Devoir de Philosophie

LES ÉPOUX ARNOLFINI

Publié le 14/09/2014

Extrait du document

Petit panneau de 81,9 cm de haut sur 59,9 cm de large, le Portrait des époux Amolfini, signé et daté sur le mur au-dessus du miroir, a connu des vicissitudes nombreuses avant d'aboutir, en 1842, à la National Gallery de Londres, qui le conserve aujourd'hui.

Passé entre les mains de Marguerite d'Autriche puis de Marie de Hongrie, il appartient aux collec­tions royales espagnoles à partir du milieu du mer' siècle, et y demeure jusqu'aux guerres napoléoniennes. À ce moment, il disparaît du palais de Madrid, emporté sans doute par un général français (Belliard?). On le retrouve en 1815 à Bruxelles, où il est acheté par un officier anglais, qui le revend au musée londonien.

Le panneau, il y a une vingtaine d'années, a fait l'objet d'une restau­ration radicale, qui a rendu très visibles les repentirs autour du corps et surtout des pieds de l'homme.

« À gauche, sur le rebord de la f enêtre et sur le coffre, des fruits , caressés par la lumière du jour , forment une pré c ieuse nature morte et s ugg èrent la douc eur de vivre ; ils rappe llent aussi (l'un d'eux est une pomme ) le péché ori­ ginel.

D'autres objets ont éga lement une double signification , domestique et religieuse.

Un rosaire est accroché au mur ; le miroir, entre les mari és, est orné de m éda illon s qui re pr ése ntent les scè nes de la Passion du Christ ; malgré la lumière du jour, le lustre cons erve une chandelle allumée, allégorie de la présence de Dieu dans la pièce.

l'ho mme et la femme on t d' ailleurs retiré leurs patin s, par marque de respect, comm e ils le feraient s'ils foul a ient un sol sacré : •N ' approche pas d'ici, retire tes sandales de tes pieds car Je lieu où tu te tiens est une terre sainte • (Exode, III, 5).

la disposition de ces menus objets introduit un élément de désordre dan s cette salle où tous les meubles suiv ent une rigoureuse ordonnan ce, tapis, lit, coffre adossé au mu r, lattes du parquet for­ mant des orthogonales qui convergent vers le miroir.

les socques de l'homme ouvrent le tableau vers la gauche; celles de la femme, plus discrètes à caus e de leur couleur rouge qui se fond dans l'étoffe de la banquette à l'ar rière de la pièce, orien tent le rega rd l' une à droite, l'autre à gauche.

Le premier portrait de groupe la pos ition mêm e de l'homme et de la femme, dans la pièce et par rappor t aux objets, a valeur allégorique.

Giovanni est situé du côté de la lumièr e, de la fenêtre - ses chaussures, d'ailleurs , sont orientées ver s ce mond e extérieur.

Il est l'homme, le marchand, l'élémen t actif du couple.

la fem me, au contraire , se tient près du lit.

Ses chaussures sont rangées là où elle peut s'asseoir pour lire, rêver ou prier , dans la sécurité de sa demeure.

Un balai de paille , rappel de s e s tâches ména ­ gères, est accro ché au montant d'un meuble, sculpté d' une figure de sai nte.

Il s' agit de Marguerite , patronne des accouchements.

Giov anna a pour mission de garder la maison et d'e nfanter.

Cette mission est cl' ailleurs rap­ pelée par son geste, l'évasement de sa robe valant promesse de fécondité.

la coule ur verte de cette robe symbo lise la fidélit é, comme le chi en, auprès de la femme, selon le bestiaire médiéval.

Ce symbolisme ne contre dit pas le caract ère profondément réaliste et neuf du tableau.

Pour la premiè re fois dans l'hi stoire d e la peinture, un homme et une femme son t figurés non plus en donateur s, agenouillés et présentés par un sain t patr on à l ' intérieur d'un retable, mais dan s l' intimité de leur appart ement.

Aussi nouvelle est l'idée de peindre un couple se tenant par la main , et non deux individus iso­ lés chacun sur les volets d'un trip tyque, par exemple.

Jan Van Eyck expériment e dans ce panneau un genre nouveau , le portrai t, et lui donne d'emblée une forme profondément moderne, celle du portrait de groupe en pied.

Traités de façon différente - plus plastique chez l'homme, plus idéalisée c hez la femme - 1 le visage du mar ch a nd et celui de son épouse sont ceux d'ê t res réels , peints sans souci des conventions, avec leurs particulari­ tés et parfois leurs défau ts.

