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TOURGUÉNEV

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

En mars 1852, ayant eu l'audace de donner du geme à Gogol dans une notice nécrologique parue à Moscou après un refus de la censure de Pétersbourg, Tourguénev fait un mois de prison, puis est mis en résidence surveillée près de deux ans, dans la propriété de famille de Spasskoé. Tant il est vrai qu'il n'est guère d'écrivain russe digne de ce nom qui n'ait connu l'emprisonnement, le bagne, l'exil ou le bannissement. La nouvelle l'Auberge, qu'il écrit pendant son exil, est refusée par la censure et ne sort qu'en 1855, année où il publie aussi son premier roman, Roudine, prototype le plus complet de ces «hommes de trop «,jeunes gens aux énergies sans emploi en Russie, dont il faut voir l'ancêtre illustre dans l'Eugène Onéguine de Pouchkine, variété russe des « hommes inutiles « de George Sand, devenus dans les années 50 un type littéraire fréquent ....

« En mars 1852, ayant eu l'audace de donner du geme à Gogol dans une notice nécrolo­ gique parue à Moscou après un refus de la censure de Pétersbourg, Tourguénev fait un mois de prison, puis est mis en résidence surveillée près de deux ans, dans la propriété de famille de Spasskoé.

Tant il est vrai qu'il n'est guère d'écrivain russe digne de ce nom qui n'ait connu l'emprisonnement, le bagne, l'exil ou le bannissement.

La nouvelle l'Auberge, qu'il écrit pendant son exil, est refusée par la censure et ne sort qu'en 1855, année où il publie aussi son premier roman, Roudine, prototype le plus complet de ces «hommes de trop »,jeunes gens aux énergies sans emploi en Russie, dont il faut voir l'ancêtre illustre dans l'Eugène Onéguine de Pouchkine, variété russe des « hommes inutiles » de George Sand, devenus dans les années 50 un type littéraire fréquent, chez Tourguénev en particulier.

Des critiques ont voulu voir dans Roudine un portrait de Bakounine, mais ce serait alors un Bakounine affadi, Samson privé de sa chevelure.

«A la veille» (186o) de l'abolition du servage (1861), Tourguénev exprime sa confiance dans la Réforme qu'il a contribué à faire aboutir.

Il commence à déchanter dès 1862 dans Pères et Fils, le plus célèbre de ses romans, celui qu'on ne cesse de citer (récemment encore) dès qu'on parle du conflit des générations et qui souleva de vives et longues polémiques.

Le principal héros, le jeune Bazarov, s'il n'est pas le premier à qui on applique l'épithète de « nihiliste » (appliquée vingt ans plus tôt à Pouchkine par le critique Nadejdine), n'en est pas moins le précurseur direct, encore que relativement bien sage, des doctrinaires nihilistes des années 6o, sinon des terroristes des années 70.

Déçu par l'échec de la Révolution française de 1848, déçu après l'abolition du servage, Tourguénev s'inspire de plus en plus du pessimisme de Schopenhauer.

Pour lui, tout, les passions politiques plus que le reste, tout n'est que Fumée ( 1867).

Après l'échec de son dernier roman, Terres vierges (1877), Tourguénev, déjà vieux parisien, et qui a rompu aussi bien avec les révo­ lutionnaires russes qu'il trouve excessifs, qu'avec les gens de sa caste, qu'il a reniés dès son enfance par sentiment de justice, et que d'ailleurs il ne voit plus, les uns et les autres, que de loin en loin, Tourguénev, complètement découragé, malade, libéral impénitent et pessimiste absolu, face à la mort, n'a plus qu'une consolation : l'art, la prose russe qu'il a tant aimée.

Il donne son chant du cygne, certains disent son chef-d'œuvre, dans les Poèmes en prose ( 1878-1881 ), avant de s'éteindre à Bougival d'un cancer de la moelle épinière.

Sa correspondance intégrale, richement annotée, est en cours de publication à l'Académie des Sciences d'U.R.S.S.

depuis 1961.

Elle comprendra treize volumes.

Artiste nuancé, humain et sceptique, Tourguénev a, comme écrivain « responsable » de son public, les défauts de ses qualités.

Sceptique, il n'a pas de flamme pour embraser les cœurs.

Honnête, il ne sait pas changer d'opinion pour courir après le succès.

Idéaliste déçu plutôt qu'un créateur de types immortels, il reste un excellent chroniqueur de la vie sociale, des luttes poli­ tiques de son époque, du cœur féminin.

C'est un maître de la demi-teinte.

Comme écrivain, on ne trouve guère chez lui les éclairs fulgurants des génies passionnés, ni leurs excès; comme citoyen, il n'a rien de l'entraîneur d'hommes, mais rien non plus des injustices des partisans; il reste libre de son jugement, trop nuancé pour lui permettre d'agir; comme homme, il ne connaîtra guère les orages de l'amour, se réfugiant dans les demi-teintes de l'amitié amoureuse, et ce peintre du cœur féminin, ce doux géant plein de prestance, sera paradoxalement l'homme d'une seule femme, déjà mariée, la sœur de la Malibran, la cantatrice Pauline Viardot, et se contenta toute sa vie des miettes recueillies auprès d'un ménage qui n'est pas le sien.

Il fut mêlé de près, pendant longtemps, à la vie littéraire française, et connut personnelle­ ment entre autres Mérimée, Flaubert, Zola et les Naturalistes.

Il doit à ses séjours prolongés en Allemagne et surtout en France d'être le premier des écrivains russes à avoir conquis en Occident une gloire qui ne sera que plus tard partagée, puis éclipsée, par celles de Dostoïevski, Tolstoï, Tchekhov, et de quelques modernes.

ANDRÉ MEYNIEUX. »

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