Devoir de Philosophie

avec son appareil photo et j'ai profité de la pause dans la conversation pour annoncer à Malcia que Matt venait d'être classé parmi les dix meilleurs photographes de mariage du pays.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

mariage
avec son appareil photo et j'ai profité de la pause dans la conversation pour annoncer à Malcia que Matt venait d'être classé parmi les dix meilleurs photographes de mariage du pays. Elle a émis des petits bruits de ravissement, alors que Shumek revenait dans la pièce et me tendait une liasse de papiers jaunis. Je les ai pris soigneusement, délicatement : je sais combien le vieux papier peut être fragile. Une carte, de la taille d'un passeport à peu près, était tamponnée d'un svastika, sur laquelle on lisait en lettres capitales, passierschein. C'était, je l'ai immédiatement reconnu, le sauf-conduit qui lui avait permis, en tant que « travailleur utile », de circuler dans les rues de Bolechow sans se faire tuer. A l'intérieur, il y avait un grand W et je me suis souvenu de ce que Jack et Bob m'avaient raconté à Sydney sur la façon dont la main-d'oeuvre était divisée en R et en W. Et je me suis souvenu aussi de la façon dont Bob et Meg s'étaient disputés sur la signification à donner à la lettre W. J'ai tourné ce papier dans mes mains et Shumek m'a regardé et a dit, Wehrmacht ! Wehrmacht !, tout en pointant le doigt vers sa poitrine. C'était à la fois bizarre et exaltant d'avoir en main un objet concret, lié à ce qui n'avait été jusqu'à présent qu'une histoire. Je me suis souvenu de cette journée en Ukraine, deux ans plus tôt, lorsque Matt avait aperçu la pierre tombale sur laquelle était écrit le nom de jäger et qui s'était révélée être celle de Sima Jäger, la parente de mon grand-père, dont j'avais entendu parler grâce à mes recherches sur Internet depuis des années, mais qui ne m'avait pas paru réelle jusqu'à ce moment précis. J'ai tendu le Passierschein à Matt, qui l'a placé sur la table et l'a photographié plusieurs fois. Mais c'est le document suivant que m'a passé Shumek qui m'a fait retomber dans la tristesse qui semblait coller à ce séjour en Israël. Chaque année, a expliqué Shumek par l'intermédiaire de Malcia, afin de continuer à recevoir des dédommagements du gouvernement allemand, il devait présenter ce document. J'ai parcouru du regard les lettres allemandes sur cette feuille de papier. Elle stipulait que Solomon Reinharz avait subi certaines privations et spoliations pendant l'Occupation allemande de Bolechow, qui avaient provoqué chez lui un état permanent de Panik, Angst, Spannung. Je me suis tourné vers Matt et j'ai traduit. Panique, peur, tension. Malcia a dit, Tous les ans, il doit présenter ce certificat pour prouver qu'il est en vie ! Matt a fait un grand sourire et dit, Demande-lui comment il prouve qu'il est en vie ! Tout le monde a ri, mais derrière la plaisanterie rôdait une histoire sinistre et compliquée, et nous le savions tous. Peu après, Shumek, âgé de quatre-vingt-neuf ans, nous a emmenés dans sa voiture pour voir le magasin de chaussures que Malcia et lui avaient ouvert en 1950, et Matt a commencé à prendre des photos.     La tristesse pesait toujours, deux jours plus tard, quand nous sommes allés à Haïfa pour prendre des photos de Josef Adler. Nous avions passé la première moitié de ce samedi chez Elkana pour une autre réunion familiale gigantesque, un déjeuner auquel un plus grand nombre encore que la dernière fois, semblait-il, de cousins germains, de cousins au deuxième et troisième degré, avaient pu venir. Cette fois, la soeur d'Elkana, Bruria, était venue de Haïfa. C'était une femme à la charpente délicate, aux cheveux noirs coupés à la page. Elle avait apporté l'album de photos légendaire de sa mère, celui à propos duquel, trente ans plus tôt, pendant le voyage de mes parents en Israël, ma mère en pleurs s'était exclamée, Oh, Daniel, tu devrais voir les photos que possède Tante Miriam, la photo de mariage de Tante Jeanette, sa robe est entièrement en dentelle ! Mais maintenant, assis dans la salle de séjour d'Elkana, en regardant enfin l'objet de légende, je me rendais compte que chaque photo - ou presque - qui s'y trouvait, à l'exception de cette photo de mariage (qui, naturellement, ne pouvait pas suggérer les tragédies et les drames qui avaient conduit à ce mariage-là), était un double d'une photo que nous avions déjà à New York. Il était évident que Shmiel avait envoyé à tous ses parents des copies des différentes photos de sa famille tout au long de ces années, exactement comme mes frères, ma soeur et moi le faisons aujourd'hui. A cette déception s'ajoutait la consternation que j'ai ressentie en passant en revue un certain nombre de photos anciennes, rognées, que je ne reconnaissais pas, sans la moindre légende ou inscription, dont une très ancienne d'un homme à l'allure edwardienne qui, ai-je pensé follement, pouvait être mon arrière-grand-père Elkune Jäger. Quand j'ai montré ces images mystérieuses à Bruria, dont l'anglais était aussi limité que mon hébreu pour la conversation, elle a secoué la tête tristement et haussé légèrement les épaules. Tous ceux-là, me