LE MAITRE DE TRÉBON

« Son intention de créer un tableau optiquement uni, cohérent dans toutes ses composantes, le Maître de Trebon a pu la réaliser par une méthode de peinture dont l'apparition est un véri­ table mystère.

Ses tableaux procèdent du clair-obscur, d'une obscurité dans laquelle pénètre la lumière d'une source magique n'éclairant nettement que les formes principales.

Cette lumière est absorbée dès les contours des formes par l'obscurité du fond, de sorte que presque tout le dessin linéaire se perd.

Qu'un certain foyer lumineux ait été utilisé à cet effet, le tab!eau de la Résur­ rection, où le peintre a peint derrière les figures du Christ et du soldat même des ombres portées, permet de le supposer.

On ne saurait en tout cas expliquer ce procédé par le style de l'époque précédente, style qui a su moduler le ton par la décoloration lumineuse en hauteur et l'obscur­ cissement en profondeur (maître Théodoric).

Cette technique nouvelle ne pouvant d'ailleurs avoir été emprunt~e à la peinture française ni à l'italienne, il ne reste qu'à admettre l'invention géniale d'un artiste qui, bien avant que le clair-obscur n'apparût dans la peinture d'une néces­ sité pressante, l'a devancé au moins d'un demi-siècle.

Si la personnalité artistique du Maître de Trebon apparaît avec assez de netteté, tout ce qui est relié à son existence personnelle ne reste que simple conjecture.

S'il a produit les panneaux de l'autel de Trebon aux environs de l'année 1380 (les documents relatifs aux années 13 78 et 1380 mentionnent la fondation de quatre autels dans cette église), il devait être un homme d'âge mûr dont les débuts présumés seraient antérieurs de quelque vingt ans.

Ses années d'apprentissage et son développement précoce remonteraient aux environs de 1360.

A cette époque se trouvent en effet non seulement les sources de l'art du Maître de Trebon, mais même une œuvre qui l'annonce; c'est le cycle de l'Apocalypse, ornant les murs de l'église Sainte-Marie au château de Karlstein et qui fut terminé aux environs de 1357.

On y observe, dans la construction du terrain, la repré­ sentation des espèces végétales, dans les types figuratifs, dans les motifs architectoniques et dans le traitement doux et pictural des formes figurées, maints traits que le Maître de Trebon renouvela et développa.

Les analogies sont telles qu'on pourrait même chercher les débuts du Maître de Treban dans l'entourage du peintre de l'Apocalypse de Karlstein.

Plus d'une fois, l'intérêt s'est fixé sur la question de savoir si le sud de la Bohême a bien été le théâtre d'activité de l'artiste, puisque les restes d'autres autels peints dans le style du maître s'y sont conservés et que les œuvres de ses successeurs se rencontrent en nombre considérable dans la Bohême méridionale.

Mais rien ne permet de croire que le maître vivait et créait à Tre­ ban; on peut admettre au contraire qu'il a grandi et mûri plutôt au centre même de l'art tchèque de son temps, à Prague.

Cette supposition acquiert' d'autant plus de vraisemblance, que nous savons aujourd'hui que l'influence du Maître de Treban ne s'étendit pas seulement dans tous les pays tchèques, mais brilla puissamment dans le reste de l'Europe centrale et orientale.

ANTONIN MA TEJCEK Professeur à l'Université Charles-IV Prague. »