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AIMÉ, -ÉE, participe passé et adjectif verbal.

Publié le 18/10/2015

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AIMÉ, -ÉE, participe passé et adjectif verbal.  

I.—  Participe passé passif de aimer* 

A.—  [Construction avec l'auxiliaire être pour former la voix passive] 

1. [Sans complément d'agent] :

Ø 1.... oui, certes, elle voulait se marier, et aimer, et être aimée, et être heureuse!

ÉMILE ZOLA, Le Rêve,  1888, page 54. 

Ø 2.... au fond de la Polynésie, les sauvagesses se couvrent de choses voyantes et de peaux de bêtes, pour être « aimées ».

HENRI DE MONTHERLANT, Les Olympiques,  1924, page 310. 

Ø 3. L'amour de la patrie, la passion de la justice sociale suffiront à faire de ces voix innombrables, de celles qui prient, comme de celles qui refusent de prier, une seule voix entendue et reconnue partout où des hommes respirent, partout où la France est aimée.

FRANÇOIS MAURIAC, Le Baîllon dénoué,  1945, page 448. 

2. [Avec un complément d'agent] 

a) [L'accent est mis sur le procès en cours à un moment du temps, préposition par] :

Ø 4. —  À mon âge, dit-elle, il me faudrait un homme sérieux, de 40 à 50 ans. Or, je ne suis aimée que par des jeunes gens de 25 ans.

JULES RENARD, Journal,  1905, page 1018. 

Ø 5. Olga n'est nullement aimée par le peuple qui la considère comme une Slave, comme une barbare.

MAURICE BARRÈS, Le Voyage de Sparte,  1906, page 115. 

Ø 6.... elle est aimée par un jeune homme sentimental mais bourgeois, que sa beauté sauvage a fasciné. 

ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, Le Cahier gris, 1922, page 625. 

Ø 7. La Mère de la Miséricorde avait été follement aimée par un lieutenant de lanciers qui, lors de la prise de voile, était tombé raide devant la grille en s'écriant : « tout est fini! »

HENRI POURRAT, Gaspard des Montagnes, À la belle bergère, 1925, page 93. 

Ø 8. Français, Françaises, que vos pensées se rassemblent sur la France! Plus que jamais, elle a besoin d'être aimée et d'être servie par nous tous qui sommes ses enfants.

CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, Le Salut, 1959, page 422. 

b) [L'accent est mis sur l'état résultant du procès, préposition de] :

Ø 9.... mourir sans être aimé de toi, mourir sans cette certitude, c'est le tourment de l'enfer, c'est l'image vive et frappante de l'anéantissement absolu.

NAPOLÉON 1er, Lettres à Joséphine,  1796, page 23. 

Ø 10. La gloire intérieure de Dieu est dans sa souveraine perfection; sa gloire extérieure consiste à être connu et aimé des intelligences libres; et il est hors de discussion qu'il a en effet donné l'être à ces intelligences pour en être connu et aimé.

PÈRE HENRI-DOMINIQUE LACORDAIRE, Conférence de Notre-Dame,  1848, page 83. 

Ø 11. Comme elles redisaient le nom sacré de Jupiter, le sculpteur eut de l'impatience. Il haussa les épaules. Ce signe de mépris ne fut point remarqué sinon du jeune Pantarcès et de la belle Polydamie, qui, aimant Phidias, étaient tous deux aimés de lui.

CHARLES MAURRAS, Le Chemin de Paradis,  1894, pages 35-36. 

Ø 12. La musique n'était vraiment aimée que d'une poignée de gens; et ce n'étaient pas toujours ceux qui s'en occupaient le plus : compositeurs et critiques. Il y a si peu de musiciens en France, qui aiment vraiment la musique!

ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, La Foire sur la place, 1908, page 700. 

B.—  [Sans l'auxiliaire être, en construction d'apposition] 

1. [Sans complément d'agent] :

Ø 13. Ô semblable!... Et pourtant plus parfait que moi-même,

Éphémère immortel, si clair devant mes yeux,

Pâles membres de perle, et ces cheveux soyeux,

Faut-il qu'à peine aimés, l'ombre les obscurcisse,

Et que la nuit déjà nous divise, ô Narcisse,

Et glisse entre nous deux le fer qui coupe un fruit!

PAUL VALÉRY, Charmes, Fragments du Narcisse, 1922, page 125. 

2. [Avec un complément d'agent, préposition par ou de] :

Ø 14. Ingrat d'avance, cette rude instruction de Bonaparte est adressée à Desaix qui offrait à la tête des braves, dans la Haute-Égypte, autant d'exemples d'humanité que de courage, marchant au pas de son cheval, causant de ruines, regrettant sa patrie, sauvant des femmes et des enfants, aimé des populations qui l'appelaient le sultan juste, enfin à ce Desaix tué depuis à Marengo dans la charge par laquelle le premier consul devint le maître de l'Europe.

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, tome 2, 1848, page 363. 

Ø 15. La fille de la Berma, aimée en secret par le médecin qui soignait son mari, s'était laissé persuader que ces représentations de Phèdre n'étaient pas bien dangereuses pour sa mère.

MARCEL PROUST, À la recherche du temps perdu, Le Temps retrouvé, 1922, page 995. 

II.—  Emploi adjectival.  [En construction d'épithète] 

A.—  [Sans déterminant intensif spécifique d'adjectif] 

1. [Sans complément] :

Ø 16. Du moment qu'il aime, l'homme le plus sage ne voit plus aucun objet tel qu'il est. Il s'exagère en moins ses propres avantages, et en plus les moindres faveurs de l'objet aimé.

HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, De l'Amour,  1822, page 32. 

Ø 17. Une maîtresse aimée est si près d'une soeur!

ALFRED DE MUSSET, Namouna,  1832, page 407. 

Ø 18. Il y a un amour qui aime l'oubli, le silence, les bois, ou indifféremment un lieu solitaire quelconque, dans la présence, ou dans la pensée de l'être aimé.

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Volupté, tome 2, 1834, page 78. 

Ø 19. Sa [de Baudelaire] saison aimée est la fin de l'automne, quand un charme de mélancolie ensorcelle le ciel qui se brouille et le coeur qui se crispe.

PAUL BOURGET, Essais de psychologie contemporaine, 1883, page 18. 

Ø 20. Bien avec tout le monde, elle est vieille et a l'air jeune. On la voit très bien maîtresse aimée et amoureuse. 

JULES RENARD, Journal,  1895, page 289. 

Ø 21. Oh! qu'il me soit donné, encore une fois, de revoir quelques endroits aimés comme la place du Pacifique, à Séville...

VALÉRY LARBAUD, A. O. Barnabooth,  1913, page 97. 

Ø 22. Seule de ses amantes aimées, la reine Bérénice existe parce que, toute chérie qu'elle soit, sa passion trouve une résistance et que Titus la sacrifie à Rome. La seule vivante des amantes aimées, elle l'est beaucoup moins, pourtant, que les désespérées, Hermione, Roxane et Phèdre.

FRANÇOIS MAURIAC, La Vie de Jean Racine,  1928, page 115. 

2. [Avec un complément, préposition par ou plus fréquemment de] :

Ø 23. C'était un air étrusque aux paroles hardies,

Un refrain de taverne aimé des carrefours;

Sa voix brève heurtait les vieilles mélodies,

Ses pieds tombaient d'aplomb et cadencés toujours,

Tandis que ses deux mains sur sa tête arrondies,

De ses bras onduleux dessinaient les contours.

LOUIS BOUILHET, Melaenis,  1857, page 148. 

Ø 24. Sur la tablette supérieure des bibliothèques sont posés de petits bronzes japonais, (...) les poissons aimés par les gourmets de là-bas...

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  décembre 1894, page 689. 

Ø 25. Ils enseignent que, située d'abord dans l'océan glacial, leur île, flottante comme Délos, était venue mouiller dans les mers aimées du ciel dont elle est aujourd'hui la reine.

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, L'Île des pingouins,  1908, page 179. 

Ø 26. «... C'est l'histoire d'un homme qui aimait un être. (...) Il était fiancé, encore très jeune homme, à une pauvre fille, si bonne et belle, si vraiment aimée de Dieu, que lui aussi l'aimait... » Son regard devint pesant «... Avec toute son âme », accentua-t-il.

ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, Le Pénitencier, 1922, page 784. 

Ø 27.... nous abandonnons successivement les différents êtres aimés tour à tour par nous...

MARCEL PROUST, À la recherche du temps perdu, La Prisonnière, 1922, page 76. 

Ø 28. À côté des impertinents, des égoïstes ou des tyrans, il y a les gourdes, qui ne savent pas se servir des robinets, qui n'osent ni redemander un peu de poulet, ni écrire sur le papier à lettres de la maison, ni se lever plus tard que midi de peur de déplaire à la femme de chambre. Clientèle généralement aimée du personnel, à tout le moins préférée à l'autre, celle des filous, qui ne pensent qu'à emporter des verres à dents et à quitter l'hôtel sans donner de pourboires...

LÉON-PAUL FARGUE, Le Piéton de Paris,  1939, pages 231-232. 

B.—  [Avec un déterminant intensif spécifique d'adjectif : si, très...] 

1. [Sans complément] :

Ø 29. Plein des idées tristes qu'amenait ce retour tardif en des lieux si aimés, je sentis le besoin de revoir Sylvie, seule figure vivante et jeune encore qui me rattachât à ce pays.

GÉRARD DE NERVAL, Les Filles du feu, Sylvie, 1854, page 613. 

Ø 30. Aphrodisia était l'esclave favorite, la plus jolie, la plus aimée.

PIERRE LOUÿS, Aphrodite,  1896, page 126. 

Remarque : Cet emploi se rencontre aussi en construction d'attribut : 

Ø 31. Bonaparte était si aimé que pendant quelques instants Paris fut dans la joie...

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, tome 2, 1848, page 468. 

Ø 32. « Voici l'histoire atroce de cette malheureuse », dit-il. Elle s'appelle Mme.  Hermet. Elle fut très belle, très coquette, très aimée et très heureuse de vivre.

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 2, Madame Hermet, 1887, page 1127. 

2. [Avec un complément prépositionnel de] :

Ø 33. De moins lancés dans leurs propos blâmaient les tracasseries dont la police accablait les réfugiés polonais, très-aimés des habitants de Chantilly, où ils ont tenu garnison sous l'Empire.

LÉON GOZLAN, Le Notaire de Chantilly,  1836, page 237. 

Ø 34. Intelligent, gracieux, sympathique et divertissant au possible, ce gamin, qui devait être un jour un des acteurs les plus aimés du public et que je devais retrouver pour lui confier des rôles, s'appelait Prosper Bressant

AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Histoire de ma vie, tome 4, 1855, page 202. 

Ø 35. Le numéro 662, gens sur une terrasse. On y voit une naïade de dos, une femme en robe jaune, la tête touchée dans la gamme la plus claire du blanc et du rose. Toujours l'harmonie des tons bleus, jaunes, violets, les violets si aimés des Vénitiens.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  septembre 1860, page 805. 

Ø 36. « Vous avez les tresses de Laura Dianti, d'Éléonore de Guyenne, et de sa descendante si aimée de Chateaubriand. Vous devriez porter toujours les cheveux un peu tombants », lui [à Albertine] dis-je à l'oreille pour me rapprocher d'elle.

MARCEL PROUST, À la recherche du temps perdu, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, page 920. 

Remarque : 1. Comme le montre le détail des constructions, la frontière entre les emplois I et II (à l'exception de II B 2, plus net quant à sa valeur adjectivale) restent difficiles à tracer, en raison du caractère ambigu du participe passé, et de l'absence de rigueur morphologie du passif français. 2. La correspondance de Voir Hugo offre des exemples d'un emploi substantival de aimé (toujours au masculin pluriel et dans l'emploi vocatif-allocutif notamment des fins de lettre) :  \" Je vous serre tous dans mes bras, chers aimés. \" (VICTOR HUGO, Correspondance, 1867, page 17). \" Je vous embrasse, mes aimés. \" (VICTOR HUGO, Correspondance, 1867, page 26).  En dehors de l'emploi allocutif, aimé(s) substantivé est rare : 

Ø 37. Est-elle brune, blonde ou rousse? —  Je l'ignore.

Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore

Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,

Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a

L'inflexion des voix chères qui se sont tues.

PAUL VERLAINE, Poèmes saturniens, Melancholia, mon rêve familier, 1866, pages 64-65. 

Ø 38.... Pline l'Ancien a raconté, dans son Histoire naturelle comment la fille du potier Boutadès de Corinthe, « capta amore juvenis », prise par l'amour d'un jeune homme, qui allait partir, voulut retenir tant de bonheur fugitif. Alors lui vint l'idée de garder l'image de l'aimé. Ce mythe traduit une des raisons d'être du réalisme, peut-être la plus valable : la hantise de remplacer la fragilité du souvenir par la fixité de l'apparence captée au piège de l'art.