suis-je dit, en regardant ces visages muets, tous ceux-là sont absolument perdus, impossibles à connaître. Je me suis aussi aperçu, en regardant le célèbre album de Tante Miriam, que mon grand-père avait eu en sa possession bien plus de photos de la famille de Shmiel que n'en avait eu Oncle Itzhak, apparemment. Il m'est venu à l'esprit deux explications possibles : la première, c'était que Oncle Itzhak, ayant vécu et travaillé avec Oncle Shmiel, n'avait pas besoin d'avoir des souvenirs de son frère aîné ; la seconde, c'était que Oncle Itzhak étant parti pour la Palestine entouré d'un parfum de Skandal !, les deux frères n'avaient plus été en relation par la suite. En m'asseyant sur le sofa d'Elkana, tout en réfléchissant à ces questions, une phrase d'une lettre de Shmiel m'est revenue en mémoire : Qu'est-ce que le cher Isak vous écrit de Palestine ? Je n'avais jamais demandé jusqu'à présent pourquoi Shmiel, en Pologne, avait à demander des nouvelles d'Itzhak, en Palestine, à mon grand-père, qui était à New York. En même temps, Shmiel appelle Itzhak der lieber Isak, « le cher Itzhak », et donc à quel point étaient-ils vraiment brouillés ? Impossible à savoir. Après en avoir terminé avec l'album, nous sommes allés dans la grande salle de réception pour déjeuner. Une fois encore, le repas a commencé avec un toast d'Elkana, qui s'est lentement levé, en me regardant avec ses yeux plissés de pacha, ce regard amusé et informé qu'il adoptait pour faire ses déclarations en matière de politique, cet air arrogant et sûr de soi dont je me souvenais depuis l'enfance, ou pour vous dire adieu - Ils vont le trouver à Tikrit ! Allez, adié ! -, a dressé le sourcil en même temps qu'il a levé son verre et dit, L'chaim et au livre de Déniel il doit le finir déjà et puis revenir en Israël juste pour nous voir et pas pour toujours nous interviewer ! Une fois encore, deux douzaines de personnes environ, avec qui je n'avais rien en commun pour la plupart, ni la géographie, ni la langue, ni la politique et ni la personnalité, à part une série de gènes qui étaient, alors même que nous étions assis ensemble, dilués un peu plus à chaque génération, se sont assises pour un énorme repas de poisson frit et de chulent, de tsimmes et de kasha varnishkes, le genre de nourriture que les jeunes Israéliens, m'a dit mon cousin Gai en se penchant vers moi, qualifient de « polonaise », non parce qu'elle est polonaise, mais parce que « polonais » est le mot qu'ils emploient, avec une dose infime d'ironie sans doute, pour se référer aux coutumes et aux moeurs de ce que, dans ma famille, nous appelons le « Pays d'Autrefois », ce qui correspond à peu près à toute l'Europe juive, de l'Allemagne à la Sibérie. Oh, parfois, elle est tellement polonaise ! m'a dit ce même cousin, avec affection, à propos de sa mère qui le couve, Anat, ma cousine au second degré : la petitefille d'Itzhak, Isaac, tout comme je suis le petit-fils d'Avrumche, Abraham. C'est Anat et son mari, Yossi, qui, après que cette grande réunion s'est achevée dans les embrassades et les baisers, certains sincères, d'autres simplement polis, nous ont emmenés de Tel-Aviv à Haïfa, où nous attendait Josef Adler. En roulant vers le nord depuis la résidence d'Elkana, où Matt s'était arrêté après le déjeuner pour prendre quelques photos de famille, de la famille, Matt et moi avons parlé du désastre de Dyzia Lew et de la question de savoir s'il était possible, ou même souhaitable à ce point, de s'envoler pour Minsk et de l'interviewer. En fait, je l'ai déjà interviewée, ai-je dit, en essayant de le convaincre autant que de me convaincre moi-même. Quel est l'intérêt ? Elle m'a avoué qu'elle ne les connaissait pas bien, qu'elle ne connaissait pas du tout Shmiel et Ester, qu'elle avait seulement connu Frydka et pas intimement. Et franchement, cette histoire de Frydka enceinte de quelqu'un d'autre ne m'inspire pas vraiment confiance, je dois dire. Alors est-ce que ça vaut le coup de se traîner jusqu'à Minsk pour voir cette femme ? J'ai ajouté, après un silence, D'après ce qu'on me dit, Biélorussie... ! l'Ukraine à côté de la Biélorussie, c'est Paris. Nous nous sommes garés devant la maison de Josef Adler dans une petite rue tranquille sur une colline de Haï'fa. Un enfant jouait seul près d'un panneau de parking ; une brise fraîche du soir poussait un gobelet en papier le long de la rue. Quelques mois plus tôt, Josef m'avait dit, quand je l'avais appelé pour obtenir son adresse, qu'il y avait eu un attentat-suicide terrible dans son quartier. Un bus avait explosé. Mais à présent tout était calme. En dehors de cet enfant, il n'y avait pas une âme en vue. Cette semaine-là, j'ai remarqué que les journaux et les télévisions ne faisaient mention d'aucune violence ; la grande nouvelle dans la presse concernait les tentatives des descendants de la famille Wertheim, les Juifs les plus riches de Berlin autrefois, pour obtenir des dédommagements pour les biens immenses dont les nazis les avaient spoliés, y compris le terrain sur lequel avait été construit un nouvel ensemble de bureaux du Bundestag, le Parlement allemand, inauguré le jour où nous étions arrivés à Tel-
mariage

«   La tristesse pesaittoujours, deuxjours plustard, quand noussommes allésàHaïfa pour prendre desphotos deJosef Adler. Nous avions passélapremière moitiédecesamedi chezElkana pouruneautre réunion familiale gigantesque, undéjeuner auquelunplus grand nombre encorequeladernière fois, semblait-il, decousins germains, decousins audeuxième ettroisième degré,avaient puvenir. Cette fois,lasœur d'Elkana, Bruria,étaitvenue deHaïfa.

C'était unefemme àla charpente délicate, auxcheveux noirscoupés àla page.

Elleavait apporté l'albumdephotos légendaire de sa mère, celuiàpropos duquel, trenteansplus tôt,pendant levoyage demes parents enIsraël, ma mère enpleurs s'étaitexclamée, Oh, Daniel, tudevrais voirlesphotos quepossède Tante Miriam, laphoto demariage deTante Jeanette, sarobe estentièrement endentelle ! Mais maintenant, assisdans lasalle deséjour d'Elkana, enregardant enfinl'objet delégende, jeme rendais compte quechaque photo– oupresque – quis'ytrouvait, àl'exception decette photo de mariage (qui,naturellement, nepouvait passuggérer lestragédies etles drames quiavaient conduit àce mariage-là), étaitundouble d'unephoto quenous avions déjààNew York.

Ilétait évident queShmiel avaitenvoyé àtous sesparents descopies desdifférentes photosdesa famille toutaulong deces années, exactement commemesfrères, masœur etmoi lefaisons aujourd'hui.

Acette déception s'ajoutaitlaconsternation quej'airessentie enpassant enrevue un certain nombre dephotos anciennes, rognées,quejene reconnaissais pas,sans lamoindre légende ouinscription, dontunetrès ancienne d'unhomme àl'allure edwardienne qui,ai-je pensé follement, pouvaitêtremon arrière-grand-père ElkuneJäger.Quand j'aimontré ces images mystérieuses àBruria, dontl'anglais étaitaussi limité quemon hébreu pourla conversation, elleasecoué latête tristement ethaussé légèrement lesépaules.

Tousceux-là, me suis-je dit,enregardant cesvisages muets,tousceux-là sontabsolument perdus, impossibles àconnaître. Je me suis aussi aperçu, enregardant lecélèbre albumdeTante Miriam, quemon grand-père avait euen sapossession bienplusdephotos delafamille deShmiel quen'en avait euOncle Itzhak, apparemment.

Ilm'est venuàl'esprit deuxexplications possibles:la première, c'était que Oncle Itzhak, ayantvécuettravaillé avecOncle Shmiel, n'avaitpasbesoin d'avoir des souvenirs deson frère aîné;la seconde, c'étaitqueOncle Itzhak étantpartipour laPalestine entouré d'unparfum de Skandal !, les deux frères n'avaient plusétéenrelation parlasuite.

En m'asseyant surlesofa d'Elkana, toutenréfléchissant àces questions, unephrase d'unelettre de Shmiel m'estrevenue enmémoire : Qu'est-ce quelecher Isakvous écritdePalestine ? Je n'avais jamaisdemandé jusqu'àprésent pourquoi Shmiel,enPologne, avaitàdemander des nouvelles d'Itzhak,enPalestine, àmon grand-père, quiétait àNew York.

Enmême temps,. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles