riti er, le roi d e Pru sse ac qu iert ces œ uvres et le peintre est é lu , malgr é qu elq u es ré ti cen ces, m embr e de l'A ca dé mi e de B erlin .

Surp renant les conte m pora in s, ces deu x p aysa ges fon t l'objet d'appr éci ations célèbres : selo n le po ète Kl eis t, le Mo ine au bord de l a m er es t de natur e, avec son immen ­ sité dése rte, à ..

faire h url er le s ren ard s et les loup s".

L e peintre C aru s estim e, lu i, que /'Abbaye dan s un bo is est I' «œ uvre p e ut -être la plu s prof ond e e t la plu s po é tique de tout l' art c ontempor ain ".

leurs œuvres semblent ici le sujet du tableau, rendu plus angoissant encore par l'aspect menaçant du décor traité avec une précision hallucinante.

Dans d'autres œuvres, les ruines, le clair de lune et les arbres morts sont rempla­ cés par des rochers hostiles, des forêts de sapins impénétrables ou des solitudes ennei­ gées: l'effet d'oppression est le même.

Un réalisme scrupuleux Mais, si le peintre sélectionne un type de pay­ sage, il ne l'invente nullement.

C'est à une observation fidèle que ses œuvres doivent leur présence obsédante.

Semblable à ces pro ­ meneurs chers au romantisme aUemand qu'il représente lui-même, Friedrich voyage, et il dessine inlassablement ce qu'il voit.

Depuis Dresde, où il s 'installe en 1799, il excursionne et se rend en juillet 1810 au Riesengebirge en compagnie du peintre Kersting : de cette promenade, il rapporte des croquis qu'il exploite ensuite dans plusieurs tableaux.

Mais c'est surtout la Poméranie, d'où il est originaire, qui devient son motif d'élection.

L'extrême nord de l'Allemagne, autour de sa ville natale de Greifswald , près de la Baltique, offre au peintre l'aspect sau ­ vage de paysages peu explorés.

Ce sont les falaises de craie de l 'île de Rügen ou les ruines de l'église gothique d'Eldena , isolées dans un bois près de Greifswald et dont il se souvient ici pour son Abbay e .

Vue de Dresde au clair de lune, peinture de Carl Gustav Carus (coll .

privée).

L'intérêt presque exclusif de Fried rich pour ces régions de l'Allemagne du Nord éloignées des influences latines contribue grandeme nt à son originalité.

Le peintre, qui refuse en 18 16 l'occasion d'un voyage en I talie, rompt avec la tradition des vues classiques de la campagne romaine qui triomphent alors dans la bonne société de Dresde.

«Clos ton œil physique» Mais le travail sur le motif n'est qu'une étape préliminaire avant la réalisation de l'œuvre.

Comme tous les tableaux de Friedrich, /'Abbaye dans un bois est composée en atelier.

Dans les aphorismes publiés après sa mort par son ami Carus , le peintre livre quelques­ uns de ses secrets.

•Clos ton œil physique, afin de voir ton tableau avec l'œil de l'esprit.

Puis amène au jour ce que tu as vu dans ta nuit.» L'étude assidue de la nature doit êt re oubliée pour découvrir -déma r che chère aux romantiques -l'infini au-delà du fini.

Pour cette raison, les œuvres du peintre ne se résument jamais, ou presque, à une représen­ tation naturaliste: elles sont riches de sym­ boles, que la critique s'est complu à interpré­ ter, parfois trop systématiquement.

Certains tableaux recèlent des allusions nationalistes, en particulier dans la période 1812-1814.

La plupart ont une portée spirituelle.

Comme d'autres peintres allemands et européens au début du XIX' siècle , Friedrich veut renouveler l'art sacré : à travers la représentation du réel, ses tableaux invitent à contempler l'éternel.

L'Abbaye dans un bois, plongeant la terre et les hommes dans l'obscurité et l'isolement, pro­ pose au spectateur de se tourner vers un au­ delà radieux.

Entrer dans le tableau Soumis à ce dessein, l' artiste s'efface : les tableaux qu'il peint sont de petit format , et il ne les signe jamais.

•J'ai entendu dire que Friedrich n'é tait pas assez peintre •, note David d' Angers.

On a reproché en effet à Friedrich la maigreur de sa matière , une exé­ cution dépouillée de sensualité.

L'artiste refuse les artifices : renonçant à disposer une touffe d 'herbe , un tron c d' arbre au seuil de ses tableaux , comme le font les peintres clas­ siques , il invite souvent l'œil à pénétrer direc­ tement au centre de l'œuvre, qui n'a alors, selon le mot de !'écrivain Kleist, • pour pre­ mier plan que le cadre ».

Dresde, «la Florence du Nord » Ca pital e de la Saxe, D res de es t, a u d ébu t d u x1x• siècle, un foyer artistique renommé .

La ville ell e­ même att ire avec, sur les bord s de l' E lbe, les souvenirs d e l'épo qu e ro coco.

Ce décor abri te la tr ès riche g al erie d e pein ture don t la Mado ne S ix tine d e Raph aël fait la cé lé brit é.

A utour de ce chef- d'œuvre, admiré pa r d es écr iv a ins com m e T iec k, W acke nro d er ou Kle is t, s'éla bor e av ec le p eint re Run ge (1 777- 181 0) le renouveau de l'art chrétien.

D 'ill us tres vo yage urs rés ident dans la vill e : M""' de S taë l y séjou rne en 1808 , David d'A nge rs e n 1 834.

Siège d e la pl us imp o rta n te Aca dém ie d'a rt e n All emag ne à ce tte é po qu e, sit u ée dans un envi­ ronnemen t riche en beautés natu­ relles e t proche de la mon tag ne use Bohême, Dresde atti re les artis tes.

Runge y vi t d e 1801 à 1803.

Auprès d e F riedric h (1 774- 1 840) , qui s'y établit à p artir de 1799, travaillent d 'autres paysagistes: le N orvé gie n Johan C h ris tian C la u sen D a hl (1788-1857), Frie d ric h Geor g Kerstlng (1785- 1847), Carl Gu stav Ca rus ( 1789-1869) ou Fe rdin a nd Oehme (1797- 1855), le plu s do ué d es élèves d e Frie drich.. »

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