RENÉ HUYGHE, Dialogue avec le visible,  1955, page 127. 

Pour parler des morts (infra III) : 

Ø 39. —  Seigneur, ce n'est rien de s'oublier soi-même, de rejeter son âme morte. Mais puis-je rejeter mes morts, puis-je oublier mes aimés?

ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, Le Buisson ardent, 1911, page 1421. 

III.—  Bien-aimé(e) 

A.—  Emploi adjectival. 

1. Usuel [Postposé au substantif] 

a) [Le substantif désigne une personne ou une collectivité, ou une partie de l'être individuel ou collectif] :

Ø 40. Adieu, ange! soigne-toi, porte-toi bien, aime-moi, pardonne-moi. Quand je reviendrai, je te ferai ôter tes bas pour baiser tes petits pieds bien-aimés.

VICTOR HUGO, Correspondance,  1831, page 498. 

Ø 41. Mon cousin m'a fait plus d'une injure;

Qu'un bon cercueil de plomb m'en réponde, et je jure

Que les ducs bourguignons, mes sujets bien-aimés,

Seront dans son linceul pour jamais renfermés;

...

CASIMIR DELAVIGNE, Louis XI,  1832, III, 4, pages 115-116. 

Ø 42.... le bruit de l'arrivée des restes du souverain bien-aimé s'était répandu en Thuringe et avait profondément remué toute la contrée.

CHARLES, COMTE DE MONTALEMBERT, Histoire de Sainte Elisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringe (1207-1231),  1836, page 186. 

Ø 43. Chère amie, ma femme bien-aimée, pauvre mère éprouvée, que te dire? Je viens de lire un journal par hasard. Ô mon Dieu! Que vous ai-je fait! J'ai le coeur brisé... Je n'irai pas jusqu'à La Rochelle...

VICTOR HUGO, Correspondance,  1843, page 611. 

Ø 44. Ô visages des saints, douces et fortes lèvres accoutumées à nommer Dieu et à baiser la croix de son fils; regards bien-aimés qui discernez un frère dans la plus pauvre des créatures...

PÈRE HENRI-DOMINIQUE LACORDAIRE, Conférence de Notre-Dame,  1848, page 107. 

Ø 45. Est-ce un sacrifice si pénible que de suivre les désirs d'une mère aimante et bien-aimée?

LOUIS-ÉMILE-EDMOND DURANTY, Le Malheur d'Henriette Gérard, 1860, page 279. 

Ø 46.... au lever du soleil, j'allais partir pour toujours... Tout ce pays [l'Océanie] et ma petite amie bien-aimée allaient disparaître, comme s'évanouit le décor de l'acte qui vient de finir...

JULIEN VIAUD, DIT PIERRE LOTI, Le Mariage de Loti,  1882, page 266. 

Ø 47. Viens sur mon coeur. Laisse-moi caresser la moisson solaire de l'or, sur ta tête bien-aimée.

HENRI, ALBAN FOURNIER, DIT ALAIN-FOURNIER, JACQUES RIVIÈRE, Correspondance, lettre de Jacques Rivière à Alain-Fournier, juin 1908, page 379. 

Ø 48. Les pires corrupteurs, les destructeurs ironiques qui ruinent nos croyances du passé, qui tuent nos morts bien-aimés, travaillent, sans le savoir, à l'oeuvre sainte, à la nouvelle vie.

ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, La Nouvelle journée, 1912, page 1473. 

Ø 49.... nous, nous sommes dans la douce amitié catholique, et nous sommes dans le monde comme dans un monde fermé, parce que tous les hommes sont nos frères bien-aimés et qu'ils sont avec nous une même famille.

ERNEST PSICHARI, Le Voyage du centurion,  1914, pages 226-227. 

Ø 50.... s'il [le Seigneur] pouvait dire un seul jour : « Il n'y a plus un seul Juif dans ma Sion bien-aimée; ils m'ont abandonné pour toujours! » Quels fléaux, quelles calamités s'abattraient sur Israël!

JEAN THARAUD, JÉRÔME THARAUD, L'An prochain à Jérusalem!, 1924, page 59. 

Ø 51.... quand la petite main bien-aimée toucha la poignée, quand il vit la noire silhouette déjà dressée sur le seuil, tout son pauvre corps n'eut qu'un cri : —  Germaine!

GEORGES BERNANOS, Sous le soleil de Satan,  1926, page 104. 

b) [Le substantif désigne un inanimé concret ou abstrait] :

Ø 52.... pendant ce temps-là, ces fleurs bien-aimées s'épanouissaient autour de nous.

ALFRED DE MUSSET, La Mouche,  1854, page 267. 

Ø 53. La route était déserte, la campagne vide d'êtres, ils ne voyaient point à dix pas devant eux; ils allaient sereins et sûrs, dans la nuit bien-aimée.

ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, L'Adolescent, 1905, page 325. 

Ø 54. Ils sont sûrs de voir tantôt

S'avancer entre les rythmes

La démarche bien-aimée.

LOUIS FARIGOULE, DIT JULES ROMAINS, La Vie unanime,  1908, page 251. 

Ø 55. Cette mauvaise foi, cette dureté que vous pressentez qui seront les vôtres et qui me valent déjà la sincérité affreuse et bien-aimée de votre dernière lettre ne seront jamais que la manifestation d'une « royauté ».

MARCEL JOUHANDEAU, Monsieur Godeau intime,  1926, page 84. 

Ø 56. J'attendrai la nuit, si je puis vivre encore, pour m'en aller un peu à pied sur la grand'route qui traverse notre village, enveloppé dans ma solitude bien-aimée, afin d'y reconnaître pourquoi je dois mourir.

ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY, Pilote de guerre,  1942, page 272. 

Ø 57. C'est assez curieux comme genre de préoccupations en ce moment de la vie, de ma vie, quand je ne pense qu'à lui, à mon malheur bien-aimé, et à tout ce que je ne peux coucher par écrit.

ELSA TRIOLET, Le Premier accroc coûte deux cents francs, 1945, page 247. 

Remarque : Bien-aimé suivi d'un complément prépositionnel est rare : 

Ø 58.... tout est beau, harmonique, sérieux, grave et comme divin dans ce pays bien-aimé du soleil.

MAXIME DU CAMP, Le Nil, Égypte et Nubie,  1854, page 192. 

2. Emphatique.  [Antéposé au substantif] 

a) [Le substantif désigne le plus souvent une personne, rarement une partie de l'être] :

Ø 59. Adieu, ma bien-aimée Joséphine. Tout à toi.

NAPOLÉON 1ER, Lettres à Joséphine,  1806, page 122. 

Ø 60. Hier 23, jour anniversaire de la mort de Louise Fournier, ma bien-aimée femme, morte à Grateloup, le 23 octobre 1803.

MARIE-FRANÇOISE-PIERRE GONCTHIER DE BIRAN, DIT MAINE DE BIRAN, Journal,  1814, page 25. 

Ø 61. « Ta lettre est bien triste, mon cher et bien-aimé père, elle m'a fait une vraie peine... »

JEAN-JACQUES AMPÈRE, Correspondance,  1824, page 271. 

Ø 62.... si tu as ouï, Raphaël, Gabriel, ou comme on t'appelle, —  cela est écrit, —  si ta naturelle ineptie t'a permis de pénétrer les suprêmes intentions de notre bien-aimée maîtresse, je t'enjoins en son nom de nous faire connaître ta résolution élective ou optative, qui ne me paraît pas difficile à prévoir.

CHARLES NODIER, La Fée aux miettes,  1831, page 134. 

Ø 63. À mon bien-aimé frère Maurice (le 15 novembre 1834)

—  Puisque tu le veux, mon cher Maurice, je vais donc continuer ce petit journal que tu aimes tant

EUGÉNIE DE GUÉRIN, Journal intime,  1834, page 3. 

Ø 64. Ô mes bien-aimés paroissiens! Entrons sans délai dans les voies du salut...

RODOLPHE TOEPFFER, Nouvelles genevoises,  1839, page 56. 

Ø 65. Tout étant alors en ordre, les ducs employèrent « leurs chers et bien-aimés habitants de Phalsbourg à relever et rhabiller les remparts, à bâtir les deux portes d'Allemagne et de France en pierres de taille et roches... »

ÉMILE ERCKMANN ET ALEXANDRE CHATRIAN, DITS ERCKMANN-CHATRIAN, Histoire d'un paysan, tome 1, 1870, page 8. 

Ø 66. Ô ma bien-aimée petite amie, nous retrouverons-nous jamais là-bas, —  dans notre chère île, —  assis le soir sur les plages de corail?...

JULIEN VIAUD, DIT PIERRE LOTI, Le Mariage de Loti,  1882, page 288. 

Ø 67. Voici le testament de ma bien-aimée mère : Je, soussignée, Anne-Catherine-Geneviève-Mathilde de Croixluce, épouse légitime de Jean-Léopold-Joseph-Gontran de Courcils, saine de corps et d'esprit, exprime ici mes dernières volontés.

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, Le Testament, 1882, page 664. 

Ø 68.... Tant mieux pour les maîtres, et autant de gagné pour moi,

Puisque le triple-six me tombe de cette torche!

Ceci seulement! Soulever la bien-aimée main,

Avec cette main, du maître qui est là.

PAUL CLAUDEL, Agamemnon, traduit d'Eschyle, 1896, page 864. 

b) Rare.  [Le substantif désigne un inanimé] :

Ø 69. Dors, mon bon poignard, dors, vieux compagnon fidèle,

Dors, bercé dans ma main, patriote trésor!

Tu dois être bien las? Sur toi le sang ruisselle,

Et du choc de cent coups ta lame vibre encor!

Suspendue à mon flanc, bien-aimée estocade,

Toujours tu sonneras... Je baise ton acier!

Et d'opimes joyaux, même dans la décade,

Couverte tu seras comme un riche coursier.

PETRUS BOREL, Rhapsodies,  1831, page 43. 

Ø 70. Ses papillotes noires —  ses pauvres bien-aimées papillotes qui n'ont pas changé de forme, mais qui sont, hélas! éclaircies et toutes blanches aujourd'hui —  n'étaient alors mêlées d'aucun fil d'argent.

JULIEN VIAUD, DIT PIERRE LOTI, Le Roman d'un enfant,  1890, page 21. 

B.—  Emploi comme substantif.  [Ordinairement avec un adjectif possessif] 

1. Au singulier masculin et surtout féminin.  [Fréquemment en emploi allocutif ou en apostrophe] :

Ø 71. Adieu, ma bien-aimée, un baiser sur ta bouche; un autre, sur ton coeur, et un autre sur ton petit absent.

NAPOLÉON 1ER, Lettres à Joséphine,  1796, page 43. 

Ø 72. Choeur de femmes.

L'ombre des bois d'Aser est toute parfumée.

Quel est celui qui vient par le frais chemin vert?

Est-ce le bien-aimé qu'attend la bien-aimée?

Il est jeune, il est doux. Il monte du désert

Comme de l'encensoir s'élève une fumée.

Est-ce le bien-aimé qu'attend la bien-aimée?

VICTOR HUGO, La Fin de Satan, Le Gibet de Jésus-Christ, 1885, page 840. 

Ø 73. Tel le poète que secoue l'inspiration, tel le compositeur qui improvise, tel, dans le lit, l'homme tenant la bien-aimée nue lui fait prendre la forme qu'il veut avec ses longues caresses tâtonnantes, tel Alban façonne le taureau, son élan et son âme, façonne la vie qui se dévore elle-même à mesure, dans l'ivresse et la douleur de la création.

HENRI DE MONTHERLANT, Les Bestiaires,  1926, page 560. 

—   [Dans la langue des mystiques, pour désigner Dieu] :

Ø 74. Rien ne saurait surpasser la douce clémence qui présida à l'origine de ces célestes communications. Un jour que la veuve affligée cherchait intérieurement son bien-aimé avec ferveur et anxiété, sans pouvoir le trouver, sa pensée vint s'arrêter sur les causes de la fuite de Jésus en Égypte, et elle conçut un vif désir d'en être instruite par quelque saint moine.

CHARLES, COMTE DE MONTALEMBERT, Histoire de Sainte Elisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringe (1207-1231),  1836, page 166. 

2. Au pluriel. 

—   [Pour désigner des membres de la famille, notamment les enfants] :

Ø 75. Il m'est survenu, comme Président de l'Institut, un petit travail qui me cloue ici. Dès que je serai libre j'irai tous vous voir et vous embrasser; j'en ai le désir autant que vous, mes bien-aimés.

