Devoir de Philosophie

4 Charles Martel et les Arabes Nous voilà au début du viiie siècle.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

4 Charles Martel et les Arabes Nous voilà au début du viiie siècle. Le puissant royaume laissé par Clovis est loin. Ses descendants, à force de querelles, de guerres, de meurtres, de tortures, d'empoisonnements entre frères et soeurs, fils et cousins, en ont dilapidé l'héritage. Parmi ces innombrables Mérovingiens, les historiens ne retiennent qu'un grand nom : Dagobert (né vers 600, mort vers 638). Voilà encore quelqu'un qui n'est guère servi par la postérité. Ce pauvre « bon roi », dont tous les enfants des écoles continuent à se moquer en chanson parce qu'il a mis « sa culotte à l'envers », méritait mieux. Énergique, autoritaire et efficace, il est un des seuls au cours de ces deux siècles qui ait réussi à remettre le vieux royaume franc à l'endroit. Ses successeurs laissent peu à peu le pouvoir filer entre leurs doigts, ils sont restés dans l'histoire sous le sobriquet qu'ont inventé leurs successeurs pour les discréditer à jamais, on les appelle « les rois fainéants ». Ce sont des monarques inconséquents que l'on représente à jamais couchés sur des fourrures dans de lents chars à boeufs. Il paraît que c'est ainsi qu'ils entendaient visiter leurs domaines. On connaît des images plus royales. Repères - 632 : mort de Mahomet et début des conquêtes arabes - 711 : victoire des Arabes sur les Wisigoths ; installation dans la péninsule Ibérique - 717 : Charles Martel, maire du palais, devient le principal maître du royaume d'Austrasie et rêve de refaire l'unité du royaume franc - 732 : bataille de Poitiers - 741 : mort de Charles Martel Un des petits royaumes issus de ces siècles de division s'appelle l'Austrasie. Il se trouve à cheval sur ce qui est actuellement l'Est de la France, l'Ouest de l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg. Il a Metz pour capitale et pour roi un de ces « fainéants » oubliés. L'homme fort du moment, qui a peu à peu capté à son profit tous les pouvoirs, est le « maire du palais », une sorte de Premier ministre de l'époque. Il est le fils d'une des familles montantes de l'aristocratie franque. Son ambition est sans limites. Il gère l'Austrasie d'une main de fer, rêve en outre de restaurer à son profit l'unité perdue du puissant Empire franc de jadis, ne cesse de livrer des batailles à ses rivaux des royaumes voisins, et les gagne presque toujours. Il s'appelle Charles. Arrivée des Arabes En ce même début du viiie siècle, au sud, un nouveau peuple, hier encore inconnu, n'en finit plus de faire parler de lui. Sorti des déserts lointains, il a déjà remodelé à son profit la carte du monde, comme le firent les Barbares germains deux cents ans plus tôt avec la carte de l'Europe. Mais contrairement à eux, ces guerriers-là ne viennent pas embrasser la foi des vaincus. Ils veulent convertir le monde à la leur, telle qu'elle leur fut enseignée par Dieu et son prophète : ce sont les Arabes. Depuis un siècle, ils sont aussi musulmans. Mahomet est mort en 632, il aurait dit à ses guerriers : « Allez de l'avant, l'enfer est derrière vous. » Montés sur leurs petits chevaux, le cimeterre à la main, un Coran dans les sacoches, et au coeur ce courage immense que donne la certitude d'obéir aux injonctions de Dieu, ils y sont allés. Côté levant, comme les soldats d'Alexandre le Grand longtemps avant eux, ils ont pris la Perse, se sont élancés en Asie centrale, bientôt ils iront se baigner dans l'Indus. Côté couchant (en arabe, on dit « Maghreb »), ils ont pris l'Égypte, puis l'Afrique du Nord. Là, des Berbères convertis à leur culte se sont mêlés à eux pour passer le détroit de Gibraltar, défaire le dernier roi wisigoth d'Espagne (en 711) et s'installer jusqu'au-delà des Pyrénées. Désormais, leur empire s'étend jusqu'à Narbonne et la province de Septimanie (c'est-à-dire l'actuel Languedoc). Les riches abbayes du Nord dont ils entendent parler titillent leur gourmandise. En suivant le Rhône, ils remontent jusqu'à Autun, qu'ils mettent à sac. Côté