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BOUCHE, substantif féminin.

Publié le 04/11/2015

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BOUCHE, substantif féminin.  

Courant.  [Chez l'homme] .  Cavité située à la partie inférieure de la tête, délimitée à l'extérieur et à l'avant par les lèvres, à l'intérieur par la langue en bas, le palais en haut, le gosier à l'arrière, renfermant avec les mâchoires les gencives et les dents, les organes sécréteurs de la salive et ceux, récepteurs, du goût; constituant l'orifice initial du tube digestif; communiquant avec les voies respiratoires et contribuant à l'émission de la voix articulée, de la parole : 

Ø 1. Et si la parole est une nourriture, c'est ainsi que divers aliments nous ont été donnés. Car il en est que l'homme fabrique lui-même, comme le pain, de crus et d'autres qu'il faut cuire; il en est que l'on broie et mâche, d'autres où la langue seule fait son oeuvre; et d'autres comme le lait, et d'autres qui fondent d'eux-mêmes dans la bouche comme le beurre et le sucre. Et moi, pressé par le bruit intérieur, je voulais proposer au monde un mot soluble et délectable, afin de repaître comme un profond estomac la mémoire et l'intelligence comme une bouche bordée de lèvres avec ses dents.

PAUL CLAUDEL, La Ville,  1901, I, page 434. 

Ø 2. Je t'approche, je te touche, tu m'inondes de ton visage, je vois ta bouche avec ce qu'elle a mangé et bu, avec les paroles qu'elle a dites et que j'ai oubliées, et les paroles dites et retenues, et celles qui n'ont pas été dites, les secrètes, les roses de ta nuit.

HENRI DE MONTHERLANT, Le Songe,  1922, page 211. 

—  ANATOMIE HUMAINE.  \" 1. Synonyme de cavité buccale. 2. Ensemble formé par la cavité buccale et les structures qui la délimitent : lèvres, langue, voile du palais, face interne des joues. 3. Orifice externe de la cavité buccale \" (Dictionnaire français de médecine et de biologie (ALEXANDRE MANUILA, LUDMILLA MANUILA, M. NICOLE, H. LAMBERT) tome 1 1970). 

Remarque : Confer cavité* buccale. 

I.—  [La bouche en tant que partie apparente du visage humain dont les lèvres constituent la limite et le dessin extérieurs] :

Ø 3.... c'était une figure, c'était une vraie figure, avec deux yeux, un nez et une bouche; et elle lui riait contre.

CHARLES-FERDINAND RAMUZ, Aimé Pache, peintre vaudois,  1911, page 182. 

A.—  [Cette partie du visage du point de vue de son aspect, de son dessin]  Une grande bouche, une petite bouche : 

Ø 4. Le bas du visage était moins pur de lignes, plus sensible aussi : une bouche irrégulière, vivante, mobile, aux lèvres minces, au sourire facile, tendre, souvent malicieux;...

ROGER MARTIN DU GARD, In memoriam,  1921, page 563. 

SYNTAXE : Une belle, une jolie bouche; une bouche large, charnue; mince, fine, pincée; une bouche bien dessinée, au dessin enfantin; une bouche fendue jusqu'aux oreilles, une bouche fendue en tirelire; une bouche un peu de travers, tordue; une bouche ferme, molle; une bouche fraîche, humide, saine; une bouche aux lèvres épaisses, aux dents blanches, aux dents gâtées; une bouche bien meublée, mal garnie, démeublée, édentée; une bouche moustachue, barbue, rasée; une bouche fardée, maquillée, peinte; une bouche rose, rouge, vermeille, de corail; une bouche en coeur; le contour de la bouche; les (deux) coins, les (deux) côtés, les plis, les commissures de la bouche; pli, rides au coin de la bouche. Les coins tombants, pendants de la bouche; la pipe, une cigarette à la bouche; avoir, garder, rester la bouche ouverte, grande ouverte; se dessiner une fausse bouche; retirer, ôter sa pipe de la bouche. 

B.—  [Cette partie du visage en tant qu'expressive d'une émotion, d'un sentiment, d'un état d'âme, etc.]  Une bouche expressive : 

Ø 5. Je ne vois que des faces abruties par l'ignorance, des bouches fielleuses crispées par la haine...

OCTAVE MIRBEAU, Le Journal d'une femme de chambre,  1900, page 62. 

Ø 6. Elle secoua la tête en fronçant la bouche, signe fréquemment employé par les gens pour répondre qu'ils n'iront pas, que cela les ennuie, à quelqu'un qui leur a demandé : « Viendrez-vous voir passer la cavalcade, assisterez-vous à la revue? »

MARCEL PROUST, Du Côté de chez Swann,  1913, page 362. 

SYNTAXE : Une bouche souriante; la bouche mauvaise, crispée, douloureuse, amère, sarcastique, soupçonneuse, boudeuse; une bouche froncée de méfiance, contractée par la douleur, tordue par la rancoeur; le pli amer de la bouche; le sourire à la bouche; rire à pleine bouche, prendre une bouche pincée; bouche qui tremble de fatigue, de colère; les coins de la bouche qui frémissent, se tirent, se pincent, se contractent. 

—  Particulièrement.  [Cette partie du visage en tant qu'elle sert à embrasser ou à être embrassée; spécialement, en tant que région du corps intervenant dans le processus, la manifestation, l'expression de la sexualité et de l'amour]  S'embrasser sur la bouche : 

Ø 7. CYRANO 

Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce?

Un serment fait d'un peu plus près, une promesse

Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,

Un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer;

C'est un secret qui prend la bouche pour oreille,

Un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille,

Une communion ayant un goût de fleur,

Une façon d'un peu se respirer le coeur,

Et d'un peu se goûter, au bord des lèvres, l'âme!

EDMOND ROSTAND, Cyrano de Bergerac,  1898, III, 9, page 135. 

Ø 8. Tu crois que moi j'avais pas de tout comme les autres femmes : des mamelles et un ventre, et une bouche avec la langue pour l'embrasser, pour le garder, pour lui faire du plaisir!

JEAN GIONO, Regain,  1930, page 42. 

Ø 9. J'aurais bien voulu comprendre par quel mécanisme le contact de deux bouches provoque la volupté : souvent, regardant les lèvres d'un garçon ou d'une fille, je m'étonnais, (...). L'enseignement de Madeleine était toujours baroque; elle m'expliqua que le plaisir dépendait des goûts de chacun (...). Avec curiosité, avec malaise, je me demandais si mon propre corps recélait des sources cachées d'où jailliraient un jour d'imprévisibles émois.

SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, page 165. 

SYNTAXE : Une bouche caressante, amoureuse, voluptueuse, provocante, tentante, savante, gourmande; une bouche altérée, assouvie; la bouche aimée, adorée; bouche à bouche, bouche contre bouche; contact bouche à bouche, de deux bouches; bouche qui appelle le baiser, bouches qui s'unissent, désir qui joint les bouches; embrasser la bouche de quelqu'un; se baiser, se donner un baiser sur la bouche; embrasser, baiser quelqu'un sur la bouche; coller, appuyer, mettre sa bouche sur la bouche de quelqu'un; coller sa bouche à, contre la bouche de quelqu'un; écraser la bouche de quelqu'un sur la sienne, sous un baiser; prendre la bouche de quelqu'un; plaquer ses lèvres sur la bouche de quelqu'un; effleurer la bouche de quelqu'un; embrasser quelqu'un à la bouche (rare); baiser quelqu'un de, à la bouche; recevoir un baiser en bouche; une bouche pleine de baisers. 

·    Locution. À pleine bouche. Embrasser, baiser quelqu'un à pleine bouche; s'embrasser, donner des baisers, échanger un baiser à pleine bouche. À bouche que veux(-)tu; s'embrasser, baiser quelqu'un à bouche que veux(-)tu. (Se) donner de très nombreux baisers, (\" à pleines lèvres \" Dictionnaire des dictionnaires (SOUS LA DIRECTION DE PAUL GUÉRIN) 1892). 

Ironique : 

Ø 10. Monsieur trompe Madame à bouche que veux-tu.

PAUL-JEAN TOULET, La Jeune fille verte,  1918, page 9. 

Figuré. Embrasser quelque chose à pleine bouche : 

Ø 11. Il [Copeau] paraît rajeuni, plus Diderot que jamais, embrassant chaque projet neuf à pleine bouche et de plein coeur.

ANDRÉ GIDE, Journal,  1914, page 474. 

—  FÉODALITÉ.   [En parlant d'un vassal]  Devoir à son seigneur la bouche et les mains. Pour lui rendre l'hommage lige, avoir à lui embrasser la bouche en signe de fidélité et à lui présenter les deux mains, jointes dans les siennes en signe de dévouement. 

C.—  [Cette partie du visage en tant que révélatrice d'un (trait de) caractère]  Une bouche volontaire, une bouche sévère : 

Ø 12. C'est la face qu'elle [l'âme] choisit pour se manifester au dehors : là, elle spiritualise la chair, pour la rendre transparente aux clartés intérieures de la pensée; elle dessine les traits avec une infinie délicatesse; elle crée la physionomie; elle fait les derniers efforts pour orner et embellir les deux endroits par où surtout elle se révèle, les yeux et la bouche. On pourrait les appeler les deux balcons, où la reine qui habite l'édifice humain se montre souvent, quoique voilée.

FRÉDÉRIC OZANAM, Essai sur la philosophie de Dante,  1838, page 129. 

Ø 13. Lorsque, dans un visage humain, le bas l'emporte sur le haut, c'est qu'une transformation profonde s'est opérée dans l'être, la volonté et les appétits l'emportant sur l'esprit, et d'une façon générale sur ce qu'il y a en nous de meilleur. Il ne faut pas que la bouche et la mâchoire triomphent des yeux et du front.

JULIEN GREEN, Journal, Le Bel aujourd'hui, 1955-58, page 246. 

SYNTAXE : Une bouche énergique, autoritaire; une bouche sérieuse, pincée, dédaigneuse, arrogante, pure, ingénue, loyale; une bouche tendre, sensuelle; une bouche rieuse, joviale; une bouche avide, soumise; une bouche mielleuse, obséquieuse; une bouche veule, vénale; une bouche moqueuse, narquoise, gouailleuse, mauvaise. 

D.—  Expressions et locutions. 

1. Usuel.  [Pour exprimer une attentive admiration, la stupéfaction ou l'incompréhension, une attente anxieuse]  La bouche ouverte, béante. Bouche bée; rester (là) la bouche ouverte, béante; écouter (quelqu'un), admirer (quelqu'un, quelque chose) (la) bouche béante; contempler (quelqu'un, quelque chose) bouche bée; être bouche bée (devant quelqu'un). Plus rare.  [Pour marquer la stupéfaction, l'incompréhension]  Ouvrir la bouche toute ronde : 

Ø 14. —  Ho! J'ouvre la bouche toute ronde... Comment, il est marié, mon dogue écossais, étrangleur d'ours et de boërs? Et marié à cela, à cette duchesse de Van Dyck ou du Titien? Non!

CLAUDE FARRÈRE, L'Homme qui assassina,  1907, page 82. 

2. Locution familière. 

—  La bouche en coeur. 

·    En donnant à sa bouche et, par extension, à sa physionomie, à ses façons, une expression affectée, mignarde, généralement dans l'intention de plaire : 

Ø 15.... Et c'est là cependant

Que toi, mon seul amour, toi, mes seules délices,

Tu brames tous les soirs d'infâmes ritournelles

Et que, la bouche en coeur, l'oeil clos, le bras pendant,

Tu souris aux voyous, ô la Reine des belles!

GEORGES-CHARLES, DIT JORIS-KARL HUYSMANS, Marthe, histoire d'une fille,  1876, page 14. 

Ø 16. Et par là-dessus un beau jour mon époux a disparu. Il est froidement parti avec une tournée de passage, comme ça, dans la nuit, la bouche en coeur, sans rien me dire.

RAYMOND QUENEAU, Loin de Rueil,  1944, page 220. 

·    En faisant le doucereux, en minaudant, en simulant —  par des jeux de physionomie, des manières, une façon de parler affectés, mignards —  une candeur, une amabilité excessives, dans le but de plaire. Avoir, faire la bouche en coeur. 

Néologisme, par métonymie.  [Pour désigner une personne] :

Ø 17. Le docteur... n'eut aucun succès avec ses manières paternes, ses belles phrases de bouche-en-coeur.

ALPHONSE DAUDET, Le Nabab,  1877, page 133. 

Néologisme, en emploi adjectif : 

Ø 18. Mais ces crébillonnades, si séduisantes en leur prose à talons rouges dans les vieux petits bouquins où on les lit, me semblent parler au théâtre une langue la bouche-en-coeur, une langue, selon l'expression du peuple, tourne-gueule, fatigante, agaçante, d'une préciosité attaquant les nerfs.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1890, page 1103. 

Proverbe. Coeur en bouche, bouche en coeur : 

Ø 19. La garnison de M. de Nevers est partie ce matin... J'étais fier de notre cuisine. Nous nous sommes quittés coeur en bouche, bouche en coeur.

ROMAIN ROLLAND, Colas Breugnon,  1919, page 36. 