VICTOR HUGO, Correspondance,  1842, page 592. 

Ø 76. Les voilà! Ce sont mes deux bien-aimés, pour qui il faut bien que je me donne un peu de la peine. Tes enfants, Georges, et dis! Les miens aussi...

PAUL CLAUDEL, L'Otage,  1911, I, 1, page 221. 

—  Par comparaison.  [En parlant de choses] :

Ø 77. Plus tard, quand on n'y est plus, on s'aperçoit que ces rues vous sont chères, que ces toits, ces fenêtres et ces portes vous manquent, que ces murailles vous sont nécessaires, que ces arbres sont vos bien-aimés, que ces maisons où l'on n'entrait pas on y entrait tous les jours, et qu'on a laissé de ses entrailles, de son sang et de son coeur dans ces pavés.

VICTOR HUGO, Les Misérables, tome 1, 1862, page 536. 

—  Spécialement.  [En parlant des absents défunts ou en danger de mort] :

Ø 78. J'entendais tout à coup Édouard éclater en un long sanglot. Ces chants, ces modulations, ces plaintes musicales avaient fait tout à coup remonter à la surface de nos coeurs, saignantes et vives, des douleurs enterrées, et tous deux, nous repleurions nos bien-aimés.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  août 1874, pages 991-992. 

Ø 79. Mais nos amis disparus emportèrent avec eux, dans la mort, les poètes que nous avions chéris ensemble : à mesure que nous nous éloignions de notre jeunesse et des tombes où nos bien-aimés sont redevenus poussière, le souvenir de Maurice de Guérin pâlissait, s'effaçait.

FRANÇOIS MAURIAC, Journal 1,  1934, page 90. 

Ø 80. Lorsque, dans cet août glorieux de la délivrance, nous nous disions : « À Noël, peut-être... » ce n'était pas ce sursaut redoutable de l'ennemi que nous envisagions, ni cette blessure rouverte au flanc de la Belgique, ni cette angoisse de la France sans armes. Nous songions au retour de nos bien-aimés, à une messe de minuit qui eût été une messe d'action de grâce, à tous ces rires, à toute cette joie, autour d'une table illuminée...

FRANÇOIS MAURIAC, Le Baîllon dénoué,  1945, pages 464-465. 

Remarque : 1. La présence d'un trait d'union souligne le caractère de syntagme figé de bien-aimé. Cependant, à l'intérieur de la période ici considérée, il est possible de relever sporadiquement des syntagmes moins figés, depuis l'emploi participial-passif : 

Ø 81. Les morts doivent avoir été bien-aimés dans leur vie pour qu'à Paris, où tout le monde voudrait trouver une vingt-cinquième heure à chaque journée, on suive un parent ou un ami jusqu'au cimetière.

HONORÉ DE BALZAC, Le Cousin Pons,  1848, page 294. 

jusqu'au remplacement de bien par un autre adverbe : 

Ø 82.... si je vaux quelque chose, c'est en raison de cette faculté panthéistique et aussi de cette âpreté qui t'a blessée. Allons, n'en parlons plus. J'ai eu tort, j'ai été sot. J'ai fait avec toi ce que j'ai fait en d'autres temps avec mes mieux aimés : je leur ai montré le fond du sac, et la poussière âcre qui en sortait les a pris à la gorge.

GUSTAVE FLAUBERT, Correspondance,  1846, page 239. 

Ø 83.... Et vois, moi, comme je souffre! Ô Violaine! Pourquoi as-tu fait cela? Ô ma très aimée, souillée de ce grossier péché!

PAUL CLAUDEL, La Jeune fille Violaine, 1re version, 1892, page 517. 

Remarque : 2. L'antonyme mal aimé, qui s'écrit sans trait d'union, semble de date plus récente (confer F. MAURIAC, Les Mal Aimés, 1945), et peut être jalonné d'exemple qui illustrent sa lexicalisation progressive : 

Ø 84. Elle était dans son droit, en rompant les liens qui la meurtrissaient.

—  Ce n'est pas sa faute, pensait-il. C'est la mienne. Je l'ai mal aimée. Pourtant, je l'aimais bien. Mais je n'ai pas su l'aimer, puisque je n'ai pas su me faire aimer.

ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, Les Amies, 1910, page 1233. 

Ø 85. Mais la vaniteuse avait bien pu lui conter ses succès d'autrefois, et ce mal aimé est trop fier de nous donner à entendre qu'il l'a été au moins une fois d'une grande dame que de beaux esprits avaient tenu à honneur de courtiser.

JEAN GUÉHENNO, Jean-Jacques, En marge des \"Confessions\", 1948, pages 44-45. 

Ø 86.... quand Zaza, au lieu de se comporter en membre du clan, se retrouvait tout juste elle-même, elle se découvrait un tas de défauts : elle était laide, disgraciée, peu aimable, mal aimée. Elle compensait par la raillerie ce sentiment d'infériorité.

SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, page 118. 

Remarque : 3. L'influence de la langue biblique (Cantique des Cantiques et Évangile et Épître de saint Jean) est sous-jacente à plusieurs emplois et notamment aussi à la construction bien-aimé de ... : 

Ø 87. Quand on sort du théâtre d'art, on a envie d'appeler sa femme la bien-aimée de son âme et la bonne, fille de Jérusalem. Je trouve ça très dansant, le Cantique de Salomon.  

JULES RENARD, Journal,  1891, page 104. 

Ø 88. Venez, les bien-aimés de mon père et que celui qui a faim et soif boive et mange!

PAUL CLAUDEL, Processionnal pour saluer le siècle nouveau, 1910, page 298. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 8 998. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 14 352, b) 12 614; XXe.  siècle : a) 13 478, b) 11 154. 

 

Forme dérivée du verbe \"aimer\"

 aimer

AIMER, verbe transitif.  

[Le sujet désigne généralement une personne ou un être animé]  Éprouver, par affinité naturelle ou élective, une forte attirance pour quelqu'un ou quelque chose. 

I.—  [L'objet est un nom ou un pronom] 

A.—  Emploi transitif. 

1. [L'objet désigne une personne ou un être assimilé à une personne; l'accent est mis sur le lien affectif] 

a) [Le substantif correspondant est amour] 

—   [Avec une idée de lien moral et/ou spirituel] 

·    [L'objet désigne des membres de la famille naturelle]  Aimer ses parents, ses enfants : 

Ø 1. Vous perdrez un père qui avait tâché de substituer la raison au sentiment, et qui ne vous en aimait pas moins; son esprit était véritablement dupe de son coeur,... 

GABRIEL SÉNAC DE MEILHAN, L'Émigré,  1797, page 1836. 

Ø 2....dès que la raison vint à poindre, je me mis fort à t'aimer, ce qui dure encore. Maman était contente de cette union, de cette affection fraternelle, et te voyait avec charme sur mes genoux, enfant sur enfant, coeur sur coeur, comme à présent, les sentiments grandis seulement.

MAURICE DE GUÉRIN, Journal intime,  1838, page 180. 

Ø 3. Elle mourut en couches. Il en faillit mourir aussi... Mais la vue de l'enfant lui donna du courage : un petit être crispé qui geignait. Il l'aima d'un amour passionné et douloureux, d'un amour malade où restait le souvenir de la mort, mais où survivait quelque chose de son adoration pour la morte.

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 2, Le Petit, 1883, page 389. 

Ø 4. Nous aimions beaucoup nos parents, mais il fallait toute notre indulgence pour leur pardonner des exigences aussi baroques que celle de vouloir nous imposer leurs amis, comme si les amis étaient quelque chose dont on pouvait hériter.

ELSA TRIOLET, Le Premier accroc coûte deux cents francs, 1945, page 300. 

Ø 5. Il savait ce que sa mère pensait et qu'elle l'aimait en ce moment. Mais il savait aussi que ce n'est pas grand-chose que d'aimer un être ou du moins qu'un amour n'est jamais assez fort pour trouver sa propre expression. Ainsi, sa mère et lui s'aimeraient toujours dans le silence. Et elle mourrait à son tour, ou lui, sans que, pendant toute leur vie, ils pussent aller plus loin dans l'aveu de leur tendresse. 

ALBERT CAMUS, La Peste,  1947, page 1456. 

·    Par analogie.  [L'objet désigne un être spirituel ou un être envisagé comme tel]  Aimer Dieu, son prochain : 

Ø 6. Ne craignez point de massacrer vos frères au nom du Dieu qui vous ordonne de les aimer; il n'y a point là de contradiction, hommes de peu de foi. C'est par amour que nous les tuons : nous en égorgerons cent mille; mais nous circoncirons les autres. D'ailleurs il y a une différence si prodigieuse entre des infidèles et des vrais croyans, qu'il n'est pas bien prouvé que ceux-là soient aussi des hommes. Ainsi parla l'imposture appuyée sur le fanatisme, insultant à la raison pour se soustraire à l'examen, divinisant l'absurdité par l'audace et semant les haines pour obtenir l'empire.

ÉTIENNE PIVERT DE SENANCOUR, Rêveries sur la nature primitive de l'homme,  1799, page 130. 

Ø 7. Mais à quoi servirait la foi des philosophes quand on est malheureux? Qu'attendre d'un être inaccessible [Dieu] , si loin, si loin de l'homme qu'on ne peut pas l'aimer en l'adorant, et le coeur, cependant, veut aimer ce qu'il adore et adorer ce qu'il aime; ce qui s'est fait quand Dieu s'est fait chair, quand il a habité parmi nous. De cette condescendance infinie nous est venue notre foi confiante.

EUGÉNIE DE GUÉRIN, Journal intime,  1838, page 219. 

Ø 8. « Avez-vous aimé quelqu'un ou quelque chose autant que Dieu? L'avez-vous aimé de toute votre âme, de tout votre coeur, de toute l'énergie de votre amour? » Sabot suait de l'effort de sa pensée. Il répondit : « Non. Oh non, m'sieu l'curé. J'aime l'bon Dieu autant que j'peux. Ça —  oui —  j'l'aime bien. Dire que j'aime point m's'éfants, non : j'peux pas. Dire que s'il fallait choisir entre eux et l'bon Dieu, pour ça je n'dis pas ».

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 2, La Confession de Théodule Sabot, 1883, page 41. 

Ø 9. Vous savez la fragilité de l'amour sexuel, que sa naissance dépend de la matité d'un teint, et sa mort d'une ride. Voyez donc le coeur du moine qui aime chaque pécheur et tout de suite, sans choisir ni se lasser!...

JOSÉPHIN PÉLADAN, Le Vice suprême,  1884, page 287. 

Ø 10. À celui-là, il n'est pas difficile de croire que Dieu nous a aimés, et qu'il nous aime plus ardemment aujourd'hui qu'il nous broie. Pour les âmes moins généreuses, pour toutes celles qui subissent la tentation du désespoir, l'effort doit porter sur ce point de notre croyance : nous sommes aimés. Quel texte aiderait mieux leur méditation que la prière de Pascal Pour le bon usage des maladies?

FRANÇOIS MAURIAC, Journal 3,  1940, page 283. 

Ø 11.... —  j'aurais voulu être un saint comme les saints des premiers temps. Depuis mon enfance, cette idée m'était familière que je serais l'ami de Dieu. J'aimais Dieu. J'ai aimé Dieu avant de le craindre. Maintenant, tout a changé.

JULIEN GREEN, Moïra,  1950, page 191. 

·    Par extension.  [L'objet désigne la communauté naturelle à laquelle on appartient, ou celui ou ce qui la symbolise]  Aimer son pays, le souverain : 

Ø 12. Témoignons un vrai patriotisme qui fera rougir celui des soi-disant libéraux, ces damnés intrigants, hein? Crois-tu que je n'aime pas mon pays? Je veux montrer aux libéraux, à mes ennemis, qu'aimer le roi, c'est aimer la France!

HONORÉ DE BALZAC, Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau,  1837, page 10. 

Ø 13. Paris, 8 décembre 1869. Mes malles encore pleines encombraient la salle à manger. J'étais assis devant une table chargée de ces bonnes choses que le pays de France produit pour les gourmets. Je mangeais d'un pâté de Chartres, qui seul ferait aimer la Patrie.

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Le Crime de Sylvestre Bonnard,  1881, page 325. 

Ø 14.... il les éleva [les mains] soudain en un geste dramatique.

—  Si la France périssait, déclara-t-il, ça serait comme qui dirait aussi pire pour le monde que si le soleil tombait. On fit silence. Tous ces hommes, même les plus durs, les plus taciturnes, aimaient la France. Il leur était resté à travers les siècles un mystérieux et tendre attachement pour leur pays d'origine, une clarté diffuse au fond de l'être, une vague nostalgie quotidienne qui trouvait rarement à s'exprimer mais qui tenait à eux comme leur foi tenace et comme leur langue encore naïvement belle.

