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Auparavant, on avait pu entendre d'autres arguments.

Publié le 06/01/2014

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Auparavant, on avait pu entendre d'autres arguments. On pouvait avoir recours, par exemple, au maquillage de la réalité : c'est la « folklorisation » du quotidien de l'esclave. Les toiles, les estampes représentent le brave Nègre sommeillant sous un cocotier, ou chantant dans son champ de cannes : n'est-il pas le plus heureux ? Le premier travail des abolitionnistes, comme l'abbé Raynal ou Bernardin de Saint-Pierre, consistera à rétablir, dans leurs écrits, l'horreur de la réalité de la traite, ou de la vie réelle des Noirs aux colonies, et cela contribuera peu à peu à faire basculer l'opinion publique, révulsée par ce qu'elle apprend. Au-dessus de tous les autres, on trouve enfin le vrai grand argument pour défendre l'esclavage : Dieu. Sans doute les chrétiens seront-ils horrifiés de l'apprendre, c'est avant tout en son nom que l'on se débarrassa de tout scrupule pour asservir, durant trois siècles, des millions d'êtres humains. Aujourd'hui, il nous semble évident à tous, chrétiens ou non, que la parole du Christ, véhiculée par le Nouveau Testament, ne peut qu'aller à l'encontre d'une telle déshumanisation. Bossuet, derrière saint Thomas d'Aquin, tenait le raisonnement inverse : dans quelques-unes de ses épîtres, saint Paul prêche aux esclaves d'accepter leur statut puisque la seule vraie libération n'est pas de ce monde, elle vient après la mort. C'est bien la preuve que le grand saint, et donc Celui au nom de qui il parle, accepte l'esclavage. Pour les pieux esprits du xviie siècle, une seule chose compte : il faut baptiser tous ces sauvages, c'est ainsi que nous les sauverons ; pour le reste, on peut bien faire d'eux ce que l'on veut. Voilà aussi le sens du Code noir, voilà pourquoi il insiste tant sur les questions religieuses. Ce n'est pas le moindre des paradoxes qu'il soulève : ce texte nous apparaît, à raison, comme une abomination. Il est probable qu'en le signant, Louis XIV comme ses contemporains étaient certains de faire oeuvre d'humanité : ne sommes-nous pas admirables envers ces pauvres Noirs, en les enlevant à leur monde sauvage, nous les avons sortis des ténèbres du paganisme pour les amener à la lumière du Christ ? Faut-il, pour autant, faire le procès du christianisme ? Certainement pas sur ce sujet. D'autres chrétiens eurent des positions diamétralement opposées à celle-ci. Dès le xvie siècle, Paul III, pape, parlant pour les Indiens mais précisant que son texte concernait « toutes les nations », avait clairement condamné l'esclavage, comme inspiré par Satan. N'oublions pas enfin que la plupart des grands mouvements abolitionnistes, tout particulièrement en Angleterre, et plus tard aux États-Unis, furent menés par des chrétiens convaincus. Que conclure alors de cette sombre histoire ? Se réjouir qu'elle appartienne au passé - tout au moins pour ce qui concerne notre pays. Certes. La garder en mémoire ? Évidemment. On l'a vu, l'écho de ces temps barbares sur le présent est trop important pour qu'on oublie d'où il vient. Garder aussi en tête tous les mécanismes que l'on vient de décrire. L'esclavage est une horreur en soi. Il l'est plus encore quand on songe à l'appareil idéologique qui s'est mis en place pour tenter de le justifier. Cela peut nous servir de leçon. La traite est interdite. Toutes les injustices qui aboutissent à nier d'autres humains ont-elles disparu pour autant ? Alors tâchons de les comprendre, de les dénoncer et apprenons à déjouer les mécanismes qui tentent de les déguiser. Ce sera une bonne manière d'honorer le souvenir des millions de déportés de l'Atlantique. 1 La Traite négrière, essai d'histoire globale, Gallimard, 2004. 2 Esclaves et négriers, « Découvertes », Gallimard, 1986. 3 Le Livre de poche, 2002. 4 Esclaves chrétiens, maîtres musulmans, « Babel », Acte Sud, 2007. 26 L'Ancien Régime Nous voici au xviiie siècle, moment béni, au moins pour les élèves des classes d'histoire, les noms des rois qui se succèdent sont faciles à retenir : avant le grand saut de 1789, il n'y en a plus que deux, et ils s'appellent tous Louis. Louis XIV est mort très, très vieux, en 1715, à l'âge canonique de soixante-dix-sept ans. Son fils a passé depuis longtemps, son petit-fils aurait été en mesure de lui succéder, seulement le grand-père prévoyant, à l'issu d'une des guerres européennes les plus atroces de son règne (la guerre de Succession d'Espagne), l'avait placé sur le trône espagnol : il y était devenu Philippe V et avait fondé la dynastie des Bourbons d'Espagne, qui, aux dernières nouvelles, est toujours au pouvoir. Faute de Philippe, après Louis le Grand vient un Louis tout petit, son arrièrepetit-fils, un enfant de cinq ans. Il est né en 1710, devient Louis XV en 1715 et meurt après un nouveau règne interminable, en 1774. Il faut à nouveau sauter une génération, déjà décédée. Voici un nouveau petit-fils. Il s'appelle Louis XVI, est né en 1754, règne donc en 1774 et ne va pas au bout de sa carrière, comme on s'en souvient sans doute. Déposé en 1792, il ne meurt pas sur le trône comme les autres mais sur l'échafaud, le 21 janvier 1793. Repères - 1715-1723 : régence de Philippe d'Orléans pour Louis XV - 1720 : banqueroute du système de Law - 1756-1763 : guerre de Sept Ans catastrophique pour la France ; perte de tout le premier empire colonial (Inde et Canada) au profit de l'Angleterre - 1774 : mort de Louis XV, avènement de son petit-fils Louis XVI - 1776 : chute du ministre Turgot, échec des réformes espérées - 1778-1783 : guerre d'Amérique - 1781 : édit de Ségur rappelant que seuls les nobles peuvent être officiers Louis XV est trop jeune pour régner à la mort du vieux Soleil. Son grand-oncle Philippe d'Orléans assure la régence, période restée fameuse pour son ambiance disons relâchée. La fin du règne précédent avait été sinistre. On se venge dans une fête perpétuelle. Le Régent organise des orgies avec ses amis qu'il appelle les « roués », car ils mériteraient tous la roue. « Ses ministres, ose écrire le fameux manuel Lavisse, qui régnait dans les écoles avant 1914, étaient surtout connus pour leurs vices. » On ne saura pas lesquels, dommage. On se doute que l'allusion devait produire un bel effet pour chauffer les imaginations des classes primaires. Aujourd'hui, les historiens ont tendance à réhabiliter une période qui mérite sans doute mieux que cette caricature pourtant tentante. Un principe la gouverne, la réaction contre la période précédente. Les nobles, dans leur cage de Versailles, étaient assujettis. Ils relèvent la tête. L'impétueux Louis le Grand n'aimait que la guerre. Les ministres qui gouvernent la France après sa mort cherchent les alliances qui peuvent garantir la paix. Le pays était ruiné. On sent poindre un décollage économique, porté par une nouvelle classe sociale pleine d'avenir, celle des grands financiers, de la bourgeoisie d'affaires dont l'arrogante prospérité crispe bien vite la vieille aristocratie. Sur le plan monétaire, en revanche, les temps restent marqués par un célèbre ratage, celui du nouveau « système » testé par un Écossais, M. Law (en français, on prononce Lass) : le papier-monnaie. L'idée est bonne, mais notre banquier a voulu aller trop haut, et trop vite. Il gage ses billets sur des placements aux colonies qui paraissent admirables. Les millions volent, les fortunes se bâtissent à la vitesse de l'éclair, on voit, dit-on, des cochers devenir millionnaires, et des millionnaires passer au milliard. Hélas, les placements tardent à donner, la spéculation finit par effrayer et chacun se presse pour récupérer son or. C'est la banqueroute (1720), catastrophe qui ruine de nombreux individus dans l'immédiat, et pèse à très long terme sur les mentalités collectives : il faudra longtemps pour que les Français acceptent à nouveau de placer leurs économies dans autre chose qu'un bas de laine empli de pièces d'or. Quand il vient à régner, en 1723, Louis XV n'est encore qu'un adolescent. Il est fort sage à ses débuts, il se marie et, chose étonnante, réussit à être fidèle à sa femme durant dix ans, le temps de lui faire dix enfants : « Toujours coucher, toujours grosse, toujours accoucher », est la seule citation, probablement fausse, qui nous reste de cette brave Marie Leszczynska, reine de France. Puis ce bon Louis prend ce tour qui s'est figé dans la mémoire nationale. Il devient un bel homme gracieux à la perruque poudrée, ami des plaisirs et des femmes, d'innombrables femmes, ses fameuses favorites qui se succèdent et avec qui il n'est jamais ingrat : quand il se lasse de leur couche, comme avec la Pompadour, il les laisse s'occuper à des choses dont elles se piquent, nommer les ministres en charge, régler la diplomatie, régenter en tout point cette chose qui ne l'intéresse qu'épisodiquement : le gouvernement de son royaume. Soyons fair-play, certains historiens nous aident à nuancer les couleurs de ce portrait pour bonbonnière de style rocaille - c'est le nom du goût de l'époque. Il n'y faut pas que du rose. Il y faut aussi du noir. Louis XV dit « le Bien-Aimé » n'était pas seulement le sauteur que l'on a dit, il pouvait être également froid, calculateur et rancunier. L'homme invente le « secret du roi », ce ministère de l'ombre qui le renseigne sur tous et sur tout, il

