Analyse de séquence Persona de Ingmar Bergman
Publié le 13/05/2025
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«
Analyse de séquence
Persona de Ingmar Bergman
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Introduction
Peu ont été ceux qui, par un éclair de génie, ont révolutionné profondément et
durablement un domaine particulier, dans lequel des milliers d’autres personnes tentent
de creuser leur sillage.
Ces génies-là révolutionnent leur domaine à un tel point, que
toutes ces autres personnes qui creusent leur sillage dans cette masse informe du
domaine tomberont un jour, en creusant, sur l’empreinte laissée par ces génies.
Alors
ces personnes, ébahies devant cette empreinte sur laquelle ils viennent de tomber,
seront transformées génétiquement par cette empreinte.
Dans le cinéma, ces génies influencent encore aujourd’hui notre conception
cinématographique et nous fondons notre connaissance à partir des ces piliers.
Parmi
ceux-ci : Ingmar Bergman
Ingmar Bergman, naît le 14 juillet 1918 à Uppsala en Suède, se passionne très vite pour
le cinéma.
Il s’impose en tant que titan du cinéma d’auteur qui aborde des thèmes
personnels centrés sur la vie des femmes, les relations humaines, la psychologie et des
fresques allégoriques, notamment sur la religion et la condition de l’homme.
Ingmar
approfondit ses films par sa direction d’acteurs, par sa manière de les laisser libres en
les poussant à improviser et à se renouveler sans cesse.
Il réalise Persona dans un contexte particulier : les critiques commencent à se lasser de
la patte de Bergman devenue répétitive ; de plus, Ingmar vient de passer un séjour dans
un hôpital suite à sa double pneumonie.
C’est dans cet hôpital qu’il écrira le scénario
de Persona.
Avec Persona, Bergman renouvelle une fois de plus les codes du cinéma et nous
plonge dans un univers psychologique mystérieux où la vie est précaire, instable et se
cache derrière un masque, celui que porte Bibi Andersson, Liv Ullmann (les 2 actrices
du film) mais aussi celui que nous portons nous, spectateurs du film et
expérimentateurs de la vie.
Par la suite, Ingmar déclarera que ce film lui a sauvé la vie : « Si je n’avais pas trouvé la
force de faire ce film-là, j’aurai sans doute été un homme fini ».
Cette analyse, aussi modeste soit-elle, essaie de rendre compte de ce caractère profond
qu’est cette œuvre singulière de Persona, et comment un film peut-il faire survivre un
homme, pour reprendre la citation de Bergman, par ce truchement emmêlé qu’est
l’exploration de nos âmes.
J’ai décidé de m’attarder sur les 5 premières minutes du film, qui débutent comme une
apostrophe du film à venir, annonciatrices d’une terrible nouvelle.
Le but de l’analyse
n’est pas tant de comprendre le lien crucial entre ce début et le reste du film qui, à mon
avis est une entreprise judicieuse pour la compréhension du film ; mais plutôt
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d’analyser la puissance symbolique du langage de Bergman qui dès le début du film est
déjà déconcertante et omniprésente.
L’analyse s’axera sur 3 axes en particulier quelque peu classiques de l’analyse filmique,
mais sans doute cruciale : l’analyse du son, l’analyse de l’image et l’analyse du
montage.
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Analyse filmique
Découpage séquentiel
Puisque cette séquence est assez longue et surtout technique, il m’a semblé judicieux
de faire un découpage séquentiel, bien évidemment arbitraire, mais permettant de
mieux cerner les différents moments narratifs de cette séquence.
Pour ce faire je vais me référer aux numéros des encadrés de la bande-son dans le
chapitre qui suit, ainsi que des numéros de plans qui figurent en annexe.
1) scène technique montrant le dispositif de projection d’un film : encadrés sonores
de 1 à 3 ; plans de 1 à 21.
2) Scène métaphysique a-temporelle montrant plusieurs plans sans liens directs les
uns des autres mais symbolique : encadrés sonores de 4 à 8 ; plans de 23 à 31.
3) Scène extérieure transitoire, décors extérieurs : encadré sonore n°9 ; plans de 33
à 35.
4) Scène clée symbolique, lieu inconnu et mystérieux : encadrés sonores de 10 à
13 ; plans de 37 à 52.
5) Cartons et transition vers la suite du film : fin de l’encadré sonore n°13 ; plans
de 52 à 53.
analyse du son
Voici la bande-son extraite de la séquence et légendée :
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A propos de l’absence de parole et de quelques principes réflexifs
La première chose que l’on peut dire de cette bande-son c’est que les sons de l’extrait
sont soit des bruits diégétiques ou non diégétiques soit de la musique.
Les voix sont
totalement absentes de cet extrait, ceci est important à noter car le reste du film va
baser sa narration en grande partie avec la parole.
Nous pouvons sans doute interpréter
cette absence de parole comme pour insister sur le caractère surréel de cette séquence.
Comme pour détacher cette séquence du reste du film et de le mettre en valeur à part,
comme une apostrophe ambiguë, insaisissable.
Si l’on prend la loi d’antériorité psychologique classique d’un film, on sait que l’on
introduit une scène par : 1) un son/musique pour donner une atmosphère, une
ambiance ; 2) une image pour spatialiser cette ambiance, la situer tout en laissant une
liberté interprétative ; et 3) une parole pour ancrer, encadrer le récit.
Ceci pour dire que
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bien souvent, la parole, avec sa fonction d’ancrage et d’encadrement, emprisonne le
récit audiovisuel dans une direction fixée et immuable, donnant au spectateur “la
vérité", l’unique interprétation à considérer.
Ainsi en libérant la séquence de la parole, Bergman nous laisse en proie à l’effroi des
cheminements d’interprétation possible.
Cette séquence beaucoup plus qu’elle ne nous
renseigne, nous déstabilise volontairement, et ce jusque vers le dénouement du film, où
seulement à ce moment, nous pourrons réinterpréter l’ensemble du film en liant ce
début au reste.
Ce caractère déroutant, on le retrouve également dans la musique et les bruits de cet
extrait :
Premièrement, il est important d’avoir un positionnement réflexif par rapport à la
tripartition bande-musique, bande-bruit, bande-parole ; la parole étant totalement
absente il est donc question ici de la bipartition bande-musique ; bande-bruit.
Pour citer Jacques Aumont, dans son livre « L’analyse des films » et plus précisément
dans son chapitre de l’analyse de la bande-son, il met le doigt quant au problème de la
définition du bruit.
En particulier, il insiste sur le fait que le bruit est parfois ambigu par
sa nature et qu’il peut se confondre avec la musique ou la parole.
Il cite notamment
« The Birds » d’Alfred Hitchcock dans lequel la musique électronique de Bernard
Hermann se confond presque avec le bruit que font certains oiseaux.
Ou alors les films
de Jacques Tati, où chaque parole émise est en réalité un son reproduit en postproduction, des fois même sans que la parole reproduite ne soit de nature humaine.
Ce qui me pousse à faire cette parenthèse, c’est que la bande-son de cet extrait est très
ambiguë quant à la distinction précise musique/bruit.
La musique, composée par Lars
Johan Werle, a la particularité d’être cinglante, extrêmement désagréable, et ce sans
réelle mélodie ou leitmotiv (je vais y revenir plus précisément après).
Il est clair qu’il est
question de musique au sens moderne du terme et il ne s’agit pas de débattre quant à la
qualification de musicale ou non de telles productions.
Ce que j’essaie de faire là, c’est de prendre conscience du caractère arbitraire de
qualification du son, ce que je décrirai comme bruit, quelqu’un d’autre l’interprétera
comme musique ou inversement.
Pour aller plus loin encore, on pourrait s’interroger sur terme même de bande-son.
Michel Chion nous fait remarquer que ce terme n’est pas représentatif de ce qu’est le
son au cinéma.
Le son ne fait pas coalition sur une même bande, non.
Surtout pour
Persona, le son fluctue, il est agressif ou lyrique, tantôt dissonant, tantôt harmonique.
Ce film, empreinte de génie, nous questionne profondément quant à sa nature.
Cette précision étant faite, il est temps de se pencher sur ce que j’ai appelé la musique
de cet extrait.
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A propos de la musique
Il y a pour commencer 2 musiques qui contrastent fortement avec le ton d’ensemble, il
s’agit d’une musique située dans ce brouhaha sonore en 3 et une autre en 4.
Ces 2
musiques sont des airs entraînants, joyeux, légers.
Dans l’encadré 3, la musique apparaît lorsqu’un des premiers dessins animés survient à
l’image.
On entend donc une musique joyeuse, répétitive, c’est-à-dire un seul motif
joyeux va se répéter tout le long de l’extrait animé.
Ce qui est intéressant de noter c’est
que cette musique, tout comme l’image, apparaît sur une trame sonore très bruyante et
quelque peu désagréable, une trame sonore qui rappelle le défilement de la bande (j’y
reviendrai plus tard).
Et donc notre musique est toujours soit égale soit inférieure à cette
trame.
Le ton n’est pas tout à fait léger, mais toujours obstrué par ce bruit particulier.
D’ailleurs lorsque l’on regarde la bande-son, on observe une sorte de paquet uniforme
assez épais ; c’est bien sûr ce paquet qui retranscrit le bruit de la pellicule.
La musique
est camouflée....
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