GABRIELLE ROY, Bonheur d'occasion,  1945, pages 362-363. 

Ø 15.... seul en face de la Russie, Staline la vit mystérieuse, plus forte et plus durable que toutes les théories et que tous les régimes. Il l'aima à sa manière. Elle-même l'accepta comme un tsar pour le temps d'une période terrible et supporta le Bolchevisme pour s'en servir comme d'un instrument. Rassembler les Slaves, écraser les Germaniques, s'étendre en Asie, accéder aux mers libres, c'étaient les rêves de la Patrie, ce furent les buts du despote.

CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, Le Salut, 1959, page 61. 

—   [Avec une idée de passion de nature affective ou physique]  Aimer tel homme, telle femme : 

Ø 16. M. de Staël est parfait pour moi. S'il sait vous voir comme il parle de vous, il sera un ange, mais cela ne fait pas que sa conversation m'enchante. Je l'aime de toute la puissance de ma raison. 

GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Lettres inédites à Louis de Narbonne, 1793, page 142. 

Ø 17. Un homme de qualité se marie sans aimer sa femme, prend une fille d'Opéra, qu'il quitte en disant : « c'est comme ma femme »; prend une femme honnête pour varier, et quitte celle-ci en disant : « c'est comme une telle »; ainsi de suite.

NICOLAS-SÉBASTIEN ROCH, DIT DE CHAMFORT, Caractères et anecdotes,  1794, page 104. 

Ø 18. Mon amour, aime-moi. Sur l'herbe chaque soir,

Au coucher du soleil, nous viendrons nous asseoir.

Je te ferai ceci et cela pour te plaire. 

ANDRÉ CHÉNIER, Bucoliques, Aveux, propos et plaintes, 1794, page 146. 

Ø 19. En possédant cette femme, Eugène s'aperçut que jusqu'alors il ne l'avait que désirée, il ne l'aima qu'au lendemain du bonheur : l'amour n'est peut-être que la reconnaissance du plaisir. 

HONORÉ DE BALZAC, Le Père Goriot,  1835, page 277. 

Ø 20. Tu prodigues des serments de fidélité à deux hommes eh bien, où est le si grand mal, si tu les aimes tous les deux?

—  C'est faux, bohémienne! Je te couperai la langue.

—  Charmante! Ce n'est pas ma langue qui a menti, c'est ta main; elle est trop jolie pour qu'on la coupe.

Et en la lui baisant, la bohémienne ajouta :

—  Calme-toi. J'ai dit : deux hommes; il y a erreur. Soit, tu n'en aimes qu'un, tu trompes l'autre.

LÉON GOZLAN, Le Notaire de Chantilly,  1836, page 145. 

Ø 21. Qu'ils racontent une anecdote, qu'ils rendent compte de ce qu'ils ont éprouvé, toujours le mot sale et physique, toujours la lettre, toujours la mort. Ils ne disent pas : cette femme m'a aimé; ils disent : j'ai eu cette femme; ils ne disent pas : j'aime; ils disent : j'ai envie; ils ne disent jamais : Dieu le veuille! ils disent partout : si je voulais! 

ALFRED DE MUSSET, La Confession d'un enfant du siècle,  1836, page 318. 

Ø 22. J'étais jaloux, très jaloux, ce qui prouve que je vous aimais. Je vous ai battue, ce qui le prouve davantage encore, et battue très fort, ce qui le démontre victorieusement.

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, La Revanche, 1884, page 980. 

Ø 23.... elle n'avait plus de lui que ces caresses d'habitude, données ainsi qu'une aumône aux femmes dont on se détache; et, comment l'aimer encore, quand il s'échappait de ses bras, qu'il montrait un air d'ennui dans les étreintes ardentes dont elle l'étouffait toujours? Comment l'aimer, si elle ne l'aimait pas de cette autre affection de chaque minute, en adoration devant lui, s'immolant sans cesse?

ÉMILE ZOLA, L'Œuvre,  1886, page 228. 

Ø 24.... nous avons assez vécu tous les deux pour avoir appris que la désillusion est aussi une bonne condition de bonheur. Je vous aime, monsieur, d'un amour que des années de silence ont concentré, non affaibli. Pour des âmes comme les nôtres, l'amour ne va pas sans le devoir. Prenez-moi telle que je suis, pour une ressuscitée à la vie, décidée à la recommencer avec vous.

ERNEST RENAN, Drames philosophiques, L'Abbesse de Jouarre, 1888, page 678. 

Ø 25.... il n'y a pas de vices qui ne trouvent dans le grand monde des appuis complaisants, et l'on a vu bouleverser l'aménagement d'un château pour faire coucher une soeur près de sa soeur dès qu'on eut appris qu'elle ne l'aimait pas qu'en soeur.

MARCEL PROUST, À la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922, page 716. 

Ø 26.... en entendant M. de Charlus dire, de cette voix aiguë et avec ce sourire et ces gestes de bras : « Non, j'ai préféré sa voisine, la fraisette », on pouvait dire : « Tiens, il aime le sexe fort », avec la même certitude que celle qui permet de condamner, pour un juge, un criminel qui n'a pas avoué, pour un médecin, un paralytique général qui ne sait peut-être pas lui-même son mal, mais qui a fait telles fautes de prononciation d'où on peut déduire qu'il sera mort dans trois ans.

MARCEL PROUST, À la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922 page 966. 

Ø 27.... elle voulait détester Vidame, détester ses manières de faux aristocrate dédaigneux, sa suffisance et ses railleries parfois triviales. Elle ne l'aimait pas, elle ne l'aimerait jamais; il lui inspirait une secrète et inexplicable aversion. 

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Suzanne et les jeunes hommes, 1941, page 82. 

Ø 28. Je voudrais te dire tous les vieux mots d'amour, les mots usés qui sont vrais une fois dans la vie d'un homme... si je te dis que je t'aime à la folie, c'est que c'est vrai, c'est que je deviens fou d'amour!

ELSA TRIOLET, Le Premier accroc coûte deux cents francs, 1945, page 57. 

—  emploi absolu.  [L'objet est/n'est pas suggéré par le contexte]  Être amoureux : 

Ø 29. Lorsque je lis un roman, celui qui aime le plus vivement a toujours raison à mes yeux.

GABRIEL SÉNAC DE MEILHAN, L'Émigré,  1797, page 1657. 

Ø 30.... le verbe est la parole par excellence, parce qu'il est l'expression exacte de l'être intelligent, et de toutes ses manières d'être, de pensée, de sentiment et d'action, et que nul autre que l'être intelligent ne peut dire, je veux, j'aime, j'agis, je suis. 

LOUIS-GABRIEL A. DE BONALD, Législation primitive considérée dans les derniers temps par les seules ténèbres de la raison, tome 1, 1802, page 254. 

Ø 31.... quoique la beauté soit beaucoup, ce n'est pas assez cependant pour inspirer un attachement durable. —  Madame, répondit l'Archevêque, nous ne sommes point ici en Europe, où les femmes, libres dans leur choix, ont besoin de temps pour aimer et pour être aimées, parce qu'elles ne peuvent former que des liens exclusifs et indissolubles, que le bonheur de ces liens ne s'appuie que sur des vertus, et que les vertus ne se découvrent qu'avec l'aide du temps...

SOPHIE COTTIN, Mathilde, tome 1, 1805, page 128. 

Ø 32. Qu'il aime peu, celui qui peut dire de quelles paroles s'est servie sa maîtresse pour lui avouer qu'elle l'aimait! 

ALFRED DE MUSSET, La Confession d'un enfant du siècle, 1836, page 209. 

Ø 33. Une aimable et belle étrangère qui est à Paris disait : « On n'aime plus. Que je serais donc heureuse d'être aimée comme les Français aiment leurs propriétés! »

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Les Cahiers,  1869, page 102. 

Ø 34.... elle t'aime; elle t'aime passionnément, comme une femme chaste qui n'a jamais aimé. Quarante ans est un âge terrible pour les femmes honnêtes, quand elles ont des sens; elles deviennent folles et font des folies.

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, Une Passion, 1882, page 825. 

Ø 35.... les hommes ne savent jamais comment il faut aimer. Rien ne les contente. Tout ce qu'ils savent, c'est rêver, imaginer de nouveaux devoirs, chercher de nouveaux pays et de nouvelles demeures. Tandis que nous, nous savons qu'il faut se dépêcher d'aimer, partager le même lit, se donner la main, craindre l'absence.

ALBERT CAMUS, Le Malentendu,  1944, I, 4, page 127. 

Ø 36. —  Vous vous haïssez tous, cria-t-il d'une voix étranglée, puérile. Aimer, dans votre langue, ça veut dire « aide-moi à souffrir, souffre pour moi, souffrons ensemble ». Vous haïssez votre plaisir. Oui, vous haïssez votre corps d'une haine sournoise, oui, vous haïssez votre corps d'une haine sournoise, amère.

GEORGES BERNANOS, Un Mauvais rêve,  1948, page 969. 

Ø 37. Du moment qu'on aime, on n'est pas libre. Mais ce n'est tout de même pas pareil d'aimer quelqu'un qui se croit des droits sur vous ou quelqu'un qui ne s'en croit aucun.

SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins,  1954, page 448. 

—  En particulier.  Accomplir l'union sexuelle : 

Ø 38. Jusqu'alors irréprochable, cette malheureuse enfant écouta les tentations auxquelles l'exposait plus que d'autres (qui la blâmeront trop vite peut-être) le milieu où son état la contraignait de vivre. Bref, elle fit une faute : —  elle aima. Ce fut sa première faute; mais qui donc a sondé l'abîme où peut nous entraîner une première faute? Un jeune étudiant candide, beau, doué d'une âme artiste et passionnée, mais pauvre comme Job, un nommé Maxime, dont nous taisons le nom de famille, lui conta des douceurs et la mit à mal. 

PHILIPPE AUGUSTE MATHIAS DE VILLIERS DE L'ISLE-ADAM, Contes cruels, Les Demoiselles de Bienfilatre, 1883, page 12. 

—  Plus généralement (proverbe) Qui aime bien châtie bien. 

Remarque : 1. Le complément d'objet peut être remplacé par un adverbe (ailleurs = « quelqu'un d'autre ») :

39. ... Octave ne passait plus devant la porte de Marie sans entrer, repris d'un singulier goût, d'un coup de passion, qu'il ne s'avouait même pas; il adorait Berthe, il la désirait follement, et, dans ce besoin de l'avoir, renaissait pour l'autre une tendresse infinie, un amour dont il n'avait jamais éprouvé la douceur, au temps de leur liaison. C'était un charme continuel à la regarder, à la toucher, des plaisanteries, des taquineries, les jeux de main d'un homme qui voudrait reprendre une femme, avec la secrète gêne d'aimer ailleurs. 

É. ZOLA, Pot-Bouille, 1882, page 260.

ou une (locutions) préposition Confer M. PROUST, À la recherche du temps perdu, La Prisonnière, 1922, page 92 :  « Nous étions résignés à la souffrance, croyant \" Nous étions résignés à la souffrance, croyant aimer en dehors de nous... » \" 

Remarque : 2. Dans la langue classique ou littéraire, la personne aimée peut être désignée par le mot objet ou par le pronom ce :

40. Sans doute, c'est par l'amour que l'éternité peut être comprise; il confond toutes les notions du temps; il efface les idées de commencement et de fin; on croit avoir toujours aimé l'objet qu'on aime, tant il est difficile de concevoir qu'on ait pu vivre sans lui.

G. DE STAËL, Corinne, tome 2, 1807, page 32.

41. ... est-il quelque chose de plus amusant, de plus original que de payer sa propre femme? On n'aime bien, en amour illégitime, que ce qui coûte cher, très cher. Vous donnez à notre amour... légitime, un prix nouveau, une saveur de débauche, un ragoût de... polissonnerie en le tarifant comme un amour coté.

G. DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, Au bord du lit, 1883, page 901.

42. Il y a des moments où c'est trop et c'est trop et c'est trop et c'est assez, et je n'en puis plus, et je suis trop seule, arrachée, arrachée à ce que j'aime! Et je suis trop malheureuse, et je suis trop punie, et je prie de mourir, et j'ai peur de mourir, et je suis contente de mourir!