—  La bouche en cul(-)de(-)poule. La bouche arrondie et pincée en une moue peu naturelle, par recherche, pour plaire... Faire la bouche en cul(-)de(-)poule : 

Ø 20. Voilà un type de bonté féminine sur lequel il n'y a pas à se tromper : le teint un peu tiqueté de rousseur et les lèvres épaisses, la bouche entr'ouverte comme un gros bouton de fleur, la bouche en cul de poule.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1866, page 274. 

—  Rare. La bouche enfarinée. 

·    Naïf au point d'être ridicule. Avoir la bouche enfarinée. 

·    Avec des sentiments qui ne sont que simulés : 

Ø 21. Toujours est-il que... J'y retourne ce soir [chez Léa] la bouche enfarinée.

GUILLAUME-VICTOR-ÉMILE, DIT ÉMILE AUGIER, Paul Forestier,  1868, page 94. 

II.—  [La bouche humaine en tant que cavité interne] 

A.—  1. [Cette cavité en tant qu'orifice initial du tube digestif où s'accomplissent l'ingestion, l'insalivation, la mastication des aliments, où s'opère leur gustation et leur déglutition] :

Ø 22. Ce n'est pas seulement la nausée, c'est l'impossibilité presque complète d'avaler quoi que ce soit de solide, les glandes se refusant à saliver, les muscles à déglutir; et les muqueuses de la langue et de la bouche se tapissent d'une sorte de sécrétion salée, comme isolante. Arriver à ne pas vomir, mais à force de restrictions.

ANDRÉ GIDE, Journal,  1889-1939, page 100. 

SYNTAXE : Porter (un aliment, les morceaux, son verre) à la bouche, à sa bouche; avoir la bouche pleine (de quelque chose); parler la bouche pleine; manger, mordre, croquer à pleine bouche; s'essuyer, se rincer la bouche; avoir, rendre la bouche sèche, amère, pâteuse; sentir mauvais de la bouche; délicatesse de bouche; plaisirs de la bouche; joies de bouche; une cuillerée à bouche (de quelque chose); ustensiles de bouche; consommation de bouche; mauvaise odeur de la bouche; affections de la gorge et de la bouche; vaccination par la bouche; administrer un médicament par la bouche. 

—  Par métaphore : 

Ø 23. Le petit Pablo le regardait avec gravité... Mathieu se sentit gêné, sans savoir pourquoi. Il avait l'impression d'être englouti par les yeux de l'enfant « Les mômes, pensa-t-il, c'est des petits voraces, tous leurs sens sont des bouches. »

JEAN-PAUL SARTRE, L'Âge de raison,  1945, page 43. 

2. Par métonymie.  [Pour désigner ce qui est en rapport avec la bouche : domaine de la nourriture, de la table] 

a) [Dans la catégorie de l'inanimé] 

·    Provisions, munitions, dépenses de bouche. Provisions, dépenses faites pour se nourrir. 

·    Exigences de bouche. Exigences alimentaires. Excès de (la) bouche. Excès alimentaires. Synonyme : excès de table. 

·    Prendre sur sa, sur la bouche. Économiser en restreignant les dépenses alimentaires. 

Remarque : Attesté dans la plupart des dictionnaires. 

·    HISTOIRE.   [Sous l'Ancien Régime]  Avoir bouche à (la) cour, en cour. Être admis à l'une des tables de la maison royale. 

b) [Dans la catégorie de l'animé]  Personne, par rapport à ses besoins alimentaires. Avoir (tant de) bouches à nourrir : 

Ø 24. Ça me faisait honte et peine de voir tant de travail, tant de misère et tant de bouches à la maison.

ALPHONSE DE LAMARTINE, Le Tailleur de pierre de Saint-Point,  1851, page 452. 

·    Bouche inutile. [Dans un contexte de guerre]  Personne inapte au combat dont la nourriture cependant est prélevée sur les vivres de la communauté; par extension, péjorativement individu dont la subsistance incombe à une personne ou à une collectivité : 

Ø 25. « Les maires de chaque commune seront tenus d'établir dans les huit jours une liste des malades, vieillards, enfants et bouches inutiles en général, en vue de leur évacuation vers la France... »

MAXENCE VAN DER MEERSCH, Invasion 14,  1935, page 29. 

·    Fine bouche. Personne exigeante et raffinée en matière de nourriture. Synonymes : gourmand, gourmet, bec fin (familier). Être une fine bouche : 

Ø 26.... les gourmets ne sont pas d'accord sur le point de savoir s'il vaut mieux griller la tartine avant ou après que les rillettes y ont été étendues; (...). D'autres personnes, je dois le confesser, se bornent à les manger à froid, sans préparation aucune; celles-là sont indignes de savourer ce précieux mets; quant aux fines bouches, elles refuseraient d'y toucher s'il n'était conditionné d'après la formule que voici :...

GEORGES-CHARLES, DIT JORIS-KARL HUYSMANS, L'Oblat, tome 1, 1903, page 115. 

·    HISTOIRE.   [Sous l'Ancien Régime]  Les officiers de la bouche (du roi), le service de la bouche (du roi) ou, absolument, la bouche (du roi). L'ensemble des services de la table du roi (Confer Dictionnaire de l'Académie des gastronomes 1962 et Nouveau Larousse gastronomique (PROSPER MONTAGNÉ) 1967). 

3. Expressions et locutions (le plus souvent figurées) 

—  Faire la petite bouche. Faire le difficile face aux plaisirs de la table et, par extension, face à quelque chose qui est apprécié ordinairement : 

Ø 27. Dans un dîner d'hommes de lettres, quelqu'un a prononcé le nom de Valéry et à ma très grande surprise j'ai vu un écrivain faire la petite bouche et il a dit que les textes de ce poète ne signifiaient pas grand-chose et qu'au fond il ne savait presque rien.

JULIEN GREEN, Journal,  1949, page 264. 

Remarque : Selon DICTIONNAIRE ALPHABÉTIQUE ET ANALOGIQUE DE LA LANGUE FRANÇAISE  (PAUL ROBERT), Grand Larousse encyclopédique en dix volumes et Grand Larousse de la Langue française en six volumes, on dit également dans ce sens faire la fine bouche. 

·    Particulièrement, vieilli.  [Dans le domaine de la parole]  Faire la petite bouche sur/de quelque chose Ne pas s'exprimer librement sur un sujet : 

Ø 28. Mon ami Lévêque... est un vieux grognard qui pense comme nous... et on n'a pas besoin [quand on ne veut pas des Bourbons] de faire la petite bouche avec lui.

LOUIS-FRANÇOIS RABAN, MARCO SAINT-HILAIRE. Mémoires d'un forçat, ou Vidocq dévoilé,  1828-29, tome 2, page 282. 

·    Néologisme d'auteur, emploi adjectif. Petite bouche : 

Ø 29. Il paraît qu'en fait de germanisme, le goût anglo-saxon lui-même ne peut pas tant porter; mais il est plus robuste, il est moins petite bouche que le nôtre, et il permet de mordre davantage.

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Nouveaux lundis, tome 3, 1863-69, page 269. 

·    Par métonymie, dépréciatif.  [Pour désigner une personne]  Petite bouche : 

Ø 30. Ô vous, qui ne connûtes jamais du monde que des couleurs et des sons sans substance, coeurs sensibles, bouches lyriques où l'âpre vérité fondrait comme une praline —  petits coeurs, petites bouches —  ceci n'est point pour vous. Vos diableries sont à la mesure de vos nerfs fragiles, de vos précieuses cervelles...

GEORGES BERNANOS, Sous le soleil de Satan,  1926, page 153. 

—  En avoir l'eau à la bouche. Avoir la salive qui vient à la bouche à la vue ou à la seule idée d'un aliment appétissant Synonyme : En saliver. L'eau m'en vient à la bouche. Faire venir l'eau à la bouche (de quelqu'un). 

·    Figuré. Faire venir, mettre l'eau à la bouche (à quelqu'un) (de quelque chose). Susciter (chez quelqu'un) la forte envie (de quelque chose). L'eau m'en vient à la bouche. L'envie m'en prend : 

Ø 31.... l'argent qu'un autre recevait excitait en lui une curiosité incompressible et lui faisait venir l'eau à la bouche. Pendant ces courts instants, il avait l'air attentif et fiévreux d'un enfant qui lit un roman de Jules Verne,...

MARCEL PROUST, Sodome et Gomorrhe,  1922, page 1025. 

—  Retirer, ôter, enlever, arracher à quelqu'un le pain ou le(s) morceau(x) de la bouche : 

Ø 32. Tout en se faisant caressante, elle avait pris les tartines de son frère, qu'elle mordait à belles dents. Elle en avait achevé une; elle entamait la seconde, lorsque la Teuse s'en aperçut :

—  Mais ce n'est pas à vous, ce pain-là! Voilà que vous lui retirez les morceaux de la bouche, maintenant!

ÉMILE ZOLA, La Faute de l'Abbé Mouret,  1875, page 1428. 

·    Figuré.  Le frustrer du nécessaire : 

Ø 33. Pauvre rue dépareillée et sous-alimentée

On t'a retiré le pain de la bouche 

On t'a arraché les ovaires

On t'a coupé l'herbe sous le pied

On t'a rentré tes chansons dans la gorge

On t'a enlevé ta gaîté

Et le diamant de ton rire s'est brisé les dents sur le

Rideau de fer de la connerie et de la haine...

JACQUES PRÉVERT, Paroles,  1946, pages 245-246. 

·    Se retirer, s'ôter le pain ou le(s) morceau(x) de la bouche. Se priver de nourriture et, par extension, du nécessaire, pour en faire profiter quelqu'un d'autre le plus souvent : 

Ø 34. Pourquoi vivrais-je maintenant que j'ai perdu mes chers écus que j'avais si soigneusement amassés et que j'aimais plus que mes propres yeux. Mes écus que j'avais épargnés en me retirant le pain de la bouche, en ne mangeant jamais à ma faim! Mes écus!

ALBERT CAMUS, Les Esprits, adapté de Pierre de Larivey, 1953, page 496. 

—  Familier. Avoir la bouche pleine (de quelque chose). En parler beaucoup, avec délectation, enthousiasme, vanité, etc. En avoir plein la bouche (de quelque chose) : 

Ø 35. Vous qui avez la bouche pleine de vos classiques, souvenez-vous de votre Corneille : « Moi seul, et c'est assez! »

ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, Le Buisson ardent, 1911, page 1274. 

—  Bonne, mauvaise bouche. 

a) Avoir bonne, mauvaise bouche. Avoir un bon, un mauvais goût dans la bouche. [En parlant d'un aliment]  Faire, donner, laisser bonne ou mauvaise bouche (à quelqu'un). 

Figuré : 

Ø 36. Il y avait je ne sais quoi de misérable et de lugubre dans cet étal en plein vent de fruits et de gâteaux, douceurs de mourants, viatiques de malades... et que des mains de travail, toutes noires, prenaient en passant pour porter à l'hôpital et faire bonne bouche à la mort.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Germinie Lacerteux,  1864, page 255. 

b) Laisser quelqu'un sur la bonne bouche. Terminer le repas qu'on lui a servi par quelque chose de particulièrement savoureux. Figuré.  Le laisser sur une impression finale agréable. 

c) Rester, demeurer sur la bonne ou la mauvaise bouche. Cesser de manger après un aliment qui a donné bonne ou mauvaise bouche. Figuré. Rester, demeurer sur la bonne bouche. S'arrêter après quelque chose d'heureux en pensant que seule une déception pourrait suivre. 

d) Garder, réserver quelque chose (un aliment) pour la bonne bouche. Garder pour la fin du repas ce qui est le meilleur. Figuré.  Garder le plus agréable pour la fin. Par ironie,  garder le plus désagréable pour la fin : 

Ø 37. —  Vraiment, monsieur le conseiller, vous me gardiez ceci pour la bonne bouche! Est-ce tout ce dont je suis accusé...

AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Les Beaux Messieurs de Bois-Doré, tome 2, 1858, page 23. 

—  Attendre que quelque chose tombe tout rôti dans la bouche. Attendre, sans y aider d'aucune façon, que quelque chose se fasse. Tomber tout rôti dans la bouche de quelqu'un. 

—  Figuré. Ouvrir la bouche trop grande. Vouloir plus qu'on ne peut obtenir. Synonyme : Avoir les yeux plus grands que le ventre :  

Ø 38. Car l'armistice sera rompu, les Balkaniques ouvrent la bouche trop grande : les Turcs ne marcheront pas...

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Cécile parmi nous, 1938, page 118. 

—   [Dans le domaine de la table]  À bouche(-)que(-)veux-tu À profusion, sans compter. 

·    Figuré : 

Ø 39. Dans les rues de Yokohama... quelle mascarade à faire pitié. Chapeaux melons de tous les styles, petits complets couleur puce ou couleur queue de rat, tous les vieux stocks de costumes invendables en Europe, déversés à bouche que veux-tu sur ces seigneurs, qui naguère encore se drapaient de soie.

JULIEN VIAUD, DIT PIERRE LOTI, La Troisième jeunesse de Madame Prune,  1905, page 271. 

·    Traiter quelqu'un à bouche que veux-tu. Lui offrir un très bon repas, le traiter de la meilleure façon. 

Remarque : Attesté dans la majorité des dictionnaires. 

·    Figuré. Être à bouche que veux-tu. Ne manquer de rien, avoir tout ce que l'on souhaite. 

