Le Tasse
Publié le 19/04/2012
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Perturbé par les infortunes de sa famille qui se soldèrent par l'exil de son père et la perte de leurs biens, le Tasse fut éduqué à la cour d'Urbin, où son père avait trouvé refuge en 1556. Inspiré par les récits des croisades, il débuta la composition d'un poème épique en “ ottava rima ”, Jérusalem, mais il abandonna son manuscrit devant la difficulté de la tâche. Étudiant en droit à Padoue, il se familiarisa avec la poétique d'Aristote et écrivit ses premiers vers d'amour. Entré dans la maison du cardinal d'Este, il fréquenta la cour du duc Alphonse II et gagna la protection des sœurs du souverain. En 1572, il passa au service du duc et se tourna vers la composition de poèmes et de drames lyriques. En 1575, il acheva son œuvre maîtresse, la Jérusalem délivrée, épopée de la première croisade qu'il avait débutée des années auparavant. Le poète épuisé par ce travail et assailli de doutes sur sa créativité face à la froideur de l'accueil réservé à son œuvre, sombra dans une profonde paranoïa. Son angoisse de la persécution devenant critique, le duc ordonna son internement à l'hôpital de Ferrare. A sa sortie d'asile en 1586, il passa quelque temps à la cour du prince de Mantoue, où il termina sa tragédie du Roi Torrismondo. En 1592, le Tasse fut invité à la cour romaine du cardinal Cinzio Aldobrandini, neveu de Clément VII. Deux ans plus tard, le pape lui versa une pension. Le Tasse mourut alors qu'on s'apprêtait à le couronner poète lauréat au Capitole.

«
de la grâce d'Etat.
Désormais, la Jérusalem filait grand train.
Sur les rapports de cette Lucrèce,
qu'on a tendance à prendre pour une autre, et du jeune écrivain, et de celui-ci avec Eléonore,
nous pouvons, nous, postérité,
tout présumer.
Mais les femmes sont souvent plus rebelles que les
rimes.
Dans la vie d'artiste, on a raison de le dire, tout n'est pas rose.
Le duc Alphonse, s'il a des
sœurs, a aussi
une police.
Et l'Eglise se méfie des têtes qui se montent.
Derrière les charmantes
(pourquoi ne l'eussent-elles point été?) poitrines de Lucrèce et d'Eléonore, derrière les fêtes, les
bals, les récitations, les bosquets,
derrière l'illusion d'avoir soi-même le pouvoir de ce qu'on se
fait caresser
du titre de grand homme par ceux qui l'ont, Torquato, petit à petit, découvre des
ombres sans aménité : les inspecteurs, les reviseurs, les concurrents, tous ces mêmes valets de pied
des grandes heures courtisanes, ces aimables seigneurs aussi, qui ont changé de cœur.
Lui, créa
teur, on lui crée des ennuis.
On cherche des poux dans sa tête épique.
Et, quand il se plaint au
duc, le duc, peut-être jaloux mais, à coup sûr, souverain, le fait arrêter.
Pour lui apprendre à
vivre.
Exactement pour lui apprendre à vivre.
Pour le ramener dans le sentiment de sa débilité
personnelle.
Tu peuples ta poésie de chars volants fendeurs d'espace? Eh bien! Fends ces murs.
Non, mon garçon, nous ne voulons pas te prouver que ton œuvre ne vaut rien, mais qu'elle vaut
ce qu'elle vaut dans son ordre, le littéraire, et que la magie poétique, quand on la prive de petits
fours,
ne sait que pleurer dans l'angle, inexperte aux dominations solides.
La prison s'ouvre.
Torquato part.
Mais il retourne.
L'odeur des palais le tient.
Pauvres
poètes! Pauvres garçons qui ne sauront jamais s'ils sont au-dessus de l'espèce ou dessous, et si
leur « inspiration )) n'est pas autre chose qu'une goinfrerie puérile de leur âme stupéfaite en pré
sence des couleurs et des énigmes de la vie que la majorité humaine digère et admet sans chichis.
Rampant, Torquato essaie de s'introduire à nouveau dans la chronique mondaine.
On le
repousse.
Jambes d'Eléonore, pitié! Il est, maintenant, pour de bon, un mendiant, un vaincu,
non plus un mendiant à la blague, non plus un foudroyé allégorique qui pique dans le rôti en
plein nuage, autour de lui, complimenteur, mais un vrai vieux mulet d'ennuis et de soucis, qui n'y
comprend rien, qui ne posséde ni compas ni baromètre.
Et il traîne sa Jérusalem, son œuvre
maîtresse, comme une croix, comme une barrique de démons.
Loqueteux, mal ressemelé, il doit faire face à des interrogations papelardes, dont il discerne
mal si leur nature est esthétique ou judiciaire.
Il entrevoit qu~ la liberté la moins contestée en
apparence, celle de faire des vers, même bons, même très bons, constitue, aux yeux des inspec
teurs
et des reviseurs, une licence, une incontinence, et que ceux qui s'y adonnent avec une trop
évidente naïveté sont suspectés d'impudicité, d'insanité.
Qu'on le tienne pour coupable et cri
minel,
comment en douterait-il, le jour où on l'enferme, bel et bien, à Sainte-Anne, chez les
fous.
LE TASSE a trente-cinq ans.
Le Panthéon, un jour ou l'autre, reçoit les poètes majeurs.
En
attendant, il n'est en rien gênant pour l'esprit qu'on les isole et les « confine )) sérieusement afin
de les situer au comble même de leur indépendance chimérique et de leur singularité visionnaire,
lesquelles
seront d'autant plus pures que moins tentées par les occasions banales de la circulation
désentravée.
L'« asile )) apparaît pour les poètes, non moins indiqué que l'exil.
C'est le paradis de
leur idée fixe d'apparté méditatif, dont Torquato, après sept ans d'internement, fut satisfait de
sortir.
Mais quel misérable animal éperdu, désormais! L'Académie (de la Crusca) et l'Inquisition
chipotaient jusqu'au sang sa grande Jérusalem.
Il s'abattit, poursuivi, persécuté, dans un couvent
napolitain.
Tout se brouillait en lui de plus en plus.
Les moines étaient aussi complaisants
que redoutables les censeurs théologiques, moines et censeurs enrobés de même, ou à peu près,
mais,
à la fin, Messieurs! que me voulez-vous? Pour commencer, cher grand poète, il faut nous
payer.
La soupe n'est pas gratuite.·.
»
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