P. CLAUDEL, Partage de midi, 1949, III, page 1129. 

b) [Avec une idée de choix et de désintéressement; le substantif correspondant est amitié]  Aimer quelqu'un [comme un(e) ami(e)] : 

Ø 43.... l'opinion est un peu comme les balances; elle hausse et baisse jusqu'à ce qu'elle ait trouvé le point juste de l'équilibre. Alors elle s'arrête, et laisse en repos l'intérêt et l'inquiétude de ceux qui nous aiment. Quand je dis « ceux », je crois pourtant que c'est « celui », et je me livre à penser que tu es distingué en sentiment pour moi.

GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Lettres de jeunesse,  1786, pages 78-79. 

Ø 44.... cette année, au mois de septembre, à quatre heures du soir, par un temps gris et brumeux, j'ai embrassé pour le quitter un homme que j'aime de cette affection ardente et qui ne ressemble à nulle autre, allumée au fond de l'âme je ne sais par quelle étrange puissance réservée aux hommes de génie. M. Féli m'a mené dans la vie neuf mois durant, au bout desquels le fatal carrefour s'est rencontré. —  L'habitude de vivre avec lui faisait que je ne prenais pas garde à ce qui se passait dans mon âme; mais depuis que je ne le vois plus, j'y ai trouvé comme un grand déchirement qui s'est fait au moment de la séparation.

MAURICE DE GUÉRIN, Journal intime,  1833, page 180. 

Ø 45.... et il faut toujours écrire, être toujours neuf, jeune, ingénieux, et achever mon histoire de la société moderne en action. Je puis vous dire ces choses à vous, qui êtes une vieille connaissance et qui m'aimez un peu, malgré l'isolement, les séparations et n [os] traverses, car n [ous] sommes deux vieux lutteurs et nous sommes liés par une estime réciproque. 

HONORÉ DE BALZAC, Correspondance,  1839, page 643. 

Ø 46.... Hubert dit, presque bas :

—  J'allais vous proposer une sorte de traité secret, demoiselle qui n'aimez personne. Car il doit être bien entendu que vous n'aimez personne. 

—  C'est vrai, je n'aime personne, parce que j'aime tout le monde. Je pensais même à me faire inscrire au club des indifférents. 

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Suzanne et les jeunes hommes, 1941, page 190. 

Ø 47. L'autre jour, un religieux que j'aime beaucoup m'appelle au téléphone et me dit : « Je veux vous rassurer au sujet de l'enfer. »

JULIEN GREEN, Journal,  1949, page 246. 

Ø 48. Un jour de décembre, sur les instances de Mme.  d'Houdetot et parce qu'il aimait encore son ami, Diderot s'était décidé à venir à l'ermitage pour consoler Jean-Jacques et le rendre à lui-même et pour savoir enfin la vérité de tous ces ragots qui lui revenaient.

JEAN GUÉHENNO, Jean-Jacques, Roman et vérité, 1950, page 240. 

—  Emploi absolu : 

Ø 49. Celui qui aime son amie ou son ami l'aime dans le présent et la révolution ne veut aimer qu'un homme qui n'est pas encore là. Aimer, d'une certaine manière, c'est tuer l'homme accompli qui doit naître par la révolution. Pour vivre un jour, en effet, il doit être, dès aujourd'hui, préféré à tout. Dans le règne des personnes, les hommes se lient d'affection; dans l'empire des choses, les hommes s'unissent par la délation.

ALBERT CAMUS, L'Homme révolté,  1951, page 294. 

c) Par analogie.  [Le sujet ou l'objet désigne un animal vivant dans l'entourage d'une personne; substantif correspondant : attachement]  Aimer son chien, le chien aime son maître : 

Ø 50. L'aveugle, à qui tout pouvoit nuire,

Étoit sans guide, sans soutien,

Sans avoir même un pauvre chien

Pour l'aimer et pour le conduire.

JEAN-PIERRE CLARIS DE FLORIAN, Fables, L'Aveugle et le paralytique, 1792, page 64. 

Ø 51. Je viens de dire que j'aurais pu la tuer comme on assomme un chien qui désobéit! Je l'aimais en effet, un peu comme on aime un animal très rare, chien ou cheval, impossible à remplacer. C'était une bête admirable, une bête sensuelle, une bête à plaisir, qui avait un corps de femme.

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, Allouma, 1889, page 1325. 

2. [L'objet désigne une valeur, ou un être ou un objet, etc. auquel on attache une valeur; substantif correspondant : goût, prédilection pour] 

a) [L'objet désigne un élément mis en valeur dans un être ou dans un objet] 

—   [Le complément d'objet est déterminé par un complément de nom ou un adjectif possessif ou démonstratif]  Aimer le visage de quelqu'un, aimer son sourire : 

Ø 52. Emmanuel scrutait le visage de Florentine et, au delà de ce visage qu'il aimait depuis si peu de temps, les quelques paroles, les quelques gestes qui résumaient la connaissance qu'il avait d'elle.

GABRIELLE ROY, Bonheur d'occasion,  1945, page 418. 

Ø 53. Elle n'était pas seule, et cet étudiant en droit qui ne voulait jamais la quitter se trouvait maintenant à ses côtés. Elle avait fini par l'accepter, bien qu'il fût un peu petit et qu'elle n'aimât pas beaucoup son rire avide et bref, ni ses yeux noirs trop saillants. Mais elle aimait son courage à vivre, qu'il partageait avec les Français de ce pays. Elle aimait aussi son air déconfit quand les événements, ou les hommes, trompaient son attente.

ALBERT CAMUS, L'Exil et le royaume,  1957, page 1558. 

Remarque : L'exemple suivant offre une combinaison de cette tournure et des tournures suivantes :  \" Je n'aime de vous ni votre visage, ni votre corps, ni votre présence... \" (HENRI DE MONTHERLANT, Les Jeunes filles, 1936, page 10). 

—   [Le complément d'objet est accompagné d'un complément circonstanciel indiquant le tout auquel appartient l'élément considéré] 

·    Aimer quelque chose en (dans) quelqu'un : 

Ø 54.... jamais le comte ne paraît trop vieux. Il a trente-sept ans; mais il n'a pas l'air de les avoir. On ne sait d'abord ce qu'on aime le plus en lui, ou de sa figure noble et élevée, ou de son esprit, qui est toujours agréable,...

BARBARA JULIANE VON VIETINGHOFF, BARONNE DE KRÜDENER, Valérie,  1803, page 9. 

Ø 55.... il est aisé de comprendre comment une femme qui s'est beaucoup occupée des lettres et des beaux-arts, peut aimer dans un homme des qualités et même des goûts qui diffèrent des siens. L'on est si souvent lassé de soi-même, qu'on ne peut être séduit par ce qui nous ressemble :...

GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Corinne ou l'Italie, tome 3, 1807, page 91. 

Ø 56. Ce sont d'autres raisons que des raisons d'esthétique qui ont fait la fortune des Rougon-Macquart : ce que goûte le public dans M. Zola, c'est beaucoup moins l'artiste que le descripteur sans vergogne. M. Daudet, par un rare privilège, plaît à tout le monde : mais pensez-vous que la foule et les « habiles » aiment en lui exactement les mêmes choses?

JULES LEMAÎTRE, Les Contemporains,  1885, page 82. 

Ø 57.... « Ma mère était ainsi, j'aimais en elle le même effacement et c'est elle que j'ai toujours voulu rejoindre. Il y a huit ans, je ne peux pas dire qu'elle soit morte. Elle s'est seulement effacée un peu plus que d'habitude, et, quand je me suis retourné, elle n'était plus là. »

ALBERT CAMUS, La Peste,  1947, page 1444. 

·    Rare. Aimer quelqu'un en quelqu'un : 

Ø 58. Est-ce s'avilir que vous tant supplier? Non : je n'aime en vous que vous-même, et à quelque excès que le sentiment soit porté quand il n'est accru, multiplié, que par lui-même, il reste encore honorable.

GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Lettres inédites à Louis de Narbonne, 1794, page 249. 

Ø 59. Moi qui m'interroge toujours avec soupçon sur les sentiments que j'inspire, je ne me demandai jamais qui Lewis aimait en moi : j'étais sûre que c'était moi. Il ne connaissait ni mon pays, ni mon langage, ni mes amis, ni mes soucis : rien que ma voix, mes yeux, ma peau; mais je n'avais pas d'autre vérité que cette peau, cette voix, ces yeux.

SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins,  1954, page 328. 

·    Aimer quelque chose dans quelque chose : 

Ø 60.... l'oeuvre d'art, c'est à la fois l'objet exprimé et l'expression même, la traduction et l'interprétation de cet objet : mais quand l'objet est entièrement, absolument laid et plat, on est bien sûr alors que ce qu'on aime dans l'oeuvre d'art, c'est l'art tout seul. L'art pur, l'art suprême n'existe que s'il s'exerce sur des laideurs et des platitudes.

JULES LEMAÎTRE, Les Contemporains,  1885 page 317. 

Remarque : 1. À une époque récente, on rencontre aimer quelque chose chez quelqu'un. Confer MARCEL PROUST, À la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922, page 816 : \" il aime chez lui (...) un effort momentanément (...) fraternel \"; JULES ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, Le 6 octobre, 1932, page 120 :  \" Ce qu'elle aime chez un homme, c'est moins l'homme lui-même que l'ardeur ou la tendresse qu'il lui témoigne. \" 

Remarque : 2. Plus rarement, les rapports sont inversés, le tout étant exprimé dans le complément d'objet et l'élément dans le complément circonstanciel : 

Ø 61....affectant d'aimer Paris surtout dans ses verrues et le petit monde surtout dans ses vulgarités, il lui [à F. Coppée] est arrivé de « mettre en vers » (l'expression ne convient nulle part mieux) des sujets qui en vérité ne réclamaient point cet ornement et appelaient évidemment la prose.

JULES LEMAÎTRE, Les Contemporains,  1885 page 106. 

Remarque : 3. Ce qu'on aime dans un être ou dans un objet peut s'exprimer par un attribut de l'objet : 

Ø 62. Le conte est chez nous un genre national. Sous le nom de fabliau, puis de nouvelle, il est presque aussi vieux que notre littérature. C'est un goût de la race, qui aime les récits, mais qui est vive et légère et qui, si elle les supporte longs, les préfère parfois courts, et, si elle les aime émouvants, ne les dédaigne pas gaillards.

JULES LEMAÎTRE, Les Contemporains,  1885 page 286. 

Cet emploi est proche de celui où un complément circonstanciel indique la situation (momentanée) où se trouve l'être aimé : 

Ø 63. Notre ami M. d'Éprémesnil est à Paris en très bonne santé. Je ne sais pas s'il nous aime autant dans la prospérité que nous l'aimions dans son malheur. 

GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Lettres de jeunesse,  1788, page 263. 

b) [L'objet désigne une personne ou un inanimé valorisés] 

—   [Il désigne une chose concrète]  Aimer tel(s) tableau(x) : 

Ø 64. Étant riche, je recherchais les meubles anciens et les vieux objets; et souvent je pensais aux mains inconnues qui avaient palpé ces choses, aux yeux qui les avaient admirées, aux coeurs qui les avaient aimées, car on aime les choses!

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 2, La Chevelure, 1884, page 936. 

Ø 65. La lecture de Father and son d'Edmund Gosse est pour moi un plaisir exceptionnel, une sorte de redécouverte de tout un monde que j'avais entrevu dans Mark Rutherford qui, du reste, n'est pas tout à fait sans rapport avec le livre de Gosse. Que j'aime cette économie de mots, cette rigueur dans le choix de l'expression, ce souci perpétuel de dire vrai! Il y a au fond de cela une émotion qui sans cesse affleure et donne à ces phrases contenues et sévères une sorte de palpitation.

JULIEN GREEN, Journal,  1949, page 295. 

—   [Il désigne une personne individuelle ou collective en tant qu'elle représente une valeur; parfois ironique ou sarcastique]  Aimer tel écrivain, tel chef, tel régime politique : 

Ø 66. Je n'aime point Montaigne, bien qu'il ait une admirable sagacité et une imagination plus admirable encore. Il est trop indécis, trop indifférent pour la vérité. Il me repousse et m'indigne par l'universalité de son scepticisme.

CHARLES-JULIEN LIOULT DE CHÊNEDOLLÉ, Extraits du journal,  1833, page 162. 

Ø 67. Le tumulte de la chasse se rapprochait; les fourrés semblaient frémir, et tout à coup, brisant les branches, couvert de sang, secouant les chiens qui s'attachaient à lui, le sanglier passa. Alors le baron, poussant un rire de triomphe, cria : « Qui m'aime me suive! » et il disparut, dans les taillis, comme si la forêt l'eût englouti.

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, Un Coq chanta, 1882, page 811. 

Ø 68. Tous parlèrent à la fois. Aucun n'aimait l'Empire. Le docteur Juillerat condamnait l'expédition du Mexique, l'abbé Mauduit blâmait la reconnaissance du royaume d'Italie.