Atlantique, ils dévastent l'Aquitaine. Son duc, Eudes, n'arrive plus à la protéger. Il appelle à son secours le nouveau héros du monde franc : Charles. En octobre 732, non loin de Poitiers, a lieu la rencontre. Les Francs, couverts de lourdes armures, opposent aux cavaliers maures et à leur chef l'émir Abd al-Rahman un « mur infranchissable » comme on l'écrira dans les chroniques. Les musulmans sont défaits et refluent. Ils n'avanceront plus jamais aussi loin au nord. Le chef austrasien - si l'on en croit la tradition - s'est tant déchaîné en agitant son « marteau d'armes » qu'il y a gagné le surnom sous lequel on le connaît toujours : « Charles Martel ». L'histoire de France à l'ancienne vient d'hériter d'un de ces chromos dont elle a le secret. Essayons d'en gratter le vernis. La première chose qui frappe, lorsqu'on lit les spécialistes actuels à propos de la rencontre entre Charles et Abd alRahman, est la façon dont ils s'entendent tous pour la réévaluer à sa juste place : elle est très modeste. « Aujourd'hui, écrit une excellente Histoire du monde médiéval1, la bataille de Poitiers est considérée comme un fait militaire secondaire. » Les Arabes, estime-t-on désormais, poussaient des pointes en Gaule dans une logique de razzia, non dans une logique de conquête. On les voit repartir d'autant plus rapidement qu'ils n'avaient pas l'intention de rester. Le grand vaincu de l'histoire, selon le médiéviste Michel Rouche, n'est pas l'émir mais Eudes, l'Aquitain, dont le puissant domaine est ébranlé par le nouvel homme fort, l'homme au martel. Il avait d'ailleurs tout fait pour ne pas avoir à demander son aide. Sa première stratégie pour contrer les Arabes avait été de s'allier à un gouverneur du Nord de l'Espagne en révolte contre eux, Munuza, un Berbère musulman à qui il avait promis sa fille. Munuza fut tué dans un combat. Au bout de quelque temps, Eudes eut pour seul recours d'en appeler au puissant Austrasien, qui en profita pour étendre son contrôle sur cette province. Poitiers, c'est donc aussi le Sud écrasé par le Nord, un rapport de force que l'on retrouvera plus d'une fois dans les pages qui suivent. Charles est l'indiscutable grand vainqueur de toute l'opération. Après cette victoire et quelques autres, il reste en titre simple maire du palais. En fait, il est le chef du vaste État dont il rêvait et le premier d'une famille promise à un grand avenir. Son fils Pépin le Bref sera roi. Son petit-fils Charlemagne, empereur. Pour asseoir sur des bases sérieuses cette nouvelle dynastie - on les appellera les Carolingiens -, les chroniqueurs qui leur sont désormais tout dévoués vont faire ce que font toujours les chroniqueurs quand s'installent de nouveaux pouvoirs : ils prendront un soin jaloux à réécrire le passé. Ce sont eux, par exemple, qui trouvent le nom de « rois fainéants » pour disqualifier ad aeternam les Mérovingiens dont on vient d'usurper le pouvoir. Eux qui vont faire de Poitiers le choc fondateur qui aurait sauvé l'Occident tout entier, et de Charles le vaillant défenseur du Christ contre les Barbares infidèles. Dans la réalité des faits, on peut redescendre d'un cran : Charles a combattu les Arabes exactement comme il a combattu les Francs de Neustrie, un royaume rival, ou ceux du Sud de l'Allemagne. La seule chose qui comptait pour lui était de se constituer un royaume, les Arabes sont tombés à point, leur défaite lui a permis de l'agrandir plus encore qu'espéré. Sarrasins de Septimanie Côté arabe, en revanche, l'événement en lui-même ne suscite pas grand intérêt. Personne n'aime les défaites, mais celles qui marquent sont consignées. Aucune bibliothèque de Cordoue ou de Grenade ne garde la trace de celle-là, c'est dire le peu de cas qu'on en fit. On sait juste qu'après la bataille perdue, les guerriers arabes sont rentrés chez eux, c'est-à-dire en Septimanie. Ils s'y étaient installés vers 720. Ils n'y seront pas pour très longtemps, c'est vrai. En 759, Pépin le Bref, fils de Charles Martel, reprend Narbonne et les refoule de l'autre côté des Pyrénées. Ils seront donc restés sur place quarante ans, une génération entière. On ignore presque tout de cette présence, quel dommage ! Quelques chroniques arabes affirment que les conversions à l'islam furent innombrables, ce qui n'aurait rien de surprenant, on a vu le phénomène se produire dans la plupart des terres conquises. La tradition franque veut au contraire que les Goths de Narbonne aient tellement haï leurs occupants enturbannés qu'ils les ont massacrés dès que les soldats de Pépin campèrent aux portes de la ville. Allez savoir. À part quelques maigres pièces archéologiques, le seul souvenir qui nous reste de ce peuplement ce sont toutes les légendes inventées à son propos bien longtemps après : nombreux sont les érudits de village qui affirment toujours trouver la preuve du passage des Sarrasins dans tous les noms de famille ou de village qui rappellent cette origine, les Maures, les Morin, les Moreau. Pour le coup, le point est assuré : tous les historiens affirment que ces allégations sont fausses. On sait qu'exista, jusqu'à l'an 972, une petite principauté musulmane au Fraxinet, sur ce qui est maintenant la côte varoise, à côté d'un petit port célèbre pour son nom de saint à défaut de l'être pour ses vertus chrétiennes : SaintTropez. La riche et fort complète Histoire de l'Islam et des musulmans en France2 en parle, mais peu, tout simplement parce qu'on n'en sait pas grand-chose. Un épisode mentionné frappe tout de même un oeil d'aujourd'hui : à un moment donné, pour échapper à une querelle familiale, un héritier du royaume des Lombards (ce qui serait aujourd'hui le Nord de l'Italie) vint chercher abri au Fraxinet. Peu importe le détail de l'affaire, le fait seul est parlant : ainsi donc, au xe siècle, un prince chrétien brouillé avec les siens venaient naturellement trouver refuge chez des musulmans. On se souvient, au début de notre histoire, d'Eudes d'Aquitaine n'hésitant pas à donner la main de sa fille à un dignitaire mahométan. À l'époque où Charles Martel et les siens cherchent à mettre la main sur la Provence, de la même manière, le patrice de Marseille fit appel à ses voisins les Arabes de Septimanie : pour lui, le vrai péril venait du nord, c'étaient les Francs. Pour aller dans le même sens, on pourrait citer encore maints épisodes de l'histoire de l'Espagne lors des premiers siècles de domination arabe : elle recèle également nombre d'histoires de princes chrétiens s'alliant avec des dignitaires musulmans pour contrer leurs rivaux, ou de vaillants soldats mettant leur épée ou leur cimeterre au service d'un camp, puis d'un autre. On aura compris à quoi nous voulons en venir : il ne faut pas relire cette époque avec les lunettes d'une autre. Bien sûr, au viiie siècle, et les chrétiens et les musulmans avaient conscience de l'opposition de leurs religions. Mais cette opposition n'empêchait pas toute forme de rapprochement. La crispation entre la « chrétienté », vécue comme un bloc, et l'islam, également refermé sur lui-même, n'arrivera que des siècles plus tard. C'était la première idée fausse que nous voulions démonter. Puissance d'une religion nouvelle, l'islam La deuxième découle de l'image que la plupart des Occidentaux non musulmans se font aujourd'hui de la religion de Mahomet : celle d'une religion vieillie, sclérosée, luttant contre les démons du fanatisme, incapable de proposer au monde un message ouvert, de porter des valeurs qui fassent envie. Ce préjugé occidental existe depuis un ou deux siècles. Comme on s'en doute, les récents développements de l'histoire de la planète, la peur du terrorisme et l'islamisme, ce cancer de l'islam, ne font que le renforcer. On peut se demander s'il est raisonnable d'enfermer la foi d'un milliard d'individus dans des clichés aussi réducteurs, mais peu importe, c'est ainsi qu'elle est perçue et ce prisme nous intéresse ici. C'est lui qui contribue à déformer la lecture que l'on continue à faire des Français de notre bataille de Poitiers. Dans de nombreux manuels, dans la plupart des esprits, la victoire de Charles Martel est spontanément considérée comme un fait positif : grâce à lui, nous avons échappé

