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ABSTRACTEUR, -TRICE, adjectif et substantif masculin.

Publié le 28/09/2015

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ABSTRACTEUR, -TRICE, adjectif et substantif masculin.  

I.—  Emploi adjectival, rare.  [Dans le domaine intellectuel, en parlant d'une personne ou des facultés d'une personne]  Qui abstrait (ou se plaît à abstraire) : 

Ø 1.... la morale des philosophes grecs, on l'a dit, est nationalitaire; leur métaphysique est universelle; l'église elle-même si souvent favorable aux intérêts de classe ou de nation dans sa morale, ne connaît plus que Dieu et l'homme dans sa métaphysique. Il était réservé à notre âge de voir des métaphysiciens, et de la plus haute lignée, faire tourner leurs spéculations à l'exaltation de leur patrie et à l'abaissement des autres, et venir fortifier, de toute la puissance du génie abstracteur, la volonté de domination de leurs compatriotes : on sait que Fichte et Hegel donnent pour terme suprême et nécessaire au développement de l'être le triomphe du monde germanique et l'histoire a montré si l'acte de ces clercs a produit des effets dans le coeur de leurs laïcs.

JULIEN BENDA, La Trahison des clercs,  1927, page 94. 

Ø 2. L'idole invisible des juifs, des puritains, des arabes, des savants, n'a pu s'imposer aux multitudes que par le moyen d'une littérature ou d'une musique grandioses, d'une architecture accumulant la fraîcheur, le repos et l'ombre à l'extrémité des déserts sans eau où la flamme interdit la vie, ou d'un système utilitaire capable de satisfaire, au moins provisoirement, les besoins de bien-être du corps et de conquête de l'esprit, —  idoles, encore idoles, non moins décevantes que l'idole visible à la longue, et moins loyales je le crains, puisqu'elles promettent des solutions morales définitives qu'elles ne peuvent apporter. Incroyable misère des moralistes abstracteurs qui, des siècles durant, imposent par le glaive l'idole verbale biblique ou coranique à l'exclusion des autres et croient détenir l'esprit pur!

ÉLIE FAURE, L'Esprit des formes,  1927, page 244. 

II.—  Emploi comme substantif, parfois péjoratif. 

A.—  Personne dont l'esprit est porté aux abstractions : 

Ø 3. Vous voulez parler (...) des mots Dieu et âme (...). Avant la métaphysique, ils étaient déjà parfaitement métaphysiciés. Jugez vous-même si l'abstracteur de profession peut laisser échapper ces sortes de mots...

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Le Jardin d'Épicure,  1895, page 254. 

Ø 4. À écouter Roemerspacher on est vite assuré qu'il joint aux fortes intuitions d'un abstracteur la vision concrète d'un esprit positif.

MAURICE BARRÈS, Les Déracinés,  1897, page 350. 

Ø 5. —  (...) Religion et instinct se sont affaiblis chez vous. Vous n'êtes plus qu'intelligence. Casse-cou! La mort vient.

—  Elle vient pour tous les peuples : c'est une affaire de siècles.

—  Vas-tu faire fi des siècles? La vie tout entière est une affaire de jours. Il faut être de sacrés diables d'abstracteurs, pour se placer dans l'absolu, au lieu d'étreindre l'instant qui passe.

ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, Dans la maison, 1909, page 1071. 

Ø 6. Faut-il déduire du peu de sensualité et d'intimité de la nature que présentent les oeuvres des primitifs florentins que ces abstracteurs n'aimaient guère le monde extérieur...

GILLES DE LA TOURETTE, Léonard de Vinci,  1932, page 16. 

B.—  Abstracteur de quintessence. 

1. ALCHIMIE.  vieux, langage.  Alchimiste qui extrait la 5e.  essence ou partie subtile d'un corps (avec allusion à Rabelais, chez qui le sens propre était encore sensible sous l'emploi figuré) : 

Ø 7. Il y a certaines analyses de l'entité bourgeoise qui pourront te faire jubiler, surtout maintenant que ton ami Lamens est au pouvoir. —  Mais il y a d'autres choses aussi... C'est compliqué. Et Reichel?... Dire que je ne lui ai pas écrit. C'est ingrat, tout de même, mais le temps, c'est difficile. —  Et Mallarmé?... Oh? Celui-là sait bien à quoi s'en tenir et que je l'aime, cet Alcofribas abstracteur de quinte-essence. Et Roujon? Est-il content, ce brave enfant-là...

PHILIPPE AUGUSTE MATHIAS DE VILLIERS DE L'ISLE-ADAM, Correspondance générale,  1879, page 263. 

2. Péjoratif.  [Dans le domaine intellectuel]  Philosophe, critique, écrivain, etc. qui se complaît jusqu'à l'excès aux abstractions, aux raisonnements subtils : 

Ø 8. Les coloristes dessinent comme la nature; leurs figures sont naturellement délimitées par la lutte harmonieuse des masses colorées.

Les purs dessinateurs sont des philosophes et des abstracteurs de quintessence. 

Les coloristes sont des poètes épiques.

CHARLES BAUDELAIRE, Salon de 1846,  1846, page 110. 

Ø 9.... le philosophe avait demandé simplement au concierge une femme de charge pour ranger son appartement et un restaurant d'où il fît venir ses repas. Ces deux demandes risquaient d'aboutir aux pires conséquences : un service fait à la diable et une nourriture de poison. Elles eurent ce résultat inattendu d'introduire dans l'intérieur d'Adrien Sixte précisément la personne que rêvaient ses voeux les plus chimériques, si toutefois un abstracteur de quintessences, comme Rabelais appelle cette sorte de songeurs, garde le loisir de former des voeux.

PAUL BOURGET, Le Disciple,  1889, page 15. 

Ø 10. Des gens, beaucoup de gens me définissent peu ou point sentimental, peu philosophe, mais un petit abstracteur de quintessences esthétiques. Je les admire de me si bien connaître. Je passe pour doux, je suis violent, —  mais distrait! Je passe pour léger d'âme; joyeux —  je suis l'ennui et la navrance en personne! Mais je souris inéluctablement.

ANDRÉ GIDE, P. VALÉRY, Correspondance, Lettre de Paul Valéry à André Gide, septembre 1891, page 125. 

Ø 11. Pour Heredia, je suis un paresseux. (Tu parles!). Pour mille autres, très clairvoyants mais jusqu'à la ceinture, je suis le monsieur qui ne fera jamais rien, ou l'abstracteur de quintessence, ou un poète mort jeune, ou un, fumiste, ou le raseur (ceux-là sont exacts). Pour divers, esprit très original, compliqué, etc. Par ailleurs, j'ai été qualifié de bon et de méchant J'ai l'estime de M. Ubu. Il y a aussi les opinions féminines, non moins diverses. Enfin, je suis le lieu géométrique de toutes les contradictions.

ANDRÉ GIDE, P. VALÉRY, Correspondance, Lettre de Paul Valéry à André Gide, novembre 1899, page 366. 

Ø 12.... et c'est tout abstracteur 

De la cinquième essence et tout contrefacteur

Qui sera poursuivi...

CHARLES PÉGUY, La Tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d'Arc,  1913, page 647. 

Ø 13.... le poème, tel que je l'entends, serait d'autant plus parfait que la raison aurait plus de peine à y trouver sa nourriture habituelle, des idées, des raisonnements; bref, je renverrais à la prose le De natura rerum, la Divine Comédie, les Méditations. À quoi il sera répondu excellemment qu'il ne faut pas confondre l'analyse métaphysique avec l'analyse chimique. Nous sommes ici des abstracteurs, non des fabricateurs de quintessences. Notre sujet —  la poésie pure —  le veut ainsi. Dans le concret, poésie, raison, sensibilité, etc., etc., tout cela ne fait qu'un seul être vivant : le poème.

ABBÉ HENRI BREMOND. La Poésie pure,  1926, page 95. 

Ø 14. On peut trouver dans le moindre croquis d'un maître —  ou peut-être bien d'un petit garçon qui dessine en tirant la langue —  de quoi ruiner l'édifice que j'ai tenté de bâtir et qui représente trente années de méditation. Dieu est un enfant qui s'amuse, passe du rire aux larmes sans motifs et invente chaque jour le monde pour le tourment des abstracteurs de quintessence, des cuistres et des prédicants qui prétendent lui apprendre son métier de créateur.

ÉLIE FAURE, L'Esprit des formes, introduction, 1927, page 16. 

Ø 15. Nul abstracteur de quintessence, réfugié dans son atelier matelassé de mépris pour le monde des apparences, n'a atteint à l'invention plastique de Van Gogh, peignant exclusivement sur nature; nul surréaliste n'a inventé un monde plus chimérique; nul poète enfin, n'a rendu plus sensible à notre imagination cette fugue que composent, au sein des fourmillantes nuits provençales, le chant des grillons et la musique des sphères.

ANDRÉ LHOTE, Peinture d'abord,  1942, page 136. 

Remarque : 1. Dans l'exemple 13, où abstracteur de quintessence s'oppose à fabricateur de quintessence, le 1er.  syntagme devient laudatif du fait de cette opposition 2. Dans les exemples suivants, abstracteur est un quasi-synonyme de auteur ou inventeur : 

Ø 16. Le curé de Champrond dans son Histoire des perruques et dans son traité de la Sauce-Robert justifiée, était aussi savant, aussi joyeux, aussi spirituel que le curé de Meudon, abstracteur de la vie inestimable du grand Gargantua. Mon choix serait bientôt fait, à moi, si l'on me proposait d'être Rabelais ou roi de France.

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, tome 4, 1848, page 529. 

Ø 17. «... et tu as fait répondre par la Chancellerie de tes Simoniaques, par tes représentants de commerce, par tes Papes, des excuses dilatoires, des promesses évasives, Basochien de sacristie, Dieu d'affaires!