ÉMILE ZOLA, Pot-Bouille,  1882, page 87. 

Ø 69. Dans ce château de Lunéville, les nôtres furent humiliés. Ce palais ne me parlerait que de Stanislas, un prince bon et fin, je l'accorde, mais entouré de petites femmes et de petits abbés qui, par bel air, raillaient les choses locales et copiaient Versailles. La Lorraine, dit-on, l'aima; c'est qu'elle avait perdu toute conscience de soi-même;...

MAURICE BARRÈS, Un Homme libre,  1889, page 119. 

Ø 70. Moi, dans dix ans, je ferai terriblement ancien régime... passé bien entendu à la révolution, mieux : artisan de la révolution, mais ancien régime quand même... On n'a pas eu impunément vingt ans en 1928, été surréaliste, etc. Je serai ton Fouché.

—  Quelle horreur!

—  Non, j'aime bien Fouché. Corrompu mais efficace, hypocrite mais vrai avec lui-même. Et surtout éternellement irrespectueux : comme j'aime l'irrespect... Cela aussi fera très ancien régime...

ROGER VAILLAND, Drôle de jeu,  1945, page 98. 

c) [L'objet désigne une catégorie ou un type d'êtres ou de choses]  Avoir ou manifester un goût prononcé pour... 

—   [L'objet est un nom au pluriel]  Aimer les enfants, les femmes, les livres : 

Ø 71.... j'aime d'avance ceux qui souffrent. Ainsi, pour moi, votre mélancolie fut un charme, vos malheurs un attrait, et, du moment que vous avez déployé les agréments de votre esprit, toutes mes pensées se sont involontairement rattachées aux doux souvenirs que j'ai conservés de vous.

HONORÉ DE BALZAC, Correspondance,  1822, page 139. 

Ø 72. Du temps de M. Bonderoi, l'ancien notaire, Mme.  Bonderoi utilisait, dit-on, les clercs pour son service particulier. C'est une de ces respectables bourgeoises à vices secrets et à principes inflexibles, comme il en est beaucoup. Elle aimait les beaux garçons; quoi de plus naturel? N'aimons-nous pas les belles filles?

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, Le Remplaçant, 1883, page 867. 

Ø 73. Ils s'intéressent surtout au commerce et ils s'occupent d'abord, selon leur expression, de faire des affaires. Naturellement, ils ont du goût aussi pour les joies simples, ils aiment les femmes, le cinéma et les bains de mer. Mais, très raisonnablement, ils réservent ces plaisirs pour les samedis soirs et les dimanches, essayant les autres jours de la semaine, de gagner beaucoup d'argent.

ALBERT CAMUS, La Peste,  1947, pages 1217-1218. 

Ø 74. Elle aimait les animaux, les fleurs, toutes les choses naturelles; le plus modeste bouquet la ravissait. 

ANDRÉ GIDE, Et nunc manet in te,  1951, page 1142. 

Ø 75. —  Quand j'étais jeune, ça me semblait magique un livre.

—  Moi aussi j'aime les livres, dit Nadine vivement. Seulement il y en a déjà tant! à quoi ça sert d'en fabriquer un de plus?

—  On n'a pas tout à fait les mêmes choses à dire que les autres : on a sa vie à soi, ses rapports à soi avec les choses, avec les mots.

SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins,  1954, page 92. 

Ø 76. Mais a-t-on le temps, en ce monde, d'aimer les choses, de voir les choses de près, quand elles jouissent de leur petitesse. Une seule fois dans ma vie, j'ai vu un jeune lichen naître et s'étendre sur le mur. Quelle jeunesse, quelle vigueur à la gloire de la surface!

GASTON BACHELARD, La Poétique de l'espace,  1957, page 152. 

Ø 77.... rhétoricien, je n'aimais que les mots : je dresserais des cathédrales de paroles sous l'oeil bleu du mot ciel.

JEAN-PAUL SARTRE, Les Mots,  1964, page 152. 

—   [L'objet est un singulier collectif ou à valeur de collectif]  Aimer le peuple : 

Ø 78. Je fis servir un rafraîchissement; Sara prit un air couvert. Cela me surprit! elle aime la pâtisserie. Rien n'était bon; elle rebutait tout, elle demandait à... partir. —  « Vous ne voyez pas, » me dit tout bas la mère, « qu'elle attend de Lamontette ce soir? »

NICOLAS-EDME RESTIF, DIT RESTIF DE LA BRETONNE, Monsieur Nicolas, 1796, page 180. 

Ø 79.... d'Arrast dit qu'il était invité par des amis à la cérémonie de danses, dans les cases. « Ah, oui, dit le juge. Je suis content que vous y alliez. Vous verrez, on ne peut s'empêcher d'aimer notre peuple. »

ALBERT CAMUS, L'Exil et le royaume,  1957, page 1671. 

—  Par analogie, didactique.  [Le sujet désigne une plante, l'objet désigne une condition favorable à son développement]  La vigne aime les pentes ensoleillées. 

—  Par analogie ou au figuré : 

Ø 80. Ah! portons dans les bois ma triste inquiétude.

Ô Camille! l'amour aime la solitude.

ANDRÉ CHÉNIER, Élégies, Les Amours, Camille, 1794, page 61. 

Ø 81. Nous avons un lavoir, que tu n'as pas vu, à la Moulinasse, assez grand et plein d'eau, qui embellit cet enfoncement et attire les oiseaux qui aiment le frais pour chanter.  

EUGÉNIE DE GUÉRIN, Journal intime,  1837, page 127. 

Ø 82. Il pêcha à la ligne, sut distinguer les fonds qu'aime le goujon, ceux que préfère la carpe ou le gardon, les rives favorites de la brème et les diverses amorces qui tentent les divers poissons.

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, Bombard, 1884, page 973. 

d) [L'objet désigne une entité physique ou abstraite]  Aimer la nature, l'art, l'argent : 

Ø 83. Plusieurs gens de lettres croient aimer la gloire et n'aiment que la vanité. Ce sont deux choses bien différentes et même opposées; car l'une est une petite passion, l'autre en est une grande. Il y a, entre la vanité et la gloire, la différence qu'il y a entre un fat et un amant

NICOLAS-SÉBASTIEN ROCH, DIT DE CHAMFORT, Maximes et pensées,  1794, page 72. 

Ø 84. Ma mère est mieux, et cette grande cause de repos me ramène à vous qui êtes une si piquante raison d'aimer la vie. 

GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Lettres diverses,  1794, pages 606-607. 

Ø 85. Celui qui aime la laideur, dans un temps où mille chefs-d'oeuvre peuvent avertir et redresser son goût, n'est pas loin d'aimer le vice;...

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Le Génie du christianisme, tome 2, 1803, page 132. 

Ø 86.... les Athéniens ne jouissaient pas de la campagne comme nous. La plupart ne vivaient guère aux champs, étaient de purs citadins, attachés aux pavés du Pnyx ou de l'Agora. Quant à leurs poètes quelques-uns aiment certes et décrivent la nature mais toujours leurs paysages sont courts et simples, même ceux de Théocrite : à peine un peu de mignardise chez Bion et chez quelques poètes de l'Anthologie. 

JULES LEMAÎTRE, Les Contemporains,  1885, page 146. 

Ø 87. —  Vous aimez donc bien le théâtre, mademoiselle?

La jeune femme ferma les yeux à demi, fit un sourire et dit très bas :

—  On m'a fait lire une pièce italienne que l'on voudrait jouer à Paris et où reviennent sans cesse les mots de fiction et de réalité. Comment vous expliquer, Philippe, que la réalité, je ne la sens, je ne la comprends vraiment que sur la scène?

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Suzanne et les jeunes hommes, 1941, page 138. 

Ø 88. Ah! continua-t-il, j'ai attendu la guerre avec joie et je l'accueille de même. Elle va déblayer le chemin. Pour cette parole-là, le premier imbécile venu me lapiderait, mais s'il savait s'interroger autrement qu'en s'attendrissant sur soi-même et ses petits malheurs, l'imbécile susdit saurait que, lui aussi, aime la guerre comme une fête sacrée...

RAYMOND ABELLIO, Heureux les pacifiques,  1946, page 279. 

Ø 89. Le païen aime la terre pour en jouir et s'y confiner. Le chrétien pour la rendre plus pure et tirer d'elle-même la force de s'en évader.

PIERRE TEILHARD DE CHARDIN, Le Milieu divin,  1955, page 143. 

Ø 90. Le professeur avait toujours joué, parmi nous, un rôle véritablement civique. Il était libéral et idéaliste; il aimait l'Occident, le progrès, la justice, et, en général, tout ce qui est élevé.

ALBERT CAMUS, Les Possédés, adapté de Fédor Dostoïevski, 1959, page 925. 

B.—  Emploi pronominal. 

1. Emploi réciproque.  [Substantif correspondant : amour ou amitié] 

a) [Avec une idée de lien moral ou spirituel] :

Ø 91. Mes frères, commençons par nous aimer; nous nous corrigerons ensuite, et nous nous perfectionnerons réciproquement, si toutefois l'amour ne nous perfectionne pas lui-même.

LOUIS-CLAUDE DE SAINT-MARTIN, L'Homme de désir,  1790, page 102. 

Ø 92. Elle voulait que Paul et Georges fussent toujours d'accord, parce que ce serait gentil de rester comme ça, tous les trois, en sachant qu'on s'aimait bien.

ÉMILE ZOLA, Nana,  1880, page 1189. 

Ø 93. STÉPAN. —  Ce ne sont pas mes idées. Tu veux tout détruire, tu ne veux pas laisser pierre sur pierre. Moi, je voulais que tout le monde s'aime. 

PIERRE. —  Pas besoin de s'aimer! il y aura la science.

ALBERT CAMUS, Les Possédés, adapté de Fédor Dostoïevski, 1959, pages 993-994. 

b) [Avec une idée de passion de nature affective ou physique] :

Ø 94. Quand on sait composer un philtre d'amour, on ne peut se tromper sur les doses. Après une expérience aussi positive, aussi frappante, pourquoi donc ne veux-tu pas donner ces philtres à ton maître et à Béatrix? —  Êtes-vous bien sûre qu'ils s'aimeront réciproquement? —  Je t'ai expliqué cela tant de fois! —  Je le crois, mais je ne le comprends pas parfaitement. —  Si tu le crois, que faut-il de plus?

STÉPHANIE FÉLICITÉ DUCREST DE SAINT-AUBIN, COMTESSE DE GENLIS, Les Chevaliers du Cygne, tome 3, 1795, pages 172-173. 

Ø 95. Viens, nous nous aimerons dans ces fiers paysages

Comme s'aimaient jadis les belles et les sages,

Comme Socrate aimait Aspasie aux seins nus,

Comme Eschyle, le chantre immense, aimait Vénus,

Dans l'extase sereine et sainte, dans l'ivresse,

L'héroïsme, la joie et l'espoir; car la Grèce,

Terre où dans le réel l'idéal se confond,

Seule, a de ces amours, avec l'Olympe au fond.

VICTOR HUGO, La Légende des siècles, tome 6, L'Amour, 1883, page 236. 

Ø 96. Oh! l'éden immédiat des braves empirismes!

Peigner ses fiers cheveux avec l'arête des

Poissons qu'on lui offrit crus dans un paroxysme

De dévouement! S'aimer sans serments, ni rabais,

Oui, vivre pur d'habitudes et de programmes,

Pacageant mes milieux, à travers et à tort,

Choyant comme un beau chat ma chère petite âme,

N'arriver qu'ivre-mort de moi-même à la mort!

JULES LAFORGUE, L'Imitation de Notre-Dame la Lune, Nobles et touchantes divagations, 1886, pages 268-269. 

Ø 97. Si tu veux nous nous aimerons

Avec tes lèvres sans le dire

Cette rose ne l'interromps

Qu'à verser un silence pire

Jamais de chants ne lancent prompts

Le scintillement du sourire

Si tu veux nous nous aimerons

Avec tes lèvres sans le dire...

STÉPHANE MALLARMÉ, Poésies, Rondels, 1898, page 62. 

Ø 98. Tu as le visage que tu avais quand nous revenions du football, l'hiver, tout rouges, crottés, suants et heureux et que nous nous moquions des filles ensemble. Le visage de cette nuit dans le dortoir où nous avons juré de nous aimer toujours et où nous nous sommes tailladé le bras pour échanger notre sang, avec un petit couteau rouillé.

JEAN ANOUILH, La Répétition ou l'Amour puni,  1950, III, page 75. 

