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ALIÉNATION

Publié le 02/04/2015

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ALIÉNATION

L'emploi courant et militant de la notion renvoie au sentiment confus que l'homme a d'être asservi, dominé, spolié, altéré dans son être ; cet emploi se réclamant volontiers de l'usage philosophique, il convient de comprendre quelles en sont les conditions d'instauration. La source du concept philosophique est double ; elle tiènt à l'usage juri¬dique du terme qui désigne la cession d'un bien contre un autre, et à l'exténsion politique qu'en font les théoriciens du contrat social (1) (aliénation de la liberté naturelle contre la liberté civile), elle tient aussi à la philosophie hégélienne et à ses développements post-hégéliens.

Hegel utilise deux termes auxquels on fait correspondre le concept d'aliénation :

1 — Entausserung, qui désigne l'action d'extériorisation et d'objecti-vation : par exemple lors de la vente, en aliénant ma propriété, ma volonté devient objective pour moi, mais elle m'apparaît du même coup comme autre, objectivée. Comme objectivation, l'aliénation est le processus créateur de l'être autre, c'est-à-dire finalement le moteur fondamental de la dialectique hégélienne.

2 — Entfremdung : le mot signifie l'acte de rendre étranger (J. Hyppolite propose de le traduire par extranéation); dans la Phéno-ménologie de l'esprit, les deux mots sont utilisés en des sens voisins (l'objectivation est extranéation) ; mais dans les écrits théologiques de jeunesse le terme désigne de façon péjorative, la scission avec soi-même, l'éloignement, la séparation, la perte de soi dans un autre — le dieu étranger — (2). L. Feuerbach (L'Essence du christianisme, 1841) reprend la conception hégélienne du processus d'objectivation créateur de nouvelles réalités, mais dans un contexte matérialiste, suppose une réalité initiale, l'homme concret, et en appliquant ce concept au processus par lequel Dieu est posé, donne un sens péjo¬ratif à la notion. La distinction entre humain et divin se ramène à la distinction entre l'essence de l'humanité et l'individu ; l'essence de Dieu c'est l'essence de l'humanité:

1— séparéé des bornes de l'individu, c'est-à-dire

 

2 — mise à part et rendue étrangère. La divinité est aliénation de l'homme parce que Dieu n'est constitué que des dépouilles de l'homme, qui lui deviennent étrangères et s'opposent à lui. Le jeune Marx, en critiquant l'humanisme abstrait de Feuerbach, reconduira son analyse à propos du travail. Il ressort de cette mise en place que l'usage polémique de la notion d'aliénation repose sur:

1 — la distinction du sujet et de l'objet,

la position d'une nature humaine. On ne voit pas alors comment faire un usage rigoureux du terme dans la philosophie contemporaine qui tend à nier ces deux déterminations (3).

1. Voir Etat.

2. On retrouve quelque chose de l'opposition objectivation/ extranéation dans la définition sartrienne de l'aliénation : dans le travail, ma volonté est objectivée : dans le passage de mon action-pour-moi à mon-action-pour-autrui, elle est alteree.

3. Marx n'utilise pratiquement plus le terme dans Le Capital.

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