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Le symbolisme en peinture

Publié le 16/11/2018

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UN PASSAGE VERS L'AILLEURS

 

Le réalisme de Courbet et Manet ne donne à voir qu'un monde plat, profane et sans profondeur, qui laisse l’âme insatisfaite. C'est de cette critique que part, dès les années 1850, un mouvement européen appelé à trouver sa formule définitive autour de 1890 avec les œuvres de Puvis de Chavannes et d'Odilon Redon. Son programme? L'idéal. Pour accéder au monde sublime des essences et des idées, l'œuvre d'art doit réaliser une synthèse entre le visible et l’invisible. Tel est le sens du symbole, ce lien entre le monde matériel et celui des idées. L’artiste symboliste ne saurait se contenter d'être objectif, mais puise au contraire dans sa subjectivité le pouvoir presque magique d'aller au-delà des choses, de faire de chaque être, de chaque objet un point de passage vers Tailleurs. Les traditions hermétiques et les différentes mythologies sont également mises à profit, l'esthétique retrouvant dans sa quête de spiritualité les plus anciennes expériences religieuses.

L'APPORT DES POÈTES

Aux sources du symbolisme, on trouve les recherches menées par quelques «illuminés», comme ils se nomment eux-mêmes, à la fin du xviiie siècle. Parmi ceux-ci, on pourrait citer le Suisse Johann Füssli (1741 -1825) et son célèbre Cauchemar (1782), ainsi que le poète et peintre William Blake (1757-1827), sans doute le plus remarquable. Au matérialisme de l'époque qui précède, qui s'adresse aux sens, il oppose un art cherchant à répondre aux désirs profonds de l'âme. Sa peinture religieuse, hantée de visions et traversée d'une lumière surnaturelle, répond à l'inquiétude d'une époque en mal de spiritualité.

Le romantisme donne à cette inquiétude spirituelle une première réponse, qui s'approfondit dans l'œuvre de Baudelaire : celui-ci formule à la fois une exigence de

ÉTYMOLOGIE DU SYMBOLE

Ce terme d'origine grecque désigne à l’origine deux choses «lancées (bolein) ensemble (sum) ». Il s'agit donc d'une association dynamique entre deux réalités. C'est dans le vocabulaire religieux chrétien que s'est d'abord développée cette idée, avec comme horizon d'associer le monde terrestre et le monde céleste, certains objets du premier renvoyant au second. Par exemple, le poisson est pour les premiers chrétiens le symbole du Christ, parce qu'en grec les lettres du mot poisson (ichtios) sont les initiales de l'expression

 

spiritualité irréductible aux expériences religieuses classiques, et une théorie de l'image qui place l'art sous le signe du «surnaturalisme». Il s'agit, pour le poète comme pour le peintre, de se mettre en quête d'une vibration spirituelle presque imperceptible, étouffée sous l'indifférence matérialiste de la civilisation bourgeoise. L'artiste, âme d'élite, ressent plus que quiconque le besoin d'autre chose; il est aussi capable d'approcher cet ailleurs, cet « inconnu » dont le frisson est seul à même de nourrir son âme. La métaphore, cette alliance créative de deux termes apparemment éloignés, est l'arme du poète pour déchirer la trame d'une réalité sans âme.

Rimbaud, à l'aube des années 1870, pousse plus avant une révolution esthétique qui passe chez lui par l'expérience de la «voyance». Un «dérèglement de tous les sens», qui se joue dans l'affolement de la représentation, permet au poète de dépasser l’illusion de la «réalité» pour entrer dans une vérité supérieure. L'hallucination, le retour à une sauvagerie primitive, l'oubli délibéré de toute morale sont les voies d'un renouvellement de la vision.

Mallarmé, enfin, donne au symbolisme une formulation qui consacre le refus de s'en tenir au réel. Il s'agit, pour le peintre comme pour le poète, de « peindre non la chose, mais l'effet qu'elle produit». En d'autres termes, son retentissement dans la subjectivité, sa capacité à transporter l'âme, à lui faire entrevoir autre chose. Les métaphores filées et emboîtées de la poésie de Mallarmé sont le modèle absolu, pour les artistes de l'époque, d'une esthétique usant du symbole pour quitter le monde prosaïque de la « réalité» et entrer dans l'univers mystérieux des analogies et des vérités cachées.

