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Les langues sont prises dans une compétition mondiale, régionale, et souvent locale

Publié le 09/08/2014

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« Toute langue étrangère est occasion d'enrichissement. Savoir deux langues, disait Goethe, c'est être homme deux fois. «

 

Sans vous limiter au domaine scolaire de l'apprentissage des langues, vous exposerez les réflexions que vous inspire cette affirma­tion en vous appuyant sur des exemples précis.

(...) Les langues, comme la plupart des espèces animales, ont un « ins­tinct « territorial très développé. Elles tendent à se chasser les unes les autres, à moins qu'entre elles ne s'établissent des rapports de division du travail selon le rôle social — situation que l'on qualifie parfois de diglos-5 Bique. Lorsque deux langues (deux pour simplifier) entrent en contact au sein d'un groupe social donné, un État par exemple, leurs rapports seront, pour l'essentiel, décrits par l'un des trois cas de figures suivants.

Premier cas : les deux langues pénètrent l'ensemble des rôles sociaux de tous les individus, et ces langues coexistent en état d'équilibre égali-10 taire relatif. C'est le cas de l'allemand et du français chez le Luxembour­geois éduqué.

Deuxième cas : les langues pénètrent l'ensemble du groupe social concerné mais spécialisent leur emploi. Le Luxembourgeois que nous venons de prendre comme exemple utilisera le français et l'allemand dans

15 le domaine public — à l'église, en politique, en affaires ; mais chez soi, en famille ou entre amis, il utilisera le luxembourgeois. Les rapports entre les deux langues de grande communication et la langue de l'intimité sont de type diglossique. Quant au troisième cas, c'est celui où les deux langues se font concurrence, l'une au moins cherchant à réduire le champ d'opéra‑

20 tion de l'autre sinon à l'éliminer complètement. Le premier cas, celui d'une égalité approximative de deux langues d'emploi généralisé, est rela­tivement rare. Il caractérise généralement de très petits pays qui vivent sous l'emprise acceptée de voisins et de cultures beaucoup plus forts.

Le deuxième cas est beaucoup plus fréquent et, au niveau des déci‑

25 deurs, devient universel. La diglossie' s'établit alors entre des langues locales et régionales d'une part, et d'autre part, une lingua franca2 mon­diale (l'anglais) ou des langues multicontinentales (notamment le français et l'espagnol). Cette situation de diglossie où la langue de grande commu­nication occupe les domaines clefs de la haute politique, du grand com‑

30 merce et de la science, est plus ou moins bien acceptée. Des langues régionales telles que le malais en Malaisie ou l'arabe en Afrique du Nord cherchent à réduire l'aire d'emploi de la lingua franca qui est utilisée dans

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l'enseignement, la justice et l'administration. Mais malgré des reculs par­tiels, l'anglais continue d'étendre son emprise et de devenir ce que le latin

35 ne fut jamais : la première langue vraiment universelle. A la fin du XIXe siècle, Zamenhof inventait l'espéranto3 ; cent ans plus tard, l'entre­prise apparaît tout à fait vaine : l'espéranto, c'est l'anglais.

Est-ce à dire que cette généralisation d'une diglossie où l'anglais occupe le haut du pavé de la communication diplomatique, commer‑

40 ciale et scientifique va réduire le nombre de cas conflictuels décrits par notre troisième cas de figure ? Nullement. Les langues vont continuer à se chasser et à s'éliminer les unes les autres.

Pour un temps, l'utilisation de l'anglais pour l'administration de l'Inde et celle du français pour l'administration du Sénégal réduiront les occa‑

45 sions de conflit entre langues indigènes, car cet emploi évite d'avoir à promouvoir plus que ce n'est le cas actuellement une langue particulière. Mais l'anglais en Inde, le français en Afrique, de plus en plus, devien­dront langues indigènes et de plus en plus ils seront pris dans les conflits ethniques locaux auxquels la langue est attachée par l'identité de groupe.

50 Sauf exceptions de type suisse, le groupe ethnique dominant, celui qui contrôle l'appareil politique, cherchera, de façon pacifique ou violente, à imposer sa langue.

Dans cette course accélérée à la simplification du système linguistique mondial, les langues les mieux placées sont celles qui auront pour cham‑

55 pion un État indépendant. Certains de ces États, multilingues à l'heure actuelle, suivront le chemin qu'a parcouru la France et deviendront uni­lingues, d'autres suivront la voie tracée par la Suisse et la Belgique. Dans ce dernier type de cas — celui de l'Europe unie en formation — il apparaîtra que la meilleure façon de protéger une minorité linguistique et de mainte‑

60 nir la paix entre les langues consiste à marier le multilinguisme du som­met de l'État à l'unilinguisme du domaine public des unités territoriales composant ce même État.

Toute langue étrangère est occasion d'enrichissement. Savoir deux langues, disait Goethe, c'est être homme deux fois, et certains projets

65 généreux de la Commission européenne de Bruxelles voudraient que nous le soyons trois fois. Pourtant, ces langues qui sont source d'enrichisse­ment sont aussi des espèces de type animal qui, très souvent, se montrent les dents, se veulent du mal. Il convient donc de les traiter avec beaucoup de prudence, car elles sont prises dans une compétition mondiale, régio‑

 

70 nale, et souvent locale, dont le but est d'établir des hiérarchies et de déter­miner qui survivra.

« l'enseignement, la justice et l'administration.

Mais malgré des reculs par­ tiels, l'anglais continue d'étendre son emprise et de devenir ce que le latin 35 ne fut jamais : la première langue vraiment universelle.

A la fin du XIXe siècle, Zamenhof inventait l'espéranto 3 ; cent ans plus tard, l'entre­ prise apparaît tout à fait vaine: l'espéranto, c'est l'anglais.

Est-ce à dire que cette généralisation d'une diglossie où l'anglais occupe le haut du pavé de la communication diplomatique, commer- 40 ciale et scientifique va réduire le nombre de cas conflictuels décrits par notre troisième cas de figure ? Nullement.

Les langues vont continuer à se chasser et à s'éliminer les unes les autres.

Pour un temps, l'utilisation de l'anglais pour l'administration de l'Inde et celle du français pour l'administration du Sénégal réduiront les occa- 45 sions de conflit entre langues indigènes, car cet emploi évite d'avoir à promouvoir plus que ce n'est le cas actuellement une langue particulière.

Mais l'anglais en Inde, le français en Afrique, de plus en plus, devien­ dront langues indigènes et de plus en plus ils seront pris dans les conflits ethniques locaux auxquels la langue est attachée par l'identité de groupe.

50 Sauf exceptions de type suisse, le groupe ethnique dominant, celui qui contrôle l'appareil politique, cherchera, de façon pacifique ou violente, à imposer sa langue.

Dans cette course accélérée à la simplification du système linguistique mondial, les langues les mieux placées sont celles qui auront pour cham- 55 pion un État indépendant.

Certains de ces États, multilingues à l'heure actuelle, suivront le chemin qu'a parcouru la France et deviendront uni­ lingues, d'autres suivront la voie tracée par la Suisse et la Belgique.

Dans ce dernier type de cas -celui de l'Europe unie en formation -il apparaîtra que la meilleure façon de protéger une minorité linguistique et de mainte- 60 nir la paix entre les langues consiste à marier le multilinguisme du som­ met de l'État à l'unilinguisme du domaine public des unités territoriales composant ce même État.

Toute langue étrangère est occasion d'enrichissement.

Savoir deux langues, disait Goethe, c'est être homme deux fois, et certains projets 55 généreux de la Commission européenne de Bruxelles voudraient que nous le soyons trois fois.

Pourtant, ces langues qui sont source d'enrichisse­ ment sont aussi des espèces de type animal qui, très souvent, se montrent les dents, se veulent du mal.

Il convient donc de les traiter avec beaucoup de prudence, car elles sont prises dans une compétition mondiale, régio- 70 nale, et souvent locale, dont le but est d'établir des hiérarchies et de déter­ miner qui survivra.

1.

Coexistence dans un même pays de deux langues différentes.

2.

Langue auxiliaire de relation utilisée par des groupes ayant des langues maternelles différentes {c'est par exemple le français et l'anglais dans leurs usages diplomatiques, le hindi et l'anglais en Inde, etc.).

3.

Langue internationale conventionnelle, fondée vers 1887, en partant de racines cou­ rantes des langues les plus répandues.

20. »

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