Giovanni a la figure la plus intéressante, sous l'imm ense chapeau noir qui dissimule entièrement ses cheve ux.

l e contour de sa face apparaît comme ciselé, l'oreille en accolade, les lignes de la tempe et de la joue bosselées.

les orbites profondes abritent des yeux globu­ leux, le long nez est creusé à l'ex trémité d'un sillon qui se pro l onge au-dessus de la lèvre et sépare en deux Je ment on.

La tête de Giovanna, à la chair blanche et rose, est, par con traste, un volume plein et lisse.

Son visage, docilement abaissé, met en valeur la jo ue ron de, le mouvement délicat du cou ; les yeux et le nez, jolis, la bouche , petite, ne for­ ment ni saillie ni c reux marqué.

Au centre de l'œuvre, le miroir Tou t le tableau est organisé en fonction d'un axe vertic al qui uni t la lamp e au chien et passe par le miroir , terme de conv ergence des lignes obliques qui cons tru isent le tab leau.

L'objet, surmonté de la signature du pein tre, est mis en valeur par l'év asement que forment les bras du coupl e.

Les mariés vus de dos , le lit et le coffre, le bord d e la fen être avec les fruits s'y reflèt ent.

Mais le miroi r co nvexe permet de découvrir un espace non repré­ senté à l'avant du panneau : un paysage dissi­ mulé par l'o uverture d'u n volet, cons titué d 'arbres au feuillage esti val sous un ciel d 'azur .

Surtou t , au centre du miroir, entre les deux époux, deux pers onnages s'e ncadrent dans une porte.

les couleurs de leu rs man­ teaux - rouge et bleu, deux teintes vives qui attire n t l 'œil dans l'obscurité d e cette zone - les m e ttent en évidence malgré leur petit e taille : à peu prè s 1 cm de haut.

Van Eyck , comme l'a montré l'his torien d'art allemand Panofsky, doit être l'un des deux hommes : d 'o ù l'étrange signatu re au-dessus du miroir •Johannes de Eyck fuit hic » («Ja n Van Eyck fut ici») - et non pas «exécuta ceci ».

Elle s ignifie que le peintre agit dans ce tableau en tém oin du rite nuptial, et non seulemen t en artiste .

Car tel est bien le sens de la scène, livré par le miroir : le •portrait • des époux représente une cérémonie, sous le regard des témoins, en présence de Dieu - mais san s celle d'un p rê tre.

Cela n 'a r ien de surpre nant : la partici ­ pation d 'un membre de l'Eglise au sacrement du ma riage ne devient obliga toire qu'après le concile de Trente, à la fin du XVI' siècle.

l e miroir a aussi une autre fonctio n, exp érimen ­ tée déjà par Van Eyck, sans la resso urce d'un miroir et de façon moins radicale , dans l'Anno11ciation du polyptyque de /'Agneau mys­ tique.

Il permet d'introduire dans le morceau d'es pace que représe nt e Je tab leau, sinon la tot alité du monde , du m oins un fragment supp lémentaire, qui donne l'idée d e l'infini de l'univers.

• Voir aussi : p.

94-97 (L'Agnea u my stique); p.

196-197 (les Ménines); p.

258 -259 (Le Bar des Folies- Bergère).

Succès d'un thème : le miroir Les Flamands .

Le thème du miro ir connaît , au xv- siècle, un succès extraor­ dinaire en Flandre .

Dès 1438 , on trouve le motif dans le tableau d'un peintre contem­ porain de Van Eyck : Heinr ich von Werl sous la protect ion de saint Jean-Bapt iste ( Madrid , mu sée du Prado ), du Maître de Flémalle.

Le miroir reparaît en 1449 par exemple dans le célèbre Saint Éloi de Petrus Christus (ci-c ontre , New York , Metropolitan Museum).

En 1487, le motif est encore utilisé , par Hans Meml ing , dans un diptyque représentant la Vierge et Maarten Van Nieuwenhoive (Bruges, musée Memling ).

Vélasquez .

Au xv11 • siècle , Vélasquez, le plus fameux des peintres espagnols du Siècle d'or, admire les Épou x Arno/fini dans les collections espa­ gnoles.

Il introduit un miroir dan s ses Ménine s de 1656 ( Madrid , musée du Prado), tout en tirant du motif des res ­ sources bien différente s.

Man et- Au x1x• siècle, Manet , admira teur de la peinture espa­ gnole et de la peinture fla­ mande , exploite le thème du miroir dans une œuvre fonda­ mentale , le Bar des Folies ­ Be rgère (1881, Londres , Courtauld Galleries ).

Le miroir est désor ­ mais un panorama de glaces ; il reflète une foule et le feu des lampes d'une salle en fê te le soir; mais le motif est là, héritier lointain de celui du Flamand .. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles