LES ÉPOUX ARNOLFINI
Publié le 14/09/2014
Extrait du document
«
À gauche, sur le rebord de la f enêtre et sur le
coffre, des fruits , caressés par la lumière du
jour , forment une pré c ieuse nature morte et
s
ugg èrent la douc eur de vivre ; ils rappe llent
aussi (l'un d'eux est une pomme ) le péché ori
ginel.
D'autres objets ont
éga lement une
double signification , domestique et religieuse.
Un rosaire est accroché au mur ; le miroir,
entre les mari és, est orné de m éda illon s qui
re pr ése ntent les scè nes de la Passion du
Christ ; malgré la lumière du jour, le lustre
cons erve une chandelle allumée, allégorie de
la présence de Dieu dans la pièce.
l'ho mme et la femme on t d' ailleurs retiré
leurs patin s, par marque de respect, comm e
ils le feraient s'ils foul a ient un sol sacré :
•N ' approche pas d'ici, retire tes sandales de
tes pieds car Je lieu où tu te tiens est une terre
sainte • (Exode, III, 5).
la disposition de ces
menus objets introduit un élément de
désordre dan s cette salle où tous les meubles
suiv ent une rigoureuse ordonnan ce, tapis, lit,
coffre adossé au mu r, lattes du parquet for
mant des orthogonales qui convergent vers le
miroir.
les socques de l'homme ouvrent le
tableau vers la gauche; celles de la femme,
plus discrètes à caus e de leur couleur rouge
qui se fond dans l'étoffe de la banquette à
l'ar rière de la pièce, orien tent le rega rd l' une à
droite, l'autre à gauche.
Le premier portrait de groupe
la pos ition mêm e de l'homme et de la
femme, dans la pièce et par rappor t aux
objets, a valeur allégorique.
Giovanni est situé
du côté de la lumièr e, de la fenêtre - ses
chaussures, d'ailleurs , sont orientées ver s ce
mond e extérieur.
Il est l'homme, le marchand,
l'élémen t actif du couple.
la fem me, au
contraire , se tient près du lit.
Ses chaussures
sont rangées là où elle peut s'asseoir pour lire,
rêver ou prier , dans la sécurité de sa demeure.
Un balai de paille , rappel de s e s tâches ména
gères, est accro ché au montant d'un meuble,
sculpté d' une figure de sai nte.
Il s' agit de
Marguerite , patronne des accouchements.
Giov anna a pour mission de garder la maison
et d'e nfanter.
Cette mission est cl' ailleurs rap
pelée par son geste, l'évasement de sa robe
valant promesse de fécondité.
la coule ur
verte
de cette robe symbo lise la fidélit é,
comme le chi en, auprès de la femme, selon le
bestiaire médiéval.
Ce symbolisme ne contre dit pas le caract ère
profondément réaliste et neuf du tableau.
Pour
la premiè re fois dans l'hi stoire d e la peinture,
un homme et une femme son t figurés non
plus en donateur s, agenouillés et présentés par
un sain t patr on à l ' intérieur d'un retable, mais
dan s l' intimité de leur appart ement.
Aussi
nouvelle est l'idée de peindre un couple se
tenant par la main , et non deux individus iso
lés chacun sur les volets d'un trip tyque, par
exemple.
Jan Van Eyck expériment e dans ce
panneau un genre nouveau , le portrai t, et lui
donne d'emblée une forme profondément
moderne, celle du portrait de groupe en pied.
Traités de façon différente - plus plastique
chez l'homme, plus idéalisée c hez la femme
-
1 le visage du mar ch a nd et celui de son
épouse sont ceux d'ê t res réels , peints sans
souci des conventions, avec leurs particulari
tés et parfois leurs défau ts.
Giovanni a la
figure la plus intéressante, sous l'imm ense
chapeau noir qui dissimule entièrement ses
cheve ux.
l e contour de sa face apparaît
comme ciselé, l'oreille en accolade, les lignes
de la tempe et de la joue bosselées.
les
orbites profondes abritent des yeux globu
leux, le long nez est creusé à l'ex trémité d'un
sillon qui se pro l onge au-dessus de la lèvre et
sépare en deux Je ment on.
La tête de
Giovanna, à la chair blanche et rose, est, par
con traste, un volume plein et lisse.
Son
visage, docilement abaissé, met en valeur la
jo ue ron de, le mouvement délicat du cou ; les
yeux et le nez, jolis, la bouche , petite, ne for
ment ni saillie ni c reux marqué.
Au centre de l'œuvre, le miroir
Tou t le tableau est organisé en fonction d'un
axe vertic al qui uni t la lamp e au chien et
passe par le miroir , terme de conv ergence des
lignes obliques qui cons tru isent le tab leau.
L'objet, surmonté de la signature du pein tre,
est mis en valeur par l'év asement que forment
les bras du coupl e.
Les mariés vus de dos , le
lit et le coffre, le bord d e la fen être avec les
fruits s'y reflèt ent.
Mais le miroi r co nvexe
permet de découvrir un espace non repré
senté à l'avant du panneau : un paysage dissi
mulé par l'o uverture d'u n volet, cons titué
d 'arbres au feuillage esti val sous un ciel
d
'azur .
Surtou t , au centre du miroir, entre les
deux époux, deux pers onnages s'e ncadrent
dans une porte.
les couleurs de leu rs man
teaux - rouge et bleu, deux teintes vives qui
attire n t l 'œil dans l'obscurité d e cette zone -
les m e ttent en évidence malgré leur petit e
taille : à peu prè s 1 cm de haut.
Van Eyck ,
comme l'a montré l'his torien d'art allemand
Panofsky, doit être l'un des deux hommes :
d 'o ù
l'étrange signatu re au-dessus du miroir
•Johannes de Eyck fuit hic » («Ja n Van Eyck fut
ici») - et non pas «exécuta ceci ».
Elle s ignifie
que le peintre agit dans ce tableau en tém oin
du rite nuptial, et non seulemen t en artiste .
Car tel est bien le sens de la scène, livré par le
miroir : le •portrait • des époux représente une
cérémonie, sous le regard des témoins, en
présence
de Dieu - mais san s celle d'un
p rê
tre.
Cela n 'a r ien de surpre nant : la partici
pation d 'un membre de l'Eglise au sacrement
du ma riage ne devient obliga toire qu'après le
concile de Trente, à la fin du XVI' siècle.
l e
miroir a aussi une autre fonctio n, exp érimen
tée déjà par Van Eyck, sans la resso urce d'un
miroir et de façon moins radicale , dans
l'Anno11ciation du polyptyque de /'Agneau mys
tique.
Il permet d'introduire dans le morceau
d'es pace que représe nt e Je tab leau, sinon la
tot alité du monde , du m oins un fragment
supp lémentaire, qui donne l'idée d e l'infini de
l'univers.
• Voir aussi : p.
94-97 (L'Agnea u my stique);
p.
196-197 (les Ménines); p.
258 -259 (Le Bar des
Folies- Bergère).
Succès d'un thème : le miroir
Les Flamands .
Le thème du miro ir
connaît , au xv- siècle, un succès extraor
dinaire en Flandre .
Dès 1438 , on trouve le motif dans le tableau d'un peintre contem
porain de Van Eyck : Heinr ich von Werl
sous la protect ion de saint Jean-Bapt iste
( Madrid , mu sée du Prado ), du Maître de
Flémalle.
Le miroir reparaît en 1449 par exemple dans le célèbre Saint Éloi de Petrus Christus (ci-c ontre , New York ,
Metropolitan Museum).
En 1487, le motif est encore utilisé , par Hans Meml ing ,
dans un diptyque représentant la Vierge
et Maarten Van Nieuwenhoive (Bruges,
musée
Memling ).
Vélasquez .
Au xv11 • siècle , Vélasquez, le plus fameux des peintres espagnols du
Siècle d'or, admire les Épou x Arno/fini
dans les collections espa gnoles.
Il introduit un miroir dan s ses Ménine s de 1656 ( Madrid , musée du Prado), tout en tirant du motif des res
sources bien différente s.
Man et- Au x1x• siècle, Manet ,
admira teur de
la peinture espa gnole et de la peinture fla mande , exploite le thème du
miroir dans une œuvre fonda
mentale , le Bar des Folies Be rgère (1881, Londres ,
Courtauld Galleries ).
Le miroir est désor
mais un panorama de glaces ; il reflète une foule et le feu des lampes d'une salle
en fê te le soir; mais le motif est là, héritier lointain de celui du Flamand ..
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