Remarque : Attesté dans Grand dictionnaire universel du XIXe. siècle (Pierre Larousse), Nouveau Larousse illustré, DICTIONNAIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE  (ÉMILE LITTRÉ), Dictionnaire général de la langue française (Adolphe Hatzfeld, Arsène Darmesteter) et DICTIONNAIRE ALPHABÉTIQUE ET ANALOGIQUE DE LA LANGUE FRANÇAISE  (PAUL ROBERT. 

—  Vieilli. Être (porté) sur sa bouche. Être sujet à la bouche (vieux). Aimer boire et manger, être porté sur les plaisirs de la table. 

B.—  [Cette cavité en tant qu'elle communique avec les voies respiratoires et donne passage à l'air] 

1. [La bouche servant à respirer] :

Ø 40. Il marchait difficilement, la bouche ouverte pour mieux souffler. Il aurait pu jouer Éole dans un ballet mythologique, et l'on entendait de vingt pas sa respiration d'ogre.

JULES FLEURY-HUSSON, DIT CHAMPFLEURY, Les Souffrances du professeur Delteil, 1855, page 61. 

SYNTAXE : Respirer la bouche ouverte; aspirer l'air, souffler à pleine bouche; le souffle de la bouche. 

—  Par métaphore : 

Ø 41. La terre inépuisable dans l'étreinte de toutes les racines de ton être

Et le ciel infini avec le soleil, avec les astres dans le mouvement de l'année,

Où tu t'attaches avec cette bouche, faite de tous tes bras, avec le bouquet de ton corps, le saisissant de tout cela en toi qui respire, 

La terre et le ciel tout entiers, il les faut pour que tu te tiennes droit!

PAUL CLAUDEL, Tête d'or, 2e.  version, 1901, page 183. 

Ø 42. Si je m'étais obstinée à dormir dehors, la puissante bouche qui souffle le froid, le sec, qui éteint toute odeur et anesthésie la terre, l'ennemi du travail, de la volupté et du sommeil, m'eût arraché draps et couvertures qu'il sait façonner en longs rouleaux.

GABRIELLE COLLETTE, DITE COLETTE, La Naissance du jour,  1928, page 10. 

2. a) [La bouche contribuant à la modulation des sons produits par le larynx et à l'émission de la voix articulée, de la parole] :

Ø 43. Je te conjure par la force des lettres,

Les voyelles que l'âme expulse du corps qui s'ouvre jusqu'au fond,

Les graves et les aiguës, l'a et l'i,

Et les consonnes par qui la bouche donne passage de ses trois portes, la langue, les lèvres et les dents!

Entends les éléments! Formant les lettres une à une, comme on apprend aux enfants à épeler, j'applique ma bouche à ton oreille.

Entends, mort, le langage vivant, entends le langage humain!

PAUL CLAUDEL, Le Repos du septième jour,  1901, I, page 807. 

Ø 44.... la cavité buccale cumule les fonctions de générateur de son et de résonateur. Si la glotte est largement ouverte, aucune vibration laryngienne ne se produit, et le son qu'on percevra n'est parti que de la cavité buccale (...). Si au contraire le rapprochement des cordes vocales fait vibrer la glotte, la bouche intervient principalement comme modificateur du son laryngé. Ainsi, dans la production du son, les facteurs qui peuvent entrer en jeu sont l'expiration, l'articulation buccale, la vibration du larynx et la résonance nasale.

FERDINAND DE SAUSSURE, Cours de lingusitique générale,  1916, page 68. 

Ø 45. Quand on s'arrête à la façon par exemple dont sont formés et proférés les mots, elles ne résistent guère nos phrases au désastre de leur décor baveux. C'est plus compliqué et plus pénible que la défécation notre effort mécanique de la conversation. Cette corolle de chair bouffie, la bouche, qui se convulse à siffler, aspire et se démène, pousse toutes espèces de sons visqueux à travers le barrage puant de la carie dentaire, quelle punition! Voilà pourtant ce qu'on nous adjure de transposer en idéal. C'est difficile.

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Voyage au bout de la nuit,  1932, page 417. 

SYNTAXE : Bouche qui prononce (un mot, des paroles, etc.,); parler du coin de la bouche; ouvrir la bouche pour parler, pour adresser la parole à quelqu'un, pour dire quelque chose à quelqu'un, pour questionner, pour répondre, pour crier; mot qui écorche la bouche de quelqu'un; mot, paroles... déplacé (es) dans la bouche de quelqu'un; paroles qui expirent sur la bouche de quelqu'un. 

·    Mots, paroles, etc., qui sortent, (s')échappent, coulent, tombent de la bouche de quelqu'un. « La vérité sort de la bouche des enfants » (Dictionnaire de l'Académie française.  1878-1932).  Cela m'est sorti de la bouche. Je l'ai dit sans y avoir pensé, je n'ai pu me retenir de le dire : 

Ø 46. —  C'est vrai qu'il a l'air honnête et franc et que, s'il parlait, il ne sortirait de sa bouche que des paroles de vérité.

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Le Lys rouge,  1894, page 228. 

·    Mots, paroles, etc., qui viennent, montent, échappent à la bouche de quelqu'un; phrases qui viennent dans la bouche de quelqu'un; dire tout ce qui vient à la bouche. Parler très librement ou parler sans réfléchir : 

Ø 47. Il arrive même qu'il fasse ce qu'il ne veut pas faire et dise ce qu'il ne veut pas dire, simplement parce que l'idée lui est venue en tête ou le mot à la bouche.

EMMANUEL MOUNIER, Traité du caractère,  1946, page 665. 

·    Apprendre quelque chose de (plus rarement : par) la (propre) bouche de quelqu'un; recueillir (des mots, un discours, etc.,) de la bouche (même) de quelqu'un. Tenir, savoir, entendre quelque chose de la bouche de quelqu'un; obtenir (un récit) de la bouche de quelqu'un; avoir de la bouche de quelqu'un, l'assurance que... : 

Ø 48. Peut-être aussi leur en aurais-je fait grief si je n'avais pas appris la vérité de leur bouche : en reconnaissant qu'ils m'avaient dupée, ils me convainquirent de leur franchise.

SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, page 23. 

—  Par métaphore : 

Ø 49. Notre passé, c'est notre secret promulgué par la bouche des années, c'est l'image la plus mystérieuse de notre être, surprise et gardée par le temps.

MAURICE MAETERLINCK, Le Temple enseveli,  1902, page 222. 

Ø 50. Ce que veut arracher l'art tragique à coups de résurrections barbares, c'est d'abord le poing imposteur dont la civilisation clôt la bouche de la destinée.

ANDRÉ MALRAUX, Les Voix du silence,  1951, page 538. 

·    Par allégorie, poétique. La Déesse aux cent bouches. La Renommée : 

Ø 51. Mais ses funérailles seront celles du phénix, seigneur, et malgré l'inconstance des hommes et le temps oublieux il revivra et sera célébré après sa mort dans toutes les bouches de la renommée!

ALBERT CAMUS, Le Chevalier d'Olmedo, adapté de Félix Lope de Vega, 1957, page 816. 

Par allusion : 

Ø 52. Aussi c'est un très mauvais signe lorsque chacun agit et d'abord pense par imitation; lorsque règne l'opinion aux cent bouches, qui n'est que du bruit, sans aucune pensée. Abdication de tous.

ÉMILE-AUGUSTE CHARTIER, DIT ALAIN, Propos,  1921, page 237. 

b) Par métonymie. 

—   [Pour désigner la personne qui parle] :

Ø 53. Soudain une clameur immense éclata. Dix mille bouches chantaient la Marseillaise. Puis tout se tut.

JOSEPH DE PESQUIDOUX, Chez nous,  1921, page 219. 

·    Une bouche amie, une bouche ennemie. Une personne bien ou mal disposée à l'égard d'une autre : 

Ø 54.... il fit observer au roi, qu'ayant eu le malheur de déplaire à la reine, il serait barbare de lui faire porter cet ordre par une bouche ennemie, et il engagea le roi à donner cette commission à M. De Machaut, qui était des amis de Madame De Pompadour,...

NICOLAS-SÉBASTIEN ROCH, DIT DE CHAMFORT, Caractères et anecdotes,  1794, page 91. 

—   [Pour désigner ce qui est dit] :

Ø 55. Mais ils ont aperçu un bel homme à cheval, la loyauté sur son visage, la sincérité dans la bouche et alors le mot tromper a couru jusqu'au fond des ondes...

JEAN GIRAUDOUX, Ondine,  1939, II, 2, page 139. 

·    Être maître de sa bouche. Être maître de ses paroles. 

c) Expressions et locutions. 

—  Ouvrir la bouche. Parler, prendre la parole. Empêcher quelqu'un d'ouvrir la bouche, ouvrir la bouche de quelque chose à quelqu'un, ouvrir la bouche sur quelque chose. 

—  Ouvrir la bouche à quelqu'un. 

·    Parler à quelqu'un : 

Ø 56. Il n'a vu que son enfant. Il l'a tenu longtemps dans ses bras lui parlant, lui souriant; il ne nous a pas ouvert la bouche, ni à sa mère ni à moi.

PIERRE-ALEXIS, VICOMTE PONSON DU TERRAIL, Rocambole, les drames de Paris, tome 2, Le Club des valets de coeur, 1859, page 447. 

·    Faire parler quelqu'un. Synonyme : délier la langue de quelqu'un :  

Ø 57. Mais écoute : le vin, par toi-même versé, m'ouvre la bouche. Ainsi, puisque j'ai commencé, entends ce que peut-être il eût mieux valu taire. Excuse enfin ma langue, excuse ma prière; car du vin, tu le sais, la téméraire ardeur souvent à l'excès même enhardit la pudeur.

ANDRÉ CHÉNIER, Bucoliques, Le Mendiant, 1794, page 208. 

·    RELIGION CATHOLIQUE.  Ouvrir la bouche aux cardinaux. \" Donner aux cardinaux la permission de parler dans le consistoire, ce qu'ils ne peuvent faire avant l'accomplissement de certaines cérémonies par lesquelles le pape leur concède cette faculté \" (Grand dictionnaire universel du XIXe.  siècle (Pierre Larousse)). 

Remarque : 1. Attesté dans la majorité des dictionnaires 2. Voir également infra fermer la bouche à quelqu'un. 

—  Fermer, clore la bouche à (plus rarement de) quelqu'un. Le faire taire en le décidant, en l'acculant ou en le contraignant au silence. Par extension ou par personnification.  Fermer la bouche à quelque chose : 

Ø 58.... elle voulut protester, mais il lui ferma la bouche par un : —  « C'est bien! » très sec, et il sortit...

ANDRÉ THEURIET, La Maison des deux barbeaux,  1879, page 127. 

·    RELIGION CATHOLIQUE.  Fermer la bouche à un cardinal. \" Se dit du pape, qui met un doigt sur la bouche des cardinaux nouvellement élus, pour leur indiquer qu'il leur est interdit de prendre la parole dans le consistoire, jusqu'à ce qu'il leur ait ouvert la bouche par une autre cérémonie \" (Grand dictionnaire universel du XIXe.  siècle (Pierre Larousse)). 

Remarque : 1. Attesté dans la majorité des dictionnaires 2. Confer un emploi métaphorique exemple 50. 

·    Familier. Boucler la bouche de quelqu'un; ferme ta grande bouche. Par ellipse, populaire. Ta bouche! Ta bouche, bébé! Tais-toi! Synonymes vulgaires : Ta boîte! Ta gueule! 

Ø 59. —  J'ai aussi quelque chose à dire. Mon expérience personnelle...

—  Ferme ta grande bouche, Mac, fit quelqu'un, et laisse-le finir.

JULIEN GREEN, Moïra,  1950, page 53. 

—  Bouche close, bouche cousue (familier). 

·    Bouche silencieuse : 

Ø 60.... la marche triomphale s'achevait en défilé entre des bouches cousues...

ALEXANDRE ARNOUX, Roi d'un jour,  1956, page 365. 

·    Silence! Pas un mot à ce sujet! Avoir, demeurer, rester bouche close, (la) bouche cousue. Garder le silence, tenir une chose secrète. Par métaphore : 

Ø 61. Lyon était devenu complice de sa vie, de son travail : la bouche cousue des maisons, le noir secours des traboules, l'absence d'élégance et de frivolité de ces grands murs lépreux, et ce qui se tisse de luxe derrière eux, ce qui s'y amasse de trésors, ce qui s'y trame à voix basse...

ELSA TRIOLET, Le Premier accroc coûte deux cents francs, 1945, page 76. 

·    Locution adverbiale. À bouche close. Intérieurement : 

Ø 62. Et moi, je l'invective [la Carmencita] à bouche close...

GABRIELLE COLLETTE, DITE COLETTE, L'Entrave,  1913, page 102. 

—  Souvent péjoratif. N'avoir qu'un mot, qu'une chose à, dans la bouche. Ne pas cesser d'employer un mot, faire continuellement référence à une chose, au point d'irriter son auditoire. Avoir souvent, toujours, à tout propos, un mot à, dans la bouche. N'avoir plus que l'injure à la bouche. 

