LE PINTURICCHIO
Publié le 25/06/2012
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Si admirables qu'ils soient, les paysages du Pinturicchio n'ont cependant, quoi qu'on en ait dit, rien de spécifiquement ombrien : a-t-on jamais vu, en Ombrie, les bizarres architectures rocheuses de quantité de leurs arrière-plans? Et les palmiers fleurissent-ils dans un pays que de hautes chaînes de montagnes séparent de la mer? En réalité, sous le ·lumineux espace du ciel d'Ombrie, qui s'accommode aussi bien de l'écimage des peupliers familiers et des petits cyprès noirs que des moulures étranges de conifères capricieusement taillés, le peintre ne cesse d'assembler tout ce qu'il trouve de plus choisi dans la nature, pour en encadrer dignement l'humanité exceptionnelle qu'il courtise.
«
par conviction, et lorsqu'on a énuméré tous les arguments qui militent en faveur de l'admission
du Pinturicchio dans l'illustre confrérie des Renaissants, on garde néanmoins le sentiment que
sa position y est équivoque.
Il manquait certainement à.
ce timide la force de dominer et de faire
intimement siennes les réalités vastes
et terriblement complexes de la Renaissance, diligemment
apprises
par lui dans leur substance matérielle la plus accessible, plutôt qu'assimilées et ramenées
à un principe d'unité qui seulles eût rendues efficaces et valables; et, d'autre part, l'occasion lui
a fait défaut
de les extraire directement de la leçon des grands maîtres qui les incarnaient.
A la
différence
du Pérugin, il n'alla jamais à Florence, et Rome venait à peine d'être conquise par la
Renaissance.
Mais c'est peut-être dans ces détails biographiques
et historiques que réside le critère d'Ùne
juste appréciation de sa valeur : ils nous enseignent qu'il ne faut pas voir en lui le représentant
d'une Renaissance provinciale et de périphérie, un tantinet barbare, mais le plus franchement
ombrien
de tous les peintres de son temps, dont l'œuvre reflète, avec une sincérité aimable et
attachante, un ensemble de coutumes et de traditions locales : veine menue, mais séduisante,
issue des Siennois
qui avaient œuvré en Ombrie, comme Taddeo di Bartoli, et des actifs propa
gateurs du Gothique International, entre Gùbbio et Foligno, dont la douceur, à travers le gracieux
Bocca ti,
Caporali et le suave Bonfigli, sera encore sensible chez le jeune Raphaël.
Ainsi considéré,
l'art du Pinturicchio apparaîtra non seulement comme un fait historique remarquable, mais
aussi comme
la manifestation d'une personnalité poétique, originale et dotée exquisement.
Même
les défauts qu'on lui a si durement reprochés se justifient alors, telle son habitude d'encombrer
ses fresques de reliefs en stuc doré (« chose très maladroite en peinture >>, dira Vasari), c'est en
fait
un essai de ressusciter les fonds rutilants d'or et d'outremer que l'on voyait dans les fabuleuses
assemblées
de chevaliers et nobles dames du gothique« courtois» (écho de la somptueuse monda-
nité
d'un Gentile de Fabriano et d'un Pisanello).
·
«
Un gothique attardé », voudrait-on dire, un peintre «·courtois » en retard de plus d'un
demi-siècle : malgré leur étalage des perspectives, palais et portiques, ses grandes compositions
gardent on ne sait quoi d'inorganique et traduisent le limpide espace péruginesque en des imageries
semblables
à d'immenses pages enluminées, polychromées et grouillantes, dont les éléments
innombrables -personnages magnifiques, absolument étrangers
à l'événement conté, édifices
étranges; arbres,
animaux -sont tous vus avec la même minutie analytique.
Au surplus, le
Pinturicchio a hérité de ses prédécesseurs une vive affection pour les formes animales Jes plus
élégantes : coursiers richement harnachés, agiles lévriers, lapins sautillant candidement dans
l'herbe, cependant
que ses ciels sont souvent sillonnés de gras canards aux profils dessinés avec
une précision digne de Pisanello.
Si admirables qu'ils soient, les paysages du Pinturicchio n'ont cependant, quoi qu'on en
ait dit, rien de spécifiquement ombrien : a-t-on jamais vu, en Ombrie, les bizarres architectures
rocheuses
de quantité de leurs arrière-plans? Et les palmiers fleurissent-ils dans un pays que de
hautes chaînes
de montagnes séparent de la mer? En réalité, sous le ·lumineux espace du ciel
d'Ombrie, qui s'accommode aussi bien de l'écimage des peupliers familiers et des petits cyprès
noirs
que des moulures étranges de conifères capricieusement taillés, le peintre ne cesse d'assembler
tout ce qu'il trouve de plus choisi dans la nature, pour en encadrer dignement l'humanité excep
tionnelle
qu'il courtise.
Et tout comme de cette heureuse union d'éléments imaginaires et de la réalité topographique,
amoureusement décrite, jaillit
l'enchantement d~ son paysage, ses personnages, quand ils consentent
à abandonner leur rôle de mannequins guindés _et solennels, pour descendre dans un monde
sentimental plus intime (ce qu'ils font
rarement dans les grands morceaux, mais très souvent
dans les petits tableaux tels
que l'admirable Madone avec l' Erifant, deux anges et le donateur Bartelli
du dôme de San Severino), deviennent les interprètes de cette suave et tendre religiosité où se
révèle l'antique mysticisme de la terre d'Ombrie.
Ils nous dévoilent alors le secret d'une grâce
sans pareille,
à laquelle Raphaël lui-même ne sera pas insensible.
PINTURICCHIO « L4 Sainù Fdmille.
» (finacotlrJqru lU Sient~~.)
ENZO CARLI
Directeur de la Pinacothèque de .Sienne
127.
»
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