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Publié le 29/04/2016

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M.C. ESCHER ET LA RHETORIQUE DU TRAIT A Arturo Pérez-Reverte Ière partie: DU MYTHE DE LA REPRESENTATION. L'oeil a son histoire propre. Voir un objet, c'est avant tout y voir un soi-même différent. La vision du monde, comme sa représentation, induit l'ordonnancement d'un chaos. Et dans l'aventure du vivre, l'homme se montre à la fois Thésée et Oedipe. Entrer dans le labyrinthe n'est pas tout, il faut le déchiffrer, observer ses entrelacs, c'est-à-dire l'intérioriser, se faire à son image pour le saisir. La représentation consiste, dit Escher en 1959 (1), à déchiffrer "les énigmes qui nous entourent". L'homme est tout entier tendu vers cette "quête du monde" qui a été sans doute à l'origine plus une recherche de soi, de la collectivité, de ses phantasmes et de ses peurs, plus une sorte d'anthropocentrisme craintif qu'un véritable désir du monde. L'oeil, instrument de repère, est à reconstruire: les choses montrant plus qu'elles ne sont. L'Egypte ancienne, à partir du IVème siècle avant Jésus-Christ, utilise le canon comme méthode de composition. Cela prévaudra pour tout le monde méditerranéen. L'homme grec est la mesure de toutes choses, et toute chose est à la mesure de l'homme. Cette mesure étalon, c'est le pied, la coudée... La Méditerranée, elle-même, représentant la civilisation, le monde connu, dans ses proportions demeurent à la dimension de l'humain. En Inde, les fresques d'Ajantâ (exécutées entre le Vème et le VIIème siècle) utilisent une autre forme de figuration qui s'inspire des principes de la danse. L'homme demeure l'objet central de la représentation: point autour duquel tout s'harmonise. L'Occident médiéval, lui, ignore le paysage. Le décor est aplati et réduit à sa simplicité, la perspective absente. Un même personnage peut apparaître plusieurs fois dans une composition. Tout est réduplication, l'homme est le reflet fidèle d'Adam. L'art chinois qui lui est contemporain (à partir du VIIème siècle environ) représente des paysages reflétant une tentative spirituelle d'appropriation du monde, quête verticale. Les chinois utilisent volontiers le fondu et le monochrome, et organisent leur espace en utilisant -ce qui nous paraît à la fois étonnant et immédiat- le point de vue ascendant. Le paysage est évoqué, non pas horizontalement, mais verticalement: la profondeur est exprimée sans l'aide de la perspective. Les différents plans qui se juxtaposent dans le sens de la hauteur donnent l'impression d'une monumentale élévation rocheuse. Et pour ce qui est du volume, il est évoqué par la seule sinuosité du dessin. Le point de vue lui aussi diffère: il offre une dilatation, une multiplication du regard. Le punctum remotum, le point de fuite, est éclaté et dispersé. Un critique a noté: <>. Jusque dans la peinture, la communauté prime sur l'individu. L'importance métaphysique de l'homme au monde se lit dans la représentation médiévale qui lui assigne le rôle cosmogonique de centre. Cela pousse parfois l'artiste à de surprenantes mises en scène: sur une miniature syriaque du XIIème siècle représentant la Cène, le Christ et les apôtres sont disposés autour d'une table ronde vue de haut, en forme d'hostie. Grâce à une perspective tournante, disposés autour de la table, ils paraissent tous de face, non sans quelques contorsions. La collectivité, très tôt, s'organise dans la peinture moyenâgeuse, la dimension des personnages obéit au seul critère social. Le basculement a lieu à la Renaissance: une mise en perspective s'établit, la dimension ne ressort alors plus que de la position à l'intérieur de l'espace simulé. La rationalisation de cet espace permet donc de créer l'illusion de la profondeur. La représentation pose le problème de l'homme dans l'espace universel, et la perspective inscrit un rapport nouveau de l'homme au monde: un rapport fondé sur la rationalité, comme si l'homme avait peur de débordements irrationnels qui ont sans doute caractérisés le Moyen Age et dont Bosch s'est fait un des derniers interprètes. Léonard de Vinci ajoute à la perspective le "sfumato", procédé qui consiste à faire décroître l'intensité chromatique des corps pour suggérer la distance. Vinci est celui qui peint l'air. <>, écrit-il dans ses Carnets. Un effort véritable est consacré alors à domestiquer l'oeil: les expériences de Brunelleschi, les grilles d'Alberti, la découverte de Viator, les perspectographes de Durër, la camera oscura de Giambattista della Porta, le savant emploi de l'ombre et du clair du Piranèse pour rendre la profondeur de ses labyrinthes géométriques et de ses prisons qui n'enferment que le regard, le théorème de Desargues en sont autant d'étapes. La représentation en perspective, inaugurant l'infini du point de fuite, date du XVème siècle, et obéit à un modèle mathématique. Mais la perspective est utilisée pour diriger le regard, pour l'amener - et pour l'emprisonner... Jusqu'à l'impressionnisme, il nous est représenté un monde stable, immuable, invariant, rationalisé. Mais l'impressionnisme est mouvement: il sort la peinture de l'atelier, il redécouvre la couleur, s'attache au caractère subtil et changeant de la lumière, pour la fractionner. Les objets et les personnages changent de formes et de teintes selon les circonstances. Les pointillistes explorent plus avant la couleur, et recréent la vibration de la lumière par le prisme. Comme Piero Camporesi l'a fait pour les odeurs, on pourrait rêver d'une histoire des couleurs, histoire impossible (2). A partir de l'élan impressionniste, la peinture n'aura de cesse de vouloir briser la perspective, d'abolir le point de vue unique et géométrique. Le rapport entre l'homme et le monde va évoluer vers une plus grande intimité. L'imitation va se démoder et laisser place aux interprétations, c'est la mort de Zeuxis. La perspective étant une méthode de construction parmi d'autres, les post-impressionnistes ouvrent d'autres voies: <>; ce qui n'était que ruse chez le Lorrain (3) devient manifeste, affiché, poussé dans ses derniers recoins. Munch accentue la perspective pour obtenir des situations de terreur. Les cubistes, comme on sait, font éclater le sujet, en représentant simultanément l'objet observé sous différents angles. Les naïfs jouent essentiellement sur des erreurs calculées de perspective et l'aplatissement des formes. C'est au nom de la sensibilité, d'une affection de l'âme, que les lois de la perspective sont mises à mal. L'oeil n'est plus un i...

« à la perspective le "sfumato", procédé qui consiste à faire décroître l'intensité chromatique des corps pour suggérer la distance.

Vinci est celui qui peint l'air.

>, écrit-il dans ses Carnets. Un effort véritable est consacré alors à domestiquer l'oeil: les expériences de Brunelleschi, les grilles d'Alberti, la découverte de Viator, les perspectographes de Durër, la camera oscura de Giambattista della Porta, le savant emploi de l'ombre et du clair du Piranèse pour rendre la profondeur de ses labyrinthes géométriques et de ses prisons qui n'enferment que le regard, le théorème de Desargues en sont autant d'étapes.

La représentation en perspective, inaugurant l'infini du point de fuite, date du XVème siècle, et obéit à un modèle mathématique. Mais la perspective est utilisée pour diriger le regard, pour l'amener - et pour l'emprisonner... Jusqu'à l'impressionnisme, il nous est représenté un monde stable, immuable, invariant, rationalisé. Mais l'impressionnisme est mouvement: il sort la peinture de l'atelier, il redécouvre la couleur, s'attache au caractère subtil et changeant de la lumière, pour la fractionner.

Les objets et les personnages changent de formes et de teintes selon les circonstances.

Les pointillistes explorent plus avant la couleur, et recréent la vibration de la lumière par le prisme.

Comme Piero Camporesi l'a fait pour les odeurs, on pourrait rêver d'une histoire des couleurs, histoire impossible (2) . A partir de l'élan impressionniste, la peinture n'aura de cesse de vouloir briser la perspective, d'abolir le point de vue unique et géométrique.

Le rapport entre l'homme et le monde va évoluer vers une plus grande intimité.

L' imitation va se démoder et laisser place aux interprétations, c'est la mort de Zeuxis. La perspective étant une méthode de construction parmi d'autres, les post-impressionnistes ouvrent d'autres voies:. »

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