—  Mettre, placer (des mots, un discours, etc.) dans la bouche de quelqu'un. Attribuer certains propos à quelqu'un ou faire dire par son truchement quelque chose qu'on ne peut dire soi-même : 

Ø 63.... Dieu qui se sert de tout pour accomplir ses desseins, et qui se plaît à employer de préférence les plus faibles instruments, a mis dans ma bouche je ne sais moi-même quelles paroles qu'il voulait vous faire entendre,...

FÉLICITÉ-ROBERT DE LAMENNAIS, Lettres inédites... à la baronne Cottu, 1818, page 2. 

—  Prendre bouche avec quelqu'un. Entrer en relation avec lui. Synonyme : prendre langue avec quelqu'un. 

—  Être suspendu à la bouche de quelqu'un. L'écouter parler avec attention, admiration. Synonymes plus courants : être suspendu aux lèvres de quelqu'un, boire les paroles de quelqu'un. 

—  Enlever à quelqu'un les mots de la bouche. Le précéder pour exprimer une idée que lui-même s'apprêtait à exprimer et avec les mêmes mots. 

—  Arracher quelque chose de la bouche de quelqu'un. Décider, non sans difficulté, ou contraindre une personne qui s'y refuse, à parler. 

—  Ne pouvoir tirer un mot de la bouche de quelqu'un. Ne pas réussir à le faire parler. 

—  Rester bouche bée. Rester muet de stupeur. Synonymes : rester la bouche ouverte (M.-G. Braun, Apôtres de la violence, Paris, Fleuve noir, 1962, page 170). 

—  Familier. Être fort en bouche. Parler avec beaucoup d'assurance et une hardiesse volontiers impudente. 

Remarque : DICTIONNAIRE ALPHABÉTIQUE ET ANALOGIQUE DE LA LANGUE FRANÇAISE  (PAUL ROBERT) enregistre l'expression donner de la bouche en renvoyant à crier, gueuler. 

—  Dans la bouche de (quelqu'un). 

·    Prononcé par, venant de, de la part de (telle personne) : 

Ø 64. Toutes ces formules suffisamment vagues dans la bouche du général Eisenhower ne conviennent plus dans celle d'Eisenhower, homme politique...

Combat.  19-20 janvier 1952, page 4, colonne 7. 

·    Selon les propres termes, selon l'appréciation de (telle personne) : 

Ø 65.... le petit peuple, dans votre bouche, c'est le peuple des échelons inférieurs à celui que vous occupez dans l'échelle de la société; vous, vous n'en êtes pas,...

RODOLPHE TOEPFFER, Nouvelles genevoises,  1839, page 184. 

·    Exprimé, exposé, dit par (telle personne) : 

Ø 66. Tu n'as jamais jugé que selon la haine que tu décorais du nom de loi. Et même les meilleurs lois ont pris mauvais goût dans ta bouche, c'était la bouche aigre de ceux qui n'ont jamais rien aimé.

ALBERT CAMUS, L'État de siège,  1948, page 256. 

—  Par la bouche de (quelqu'un). Par le truchement de (telle personne). Synonyme : par la voix de. Parler, dire quelque chose par la bouche de (quelqu'un). 

—  De bouche en bouche. Transmis oralement, d'une personne à une autre. Mots, paroles, nouvelles... qui passent, volent, circulent, vont, courent... de bouche en bouche. 

·    [Dans le même sens]  Être dans, sur toutes les bouches. Être le sujet conversation de tout le monde; être public, célèbre. Synonyme : être sur toutes les lèvres. 

—  De bouche à oreille. Oralement et en confidence : 

Ø 67.... et cette science venait d'où dans les îles de la mer d'Irlande (...) sinon de ces femmes folles de religion qui se la transmettaient oralement, de bouche à oreille, comme un grand secret venu de la mer.

BLAISE CENDRARS, Bourlinguer,  1948, page 363. 

·    Néologisme d'auteur. Le bouche à oreille : 

Ø 68.... je l'entendais... le joyeux bouche à oreille du canton : « Vous savez?... La mère après la fille et peut-être en même temps... Comme famille tuyau de poêle, on ne fait pas mieux! »

HERVÉ BAZIN, Qui j'ose aimer,  1956, page 204. 

—  Bouche à bouche. Oralement et sans intermédiaire, en face. Parler, répondre à quelqu'un bouche à bouche : 

Ø 69. « Je n'obéirai pas, dit-il, au commandement du roi; mais je vais promptement à Paris avec toute ma puissance, et pour lors je lui répondrai bouche à bouche ». Cependant, mieux avisé, il fit écrire une réponse à tous les articles des instructions du sire de Canny, la lui remit, et lui recommanda de ne la rendre qu'aux mains du roi.

PROSPER DE BARANTE, Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois, tome 4, 1821-24, page 134. 

—  Vieilli. De bouche. Verbalement : 

Ø 70. « On vous a écrit, aux environs du 1er.  décembre, une lettre de congé, par laquelle on vous priait de vous tenir chez vous? » (silence; grand étonnement!) « C'est moi qui l'ai libellée; je l'ai dit ensuite à Sara; elle m'en a remercié de bouche, et... par écrit. Voilà son billet ».

NICOLAS-EDME RESTIF, DIT RESTIF DE LA BRETONNE, Monsieur Nicolas,  1796, page 222. 

—  À pleine bouche. 

·    Dire quelque chose, crier, chanter, sacrer à pleine bouche. Dire quelque chose, crier, chanter, sacrer avec force, conviction : 

Ø 71. Et il jurait, tout le long des marées, cassait sa pipe entre ses dents, bourrait son équipage; et, ayant sacré à pleine bouche avec tous les termes usités et contre tout ce qu'il connaissait, il expectorait ce qui lui restait de colère au ventre sur les poissons et les homards tirés un à un des filets,...

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 2, Le Noyé, 1888, page 1152. 

·    Vieux, rare. Dire quelque chose à pleine bouche. Le dire ouvertement : 

Ø 72. L'Allemagne nous dit à pleine bouche qu'ayant tout dépassé et tout épuisé d'un Occident émasculé, elle veut se mettre à l'école de l'Asie.

MAURICE BARRÈS, Une Enquête aux pays du Levant, tome 1, 1923, page 210. 

—  À bouche que veux-tu. Avec abondance : 

Ø 73. Le capitaine Sommerive partit une heure avant l'aurore en sacrant à bouche que veux-tu.

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 2, Le Mal d'André, 1883, page 385. 

Remarque : La locution à pleine bouche se rencontre avec le même sens : 

Ø 74. Avais l'intérêt de me faire écouter de ces yeux violettes des bois perlées de rosée qui ont de si belles épaules. Dit des faussetés à pleine bouche,...

JULES BARBEY D'AUREVILLY, 2e.  Memorandum,  1839, page 369. 

—   [Par allusion à saint Jean Chrysostome]  C'est un saint Jean bouche d'or. (C'est) une personne qui s'exprime avec éloquence ou qui parle franc et net. 

·    Bouche d'or. Bouche d'où ne sortent que de belles, de bonnes, de sages paroles. Parler comme une bouche d'or. Par métonymie.  [Pour désigner un poète] :

Ø 75. Avec une angoisse toute nouvelle, elle regardait la belle bouche de Suzanne, cette belle bouche d'or qui formait tant de paroles harmonieuses,...

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Suzanne et les jeunes hommes, 1941, page 294. 

d) [En opposition paradigmatique] 

—   [De nature antonymique, avec coeur (allié parfois à esprit, âme) dans le cadre de comparaisons —  se ramenant le plus souvent à une opposition —  entre les paroles prononcées par le locuteur et ses pensées, ses sentiments réels] :

Ø 76.... janséniste d'esprit et de coeur, catholique de bouche, disent les uns. Janséniste de bouche, reprennent les autres, catholique d'esprit et de coeur. Pauvre Nicole, pris entre deux feux également meurtriers!

ABBÉ HENRI BREMOND, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, tome 4, 1920, page 446. 

Remarque : Un certain nombre de dictionnaires enregistrent, dans le même ordre d'idées, le proverbe : Il dit cela de bouche, mais le coeur n'y touche. \" Il parle contre sa pensée \" (Dictionnaire de l'Académie Française 1878), et les expressions : \" Son coeur n'était point d'accord avec sa bouche \" (Dictionnaire de l'Académie Française 1835-1932). Avoir le coeur sur, à la bouche. \" Parler comme on pense \" (Dictionnaire de la langue française (ÉMILE LITTRÉ)). 

—   [De nature antonymique, avec âme, opposant la parole —  moyen d'une communication superficielle —  à l'âme —  moyen de la communication profonde] :

Ø 77. L'oeil humide de joie, au banquet elle oublie et les mets et la table, et se nourrit en paix du plaisir de vous voir, de contempler vos traits. Sa bouche ne dit rien, mais ses yeux, mais son âme vous parlent;...

ANDRÉ CHÉNIER, Élégies,  1794, page 127. 

Ø 78.... ils marchaient, s'arrêtaient, parlaient, s'interrompaient, et, pendant les silences, leurs bouches se taisant, leurs âmes chuchotaient.

VICTOR HUGO, Les Contemplations, tome 2, 1856, page 57. 

Remarque : Grand dictionnaire universel du XIXe.  siècle (Pierre Larousse) et Nouveau Larousse illustré signalent le proverbe Qui garde sa bouche garde son âme (\"... traduction de ces paroles de Salomon :... il faut veiller soigneusement sur ses paroles \") où bouche et âme se trouvent en rapport synonymique cette fois. 

—   [De nature antonymique, avec tête, opposant la parole à la pensée] :

Ø 79. M. Myriel devait subir le sort de tout nouveau venu dans une petite ville où il y a beaucoup de bouches qui parlent et fort peu de têtes qui pensent.

VICTOR HUGO, Les Misérables, tome 1, 1862, page 9. 

—   [De nature synonymique, avec main, la bouche et la main étant deux des moyens d'expression du commandement] :

Ø 80. Si dans le rang où le destin remet votre Robert, ou ma bouche ou ma main commandait quelque acte oppresseur, (il remet son poignard à Forban) prenez ce fer, frappez;...

JEAN-HENRI-FERDINAND LA MARTELIÈRE, Robert, chef de brigands,  1793, V, 9, page 72. 

C.—  [La bouche en tant que siège de troubles psychosomatiques] :

Ø 81.... le réveil de M. Jérôme désengourdissait la maison. C'était l'heure de ses yeux gonflés, de sa bouche amère où sa conception du monde atteignait au plus sombre.

FRANÇOIS MAURIAC, Le Baiser au lépreux,  1922, page 153. 

Ø 82. La sainte racontait ce jour de Pâques où, à l'instant même où ses lèvres avaient reçu l'hostie, elle sentit son coeur livré à l'appel de la mort et où ce goût de cendres et de néant, emplissant sa bouche, lui laissa l'affreux souvenir du plomb.

HENRI PETIOT, DIT DANIEL-ROPS, Mort, où est ta victoire?  1934, pages 502-503. 

Ø 83.... quelle que soit la voie que je doive suivre, je ne peux pas comme vous aller à la vie avec tout moi-même; au moment où j'existe avec le plus d'intensité, j'ai encore le goût du néant dans la bouche!

SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, page 275. 

III.—  [En parlant des animaux] 

A.—  Courant.  Cavité buccale des animaux montés ou attelés, des grenouilles, de certains poissons : 

Ø 84. C'était la foire, et le sommeil troublé par des meuglements, des hennissements coupés court comme si le paysan étouffait de ses mains la bouche du cheval ou du boeuf,...

JEAN GIRAUDOUX, Suzanne et le Pacifique,  1921, page 23. 

Remarque : Ne se dit pas, dans la langue courante, de la cavité buccale des animaux pour laquelle l'usage a imposé un autre terme, bec pour les oiseaux, gueule pour la plupart des carnassiers. 

—  Spécialement.  [La bouche du cheval par rapport à l'action du mors]  Assurer la bouche d'un cheval. \" L'accoutumer à endurer le mors \" (Larousse du XXe.  siècle en six volumes). Cheval qui a une bonne bouche,   une bouche \" qui reçoit du mors une impression modérée \" (Larousse du XXe.  siècle en six volumes), la bouche sensible ou tendre,   une bouche \" qui souffre trop de l'action du mors \" (Larousse du XXe.  siècle en six volumes), la bouche dure ou forte,   une bouche qui n'est pas suffisamment sensible à l'action du mors. Égarer la bouche d'un cheval. \" En diminuer la sensibilité par brutalité \" (Larousse du XXe.  siècle en six volumes). Cheval qui n'a pas de bouche, \" qui ne sent pas le mors \" (Larousse du XXe.  siècle en six volumes). Être fort en bouche. \" Ne point obéir au mors \" (Larousse du XXe.  siècle en six volumes). 

B.—  Dans le langage scientifique.  [En parlant de tout organisme animal]  Orifice antérieur —  ou unique —  du canal alimentaire : 

Ø 85. Leur bouche est un bec revêtu de corne, sans lèvres, ni dents, ni gencives, dont les deux mandibules sont mobiles.

GEORGES CUVIER, Leçons d'anatomie comparée, tome 1, 1805, page 69. 

IV.—  Par analogie.  Orifice d'une cavité, d'un objet creux, ouverture à l'air libre d'un lieu (en particulier lorsque l'orifice, l'ouverture sert à l'entrée ou à la sortie de quelque chose) : 

Ø 86. En de plus hauts parages cherchons-nous mémoire?... ou s'il nous faut chanter l'oubli aux bibles d'or des basses feuillaisons?... Nos fièvres peintes aux tulipiers du songe, la taie sur l'oeil des pièces d'eau et la pierre roulée sur la bouche des puits, voilà-t-il pas beaux thèmes à reprendre, comme roses anciennes aux mains de l'invalide de guerre?...

ALEXIS SAINT-LÉGER LÉGER, DIT SAINT-JOHN PERSE, Exil,  1942, pages 247-248. 

SYNTAXE : La bouche d'une jarre, d'un pot, d'un four, d'une fontaine, d'un abri, d'une galerie, d'un tunnel, d'une caverne, d'un gouffre, d'un volcan (bouche volcanique); la (les) bouche(s) d'une mine. 

A.—  ARTILLERIE.  Orifice de l'âme d'une pièce d'artillerie et, par extension, du canon d'une arme à feu. La bouche d'un canon, d'un mortier; la bouche d'un pistolet, d'un browning, d'un hammerless; chargement par la bouche; onde de bouche; se charger par la bouche. 

—  Par métonymie. Bouche à feu. Pièce d'artillerie. 

·    Poétique. Bouche d'airain, bouche de cuivre : 

Ø 87. Gustave au désespoir veut affronter le sort.

Vainement contre vous ce désespoir le guide,

Il n'obtient pour les siens qu'une mort plus rapide,

Et cent bouches d'airain sur ses pâles soldats

Du haut de votre camp vomissent le trépas.

BENJAMIN HENRI CONSTANT DE REBECQUE, Wallstein,  1890, I, 6, page 31. 

B.—  BÂTIMENT et TRAVAUX PUBLICS.  

—  Bouche de chaleur. 

·    Ouverture ménagée dans un appareil de chauffage (poêle, calorifère, cheminée) pour livrer passage à l'air chaud. 

·    Bouche de chaleur ou bouche d'air. Ouverture ménagée dans un mur ou un plancher pour permettre la diffusion, dans un local, de l'air chaud provenant d'une chaufferie. 

·    Bouche d'eau (plus rarement : à eau), bouche d'arrosage, bouche d'incendie. Robinet de prise d'eau prévu sur une canalisation de la ville, se trouvant en bordure de la voie publique ou dans un jardin et auquel peut s'adapter une lance à incendie ou un tuyau d'arrosage. 

·    Bouche d'égout. Orifice d'un regard d'égout permettant de le visiter et de le nettoyer; ouverture ménagée en bordure des trottoirs pour la réception des eaux des canivaux. 

·    Bouche de, du métro. Ouverture permettant aux voyageurs d'accéder aux couloirs souterrains ou d'en sortir. 

C.—  CHASSE.  Bouche de terrier. Entrée, à un ou plusieurs orifices d'un terrier. 

D.—  GÉOGRAPHIE.   [En parlant d'un cours d'eau, en particulier d'un fleuve]  Synonyme : embouchure. La bouche d'un fleuve, d'une rivière, d'une source. 

—  Au pluriel.  Embouchure à plusieurs bras d'un fleuve. Les bouches du Rhône, du Rhin : 

Ø 88.... la fleur des Cavaliers

Pénétra jusqu'au fond des bois de Côte-Riche

...

Et vers l'Est atteignit, malgré de grands naufrages,

Les bords où l'Orénoque, enflé par les orages,

Inondant de sa vase un immense horizon,

Sous le fiévreux éclat d'un ciel lourd de poison,

Se jette dans la mer par ses cinquante bouches.

JOSÉ-MARIA DE HEREDIA, Les Trophées,  1893, page 175. 

—  Au singulier ou au pluriel.  Entrée, simple ou multiple, d'un golfe ou d'un détroit. La bouche du golfe de Venise (Grand dictionnaire universel du XIXe.  siècle (Pierre Larousse)-20e), les bouches de Bonifacio (Grand dictionnaire universel du XIXe.  siècle (Pierre Larousse), Grand Larousse de la langue française en six volumes), les bouches du Cattaro. 

E.—  MUSIQUE.  

—  Instruments à bouche. Instruments à vent qui \" résonnent par l'action d'un courant d'air se brisant sur le bord tranchant d'une petite ouverture circulaire ou longitudinale appelée bouche \" (François-Auguste Gevaert, Traité d'instrumentation, 1885, page 5). Flûte à bouche latérale, à bouche biseautée. 

—  Jeux à bouche. Jeux de l'orgue \" ainsi nommés d'après le mode de construction de leurs tuyaux, qui parlent à l'aide d'une bouche formée d'une lèvre supérieure faisant biseau, contre laquelle le vent vient se heurter, et d'une lèvre inférieure qui lui livre passage et le conduit du pied du tuyau à son extrêmité supérieure \" (Michel Brenet, Dictionnaire pratique et historique de la musique, 1926, page 216). 

Orgue à bouche; bouche d'un tuyau d'orgue; tuyau d'orgue à deux bouches. 

Remarque : On rencontre dans la docum, le composé bouche-béer, néologisme d'auteur  Demeurer, rester (la) bouche bée. [Devant l'habit d'Arlequin qu'est son habit de philosophe] Laisse aboyer les sycophantes Et bouche-béer les badauds (JEAN RICHEPIN, Mes Paradis, 1894, page 47). 

 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 13 390. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 14 785, b) 19 187; XXe.  siècle : a) 24 533, b) 19 293. 

DÉRIVÉS : Bouchelle,  substantif féminin en pêche  \" Entrée par laquelle le poisson engagé dans une bordigue pénètre dans une des tours, lorsqu'il veut revenir en arrière \" (Dictionnaire général de la langue française (ADOLPHE HATZFELD, ARSÈNE DARMESTETER)). Également attesté dans la plupart des dictionnaires généraux du XIXe.  siècle et dans le Dictionnaire encyclopédique Quillet 1965. 

 

Forme dérivée du verbe \"boucher\"

 boucher

BOUCHER1, verbe transitif.  

I.—  [Avec une idée d'emplissage] 

A.—  [Le complément d'objet désigne un orifice, un creux souvent accidentel]  Remplir, combler. Boucher un trou : 

Ø 1. À l'étage supérieur, (...) on bouchait avec du plâtre les petits trous que les opérations précédentes avaient laissés.

GUSTAVE FLAUBERT, L'Éducation sentimentale, tome 1, 1869, page 250. 

Ø 2. Il est possible que les Turcs, en convertissant la plupart des églises grecques en mosquées, aient fait combler ou boucher des cryptes...

ALBERT LENOIR, L'Architecture monastique, tome 1, 1852, page 360. 

—  Par métaphore : 

Ø 3. Mathématiciens, physiciens, philosophes et politiques ont, tous, les yeux hors de la tête; au lieu d'ouvrir des passages, ils bouchent tous les trous. « Avec un sac de plâtre, disait le maçon, on fait tenir pour dix ans une maison qui branle ». Ainsi, confondant les métiers, les penseurs plâtrent et replâtrent,...

ÉMILE-AUGUSTE CHARTIER, DIT ALAIN, Propos,  1931, page 990. 

Ø 4. L'autre [Rodolphe] continuait à parler culture, bestiaux, engrais, bouchant avec des phrases banales tous les interstices où pouvait se glisser une allusion.

GUSTAVE FLAUBERT, Madame Bovary, tome 2, 1857, page 207. 

Ø 5.... eux-mêmes baptisaient du mot monstres leurs vers à l'état d'ébauche et de premier jet et où les trous sont bouchés avant la reprise et le parfait achèvement du travail par des mots sans signification.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1890, page 1168. 

1. Emplois spéciaux.   DROIT.  vieilli. Boucher les vues d'une maison. \" Murer celles de ses fenêtres qui voient de trop près sur une propriété voisine, contrairement à la coutume, à la loi \" (Dictionnaire de l'Académie Française). 

Remarque : Également attesté dans DICTIONNAIRE UNIVERSEL DE LA LANGUE FRANÇAISE  (LOUIS-NICOLAS BESCHERELLE) 1845, Grand dictionnaire universel du XIXe. et du XX-20e. siècle (Pierre Larousse), DICTIONNAIRE DES DICTIONNAIRES  (SOUS LA DIRECTION DE PAUL GUÉRIN ) 1892 et DICTIONNAIRE ENCYCLOPÉDIQUE QUILLET 1965. 

—  MARINE.  Boucher une voie d'eau. Synonyme : Aveugler* une voie d'eau :  

Ø 6. Le rocher, jusqu'à un certain point, bouchait l'avarie et gênait le passage de l'eau. Il faisait obstacle. L'ouverture désobstruée, il serait impossible d'aveugler la voie d'eau et de franchir les pompes.

VICTOR HUGO, Les Travailleurs de la mer,  1866, page 207. 

—  TECHNOLOGIE.   [Chez les doreurs]  Boucher d'or moulu. \" Réparer les ouvrages qui ont quelque petit défaut après avoir été brunis \" (Dictionnaire de la langue française (ÉMILE LITTRÉ)). 

Remarque : Également attesté dans DICTIONNAIRE UNIVERSEL DE LA LANGUE FRANÇAISE  (LOUIS-NICOLAS BESCHERELLE) 1845, Grand dictionnaire universel du XIXe. siècle (Pierre Larousse), Nouveau Larousse illustré et DICTIONNAIRE DES DICTIONNAIRES  (SOUS LA DIRECTION DE PAUL GUÉRIN) 1892. 

2. Locution figurée. Boucher un trou. 

a) Remplir une place restée inoccupée ou devenue vacante (confer bouche*-trou) : 

Ø 7. Impossible de l'oublier, on l'a trop vu; il habite dans l'imagination de chacun, (...) la maîtresse de la maison le trouve sous sa plume quand, dans sa liste d'invités, elle a besoin de boucher un trou.

HYPPOLYTE-ADOLPHE TAINE, Notes sur Paris, Vie et opinions de Monsieur Frédéric-Thomas Graindorge, 1867, page 183. 

Ø 8. Madame de Gueldre fit de son mieux pour boucher les nombreux trous de la conversation languissante.

SIBYLLE-GABRIELLE-MARIE-ANTOINETTE DE RIQUETTI DE MIRABEAU, COMTESSE DE MARTEL DE JANVILLE, DITE GYP, Une Passionnette,  1891, page 240. 

Ø 9. Je suis en train de déjeuner. On sonne. C'est le jeune Simond qui me sollicite pour boucher le trou que fait à l'Echo la désertion de Mendès et de Silvestre.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1895, page 784. 

·    Par transposition, abstrait : 

Ø 10. Quelle digne femme que cette mère abandonnée, qui ne demandait rien, qui ne voulait rien accepter, qui était toute bardée de fierté blessée... et repinçait le gosse, en douce pour boucher les silences.

HERVÉ BAZIN, La Part du pauvre,  1954, page 11. 

b) Payer, rembourser une dette : 

Ø 11. 333 000 francs de droit d'auteur, cela bouchera juste tous les grands trous. Je n'aurai plus qu'à entamer le remboursement de ma mère, et après, ma foi, je serai bien à l'aise.

HONORÉ DE BALZAC, Correspondance,  1833, page 393. 

B.—  Par extension. 

1. [Le complément d'objet désigne une ouverture aménagée dans un bâtiment]  Fermer : 

Ø 12. La fenêtre, un volet la bouche;

...

THÉOPHILE GAUTIER, Émaux et camées,  1852, page 63. 

2. [Le complément d'objet désigne quelque chose qui est vide ou qui apparaît comme tel] 

a) [Dans l'organisme]  En boucher un coin (populaire). Remplir l'estomac, le charger. 

—  Par métaphore : 

Ø 13. Pour les repas de corps, les noces, les festins,

La Revue des deux mondes 

Peut en boucher deux coins aux pires intestins,

Ou le ciel me confonde!

RAOUL PONCHON, La Muse au cabaret,  1920, page 119. 

—  Emploi pronominal d'auteur : 

Ø 14. Manger... c'est s'approprier par destruction, c'est en même temps se boucher avec un certain être.

JEAN-PAUL SARTRE, L'Être et le Néant,  1943, page 706. 

—  Figuré. En boucher un coin, une surface à quelqu'un. Le remplir d'étonnement : 

Ø 15. « Oh! Ben alors!... Oh! Ben alors!... » Il était couillonné le gendarme de retrouver un piston pareil... « Ah! Ça c'est un particulier!... » Il savait pas quoi conclure... ça lui en bouchait plusieurs coins...

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit,  1936, page 673. 

b) [Concerne l'espace]  Occuper : Le salon était plein... des hommes, immobiles le long des murs, bouchaient les intervalles (ÉMILE ZOLA, Une Page d'amour,  1878, page 893) : 

Ø 16. Sur les pins plantés pour boucher les vides, les pousses de 1933 ont été rongées par les lapins alors qu'elles émergeaient de la neige,...

VALÉRY LARBAUD, Journal,  1934, page 304. 

Ø 17. Sa beauté rayonnait sur un monde trop grand pour mon coeur et où ma place n'était prévue que pour boucher un coin,...

JOE BOUSQUET, Traduit du silence,  1936, page 243. 

