TARJEI VESAAS
Publié le 20/04/2012
Extrait du document
Jusqu'en 1940, Tarjei Vesaas avait écrit ses oeuvres les plus populaires dans un style large, dont l'exemple le mieux connu, le Grand Jeu, fait pendant à la Fertilité du Champ de Knut Hamsun. On y suit le chemin d'un homme à travers sa rébellion contre l'autorité paternelle et ancestrale jusqu'à la prise de conscience de son appartenance, de sa participation intime à la réalité de la terre. Sur un fond de catastrophes, le portrait du personnage en fait un livre harmonieux....
«
L'année qui précéda l'occupation de la Norvège par les Allemands, parut le roman le Germe, qui
raconte la chasse effrénée menée par une petite communauté villageoise à un malfaiteur menta
lement dérangé.
C'est un récit de la suggestion collective, de l'éveil des agressions bestiales qui
dorment dans les gens paisibles, de l'obsession par l'ivresse du sang, et c'est une claire démons
tration des possibilités du nazisme dans l'homme.
Le livre n'est cependant pas, comme on l'avait
tout de suite cru, une allégorie sur des événements actuels, mais se base sur des traits « symbo
liques » authentiques, et l'action se déroule, dans certaines parties, à la limite du rêve et de la
réalité.
Une telle allégorie, on la trouve par contre, avec l'univers plus limité qu'elle présuppose,
dans la Maison dans la nuit ( r 945), roman sur le pays occupé, lugubre création de la fantaisie.
On y découvre une maison ensorcelée aux couloirs et aux chambres multiples, dominée par des
étrangers; ils ont poussé ceux des anciens habitants qui sont encore capables de vivre jusqu'au
sous-sol, où ils travaillent à renverser le règne des usurpateurs.
La production de Vesaas s'accroît avec les années.
Ce n'est qu'après la guerre qu'il fait
ses
débuts comme poète; en même temps, il fait paraître des contes et des drames nouveaux.
Mais
le roman reste sans doute le genre où s'accomplit le mieux son art épique et un lyrisme-dramatique
dans des descriptions denses où la perspective réelle se trouve décalée comme en rêve, où le cadre
extérieur du pays natal acquiert la qualité de paysages intérieurs, où des phénomènes et des
mouvements psychiques sont liés au monde des objets et à des structures d'action absurdes, pour
véhiculer tout cc qui n'est pas dit.
Mais ce qui n'est pas dit possède aussi sa poésie.
Elle se manifeste sans doute le plus claire
ment dans les contes traitant par exemple des enfants et des jeunes, entre autres dans le recueil
le Vent du Nord (traduit en français après avoir reçu, en 1953, le Prix International de Venise)
et avant tout dans le roman les Oiseaux.
Ce roman de l'idiot du village, du fou sage qui, dans
ses simples réflexions sur la vie et ses observations de la nature, recompose de manière surprenante
les éléments d'un monde poétique : celui de l' « outsider » et, par conséquent sans doute aussi
celui
du poète, de n'importe quelle époque.
Évidemment, on considère le héros comme fou, on
ne peut pas le suivre, et lui est impuissant devant le monde pratique des autres; il n'arrive pas à
s'exprimer de manière efficace par rapport à leur réalité- en quoi il se distingue malgré tout de
son créateur (car il ne s'agit pas de portrait d'artiste), mais il a en commun avec lui cette sorte
de silence entre les mots, cet art peut-être typiquement nordique de l'atmosphère qui encercle,
par des moyens de style extrêmement concrets, son sujet indicible.
De là cette suggestivité dans
le langage du poète, capable d'enfermer le lecteur dans un monde possédé.
Dans ce sens-là,
V es aas est allé très loin avec son dernier roman, l'Incendie ( r 96 r), récit visionnaire d'un jeune
romme appelé - littéralement, par téléphone : « On t'attend » - à entrer dans la vie pleine de
conflits des adultes, et qui ensuite doit marcher, impuissant, à travers les problèmes des autres,
~.
travers leur monde caché, et rempli de honte, représenté de façon symbolique par un paysage
ensorcelé, jusqu'à ce qu'il devienne conscient de sa propre impuissance angoissée.
C'est un livre
lugubre, qui pose le problème de l'absurde et fait allusion à la mort comme à la protestation ultime
et peut-être unique qu'il soit possible d'élever contre la vif:.
Les derniers livres de Vesaas poursuivent ce dialogue entre l'urgence de vivre et cette vie
qui, par bonne ou mauvaise volonté, se mutile elle-même.
La note la plus forte cependant est
celle
qui résonne, pour ainsi dire sans bruit, entre des hommes qui, à travers leurs paroles gauches
et rares, se comprennent.
L'œuvre de Tarjei Vesaas révèle un grand mythologue et un grand psychologue, explorateur
des processus de la vie dans l'homme divisé de notre temps..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