« 26 L’Ancien Régime Nous voiciauxviii e  siècle, moment béni,aumoins pourlesélèves desclasses d’histoire, lesnoms desrois quise succèdent sontfaciles àretenir : avantlegrand sautde1789, iln’y enaplus quedeux, etils s’appellent tousLouis. Louis XIV estmort très,trèsvieux, en1715, àl’âge canonique desoixante-dix-sept ans.

Sonfilsapassé depuis longtemps, sonpetit-fils auraitétéenmesure deluisuccéder, seulement legrand-père prévoyant,àl’issu d’une des guerres européennes lesplus atroces deson règne (laguerre deSuccession d’Espagne), l’avaitplacésurle trône espagnol : ilyétait devenu Philippe V etavait fondé ladynastie desBourbons d’Espagne, qui,auxdernières nouvelles, esttoujours aupouvoir.

FautedePhilippe, aprèsLouisleGrand vientunLouis toutpetit, sonarrière- petit-fils, unenfant decinq ans.Ilest néen 1710, devient Louis XV en1715 etmeurt aprèsunnouveau règne interminable, en1774.

Ilfaut ànouveau sauterunegénération, déjàdécédée.

Voiciunnouveau petit-fils.

Il s’appelle Louis XVI, estnéen1754, règne doncen1774 etne vapas aubout desacarrière, commeons’en souvient sansdoute.

Déposé en1792, ilne meurt passurletrône comme lesautres maissurl’échafaud, le 21 janvier 1793.

Repères – 1715-1723 : régencedePhilippe d’Orléans pourLouis XV – 1720 : banqueroute dusystème deLaw – 1756-1763 : guerredeSept Anscatastrophique pourlaFrance ; pertedetout lepremier empirecolonial (IndeetCanada) auprofit de l’Angleterre – 1774 : mortdeLouis XV, avènement deson petit-fils Louis XVI – 1776 : chuteduministre Turgot,échecdesréformes espérées – 1778-1783 : guerred’Amérique – 1781 : éditdeSégur rappelant queseuls lesnobles peuvent êtreofficiers Louis XV esttrop jeune pourrégner àla mort duvieux Soleil.

Songrand-oncle Philipped’Orléans assurelarégence, période restéefameuse poursonambiance disonsrelâchée.

Lafin durègne précédent avaitétésinistre.

Onse venge dansunefête perpétuelle.

LeRégent organise desorgies avecsesamis qu’ilappelle les« roués », carils mériteraient touslaroue.

« Sesministres, oseécrire lefameux manuel Lavisse, quirégnait danslesécoles avant 1914, étaient surtout connuspourleurs vices. » Onnesaura paslesquels, dommage.

Onsedoute quel’allusion devait produire unbel effet pourchauffer lesimaginations desclasses primaires.

Aujourd’hui, leshistoriens ont tendance àréhabiliter unepériode quimérite sansdoute mieux quecette caricature pourtanttentante.

Un principe lagouverne, laréaction contrelapériode précédente.

Lesnobles, dansleurcage deVersailles, étaient assujettis.

Ilsrelèvent latête.

L’impétueux LouisleGrand n’aimait quelaguerre.

Lesministres quigouvernent la France aprèssamort cherchent lesalliances quipeuvent garantirlapaix.

Lepays était ruiné.

Onsent poindre un décollage économique, portéparune nouvelle classesociale pleined’avenir, celledesgrands financiers, dela bourgeoisie d’affairesdontl’arrogante prospéritécrispebienvitelavieille aristocratie. Sur leplan monétaire, enrevanche, lestemps restent marqués paruncélèbre ratage,celuidunouveau « système » testéparunÉcossais, M. Law(enfrançais, onprononce Lass ) : lepapier-monnaie.

L’idéeestbonne, mais notre banquier avoulu allertrophaut, ettrop vite.

Ilgage sesbillets surdes placements auxcolonies qui paraissent admirables.

Lesmillions volent,lesfortunes sebâtissent àla vitesse del’éclair, onvoit, dit-on, des cochers devenirmillionnaires, etdes millionnaires passeraumilliard.

Hélas,lesplacements tardentàdonner, la spéculation finitpareffrayer etchacun sepresse pourrécupérer sonor.C’est la. »

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