—  Particulièrement, néologisme.  [Dans le domaine des phénomènes atmosphériques]  Couvrir, obscurcir : 

Ø 18. Philippe ne se remet pas tout de suite à faucher. Il souffle un peu, appuyé sur la faux, regarde si le temps ne menace pas, si des nuages ne bouchent pas l'horizon...

JULES RENARD, Nos frères farouches,  1910, page 186. 

·    Par métaphore : 

Ø 19.... au lieu d'emplir le siècle de lumière, il [Hugo] a failli le boucher de la masse épaisse de sa rhétorique.

ÉMILE ZOLA, Documents littéraires, Études et portraits, 1881, page 70. 

·    Emploi pronominal à sens passif.  [Le sujet désigne le ciel]  Se couvrir, se charger de nuages, s'obscurcir. Par métonymie.  [Le sujet désigne le temps]  Se couvrir, devenir mauvais. Le temps va se boucher (JULIEN GRACQ, Le Rivage des Syrtes,  1951, page 241) : 

Ø 20. Le ciel se bouchait de plus en plus. Une cavalerie de nuages galopait dans le jour tombant, en suivant les crêtes : du mauvais temps pour le lendemain.

HENRI POURRAT, Gaspard des Montagnes, La Tour du Levant, 1931, page 267. 

—  Au figuré. Mais tout ce qu'il disait prenait un air faux, dit pour boucher du vide (HENRI POURRAT, Ibidem,  1931, page 84) : 

Ø 21. D'ailleurs, les rayons poussaient toujours, on en avait essayé deux nouveaux en décembre, afin de boucher les vides de la morte-saison d'hiver :...

ÉMILE ZOLA, Au Bonheur des dames,  1883, page 789. 

Ø 22. Pour boucher bien vite cette lacune, je dirai très vite qu'aussitôt sorti du « dépôt » des Petits-Carmes, je fus mis, dans la même prison, en cellule,...

PAUL VERLAINE, Mes prisons,  1893, page 382. 

II.—  [Avec une idée d'obstacle] 

A.—  Faire obstacle au passage de quelque chose, en particulier d'un liquide. 

1. [Le complément d'objet désigne une bouteille, un flacon...]  Introduire un bouchon* dans le goulot. Boucher une bouteille. Boucher un flacon à l'émeri* (confer bouchon* à l'émeri également) : 

Ø 23. Ayant rempli d'eau bouillante un flacon d'un litre, puis l'ayant hermétiquement bouché, il le renverse sur une cuve à mercure; l'eau une fois refroidie, il le débouche sous le métal, pour y introduire un demi-litre d'oxygène pur...

JEAN ROSTAND, La Genèse de la vie,  1943, page 84. 

—  Par analogie : 

Ø 24. Je compte, au contraire, obstruer ce déversoir à son orifice, le boucher hermétiquement,...

JULES VERNE, L'Île mystérieuse,  1874, page 171. 

2. [Le sujet désigne une chose, le complément d'objet désigne un tuyau, une conduite, une canalisation...]  Engorger, obstruer en gênant ou empêchant le passage de quelque chose, en particulier d'un liquide. Le chauffeur, (...) dit que le sable avait dû boucher le carburateur (ALBERT CAMUS, L'Exil et le royaume,  1957, page 1560 ). 

·    Par métaphore : 

Ø 25.... enfin tout ce qui peut servir aux hommes, au lieu de leur boucher l'esprit, de les rendre superstitieux et de les aider à tuer le temps.

ÉMILE ERCKMANN ET ALEXANDRE CHATRIAN, DITS ERCKMANN-CHATRIAN, Histoire d'un paysan, tome 2, 1870, page 388. 

Ø 26. Les connaissances qu'on entonne de force dans les intelligences les bouchent et les étouffent.

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Le Crime de Sylvestre Bonnard,  1881, page 430. 

—  Emploi pronominal à sens passif : 

Ø 27. —  Jamais contents les locataires, on dirait des prisonniers, faut qu'ils fassent de la misère à tout le monde!... C'est leurs cabinets qui se bouchent... Un autre jour c'est le gaz qui fuit... C'est leurs lettres qu'on leur ouvre!...

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Voyage au bout de la nuit,  1932, page 334. 

·    Par métaphore : 

Ø 28. Vainement, Pierre s'efforça de l'instruire [le cardinal Sarno] de l'émouvoir, désolé de le sentir si fermé, si indifférent. Et il s'aperçut que cette intelligence, vaste et pénétrante dans le domaine où elle évoluait depuis quarante ans, se bouchait dès qu'on la sortait de sa spécialité.

ÉMILE ZOLA, Rome,  1896, page 275. 

—  Spécialement.  MÉDECINE.   [Le complément d'objet désigne un canal, un conduit naturel de l'organisme]  Synonyme : oblitérer* :  

Ø 29. Les rapports anatomiques des fosses nasales et de l'arrière-gorge avec le conduit lacrymal permettent de rendre compte des divers accidents, (...) Rien ne prouve le moins du monde qu'il y eût carie; il y avait le conduit naturel que bouchait un obstacle incomplet, et cet obstacle cédait en partie si l'on pressait. De tels cas sont assez simples.

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Port-Royal, tome 3, 1848, page 114. 

Ø 30. Un soir, à Mürren, par exemple. Au pied de la montagne, on boit vite une bière froide qui vous fracasse les tempes à bout portant. Le funiculaire part entre les mûriers. Peu à peu, les oreilles se bouchent, le nez se débouche; on arrive.

JEAN COCTEAU, Le Grand écart,  1923, page 11. 

Ø 31. Tant que l'expectoration peut libérer l'arbre bronchique des mucosités qui le bouchent, et tant que le coeur tient, l'animal peut vivre calmement et avec un exercice très modéré.

ERNEST GARCIN, Guide vétérinaire,  1944, page 99. 

·    Emploi pronominal à sens passif : 

Ø 32. La phlébite, surtout visible à la jugulaire, se traduit par un engorgement chaud et douloureux sur une partie du trajet de la veine au bord inférieur de l'encolure. Au niveau de la plaie de saignée apparaît un peu de suppuration. Dans les cas graves, la veine peut se boucher complètement par un caillot assez long qui remonte vers l'auge.

ERNEST GARCIN, Guide vétérinaire,  1944 page 193. 

B.—  Par analogie avec l'emploi supra II A 2 

1. [Le complément d'objet désigne une voie de circulation]  Encombrer, barrer en gênant ou empêchant le passage de quelque chose ou de quelqu'un : 

Ø 33.... il se produit alors comme un reflux dans toute la ligne, les bêtes épouvantées se pressent, s'empilent; non-seulement la rue est barrée, mais elle est bouchée, et l'on a devant soi une sorte d'obstacle confus, hérissé de jambes, surmonté de têtes,...

EUGÈNE FROMENTIN, Un été dans le Sahara,  1857, page 141. 

Ø 34.... comme la Méchain bouchait la porte, il [Saccard] dut la bousculer, l'enjamber, pour sortir.

ÉMILE ZOLA, L'Argent,  1891, page 313. 

Ø 35. Les soldats de Crucha, s'étant retirés à la hâte, bouchèrent avec des quartiers de roches toutes les issues du monastère...

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, L'Île des pingouins,  1908, page 144. 

Ø 36. Un défilé d'hurluberlus (...) il en surgissait toujours d'autres!... Ils bouchaient la circulation.

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit,  1936, page 531. 

Ø 37. Pour les corps pesants, opaques, ceux qui vous bouchent l'entrée du métro ou vous froissent les côtes les soirs de feu d'artifice, je me fie à peu près [dans les statistiques] aux fonctionnaires de dénombrement...

ALEXANDRE ARNOUX, Paris-sur-Seine,  1939, page 126. 

—  Par métaphore. 

·    Boucher la voie, les routes... à quelqu'un. Semer, sur son chemin, des obstacles qui rendent sa progression difficile ou impossible : 

Ø 38. Je ne connaissais qu'eux. Ils me fermaient l'horizon, ils me bouchaient le ciel, le coeur, toutes les avenues de la vie.

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Vue de la Terre promise, 1934, page 240. 

Ø 39. Ne vous obstinez pas dans ma direction; vous vous y épuiseriez. (...). Mais, si cette voie-là vous est bouchée, elle n'est pas la seule.

HENRI DE MONTHERLANT, Les Jeunes filles,  1936, page 931. 

·    Boucher les issues à quelqu'un. Lui fermer toute possibilité de faire quelque chose : 

Ø 40. La période qui suivit fut pour Rambert à la fois la plus facile et la plus difficile. C'était une période d'engourdissement. Il avait vu tous les bureaux, fait toutes les démarches, les issues de ce côté-là étaient pour le moment bouchées.

ALBERT CAMUS, La Peste,  1947, page 1306. 

·    Boucher (une carrière). Encombrer (une carrière) et en gêner ou en empêcher l'accès : 

Ø 41. Nous sommes inondés de fils, enfin! On ne voit que cela : ils bouchent toutes les carrières; ce sont des survivances qui barrent tout... C'est que les moeurs, voyez-vous, défont terriblement les lois...

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Renée Mauperin,  1864, page 229. 

Emploi pronominal à sens passif : 

Ø 42. Puis toutes les carrières s'encombrent et se bouchent par cette vulgarisation des aptitudes, des capacités. Un jour viendra où il n'y aura plus que des têtes, des plumes. Nous marchons à n'avoir plus de bras...

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1861, page 871. 

·    Boucher l'avenir (à quelqu'un). Lui borner ou lui fermer ses perspectives d'avenir : 

Ø 43. —  C'est trop fort, grondait-il. On dirait que tout complote pour m'empêcher de percer, de prendre mon vol, de débuter avec éclat. On dirait que tout le monde se ligue pour me boucher l'avenir. Et voilà pourtant un bouquin qui devrait partir tout seul avec son titre épatant : le vent dans les voiles.

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Cécile parmi nous, 1938, page 196. 

Emploi pronominal à sens passif : 

Ø 44. Un homme... n'a pas le droit, sous peine de se boucher l'avenir, d'accepter certaines fonctions subalternes; il s'y dévalorise...

ALEXANDRE ARNOUX, Roi d'un jour,  1956, page 202. 

2. [Le mot est utilisé pour signifier qu'il est fait obstacle, dans les emplois concrets, au passage de quelque chose jusqu'aux sens, et, dans les emplois figurés, au passage de quelque chose jusqu'à la conscience] .

a) Boucher la vue. Faire obstacle, faire écran au regard; empêcher de voir : 

Ø 45. Maintenant, (...) on voyait une immense éclaircie, un coup de soleil et d'air libre; et, à la place des masures qui bouchaient la vue de ce côté, s'élevait, sur le boulevard Ornano, un vrai monument,...

ÉMILE ZOLA, L'Assommoir,  1877, page 737. 

·    Au figuré : 

Ø 46. Il s'agissait de bien faire tourner l'enquête : poser surtout Gilbert en victime et boucher ainsi la vue de ceux qui voudraient regarder le passé de trop près.

HENRI POURRAT, Gaspard des Montagnes, La Tour du Levant, 1931, page 263. 

—  Boucher les yeux de quelqu'un (figuré). L'empêcher de s'apercevoir de quelque chose, lui masquer la réalité, l'aveugler : 

Ø 47. [Josépha :] — ... Y a-t-il un de vous qui ait assez aimé une femme... pour se laisser si bien bander les yeux qu'il n'ait pas pensé qu'on les lui bouchait afin de l'empêcher de voir le gouffre où... on l'a lancé.

HONORÉ DE BALZAC, La Cousine Bette,  1846, page 375. 

Ø 48. Oh, quand j'étais dans ce pays, avec une figure où tous les passants pouvaient me lire et ma voix qui muait, et mes désirs qui me bouchaient les yeux... comme j'étais peu le maître de moi-même, et comme j'étais inconscient même de mon esclavage!

VALÉRY LARBAUD, A. O. Barnabooth,  1913, page 299. 

·    Emploi pronominal, au figuré. Se boucher les yeux. Refuser de voir les choses telles qu'elles sont : 

Ø 49. C'était là l'évidence. Bien entendu, on pouvait toujours s'efforcer de ne pas la voir, se boucher les yeux et la refuser, mais l'évidence a une force terrible qui finit toujours par tout emporter.

ALBERT CAMUS, La Peste,  1947, page 1357. 

—  Par métonymie. Boucher le jour. Le masquer, faire écran au passage de la lumière : 

Ø 50.... pendant que Buteau s'isolait dans un coin, contre le mur, et qu'Hyacinthe seul restait debout, devant la fenêtre, dont il bouchait le jour, de ses larges épaules.

ÉMILE ZOLA, La Terre,  1887, page 26. 

·    Au figuré. Boucher l'horizon : 

Ø 51. Mais le pire, quand on habite une prison sans barreaux, c'est qu'on n'a pas même conscience des écrans qui bouchent l'horizon.

SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, page 277. 

b) Boucher ses oreilles (à quelque chose). Les obturer avec ses doigts, sa main (pour ne pas entendre quelque chose). Figuré.  Ne pas vouloir entendre pour ne pas savoir; vouloir ignorer : 

Ø 52. François ne pouvait se mentir plus longtemps, ni boucher ses oreilles à la rumeur qui montait.

RAYMOND RADIGUET, Le Bal du comte d'Orgel,  1923, page 86. 