C'est un disciple de Mallarmé, le jeune critique Albert Aurier, qui donne en 1891 un manifeste intitulé Le Symbolisme en peinture. Il y précise notamment une nouvelle définition de l'œuvre d'art : elle sera

«Jésus Christ, fils du Dieu sauveur». Dans une perspective religieuse, l'ordre divin ne peut communiquer avec le réel que par l'entremise d'un objet sacré : le symbole est fondamentalement une médiation. Les constructeurs des cathédrales médiévales, les francs-maçons du xviiie siècle et la tradition hermétique incarnée au XIXe siècle par Gérard de Nerval travaillent sur un ensemble de codes symboliques associant à chaque objet une idée ou une valeur.

« inspirée, Puvis de Chavannes donne à leur esthétique une dimension monumentale qui en révèle toutes les potentialités.

Les compositions en frise voient alterner les figures, souvent hiératiques, voire pétrifiées dans une immobilité qui leur confère l'allure de symboles.

La couleur n'est jamais réaliste, mais elle contribue à cet effet de représentation : la peinture de Puvis de Chavannes n'est pas de celles qui se font oublier; elle s'exhibe au contraire comme ce qu'elle est-un artifice, une œuvre d'art (Lo Toilette, 1883.).

Les thèmes traités sont en revanche moins spiritualistes et participent à la promotion des valeurs de la Troisième République : fertilité, «pureté de la race», grandeur du sol national, travail.

La formule symboliste de la peinture d'idées s'avère ainsi assez souple idéologiquement : le réalisme socialiste du X"1! siècle s'en souviendra, qui pastichera volontiers Je disciple de Gustave Moreau.

PAUL GAUGUIN (1848-1903) Impressionniste à ses débuts, Gauguin fonde en 1888, avec Émile Bernard et Paul Sérusier, l'école de Pont-Aven.

On a J'habitude de la rattacher au symbolisme, même si elle donnera naissance à un mouvement différent, refusant la spiritualité au profit de J'image pure : les Nabis.

La Vision après le ser mon, une célèbre toile de Gauguin, est souvent donnée comme l'œuvre emblématique de cette période.

Un groupe de paysannes bretonnes observe une scène biblique : Lo Lutte de locob ovec l'Ange (1888).

Le sujet est en lui-même un refus de tout naturalisme, mais la manière compte aussi.

Simplification des formes, aplats de couleurs pures, accentuation des contours éloignent l'œuvre de toute tentation réaliste.

Transcendant le monde des apparences pour explorer celui des idées, la peinture de Pont-Aven retrouve la naïveté et l'ambition spirituelle des vitraux.

En cela, Gauguin retrouve J'inspiration des préraphaélites, même s'il se détachera assez vite de cette spiritualité pour explorer à Tahiti une peinture de la plénitude des sens.

Miwi!J:!Bd' fERNAND KHNOPFF (1858-1921) Un séjour à Paris en 18n-1880 ouvre à Khnopff des horizons nouveaux; à son LE SALON DE LA ROSE-CROIX C'est en 1892, chez le galeriste Durand­ Rue!, qu'a lieu Je premier Salon de la Rose-Croix.

Cet ordre kabbalistique a été fondé en 1888 pour promouvoir la science des mages et la symbolique alchimique.

Animés notamment par Joséphin Péladan, mage autoproclamé s'intéressant à la télépathie, au spiritisme, mais aussi à J'homéopathie, les Rose-Croix sont un groupe spiritualiste mondain séduit par l'esthétique fin-de-siècle, en lutte contre la laïcité républicaine.

Le premier salon est inauguré sur une musique d'Erik Satie, le compositeur officiel de l'ordre; on y ècoute aussi des œuvres de Vincent d'Indy, César Franck ou Richard Wagner.