Ø 99.... si l'amour peut exister, si ce mot peut avoir du sens, que signifie-t-il d'autre que la connaissance mutuelle dans le silence, l'intimité, l'absence de honte? On ne s'aime pas quand on sait qu'on est nus. Et on sait qu'on est nus quand quelqu'un, au même moment, vous regarde.

ALBERT CAMUS, Requiem pour une nonne, adapté de William Faulkner, 1956, page 876. 

2. Emploi réfléchi.  [Substantif correspondant : amour de soi, amour-propre] 

Ø 100. Si quelqu'un se dérobe à ses enchantements,

Qu'est-ce enfin qu'un de moins dans ce peuple d'amants?

On brigue ses regards, elle s'aime et s'admire,

Et ne connaît d'amour que celui qu'elle inspire.

ANDRÉ CHÉNIER, Élégies, Les Amours, 1794, page 85. 

Ø 101. D'où vient à l'homme la plus durable des jouissances de son coeur, cette volupté de la mélancolie, ce charme plein de secrets, qui le fait vivre de ses douleurs et s'aimer encore dans le sentiment de sa ruine?

ÉTIENNE PIVERT DE SENANCOUR, Obermann, tome 1, 1840, page 93. 

Ø 102. —  Je vais te dire une chose idiote que tu ne comprendras pas. Je ne m'aime plus. Je ne peux pas vivre sans m'aimer. Depuis que je ne m'aime plus... c'est votre faute. Je vous déteste, je vous hais.

—  Tu te vantes, fit-elle avec une simplicité tragique. Essaie quand même. Hais-moi. La haine ne vaut pas grand-chose, mais enfin elle vaut mieux que rien. Dieu veuille qu'elle t'aide à vivre!

GEORGES BERNANOS, Un Mauvais rêve,  1948, page 966. 

Ø 103. Il s'est aimé toujours, il s'aime, mais cet amour de soi n'est pas l'amour-propre. Il saisit seulement toutes occasions d'étendre et de renforcer le sentiment de son être.

JEAN GUÉHENNO, Jean-Jacques, Grandeur et misère d'un esprit, 1952, page 308. 

Ø 104. Faute de m'aimer assez, j'ai fui en avant; résultat : je m'aime encore moins, cette inexorable progression me disqualifie sans cesse à mes yeux : hier j'ai mal agi puisque c'était hier et je pressens aujourd'hui le jugement sévère que je porterai sur moi demain.

JEAN-PAUL SARTRE, Les Mots,  1964, page 198. 

3. Emploi passif.  [Le verbe aimer est à l'infinitif complément des semi-auxiliaire faire ou laisser]  Se faire, se laisser aimer. Faire en sorte, permettre qu'on soit aimé : 

Ø 105. Pour Adolphe, il est toujours avec les ouvriers, il examine les mécaniques, n'est content que lorsqu'il les comprend, les imite quelquefois, et les brise plus souvent, saute au cou de son père quand celui-ci le gronde, et se fait aimer de chacun en faisant enrager tout le monde.

SOPHIE COTTIN, Claire d'Albe,  1799, page 96. 

Ø 106. Se laisser aimer, c'est aimer déjà.

HENRI DE MONTHERLANT, Les Jeunes filles,  1936, page 972. 

II. [L'objet est un syntagme verbal] 

A.—  [Un cas ambigu : l'objet est un substantif d'action ou d'état]  Aimer la marche, le repos : 

Ø 107. J'aime cette prodigalité des richesses terrestres pour une autre vie, du temps pour l'éternité : assez de choses se font pour demain, assez de soins se prennent pour l'économie des affaires humaines.

GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Corinne ou l'Italie, tome 2, 1807, page 159. 

Ø 108. Moi, c'est d'instinct que j'adore Benjamin Constant (...). J'aime, quand Mme.  Récamier se refuse, le désespoir, la folie lucide de cet homme de désir qui n'aima jamais que soi, mais que « la contrariété rendait fou ».

MAURICE BARRÈS, Un Homme libre,  1889, pages 70-71. 

Ø 109. Ah, comme j'aimais cette course matinale... « Plus vite, Piotr! Plus vite! » Le trotteur détalait, l'énorme derrière de Piotr dans ses vêtements rembourrés (plus un cocher était rembourré, plus il était élégant!), nous protégeait des monceaux de neige renvoyés par les sabots du cheval.

ELSA TRIOLET, Le Premier accroc coûte deux cents francs, 1945, page 281. 

Ø 110. J'admire ce grand artiste, mais je n'aime pas cette façon qu'il a de nous dire : « Attention, je vais souffrir, et vous allez voir de quelle façon subtile. »

JULIEN GREEN, Journal,  1949, page 305. 

Remarque : 1. Du point de vue formel, cette construction ressemble à celle qui a été mentionnée plus haut sous I A 2 d. 2. Elle est volontiers associée à la construction infinitive :

111. J'aime à bouleverser une bibliothèque,

Fouiller un chroniqueur qu'on a laissé moisir,

Déchiffrer un latin, quelque vieille ode grecque,

Essayer un rondeau, peindre un ange à loisir;

Puis surtout, d'un festin l'enivrante magie,

L'impudeur effrontée assise en une orgie,

Où s'affaisse mon corps sous le poids du plaisir.

P. BOREL, Rhapsodies, Adroit refus, 1831, page 36.

—  Ou remplacée par la construction doublement infinitif du type aimer voir quelqu'un + infinitif :

112. Mais qu'importe! Je voulais seulement dire que j'aimerais quelquefois te voir sourire. 

A. CAMUS, Le Malentendu, 1944, I, 1, page 117.

—  Ou par le syntagme substantif concret + proposition relative. Confer A. DE SAINT-EXUPÉRY, Citadelle, 1944, page 517 : « \" j'aime les saisons qui reviennent ». \". 

B.—  [L'objet est un infinitif] 

1. Usuel.  [En construction directe] :

Ø 113.... c'est justement cette imagination haineuse qui donne à ses livres leur saveur. Il [Huysmans] aime mépriser, il aime haïr, il aime surtout être dégoûté. 

JULES LEMAÎTRE, Les Contemporains,  1885, page 322. 

Ø 114. GEORGES. —  Yvonne... Il aimerait te voir... Il a de la peine.

JEAN COCTEAU, Les Parents terribles,  1938, page 215. 

Ø 115. J'ai toujours aimé renseigner les passants dans la rue, leur donner du feu, prêter la main aux charrettes trop lourdes, pousser l'automobile en panne, acheter le journal de la salutiste, ou les fleurs de la vieille marchande dont je savais pourtant qu'elle les volait au cimetière Montparnasse. J'aimais aussi, ah, cela est plus difficile à dire, j'aimais faire l'aumône.

ALBERT CAMUS, La Chute,  1956, page 1484. 

2. [En construction indirecte] 

a) Moins fréquent. Aimer à... : 

Ø 116. Quittant sa forme, hélas! Non son âme première,

Le beau narcisse en fleur, aux rives des ruisseaux

Aime encore à se voir dans le cristal des eaux.

ANDRÉ CHÉNIER, Bucoliques, Arbres, fleurs, herbes, 1794, page 243. 

Ø 117. J'aimais à lire la Vie des Saints, ces beaux poèmes, ces dangereux romans, où l'humanité paraît si grande et si forte qu'on ne peut plus ensuite se baisser et regarder à terre les hommes tels qu'ils sont.

AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Lélia,  1833, page 195. 

Ø 118. Encore une bonne quinzaine pourtant, et j'espère avoir fini mon chapitre! Ce qui me donnera du revif, j'aime à le croire! Et au bout de trois ou quatre mois, quand le dernier chapitre sera fait, j'en aurai encore (avec le second volume) pour six ou huit mois!!!

GUSTAVE FLAUBERT, Correspondance,  1879, page 340. 

Ø 119. Le commerce des âmes est la plus grande et la seule réalité. Voilà pourquoi j'aime à penser à ces bons prêtres qui furent mes premiers maîtres, à ces excellents marins, qui ne vécurent que du devoir; à la petite Noémi, qui mourut parce qu'elle était trop belle; à mon grand-père, qui ne voulut pas acheter de biens nationaux; au bonhomme Système, qui fut heureux puisqu'il eut son heure d'illusion.

ERNEST RENAN, Souvenirs d'enfance et de jeunesse,  1883, page 126. 

Ø 120.... un bon éditeur devrait aimer autant (plus peut-être) à payer qu'à gagner.

PHILIPPE AUGUSTE MATHIAS DE VILLIERS DE L'ISLE-ADAM, Correspondance générale,  1884, page 52. 

Ø 121. J'écris ceci dans la vieille bibliothèque où j'aime à penser qu'Edgar Poe est venu lire et rêver quelquefois.

JULIEN GREEN, Journal,  1937, page 89. 

Ø 122. En aucune période de l'histoire contemporaine (...) ne s'est vérifiée l'opposition simpliste entre gouvernement et commerce, ni à plus forte raison celle que la polémique aime à imaginer entre la stérilité économique de l'État et la fécondité exclusive de l'entreprise privée.

FRANÇOIS PERROUX, L'Économie du XXe.  siècle.  1964, page 448. 

Remarque : 1. Comme le montrent les exemples, la construction reste vivante avec un infinitif non suivi de complément d'objet ou dans les locutions j'aime à croire, à penser que. 2. L'exemple 122 montre le verbe aimer affaibli en auxiliaire expressif de la répétition (aime à imaginer = « imagine souvent »). 

b) Aimer de... 

—  Littéraire : 

Ø 123.... il avait suspendu, sur le mur de son cabinet, tout contre le miroir et à hauteur de regard, un fort beau portrait du poète, devant lequel il aimait de tomber en rêverie.

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Suzanne et les jeunes hommes, 1941, page 20. 

—  Familier : 

Ø 124. AMALRIC. —  (...). Il est tout le temps à se promener d'un bout à l'autre du bateau en se frottant les mains!

YSÉ. —  Moi aussi, j'aime ça de marcher! Nous avons fait une grande promenade ensemble ce matin. L'heure la plus fraîche. C'est si bête de laisser le soleil se lever tout seul.

PAUL CLAUDEL, Partage de midi,  1949, I, page 1068. 

Remarque : La préposition de est usuelle si l'infinitif est séparé du verbe aimer par la formule de mise en relief ce que... c'est. Confer É. BOURDET, Le Sexe faible, 1931, page 388 : \" Ce que j'aime, moi, ce n'est pas de recevoir, c'est de donner! \" 

C.—  Familier.  [L'objet est une proposition circonstanciel de temps, conjonction quand] :

Ø 125. J'aimais bien quand elles venaient me voir.

ALPHONSE DAUDET, Le Petit Chose,  1868, page 196 (Syntaxe du français contemporain (KRISTIAN SANDFELD) tome 2, 1965, page 295 ). 

Ø 126. NICOLE. —  Je n'aime pas beaucoup quand ta mère me parle de cette façon-là : c'est mauvais signe.

ÉDOUARD BOURDET, Le Sexe faible,  1931, page 453. 

Remarque : 1. Lorsque est plus rare. Confer F. MAURIAC, Le Mystère Frontenac, 1933, page 62 : \" J'aime bien lorsque les pins te dispensent de souffrir... \" 2. Dans la langue familière comme dans le style plus soutenu, la conjonction de temps est précédée d'un pronom complément d'objet du verbe aimer. Confer GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, Le Colporteur, 1893, page 1172 : \" ...elle n'aime pas ça quand je reviens dans la nuit boire un coup avec un ami \". ANDRÉ GIDE, Journal, 1931, page 1031 :  \" Je l'aimais presque mieux quand il disait « l'autre ». \" 3. Cette construction est d'ordinaire remplacée, dans un style plus soutenu, par une construction doublement infinitive du type j'aime le voir, l'entendre + infinitif (exemple 113). 

D.—  [L'objet est une proposition complétive, conjonction que + subjonctif] 

1. Rare.  [Pour constater un fait] :

Ø 127.... j'avais toujours été choyée, entourée, estimée, j'aimais qu'on m'aimât; la sévérité de mon destin m'effraya.

SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, page 188. 

2. [Pour exprimer une appréciation] :

Ø 128. Je n'aime point qu'en s'élevant contre les religions on nie leur beauté, et l'on méconnaisse ou désavoue le bien qu'elles étaient destinées à faire. Ces hommes ont tort : le bien qui est fait en est-il moins un bien, pour être fait d'une manière contraire à leur pensée?

ÉTIENNE PIVERT DE SENANCOUR, Obermann, tome 2, 1840, page 31. 

Ø 129. Alors, quand il fut parti, Maheu éclata à son tour :

—  Nom de Dieu! Ce qui n'est pas juste n'est pas juste. Moi, j'aime qu'on soit calme, parce que c'est la seule façon de s'entendre; mais, à la fin, ils vous rendraient enragés...

ÉMILE ZOLA, Germinal,  1885, page 1178. 

Ø 130. LA MÈRE, plus bas. —  Sans doute, il faudra le tuer.

MARTHA. —  Vous dites cela d'une singulière façon...

LA MÈRE. —  Je suis lasse, en effet, et j'aimerais qu'au moins celui-là soit le dernier. Tuer est terriblement fatigant Je me soucie peu de mourir devant la mer ou au centre de nos plaines, mais je voudrais bien qu'ensuite nous partions ensemble.

ALBERT CAMUS, Le Malentendu,  1944, I, 1, pages 118-119. 

Remarque : Dans les emplois B et D, le verbe aimer est fréquemment au conditionnel; son sens est alors voisin de « souhaiter ». 

III.—  Locutions et usages. 

A.—  Aimer mieux..  Préférer. 

1. [L'objet est un nom de chose ou de personne, ou un pronom neutre] :

Ø 131. J'aimerais mieux mardi pour le souper de Mme.  de Bouillé. Pourrais-tu faire cet arrangement et en prévenir Mme.  d'Hénin, à qui j'ai proposé jeudi?

GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Lettres de jeunesse,  1789, page 266. 

Ø 132. Il manoeuvre. Il siffle, imperceptiblement : —  Vous aimez mieux cette vieille fille que la paix de votre maison.

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Cécile parmi nous, 1938, page 140. 

—  Familier. J'aime mieux ça (ça représente une phrase) : 

Ø 133. —  Mon petit chat, reprit Bordenave, dis donc de servir le café ici... j'aime mieux ça, à cause de ma jambe.

ÉMILE ZOLA, Nana,  1880, page 1184. 

Ø 134. Je file décidément. J'aime mieux ça. Ce n'est pas quelques bredouilles que je dirai à Mme.  Vigneron qui la consoleront.

HENRY BECQUE, Les Corbeaux,  1882, III, 5, page 179. 

—  emploi absolu. Si vous aimez mieux (sous-entendu : \" telle autre façon de s'exprimer) \" : 

Ø 135. Le pylore est tout près du cardia, et conduit dans une espèce de coecum, ou, si l'on aime mieux, dans un troisième estomac, qui est roulé sur lui-même un peu en spirale. C'est là qu'aboutissent les canaux hépathiques.

GEORGES CUVIER, Leçons d'anatomie comparée, tome 4, 1805, page 115. 

Ø 136. Vers onze heures du soir, les femmes se retirèrent dans leurs chambres; les hommes restèrent à fumer en buvant, ou à boire en fumant, si vous aimez mieux. 

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, Ma femme, 1882, page 668. 

2. [L'objet est un infinitif; fréquemment, dans la langue familière, un infinitif signifiant \" dire \", \" avouer \"] :

Ø 137. Tenez, cher ami, je ne puis pas arriver à vous dire quelque chose de sérieux; j'aime mieux l'avouer tout de suite. C'est ce prodigieux « vieux de la montagne » qui me prend tout mon pauvre reste de bonne volonté...

PHILIPPE AUGUSTE MATHIAS DE VILLIERS DE L'ISLE-ADAM, Correspondance générale,  1873, page 177. 

Ø 138. « Eh bien, monsieur, j'aime mieux vous dire la chose tout de suite; oui, j'aime mieux : c'est rapport à lui que j'en ai sur le coeur. »

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 2, Le Garde, 1884, page 980. 

—   [Avec une nuance de menace] :

Ø 139. Puisque c'est ça, tu me dois cent sous. Et tu as de la chance que je ne t'aimais pas pour de vrai, parce que j'aime mieux te dire que ça ne se passerait pas comme ça, que je t'aurais déjà filé une leçon de maintien.

MARCEL AYMÉ, Clérambard,  1950, IV, 9, pages 237-238. 

—   [Pour exprimer la peur]  J'aime mieux ne pas y penser, le voir : 

Ø 140. C'est qu'il y va de ma peau, et j'aime mieux ne pas y penser. Je suis courageuse quand je manque d'imagination, mais je ne peux pas me cacher que l'autre jour, encore une fois, ils ont failli m'avoir. Je suis faite pour le clandestin comme la tour Eiffel!

ELSA TRIOLET, Le Premier accroc coûte deux cents francs, 1945, page 248. 

3. [L'objet est une proposition complément au subjonctif] :

Ø 141. Un mot d'amour de fille sur un homme : « Il a l'air gentilhomme, cet homme-là! Il me proposerait de me donner 40 000 francs ou de me faire un enfant, j'aimerais mieux qu'il me fasse un enfant! »

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  novembre 1866, page 301. 

Ø 142. —  J'aime mieux évidemment, que tu ne lises pas certains Zola...

GABRIELLE COLLETTE, DITE COLETTE, La Maison de Claudine,  1922, page 62. 

Remarque : 1. La locution aimer mieux sert de comparatif à la locution fréquente aimer bien; dans l'une et l'autre locutions l'adverbe a perdu une partie de sa valeur pour n'être plus qu'un intensif du concept verbal; aux adverbes bien et mieux peut correspondre un superlatif relatif (le mieux) : 

Ø 143. Elle glissa un regard vers Jean. Et des yeux, elle lui disait : « Lui aussi, tu vois, il me trouve de son goût. Y a pas que toi, mais c'est quand même toi que j'aime le mieux. »

GABRIELLE ROY, Bonheur d'occasion, 1945, page 127. 

Remarque : 2. Mieux peut être déterminé par un adverbe intensif : j'aime beaucoup mieux..., j'aime bien mieux..., j'aime encore mieux..., j'aime infiniment mieux..., etc. 

Remarque : 3. Le complément de comparaison mieux est normalement introduit par que, si ce complément est un nom ou un infinitif (ce dernier précédé de la préposition de) : 

Ø 144. Peu importe le danger d'une opinion, si elle rend son auteur célèbre; et l'on aime mieux passer pour un fripon que pour un sot.

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Essai historique, politique et moral sur les révolutions, tome 1 1797, page 294. 

Ø 145. Naturellement, elle avait sa fierté, elle ne demandait plus rien, aimait mieux manquer du nécessaire que de s'humilier sans résultat.

ÉMILE ZOLA, Pot-Bouille, 1882, page 233. 

Ø 146. J'aime encore mieux l'enfer que le néant. L'enfer c'est la vie qui dure.

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Les Maîtres, 1937, page 101. 

Ø 147. —  Tu me jures que tu reviendras? Même si tu décidais de te battre? Même si ton ami te le conseillait? J'aime mieux tout que de ne pas te revoir. Tu me le jures?

JEAN-PAUL SARTRE, La Mort dans l'âme, 1949, page 149. 

—   Si le verbe qui suit que est à une forme personnelle, il est généralement introduit par que si : 

Ø 148. —  Ça ne te ferait pas de peine?

—  Si, dit-elle d'une voix raisonnable. Ça me ferait de la peine, mais j'aimerais encore mieux ça que si tu étais prof à Castelnaudary.

JEAN-PAUL SARTRE, La Mort dans l'âme,  1949 page 181. 

B.—  Emplois par litote. 

1. Aimer autant. Synonyme familier de aimer mieux :  

Ø 149. BOURDON. —  C'est bien de vous-même et sans obéir à personne que vous avez décliné le mariage qui vous était offert?

MARIE. —  C'est de moi-même.

BOURDON. —  Très bien! Très bien!... J'aime autant cela du reste.

HENRY BECQUE, Les Corbeaux,  1882, IV, 6, pages 227-228. 

Ø 150. Hé bien, non, Monsieur le Curé, mille fois non! Dans ces conditions, j'aime autant que vous gardiez votre témoignage pour vous.

GEORGES BERNANOS, Un crime,  1935, page 826. 

2. Ne pas aimer..  Détester : 

Ø 151. Je n'aime pas cette façon de me forcer la main. Tu me traînes à cet acte. Tu commences, pour m'obliger à finir. Je n'aime pas cette façon de passer par-dessus mon hésitation.

ALBERT CAMUS, Le Malentendu,  1944, II, 8, page 159. 

Ø 152. —  Voilà, fait le garçon d'une voix molle, votre ami Philippe vient de se fiche une balle dans la peau. Ça s'est passé à l'hôtel où j'habite, rapport qu'il y venait souvent, pour rencontrer des copains. J'ai entendu le coup de ma chambre, qu'est à l'étage. Il y avait un bout de papier sur la table, votre nom et l'adresse du restaurant On a prévenu les camarades, mais en douce, à cause du patron de l'hôtel qui n'aime pas les histoires.

GEORGES BERNANOS, Un Mauvais rêve,  1948, page 946. 

Ø 153. Le vrai est que son [de Jean-Jacques] ton était celui de ses amis, de ce petit groupe d'hommes parmi lesquels il vivait, de ce clan holbachique dont il fut avant de le mépriser, et on n'y aimait pas les tièdes. On y avait, dans tous les domaines, en horreur la médiocrité. On y allait toujours au bout de sa pensée.

JEAN GUÉHENNO, Jean-Jacques, Roman et vérité, 1950, page 75. 

Ø 154. —  Je n'aime pas ces combines, disait Cyril. Mais si c'est le seul moyen pour t'épouser, je les adopte.

FRANÇOISE SAGAN, Bonjour tristesse,  1954, page 108. 

C.—  Syntagmes usuels. 

1. Aimer + adverbe. 

a) [Intensité + quantité.]  Aimer beaucoup, combien (antéposé au verbe), davantage, moins, ne pas... moins, de moins (plus) en moins (plus), (le) plus, (un) peu, que (antéposé), tout-à-fait, (ne pas) trop, ne pas... du tout... 

b) [Intensité + qualité.]  Aimer bien, entièrement, éperdument, exclusivement, extrêmement, faiblement, follement, fort (ement), furieusement, grandement, infiniment, passionnément, profondément, religieusement, sobrement, violemment, vivement... 

c) [Qualité]  Aimer librement, physiquement, réellement, simplement, tendrement, véritablement, vraiment... 

d) [Durée]  Aimer aujourd'hui, depuis longtemps, encore, instantanément, ne... plus, toujours... 

2. Aimer + complément prépositionnel. 

a) Préposition de (marquant la nature du sentiment). Aimer d'amour, de charité, d'instinct, de tendresse. —   [Généralement avec un substantif déterminé par un adjectif]  Aimer d'un amour éternel, exclusif, indigne, indéfinissable, physique, sincère, tranquille, confiant; d'une affection participant de l'habitude; d'une passion absolue, infinie, profonde; d'une étrange tendresse. —    [Avec un substantif déterminé par l'adjectif indéfini tout]  Aimer de tout coeur, de toute son âme, de tout son coeur, de tout son esprit (confer langue biblique); aimer du fond de son âme, de son coeur... 

b) Préposition avec. Aimer avec excès, fureur, ivresse, (une véritable) passion, (une) violence (impossible à exprimer)... 

c) Aimer à + substantif abstrait ou verbe à l'infinitif. Aimer à la folie, à l'adoration, à en perdre la tête... 

d) Autres prépositions ou locutions prépositionnelles. Aimer d'un point de vue strictement physique; aimer en toute générosité, en gens positifs; aimer jusqu'à la mort, jusqu'à la complicité de ses fautes, jusqu'à la fièvre; aimer par générosité; aimer par-dessus tout; aimer pour lui-même, pour son argent; aimer sans confiance... aimer comme un insensé, comme on peut... 

e) Complément circonstanciel sans préposition. Aimer un instant, un temps... 

3. Substantif abstrait + de + aimer. Art d'aimer, besoin d'aimer, certitude d'aimer (ou d'être aimé), devoir d'aimer, façon(s) d'aimer, faculté d'aimer, impuissance d'aimer, joie d'aimer, manière d'aimer, pouvoir d'aimer, puissance d'aimer, volupté d'aimer, temps d'aimer... 

D.—  Termes fréquemment associés. 

1. Aimer + (quasi-)synonymes. 

a) Associant les plus fréquents (par ordre décroissant). Aimer/estimer, chérir, aimer/adorer, aimer/admirer... 

b) Autres associations. Aimer/comprendre, aimer/combattre pour, aimer/cultiver, aimer/désirer, aimer/favoriser, aimer/goûter, aimer/plaire à, aimer/protéger, aimer/saisir, aimer/s'attacher à, aimer/s'amuser de, aimer/avoir du plaisir à, aimer/se rapprocher de. 

2. Aimer + antonyme. Aimer/haïr, aimer/mépriser, aimer/s'irriter contre, faire aimer/éloigner... 

 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 55 982. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 79 320, b) 85 283; XXe.  siècle : a) 79 911, b) 76 646. 

 

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