Remarque : Noter, sur ce modèle, un emploi d'auteur boucher son âme : 

Ø 53. Il [l'artiste moderne] peint, il peint; et il bouche son âme, et il peint encore jusqu'à ce qu'il ressemble enfin à l'artiste et à la mode...

CHARLES BAUDELAIRE, Curiosités esthétiques,  1867, page 219. 

—  Au figuré, emploi pronominal. Se boucher les oreilles : 

Ø 54.... mais elle fermait les yeux, elle se bouchait les oreilles, elle voulait ignorer la conduite de son mari au dehors.

HONORÉ DE BALZAC, La Cousine Bette,  1847, page 24. 

·    [Sur ce modèle]  Rare : 

Ø 55. Dans la cuisine chaude où Léonie me bousculait tendrement, je me défendais de ces mauvais souvenirs, j'aurais voulu me boucher la mémoire.

MARCEL AYMÉ, Le Vaurien,  1931, page 186. 

Ø 56. Parce que tu le veux bien que tu te bouches l'oreille, l'intelligence et la bonne foi, que tu te prêtes bénévolement à cette élasticité commode à l'espace.

ALEXANDRE ARNOUX, Le Seigneur de l'heure,  1955, page 75. 

Remarque : Les expressions se boucher les yeux et se boucher les oreilles, qui rendent compte d'un même état d'esprit (refus de savoir, refus de la réalité, de l'évidence) se rencontrent associées : 

Ø 57. Mais c'est le contraire, c'est exactement le contraire qui me frappe si fort. C'est notre immense bonne volonté à nous boucher les yeux et les oreilles. C'est notre lutte désespérée contre l'évidence.

ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY, Pilote de guerre,  1942, page 308. 

c) Boucher son nez, ses narines. Pincer son nez, comprimer ses narines, pour ne pas respirer quelque odeur désagréable. 

·    Par métaphore : 

Ø 58.... mais la ferveur extasiée, l'aventure révolutionnaire ou religieuse bouchent les narines et rendent insensibles à la puanteur...

ALEXANDRE ARNOUX, Roi d'un jour,  1956, page 120. 

·    Emploi pronominal. Se boucher le nez. 

Par métaphore : 

Ø 59. Diable! Je n'ai rien de la vieille dame sentimentale, je veux regarder la réalité en face, et sans me boucher le nez, si elle pue.

VALÉRY LARBAUD, A. O. Barnabooth,  1913, page 146. 

Remarque : On rencontre dans la documentation les composés a) Bouche-bouteilles, substantif masculin invariable, néologisme, technologie. Machine servant à effectuer le bouchage des bouteilles (confer Raymond Brunet, Le Matériel vinicole, 1925, page 496; Grand Larousse encyclopédique en dix volumes et Dictionnaire encyclopédique Quillet 1965 qui écrit bouche-bouteille, substantif masculin; confer d'autre part boucheur*). b) Bouche-four, substantif masculin, technologie. Synonyme de bouchoir* (confer L. Vincent, George Sand et le Berry, 1919, page 356). c) Bouche-nez, substantif masculin invariable, métiers : \" Masque de cuir percé de trous et quelquefois recouvert de filasse que, dans certaines fabrications ou manipulations, les ouvriers se mettent sur le visage pour se garantir contre les émanations dangereuses \" (Dictionnaire des dictionnaires (SOUS LA DIRECTION DE PAUL GUÉRIN) 1892; également attesté dans le Dictionnaire de l'Académie Française, Compléments 1842, Dictionnaire universel de la langue française (Louis-Nicolas Bescherelle) 1845, Grand dictionnaire universel du XIXe. siècle (Pierre Larousse), Dictionnaire de la langue française (Émile Littré), Nouveau Larousse illustré et Dictionnaire encyclopédique Quillet 1965). d) Bouche-oeil, substantif masculin, familier, rare. \" Somme d'argent que l'on donne à quelqu'un pour obtenir de lui qu'il ferme les yeux sur quelque chose, pour acheter son silence, sa complicité... \" Pour ne pas voir, il faut ou se boucher les yeux, ou avoir reçu un bouche-oeil (Léon Daudet, L'Avant-guerre, 1913, page 211) (attesté dans Grand Larousse de la langue française en six volumes et comme terme argotique, sous la forme bouche(-)l'oeil dans Les excentricités du langage français (Lorédan Larchey) 1880 : \" Pièce de cinq, dix ou vingt francs dans l'argot des filles qui font allusion à la pantomime de certaines enchères \" et dans le Dictionnaire historique des argots français (Gaston Esnault) 1965 : \" C'est une pantomime, pour se faire ouvrir une porte, de se poser une pièce d'or sur la paupière (campagnards, soldats, 1er.  Empire) \". e) Bouche-pores, substantif masculin invariable, néologisme, technologie : \" Préparation à base de gomme —  laque et de matières plastiques, destinée au remplissage des pores du bois avant vernissage, des rainures de parquet, etc. \" (Dictionnaire de la chimie et de ses applications (CLÉMENT DUVAL, RAYMONDE DUVAL, ROGER DOLIQUE) 1959; confer également Charles Coffignier, Couleurs et peintures, 1924, page 744; Grand Larousse encyclopédique en dix volumes qui enregistre de plus bouche-porage : \" Phase du vernissage du bois \" et bouche-porer : \" Pratiquer le bouche-porage \"). 

 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 568. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 413, b) 976; XXe.  siècle : a) 1 152, b) 846. 

 

BOUCHÉ, -ÉE, participe passé et adjectif.  

I.—  Participe passé de boucher1* 

II.—  Adjectif. 

A.—  [Avec une idée d'emplissage] 

1. [Correspond à boucher1 * I A; en parlant d'un orifice, d'une cavité]  Rempli, comblé. Lézardes bouchées. 

2. [Correspond à boucher1 * I B] 

a) [Correspond à boucher1 * I B 1; en parlant d'une ouverture aménagée dans un bâtiment]  Fermé. Des façades où, sous un cintre à moitié bouché et maçonné (EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Madame Gervaisais, 1869, page 232 ); ces fenêtres bouchées, barricadées (HENRI DE MONTHERLANT, Les Jeunes filles,  1936, page 1058) : 

Ø 1. Dans les douces tiédeurs des chambres d'accouchées

Quand à peine, à travers les fenêtres bouchées,

Entre un filet de jour, j'aime, humble visiteur,

Le bruit de l'eau qu'on verse en un irrigateur,

Et les cuvettes à l'odeur de cataplasme.

CHARLES CROS, Le Coffret de santal, Coeur simple, 1873, page 117. 

b) [Correspond à boucher1 * I B 2 b (en parlant du ciel, du temps)] .  Couvert, très nuageux, très gris. Un ciel sombre et bouché : 

Ø 2. Ne permettant pas aux hommes de se réjouir d'un temps bouché, comme d'une invitation au repos, il les tenait en haleine vers l'éclaircie,...

ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY, Vol de nuit,  1931, page 92. 

Ø 3. Si bien qu'avec son ciel presque toujours bas et bouché, gris de fer uniformément huit mois sur douze, le paysage inspirait dès l'abord une sensation de malaise et d'étouffement.

FRANCIS AMBRIÈRE, Les Grandes vacances,  1946, page 85. 

—  Par métaphore. Figures nuageuses, bouchées (JULES RENARD, Journal, 1887-1910, page 660 ); l'avenir paraît bouché. Impossible de rien voir. On avance dans une nuit totale (JULIEN GREEN, Journal,  1942, page 268) : 

Ø 4. Un rayon, un éclair qui illumine une destinée bouchée sur laquelle les brouillards se referment.

ALEXANDRE ARNOUX, Pour solde de tout compte,  1958, page 58. 

—  Par métonymie. Journée, nuit bouchée : 

Ø 5.... tout le long des pentes montagnardes, suintaient de lourdes brumes noires, épaisses comme des forêts; on les voyait gonfler leurs énormes feuillages. Il fallait attendre que le vent les saisisse et les couche. Alors, ce serait la grande nuit sans lune toute bouchée.

JEAN GIONO, Le Chant du monde,  1934, page 270. 

Ø 6. Le couchant, après cette journée bouchée, resplendissait dans le cuivre rouge ou jaune.

ALEXANDRE ARNOUX, Paris-sur-Seine,  1939, page 166. 

—  Par analogie.  PEINTURE.  Ton bouché. Ton \" qui manque de transparence \" (Hugues, Expressions d'atelier). Rose bouché. Le rose bouché spécial aux nuages nocturnes des villes (MICHEL BUTOR, Passage de Milan, tome 1, 1954, page 41 ). 

B.—  [Avec une idée d'obstacle] 

1. [Correspond à boucher1 * II A 1; en parlant d'une bouteille, d'un flacon, etc.]  Fermé par un bouchon*. Bouteille bien, mal bouchée. Fiole bouchée à l'émeri*. 

—  Par métonymie. Vin, cidre bouché (vieilli). Vin, cidre de qualité mis en bouteille (par opposition au vin, au cidre ordinaire tiré directement du tonneau). Moderne. Cidre bouché. Cidre de bonne qualité. Vin bouché. Vin vieux, de qualité, gardé en bouteille cachetée. Substantif. Le bouché. Vin bouché : 

Ø 7.... Georgette a décidé de ne plus voir sur sa table de vin ordinaire (...) elle l'a remplacé par un vin bouché (...) le bon sens lui indique que du vin à un franc, un franc vingt la bouteille (...) est plus digne qu'un gros vin bleu pour charretier d'accompagner son gigot d'agneau...

LOUIS FARIGOULE, DIT JULES ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, Verdun, 1938, page 246. 

2. [Correspond à boucher1 * II A 2; en parlant d'un tuyau, d'une conduite, d'une canalisation, etc.]  Engorgé, obstrué par un corps étranger gênant ou empêchant le passage de quelque chose, en particulier d'un liquide. Tuyau, lavabo bouché; baignoire bouchée : 

Ø 8.... le mufle de lion, qu'on pouvait encore discerner au besoin, ne vomissait plus d'eau, n'en recevant pas des conduits bouchés ou détruits.

THÉOPHILE GAUTIER, Le Capitaine Fracasse,  1863, page 4. 

—  Par analogie.  MUSIQUE.  Tuyaux (d'orgue) bouchés. Tuyaux (d'orgue) fermés à leur partie supérieure à une hauteur fixée en fonction du ton que l'on veut obtenir. (Confer Henri Bouasse, Instruments à vent, 1930, page 278). Jeux (d'orgue) bouchés. Antonyme : Jeux (d'orgues) ouverts (Confer Michel Brenet, Dictionnaire pratique et historique de la musique, 1926, page 216). Sons bouchés (du cor). Sons assourdis par l'introduction de la main du musicien dans le pavillon de l'instrument et variant en fonction du mouvement imprimé à la main. Antonyme : sons naturels ou ouverts (Confer Albert Lavignac, La Musique et les musiciens, 1895, page 132 et Dictionnaire général de l'art musical (PAUL ROUGNON), 1935, page 225). 

·    [D'où]  Trompette bouchée : 

Ø 9. La légende des bruits excentriques produits sur le saxophone a probablement pris naissance... dans certains effets de trompette bouchée...

HUGUES PANASSIÉ, Le Jazz hot,  1934, page 37. 

3. [Correspond à boucher1 * II B] 

a) [Correspond à boucher1 * II B 1; en parlant d'une voie de circulation]  Encombré, barré par des obstacles rendant le passage difficile ou impossible. Chemin, passage bouché. 

—  Figuré : 

Ø 10.... il s'aperçut, (...) que pendant tout ce temps il avait en quelque sorte oublié sa femme, pour s'appliquer tout entier à la recherche d'une ouverture dans les murs qui le séparaient d'elle. Mais c'est à ce moment aussi que, toutes les voies une fois de plus bouchées, il la retrouva de nouveau au centre de son désir,...

ALBERT CAMUS, La Peste,  1947, page 1344. 

·    Vie bouchée. Vie sans perspectives : 

Ø 11.... comme il n'y a dans la vie la plus bouchée que de fausses impasses, comme des carrefours les plus étroits il faut sortir en définitive, bon gré, mal gré, sinon sans avaries, tu sortiras de celui-ci,...

EUGÈNE FROMENTIN, Dominique,  1863, page 144. 

b) [Correspond à boucher1 * II B] 

—  Oreilles bouchées. Oreilles obturées par la pression d'un doigt ou par un bouchon* de cérumen. Avoir les oreilles bouchées. 

·    Figuré.  [Pour signifier que quelqu'un ne veut pas entendre, ne veut pas savoir quelque chose; pour signifier sa volonté d'ignorer] :

Ø 12.... la troublante indifférence du coeur humain à l'universalité du malheur; une indifférence qui n'était pas calcul, ni même égoïste, qui n'était peut-être pas autre chose que l'instinct de survivre, oreilles bouchées, yeux fermés, de survivre dans sa pauvreté quotidienne.

GABRIELLE ROY, Bonheur d'occasion,  1945, page 65. 

Remarque : 1. Pour bien rendre compte du refus de savoir, du refus de la réalité, de l'évidence, cette locution se rencontre associée à cette autre : les yeux fermés. 2. Larousse du xxe.  siècle en six volumes et Grand Larousse encyclopédique en dix volumes attestent l'emploi de la locution avoir les oreilles bouchées au figuré avec le sens « ne pas être capable de saisir, de comprendre quoi que ce soit ». 

