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Oscar Fingal O’Flahertie Wills Wilde La Ballade de la geôle de Reading

Publié le 04/03/2023

Extrait du document

« Oscar Fingal O’Flahertie Wills Wilde La Ballade de la geôle de Reading Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), Oscar Wilde (1890), Collection Conrad H.

Lester, Beverly Hills, Californie. In memoriam C.

T.

W. Ancien soldat du Royal Horse Guards, Obiit en la prison de Sa Majesté, Reading, Berkshire, 7 juillet 1896 1 Plus d’uniforme d’écarlate Car rouges sont le sang, le vin, Quand on le prit près de la morte, Du sang et du vin sur les mains, La pauvre morte qu’il aimait Et dont il devint l’assassin. Il marchait, habit gris râpé, Parmi les Hommes en Procès, Une casquette sur la tête. Son pas semblait gai et léger, Mais dans ses yeux ouverts au jour Jamais ne vis tant de regret. Tant de regret jamais ne vis Dans les yeux d’un homme, levés Vers la petite tente bleue Qu’est le ciel pour les prisonniers, Vers chaque nuage qui passe Toutes voiles d’argent gonflées. Parmi d’autres âmes en peine, Dans l’autre cercle je marchais, En me demandant si cet homme Avait commis un grand forfait, Quand une voix a dit tout bas : « Ce gars-là va se balancer ». Mon Dieu ! Les murs de la prison Soudain se mirent à tourner ; Le ciel au-dessus de ma tête Brûla comme un casque d’acier. Et bien qu’étant une âme en peine Ma peine cessai d’éprouver. Et je savais quelle hantise Animait son pas et levait Son regard vers le jour brutal Tout habité par le regret : Il avait tué son amour, Aussi, pour cela, il mourrait. Pourtant chacun tue ce qu’il aime, Salut à tout bon entendeur. Certains le tuent d’un œil amer, Certains avec un mot flatteur. Le lâche se sert d’un baiser, Et d’une épée l’homme d’honneur. Certains le tuent quand ils sont jeunes, Certains à l’âge de la mort, L’un avec les mains du Désir, Et l’autre avec les mains de l’Or. Le plus humain prend un couteau : Sitôt le froid gagne le corps. Amour trop bref, amour trop long, On achète, on vend son désir. Certains le tuent avec des larmes Et d’autres sans même un soupir. Car si chacun tue ce qu’il aime, Chacun n’a pas à en mourir. À en mourir de mort honteuse Par un sombre jour de disgrâce. Chacun n’a pas la corde au cou Ni de chiffon dessus la face. Sous lui ses pieds ne tombent pas Dans le grand vide de l’espace. Il ne s’assied pas avec ceux Qui restent pour le surveiller, Au cas où il voudrait soustraire À la prison son prisonnier, Quand il laisse couler ses larmes Ou quand il essaie de prier. Il ne s’éveille pas pour voir L’effroi dans le petit matin, Un aumônier en robe blanche, Un gendarme dur et chagrin, Le gouverneur vêtu de noir, Visage jaune du Destin. Il ne se lève pas en hâte Pour se vêtir en condamné, Sous le rire gras du docteur Qui note ses tics affolés, Lui dont la montre fait le bruit De coups de marteau assénés. Et il ne ressent pas la soif Qui vient lui sabler le gosier, Quand le bourreau pousse la porte Avec ses gants de jardinier, Pour l’attacher de trois courroies Qui tuent la soif de son gosier. Point ne s’incline pour entendre L’office funèbre qu’on lit, Pas plus qu’il ne voit son cercueil Quand son âme angoissée lui dit Qu’il n’est pas mort, et qu’il pénètre Au cœur de cet horrible abri. Il ne regarde pas le ciel Au-delà de ce toit de verre, Et pour que meure son angoisse, Lèvre d’argile sans prière, Point ne sent sur sa joue qui tremble De Caïphe un baiser de pierre. 2 Le soldat, habit gris râpé, Fut six semaines à marcher, Une casquette sur la tête. Son pas semblait gai et léger, Mais dans ses yeux ouverts au jour Jamais ne vis tant de regret. Tant de regret jamais ne vis Dans les yeux d’un homme, levés Vers la petite tente bleue Qu’est le ciel pour les prisonniers, Vers chaque nuage qui traîne Sa toison blanche échevelée. Sans mains tordues, comme ces hommes, Ces pauvres hommes sans espoir, Qui osent nourrir l’espérance Dans le caveau du désespoir : Il regardait vers le soleil Et buvait l’air frais jusqu’au soir. Sans mains tordues, sans une larme, Sans un regard ni un soupir, Il buvait l’air comme l’on boit, Pour oublier, un élixir ; La bouche pleine de soleil Comme de vin ou de désir. Et les âmes en peine et moi, Dans l’autre cercle nous marchions. Étions-nous maudits et coupables D’un crime, d’un forfait ou non ? Et nous regardions d’un œil las Le promis à la pendaison. Étrange de l’apercevoir, Passer d’un pas gai et léger. Étrange ce regret surpris Dans ses yeux vers le jour levés. Étrange de penser enfin Qu’il aurait sa dette à payer. Le chêne et l’orme ont un feuillage Qui pousse au temps des primevères ; Lugubre est l’arbre du gibet, Racine mordue des vipères. Mais sec ou vert, l’homme y mourra Avant les fruits que l’on espère. Là-haut est le siège de grâce, Où tous nos efforts veulent tendre. Mais qui, à la corde de chanvre, Du haut d’un échafaud veut pendre, Ou par le col du meurtrier Veut voir en dernier le ciel tendre ? Danser au son des violons, La Vie et l’Amour sont précieux. Au son des luths, au son des flûtes, Danser est rare et délicieux. Mais pas de douceur quand on danse En l’air, d’un pied souple et gracieux. Nous l’observions, jour après jour, Lourds de questions, l’œil indiscret, En craignant que chacun de nous Ne finisse sur le gibet, Car qui sait vers quel rouge Enfer L’âme aveugle peut s’égarer. Bientôt le mort ne marcha plus Parmi les Hommes en Procès, Et je sus qu’il était debout Dans le banc noir des accusés, Et que, par bonheur ou malheur, Jamais je ne le reverrais. Tels des vaisseaux dans la tempête, Nos deux chemins s’étaient croisés, Sans même un signe et sans un mot, Nous n’avions mot à déclarer ; Nous n’étions pas dans la nuit sainte Mais dans le jour déshonoré. Entourés d’un mur de prison, Nous n’étions que deux réprouvés, Chassés tous deux du cœur du monde, Et de Dieu même abandonnés : Nous étions pris aux dents de fer Du piège tendu au péché. 3 Dans la cour les pavés sont durs, Le mur suintant est élevé. C’était ici qu’il prenait l’air Sous le ciel de plomb, escorté (Car on craignait que l’homme meure), Par deux gardiens à ses côtés. Ou il s’asseyait avec ceux Qui jour et nuit le surveillaient, Au cas où il voudrait soustraire À l’échafaud son condamné, Quand il se levait pour pleurer, Quand il se baissait pour prier. Le gouverneur se montrait ferme Sur le règlement, la pratique. Le docteur expliquait la mort Comme un simple fait scientifique. L’aumônier laissait chaque jour Un opuscule en viatique. Deux fois par jour un pot de bière Et une pipe qu’il fumait, Et dans son âme résolue La peur ne pouvait se cacher. Souvent il se disait heureux Que le jour du bourreau soit près. Pourquoi cette parole étrange Qu’aucun gardien ne demandait ? Car celui qui a pour destin D’être gardien, de surveiller, Doit avoir pour visage un masque Et garder les lèvres scellées. Sinon il pourrait s’émouvoir, Essayer de réconforter. Que ferait la Pitié Humaine Dans le Trou clos des Meurtriers ? Quel mot de grâce en un tel lieu Dire à son frère pour l’aider ? Nous nous traînions dans notre cercle Comme des Fous à la Parade ! Peu importait, car nous étions Du Diable la triste Brigade : Tête rasée et pieds de plomb, Quelle joyeuse mascarade ! Rompre la corde goudronnée En étoupe, les doigts en sang. Récurer portes et planchers, Puis frotter les barreaux brillants, Sur deux rangs savonner le sol, Et cogner nos seaux bruyamment. Coudre des sacs, casser des pierres, Et, dans la poussière, forer. Hurler un cantique en heurtant Nos quarts, et au moulin suer. Au fond de nos cœurs, immobile, Une terreur veillait cachée. Comme une mer alourdie d’algues Les jours se traînaient lentement. On oublia le lot amer De la dupe et du chenapan. Mais un soir, rentrant de corvée On passa près d’un trou béant. La gueule jaune de la tombe Une proie vivante attendait, Et la boue réclamait du sang Au cercle d’asphalte assoiffé. Nous sûmes qu’avant l’aube claire Un homme se balancerait. La Mort, la Peur et le Destin, Nous laissèrent l’âme occupée. Le bourreau et son petit sac Traversèrent l’obscurité : Chacun trembla en se glissant Dans sa tombe numérotée. Ce soir-là, des formes de peur Remplirent les couloirs déserts ; Des pas glissèrent en silence Dans toute la cité de fer ; Près des barreaux, nuit sans étoiles, Des visages blêmes guettèrent. Il reposait comme on repose Et rêve, en un plaisant jardin. Les gardiens l’observaient dormir Et se demandaient incertains : Comment peut-on rester si calme Quand.... »

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