« Monstre, dont l'inconcevable férocité engendra la vie et l'infligea à des innocents que tu oses condamner, au nom d'on ne sait quel péché originel, que tu oses punir, en vertu d'on ne sait quelles clauses, nous voudrions taper sur tes clous, appuyer sur tes épines, t'amener le sang douloureux au bord de tes plaies sèches!

« Et cela, nous le pouvons et nous allons le faire, en violant la quiétude de ton Corps, Profanateur des amples vices, Abstracteur des puretés stupides, Nazaréen maudit, Roi fainéant, Dieu lâche! »

—  Amen, crièrent les voix cristallines des enfants de choeur.

GEORGES-CHARLES, DIT JORIS-KARL HUYSMANS, Là-bas, tome 2, 1891, page 165. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 20. 

ABSTRACT, substantif masculin.  

DOCUMENTATION.  anglicisme.  Analyse succincte d'un ouvrage, généralement formulée en langage conventionnel, par opposition au condensé, rédigé en langage naturel. 

—  Au pluriel. Des abstracts. Recueil d'analyses documentaires : 

Ø Les « abstracts ». —  La préoccupation, de plus en plus grande, d'aller au delà de la simple connaissance des titres et de séparer le bon grain de l'ivraie a donné naissance, au début du XXe.  siècle, à un nouveau type de documentation bibliographique : les recueils d'analyses ou, comme on dit en pays anglo-saxon, d'abstracts. Créés d'abord pour la médecine, la chimie et d'autres domaines des sciences exactes et appliquées, les recueils d'abstracts ont été accueillis avec faveur : leur utilité s'est accrue à mesure que le volume de la production augmentait et rendait de plus en plus difficile la prospection directe des sources.

La civilisation écrite (sous la direction de Julien Cain)  1939, page 2416. 

 

ABSTRACTIF, -IVE, adjectif et substantif.  

A.—  Adjectif.  LOGIQUE.  

1. [En parlant d'une opération mentale]  Qui consiste à former des abstractions. Procédé abstractif (Dictionnaire de la langue française (ÉMILE LITTRÉ)); opération abstractive (Dictionnaire de la langue philosophique (PAUL FOULQUIÉ, RAYMOND SAINT-JEAN)). 

2. [En parlant d'un concept ou d'un terme]  Résultat de l'action d'abstraire, qui est formé par abstraction, qui sert à exprimer des abstractions. 

Remarque : Se dit quelquefois pour abstrait : 

Ø 1. L'égalité, malheureusement n'existe qu'à l'état abstractif.

Le dictionnaire universel (ÉMILE LA CHÂTRE), tome I, 1865. 

Les lexicographes ont essayé de distinguer les 2 mots (confer abstractivement); abstractif exprimerait une action, abstrait un état : une considération abstractive est une considération qui abstrait; une considération abstraite est une considération dans laquelle l'abstraction est déjà opérée. De fait, abstractif est actif dans l'emploi A, qui reste seul vivant. 

—  Spécialement.  PHYSIQUE.  Méthode abstractive. \" Celle qui consiste à résumer dans une formule mathématique la loi des phénomènes sensibles directement observés (sans chercher à les expliquer par des structures ou des processus non apparents) et à en tirer les conséquences par le calcul. \" (Vocabulaire technique et critique de la philosophie (ANDRÉ LALANDE)). 

B.—  Adjectif et substantif,  PSYCHOLOGIE, CARACTÉROLOGIE.   [En parlant d'une personne ou d'une faculté humaine] (Celle, celui) qui, dépassant le stade instinctif, est capable de penser abstraitement : 

Ø 2. Le spécialiste est nécessairement la plus parfaite expression de l'homme, l'anneau qui lie le monde visible aux mondes supérieurs : il agit, il voit et il sent par son intérieur. L'abstractif pense. L'instinctif agit. De là trois degrés pour l'homme : instinctif, il est au-dessous de la mesure : abstractif, il est au niveau; spécialiste, il est au-dessus. Le spécialisme ouvre à l'homme sa véritable carrière, l'infini commence à poindre en lui, là il entrevoit sa destinée.

HONORÉ DE BALZAC, Louis Lambert,  1832, page 209. 

—  Faculté abstractive. Faculté d'abstraire (confer abstractivité) : 

Ø 3.... depuis quarante ans, des centaines de fois, il est à peu près impossible de découvrir le feuilleton où je les ai copiées. Mais cela n'importe pas, puisque précisément elles ont été choisies pour donner l'impression d'un cerveau anonyme et du parfait servilisme intellectuel. Ce cerveau anonyme est pourtant doué de deux ou trois qualités ou affections particulières : d'une mémoire spéciale, très étendue; d'une faculté abstractive qui semble en corrélation avec une cécité cérébrale presque absolue.

RÉMY DE GOURMONT, Esthétique de la langue française,  1899, page 283. 

Remarque : Les emplois B appartiennent à la langue d'un nombre très limité d'auteur du XIXe.  siècle. 

 

 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 5. 

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