« l’Égypte, puisl’Afrique duNord.

Là,des Berbères convertis àleur culte sesont mêlés àeux pour passer ledétroit de Gibraltar, défaireledernier roiwisigoth d’Espagne (en711) ets’installer jusqu’au-delà desPyrénées. Désormais, leurempire s’étend jusqu’àNarbonne etlaprovince deSeptimanie (c’est-à-dire l’actuelLanguedoc). Les riches abbayes duNord dontilsentendent parlertitillent leurgourmandise.

Ensuivant leRhône, ilsremontent jusqu’à Autun,qu’ilsmettent àsac.

Côté Atlantique, ilsdévastent l’Aquitaine.

Sonduc, Eudes, n’arrive plusàla protéger.

Ilappelle àson secours lenouveau hérosdumonde franc :Charles. En octobre 732,nonloindePoitiers, alieu larencontre.

LesFrancs, couverts delourdes armures, opposent aux cavaliers mauresetàleur chef l’émir Abdal-Rahman un« mur infranchissable » commeonl’écrira dansles chroniques.

Lesmusulmans sontdéfaits etrefluent.

Ilsn’avanceront plusjamais aussiloinaunord.

Lechef austrasien –si l’on encroit latradition –s’est tantdéchaîné enagitant son« marteau d’armes »qu’ilya gagné le surnom souslequel onleconnaît toujours : « CharlesMartel ».L’histoire deFrance àl’ancienne vientd’hériter d’un deces chromos dontelleale secret.

Essayons d’engratter levernis. La première chosequifrappe, lorsqu’on litles spécialistes actuelsàpropos delarencontre entreCharles etAbd al- Rahman, estlafaçon dontilss’entendent touspour laréévaluer àsa juste place : elleesttrès modeste. « Aujourd’hui, écrituneexcellente Histoire dumonde médiéval 1 , la bataille dePoitiers estconsidérée comme unfait militaire secondaire. » LesArabes, estime-t-on désormais,poussaientdespointes enGaule dans une logique derazzia, nondans unelogique deconquête.

Onlesvoit repartir d’autant plusrapidement qu’ils n’avaient pasl’intention derester. Le grand vaincu del’histoire, selonlemédiéviste MichelRouche, n’estpasl’émir maisEudes, l’Aquitain, dontle puissant domaine estébranlé parlenouvel homme fort,l’homme aumartel.

Ilavait d’ailleurs toutfaitpour nepas avoir àdemander sonaide.

Sapremière stratégiepourcontrer lesArabes avaitétédes’allier àun gouverneur du Nord del’Espagne enrévolte contreeux,Munuza, unBerbère musulman àqui ilavait promis safille.

Munuza fut tué dans uncombat.

Aubout dequelque temps,Eudeseutpour seulrecours d’enappeler aupuissant Austrasien, qui enprofita pourétendre soncontrôle surcette province.

Poitiers,c’estdonc aussi leSud écrasé parleNord, un rapport deforce quel’onretrouvera plusd’une foisdans lespages quisuivent. Charles estl’indiscutable grandvainqueur detoute l’opération.

Aprèscettevictoire etquelques autres,ilreste en titre simple mairedupalais.

Enfait, ilest lechef duvaste Étatdont ilrêvait etlepremier d’unefamille promise à un grand avenir.

SonfilsPépin leBref sera roi.Son petit-fils Charlemagne, empereur.Pourasseoir surdes bases. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles