IBN HAZM

« Ibn Hazm rédige plusieurs ouvrages pour exposer sa doctrine et réfuter les critères adoptés par les autres écoles; cependant son originalité réside dans une innovation d'une portée considé­ rable : il a en effet l'audace de généraliser son littéralisme en l'appliquant à la dogmatique isla­ mique.

En 426/1035, il entreprend des voyages de propagande dans les petits royaumes de Taifas où il soutient des controverses publiques avec des savants juifs et chrétiens, avec des athées, des incrédules, des hérétiques.

Son érudition quasi-universelle, sa dialectique rigide - qui utilise le dilemme et la disjonction-, sa parole virulente- on compare sa langue au sabre de l'énergique al-Hajjâj -le rendent partout insupportable.

Chassé de Cordoue par l'anathème de la théologie officielle et condamné comme innovateur, c'est à Majorque qu'il provoque les plus violentes disputes, mais vers 439/1047, il est contraint de se retirer dans la région de Niebla où il consacre son temps à l'enseignement et à la rédaction de ses œuvres.

Avant sa mort, qui survient le 28 cha'bân 456/15 août 1064, il a encore le chagrin d'apprendre que ses livres ont fait l'objet d'un autodafé à Séville.

Une partie de son œuvre gigantesque -on lui attribue 8o.ooo feuiliets- a heureusement échappé à la destruction.

Tous ses ouvrages qui ont survécu méritent l'estime des critiques et des érudits, mais deux d'entre eux suffisent à sa gloire.

Le premier, qui est volumineux, est son Fisal où, appliquant son critère zâhiriste à la théo­ logie, il reproduit ses controverses orales pour élaborer finalement la première véritable histoire critique et comparée de toutes les opinions religieuses.

Ignorant le polythéisme gréco-romain et égyptien, il réduit à six catégories les attitudes des sectes non musulmanes en face du problème religieux :-scepticisme des sophistes, négateurs des vérités;- athéisme des matérialistes qui nient l'existence d'un dieu créateur et affirment l'éternité du monde; - déisme des philosophes qui admettent l'existence d'un dieu régent mais non créateur; -dualisme des zoroastriens et mani­ chéens et polythéisme des chrétiens trinitaires qui admettent que le monde est créé; -monothéisme des brahmes et des rationalistes qui, tout en admettant un seul dieu, nient toute révélation pro­ phétique; -enfin monothéisme des Juifs et de tous ceux qui admettent la révélation de quelques prophètes seulement.

En admettant un régent éternel et la révélation de tous les prophètes, l'Islam marque le terme de l'évolution; mais la critique serrée des diverses écoles musulmanes conduit Ibn Hazm à faire œuvre d'hérésiographe pour démontrer l'excelknce de sa propre doctrine.

Cet ouvrage de vieillesse, malgré ses faiblesses et ses outrances, doit requérir l'attention des théologiens et des penseurs; à l'opposé, un charmant petit livre attire la sympathie des poètes et des amateurs de belles lettres; le Collier de la Colombe, une œuvre de jeunesse assurément, est un véritable traité de l'amour idéal.

En trente chapitres, Ibn Hazm y analyse les motifs et l'évolution de l'amour, les circonstances favorables ou défavorables à son épanouissement; chaque étude psy­ chologique est illustrée par des anecdotes souvent touchantes et des vers empruntés à la propre production de l'auteur.

Ce livre qui peut fournir aux historiens et aux médiévistes une documen­ tation très sûre est le seul ouvrage d'Ibn Hazm qui appartienne désormais à la littérature univer­ selle, puisqu'il a été traduit en plusieurs langues européennes.

Et il est assez déconcertant de constater qu'un écrivain et un penseur de l'envergure d'Ibn Hazm doit moins sa renommée à sa fécondité, à son érudition et à la profondeur de sa pensée qu'à un petit écrit de jeunesse sans prétention.

CH.

PELLAT Institut d'Études Islamiques de l'Université de Paris. »