Ils invitent au fil de leurs six salons près d'une centaine d'artistes.

Fernand Khnopff comptera parmi les plus assidus, et le symbolisme dans son ensemble bénéficiera de la notoriété de ces événements, jusqu'au dernier salon, en 1898.

archétypale qu'il nomme lui-même «la ropsienne» : puissante, souple, langoureuse, cette beauté fatale est bien éloignée des masques sereins de la société bourgeoise.

Rops évolue ainsi vers une représentation faisant du diabolique l'envers du décor contemporain.

Dandy élégant, Lucifer accompagne la ropsienne dans un ballet érotique hésitant entre J'hédonisme et une attirance trouble pour la mort.

précision du dessin de Fabry (Tête d'éphèbe, 1900) tient à J'usage intensif de la photographie, préférée à la pose.

Pour lui, J'art idéaliste va f--------------i ainsi de pair avec un réalisme extrême retour à Bruxelles, il participe à l'émergence d'une esthétique symboliste qui va trouver sa forme la plus aboutie dans la fondation du Groupe des XX, en 1883.

Affichiste, graveur (pointe sèche), Khnopff est proche du poète et critique Émile Verhaeren et, à partir de 1885, de Joséphin Péladan, Je grand maître des Rose-Croix à Paris.

JI participera dès lors activement aux salons.

Khnopff fait aussi le lien avec les préraphaélites anglais (rencontrés en 1891) et la Sécession viennoise, à partir de 1898.

Comme Gustave Moreau, il consacre aussi beaucoup d'efforts à la construction et au décor de sa maison, véritable temple érigé à sa personne ...

(Memories, 1889.) JI travaille également avec Je théâtre de la Monnaie de Bruxelles, consacrant l'intérêt du symbolisme pour la décoration.

JI réalise ainsi un plafond pour la maison communale de Saint­ Gilles et des fresques murales pour Je palais Stoclet.

Ftuc1EN RoPS (1833-1898) Lithographies, eaux-fortes, caricatures, Félicien Rops aborde les beaux-arts par la bande.

Promoteur résolu d'un art libre, il trouve sa liberté dans l'illustration, donnant entre 1864 et 1871 près de trente-quatre ouvrages chez l'éditeur Poulet-Malassis : Baudelaire, Péladan, Mallarmé, Verlaine ...

autant d'auteurs qui amènent une évolution de sa propre esthétique.

(LoDouche, 1878.) C'est tout naturellement qu'il expose au Cercle des XX (1884), dont il devient membre en 1886.

Ses estampes voient l'émergence d'une figure féminine dans la représentation des corps, alors même que J'abandon de la perspective contribue à déréaliser ses fresques.

Une œuvre comme L'Hiver est exemplaire de sa manière.

Les personnages hiératiques ressemblent à des statues, reliées par des guirlandes qui dessinent des tableaux dans Je tableau.

Disciple de Puvis de Chavannes, Fabry s'oriente vers 1890 en direction de l'Art nouveau, collaborant notamment avec Victor Horta et Paul Hankar.

JI est également de ceux qui découvrent Je pointillisme : J'héritage symboliste rejoint ici Je néoimpressionnisme de Seurat, par exemple.

dessinateur hors pair, grand admirateur de Dürer, Holbein et Raphaël.

C'est d'un style réaliste, non dépourvu d'une dimension sociale, qu'il part pour se tourner très vite vers une approche teintée de mysticisme.

Nuit peint vers 1889, joue ainsi sur les analogies entre le sommeil et la mort, révélant une personnalité assombrie par des drames familiaux.

La rencontre de Gauguin, en 1891, amène Hodler à retrouver peu à peu une veine plus optimiste, tout en développant Je style qu'il a créé dans ses années noires : de puissants motifs rythmiques, une structure serrée, multipliant les lignes jusqu'à relier les personnages.

!:imaginaire de la danse, très présent dans sa peinture, résume une esthétique qu'il intitule lui-même «parallélisme».

CARLOS SCHWABE (1866-1926 ) C'est en illustrant Le Rêve d'Emile Zola, dans J'édition de 1891, que Schwabe se fait connaître, avant l'événement artistique que constitue la présentation de L'Évangile de l'enfance au salon de la Rose-Croix, en 1892.

Minutie du dessin, puissance visionnaire des thèmes (volontiers fantastiques), ----�• archaïsme et déformations du trait font de sa peinture un véritable bréviaire du symbolisme.

Plus à J'aise dans la gravure et J'aquarelle que dans l'huile, il reste pourtant un illustrateur.

(Le poète en morche, 1920.) ARNOLD 80CKLIN (1827-1901) Redécouvert par les surréalistes, Bôcklin est surtout connu pour L11e des morts (1883), J'un des chefs- d'œuvre de la peinture symboliste, dont il ne donne pas moins de cinq versions dans les années 1880.

La précision du trait va de pair avec une libération de J'imaginaire, qui J'amène à mêler mythologie et fantastique dans des toiles dont les personnages sont des naïades, des nymphes, des centaures.

Son apport au symbolisme reste celui d'un franc-tireur, qui ne rejoint l'école qu'au terme d'un parcours personnel riche et complexe.

DE NOUVEAUX HORIZONS Le symbolisme a influencé directement plusieurs mouvements artistiques importants de la fin du XIX' siècle.

LEs NABIS Les amis de Gauguin et de Maurice Denis sont passés par l'école de Pont­ Aven, qui, dans sa quête de nouveauté esthétique, croise les préoccupations symbolistes.

Primitivisme et dédain de la représentation réaliste sont communs aux deux écoles, mais les nabis s'écartent du symbolisme par leur recherche d'un art avant tout graphique, ne renvoyant à nulle idée, mais tirant son émotion d'une pure déformation du regard.

Lorsque Gustav Klimt (Adele Bloch­ Bouer/, 1907) et quelques peintres viennois fondent en 1897 leur célèbre groupe, ils ne savent pas encore où ils vont, mais ils reconnaissent en revanche leur dette à l'égard de leurs prédécesseurs français et belges.

La Sécession retient du symbolisme la déformation des corps, le goût pour exprimer l'intériorité et les symboles, un intérêt certain pour les fresques et J'art de la décoration.

Une plus grande audace, une vocation moindre pour le spiritualisme donneront aux artistes de la Sécession les moyens de créer des œuvres en rupture avec J'idée même de représentation, qui ouvrent sur l'art moderne .

Également appelé modern style, ce mouvement représenté notamment par Victor Horta et Alfons Mucha (Soroh Bernhordt, 1896) est caractérisé par son inventivité graphique, directement inspirée des audaces symbolistes.

II.H.u-i.l'>l::i�AI'I.CJ'-11 Mais les thèmes et les poses issues du symbolisme ne sont plus associés à une aspiration spiritualiste; la peinture Art nouveau tire vers la décoration et le graphisme.

L'EXPRESSIONNISME C'est par l'intermédiaire du Norvégien Munch et du Hollandais Van Gogh que l'expressionnisme est lié au symbolisme.

Munch, en particulier, retient du symbolisme la simplification du trait, l'arbitraire de la couleur, l'aspiration à exprimer J'intériorité.

Une toile comme Le Cri (1893) apparaît ainsi à la fois comme Je dernier mot du symbolisme et comme Je premier d'un expressionnisme voué à la violence, à l'explosion de la couleur, et qui se détache du symbolisme par son dédain marqué pour Je dessin.

LE SURRtALISME La peinture surréaliste, celle de Dali, de Max Ernst ou de Giorgio De Chirico (Portroit prémonitoire de Guil/oume Apollinoire, 1914), est beaucoup plus proche du symbolisme que des autres mouvements modernes, tels Je cubisme ou J'abstraction.

Elle recherche J'intériorité, flirte avec Je fantastique, cultive les vertus du dessin davantage que celles de la couleur.

Breton est d'ailleurs de ceux qui, à la fin des années 1950, redécouvrent le symbolisme en organisant des expositions sur des artistes à l'époque oubliés.. »

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