—  Nez bouché. Narines comprimées par la pression des doigts (pour ne pas respirer quelque odeur désagréable) ou obstruées du fait d'un rhume. Avoir le nez bouché. Costals, le nez bouché, éternue et se mouche. Est-ce la rhinite (HENRI DE MONTHERLANT, Les Lépreuses,  1939, page 1487 ). 

C.—  Figuré, péjoratif, familier. 

—   [Par opposition à ouvert; en parlant d'une personne]  Dont l'esprit n'est pas ouvert, ou s'ouvre difficilement; dont l'esprit est fermé, étroit, borné : 

Ø 13.... il devient un petit bourgeois, fermé de tous les côtés de l'intelligence et de son autre vie; une espèce de petit boutiquier en goguette, aplati, bouché, méconnaissable, hébété par les ragots de femmes et bercé par les âneries et les rabâchages imbéciles...

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1867, page 365. 

Ø 14.... il avait distingué les petits élèves les plus fermés, les plus bouchés, et les avait interrogés pour faire éclater leur incapacité,...

MAURICE BARRÈS, Mes cahiers, tome 6, 1907-08, page 167. 

—   [À l'opposition ouvert/fermé, s'ajoute une allusion aux bouteilles bouchées à l'émeri, c'est-à-dire fermées hermétiquement. Confer supra B 1]  Bouché à l'émeri Dont l'esprit est tout à fait, —  et irrémédiablement —  fermé. Ma petite cousine, bouchée à tout, fermée à tout, morte à tout. Une seule corde, une seule âme, le chic (EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1865, page 136) : 

Ø 15. Ah! Ma future belle-mère pouvait s'éreinter! Bouché à l'émeri sur ces matières, j'écoutais tout sans comprendre et elle en était pour ses paraboles.

PAUL LÉAUTAUD, In memoriam,  1905, page 196. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 360. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 194, b) 643; XXe.  siècle : a) 621, b) 642. 

 

Forme dérivée du verbe \"boucher\"

 boucher

BOUCHER1, verbe transitif.  

I.—  [Avec une idée d'emplissage] 

A.—  [Le complément d'objet désigne un orifice, un creux souvent accidentel]  Remplir, combler. Boucher un trou : 

Ø 1. À l'étage supérieur, (...) on bouchait avec du plâtre les petits trous que les opérations précédentes avaient laissés.

GUSTAVE FLAUBERT, L'Éducation sentimentale, tome 1, 1869, page 250. 

Ø 2. Il est possible que les Turcs, en convertissant la plupart des églises grecques en mosquées, aient fait combler ou boucher des cryptes...

ALBERT LENOIR, L'Architecture monastique, tome 1, 1852, page 360. 

—  Par métaphore : 

Ø 3. Mathématiciens, physiciens, philosophes et politiques ont, tous, les yeux hors de la tête; au lieu d'ouvrir des passages, ils bouchent tous les trous. « Avec un sac de plâtre, disait le maçon, on fait tenir pour dix ans une maison qui branle ». Ainsi, confondant les métiers, les penseurs plâtrent et replâtrent,...

ÉMILE-AUGUSTE CHARTIER, DIT ALAIN, Propos,  1931, page 990. 

Ø 4. L'autre [Rodolphe] continuait à parler culture, bestiaux, engrais, bouchant avec des phrases banales tous les interstices où pouvait se glisser une allusion.

GUSTAVE FLAUBERT, Madame Bovary, tome 2, 1857, page 207. 

Ø 5.... eux-mêmes baptisaient du mot monstres leurs vers à l'état d'ébauche et de premier jet et où les trous sont bouchés avant la reprise et le parfait achèvement du travail par des mots sans signification.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1890, page 1168. 

1. Emplois spéciaux.   DROIT.  vieilli. Boucher les vues d'une maison. \" Murer celles de ses fenêtres qui voient de trop près sur une propriété voisine, contrairement à la coutume, à la loi \" (Dictionnaire de l'Académie Française). 

Remarque : Également attesté dans DICTIONNAIRE UNIVERSEL DE LA LANGUE FRANÇAISE  (LOUIS-NICOLAS BESCHERELLE) 1845, Grand dictionnaire universel du XIXe. et du XX-20e. siècle (Pierre Larousse), DICTIONNAIRE DES DICTIONNAIRES  (SOUS LA DIRECTION DE PAUL GUÉRIN ) 1892 et DICTIONNAIRE ENCYCLOPÉDIQUE QUILLET 1965. 

—  MARINE.  Boucher une voie d'eau. Synonyme : Aveugler* une voie d'eau :  

Ø 6. Le rocher, jusqu'à un certain point, bouchait l'avarie et gênait le passage de l'eau. Il faisait obstacle. L'ouverture désobstruée, il serait impossible d'aveugler la voie d'eau et de franchir les pompes.

VICTOR HUGO, Les Travailleurs de la mer,  1866, page 207. 

—  TECHNOLOGIE.   [Chez les doreurs]  Boucher d'or moulu. \" Réparer les ouvrages qui ont quelque petit défaut après avoir été brunis \" (Dictionnaire de la langue française (ÉMILE LITTRÉ)). 

Remarque : Également attesté dans DICTIONNAIRE UNIVERSEL DE LA LANGUE FRANÇAISE  (LOUIS-NICOLAS BESCHERELLE) 1845, Grand dictionnaire universel du XIXe. siècle (Pierre Larousse), Nouveau Larousse illustré et DICTIONNAIRE DES DICTIONNAIRES  (SOUS LA DIRECTION DE PAUL GUÉRIN) 1892. 

2. Locution figurée. Boucher un trou. 

a) Remplir une place restée inoccupée ou devenue vacante (confer bouche*-trou) : 

Ø 7. Impossible de l'oublier, on l'a trop vu; il habite dans l'imagination de chacun, (...) la maîtresse de la maison le trouve sous sa plume quand, dans sa liste d'invités, elle a besoin de boucher un trou.

HYPPOLYTE-ADOLPHE TAINE, Notes sur Paris, Vie et opinions de Monsieur Frédéric-Thomas Graindorge, 1867, page 183. 

Ø 8. Madame de Gueldre fit de son mieux pour boucher les nombreux trous de la conversation languissante.

SIBYLLE-GABRIELLE-MARIE-ANTOINETTE DE RIQUETTI DE MIRABEAU, COMTESSE DE MARTEL DE JANVILLE, DITE GYP, Une Passionnette,  1891, page 240. 

Ø 9. Je suis en train de déjeuner. On sonne. C'est le jeune Simond qui me sollicite pour boucher le trou que fait à l'Echo la désertion de Mendès et de Silvestre.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1895, page 784. 

·    Par transposition, abstrait : 

Ø 10. Quelle digne femme que cette mère abandonnée, qui ne demandait rien, qui ne voulait rien accepter, qui était toute bardée de fierté blessée... et repinçait le gosse, en douce pour boucher les silences.

HERVÉ BAZIN, La Part du pauvre,  1954, page 11. 

b) Payer, rembourser une dette : 

Ø 11. 333 000 francs de droit d'auteur, cela bouchera juste tous les grands trous. Je n'aurai plus qu'à entamer le remboursement de ma mère, et après, ma foi, je serai bien à l'aise.

HONORÉ DE BALZAC, Correspondance,  1833, page 393. 

B.—  Par extension. 

1. [Le complément d'objet désigne une ouverture aménagée dans un bâtiment]  Fermer : 

Ø 12. La fenêtre, un volet la bouche;

...

THÉOPHILE GAUTIER, Émaux et camées,  1852, page 63. 

2. [Le complément d'objet désigne quelque chose qui est vide ou qui apparaît comme tel] 

a) [Dans l'organisme]  En boucher un coin (populaire). Remplir l'estomac, le charger. 

—  Par métaphore : 

Ø 13. Pour les repas de corps, les noces, les festins,

La Revue des deux mondes 

Peut en boucher deux coins aux pires intestins,

Ou le ciel me confonde!

RAOUL PONCHON, La Muse au cabaret,  1920, page 119. 

—  Emploi pronominal d'auteur : 

Ø 14. Manger... c'est s'approprier par destruction, c'est en même temps se boucher avec un certain être.

JEAN-PAUL SARTRE, L'Être et le Néant,  1943, page 706. 

—  Figuré. En boucher un coin, une surface à quelqu'un. Le remplir d'étonnement : 

Ø 15. « Oh! Ben alors!... Oh! Ben alors!... » Il était couillonné le gendarme de retrouver un piston pareil... « Ah! Ça c'est un particulier!... » Il savait pas quoi conclure... ça lui en bouchait plusieurs coins...

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit,  1936, page 673. 

b) [Concerne l'espace]  Occuper : Le salon était plein... des hommes, immobiles le long des murs, bouchaient les intervalles (ÉMILE ZOLA, Une Page d'amour,  1878, page 893) : 

Ø 16. Sur les pins plantés pour boucher les vides, les pousses de 1933 ont été rongées par les lapins alors qu'elles émergeaient de la neige,...

VALÉRY LARBAUD, Journal,  1934, page 304. 

Ø 17. Sa beauté rayonnait sur un monde trop grand pour mon coeur et où ma place n'était prévue que pour boucher un coin,...

JOE BOUSQUET, Traduit du silence,  1936, page 243. 

—  Particulièrement, néologisme.  [Dans le domaine des phénomènes atmosphériques]  Couvrir, obscurcir : 

Ø 18. Philippe ne se remet pas tout de suite à faucher. Il souffle un peu, appuyé sur la faux, regarde si le temps ne menace pas, si des nuages ne bouchent pas l'horizon...

JULES RENARD, Nos frères farouches,  1910, page 186. 

·    Par métaphore : 

Ø 19.... au lieu d'emplir le siècle de lumière, il [Hugo] a failli le boucher de la masse épaisse de sa rhétorique.

ÉMILE ZOLA, Documents littéraires, Études et portraits, 1881, page 70. 

·    Emploi pronominal à sens passif.  [Le sujet désigne le ciel]  Se couvrir, se charger de nuages, s'obscurcir. Par métonymie.  [Le sujet désigne le temps]  Se couvrir, devenir mauvais. Le temps va se boucher (JULIEN GRACQ, Le Rivage des Syrtes,  1951, page 241) : 

Ø 20. Le ciel se bouchait de plus en plus. Une cavalerie de nuages galopait dans le jour tombant, en suivant les crêtes : du mauvais temps pour le lendemain.

HENRI POURRAT, Gaspard des Montagnes, La Tour du Levant, 1931, page 267. 

—  Au figuré. Mais tout ce qu'il disait prenait un air faux, dit pour boucher du vide (HENRI POURRAT, Ibidem,  1931, page 84) : 

Ø 21. D'ailleurs, les rayons poussaient toujours, on en avait essayé deux nouveaux en décembre, afin de boucher les vides de la morte-saison d'hiver :...

ÉMILE ZOLA, Au Bonheur des dames,  1883, page 789. 

Ø 22. Pour boucher bien vite cette lacune, je dirai très vite qu'aussitôt sorti du « dépôt » des Petits-Carmes, je fus mis, dans la même prison, en cellule,...

PAUL VERLAINE, Mes prisons,  1893, page 382. 

II.—  [Avec une idée d'obstacle] 

A.—  Faire obstacle au passage de quelque chose, en particulier d'un liquide. 

1. [Le complément d'objet désigne une bouteille, un flacon...]  Introduire un bouchon* dans le goulot. Boucher une bouteille. Boucher un flacon à l'émeri* (confer bouchon* à l'émeri également) : 

Ø 23. Ayant rempli d'eau bouillante un flacon d'un litre, puis l'ayant hermétiquement bouché, il le renverse sur une cuve à mercure; l'eau une fois refroidie, il le débouche sous le métal, pour y introduire un demi-litre d'oxygène pur...

JEAN ROSTAND, La Genèse de la vie,  1943, page 84. 

—  Par analogie : 

Ø 24. Je compte, au contraire, obstruer ce déversoir à son orifice, le boucher hermétiquement,...

JULES VERNE, L'Île mystérieuse,  1874, page 171. 

2. [Le sujet désigne une chose, le complément d'objet désigne un tuyau, une conduite, une canalisation...]  Engorger, obstruer en gênant ou empêchant le passage de quelque chose, en particulier d'un liquide. Le chauffeur, (...) dit que le sable avait dû boucher le carburateur (ALBERT CAMUS, L'Exil et le royaume,  1957, page 1560 ). 

·    Par métaphore : 

Ø 25.... enfin tout ce qui peut servir aux hommes, au lieu de leur boucher l'esprit, de les rendre superstitieux et de les aider à tuer le temps.

ÉMILE ERCKMANN ET ALEXANDRE CHATRIAN, DITS ERCKMANN-CHATRIAN, Histoire d'un paysan, tome 2, 1870, page 388. 

Ø 26. Les connaissances qu'on entonne de force dans les intelligences les bouchent et les étouffent.

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Le Crime de Sylvestre Bonnard,  1881, page 430. 

—  Emploi pronominal à sens passif : 

Ø 27. —  Jamais contents les locataires, on dirait des prisonniers, faut qu'ils fassent de la misère à tout le monde!... C'est leurs cabinets qui se bouchent... Un autre jour c'est le gaz qui fuit... C'est leurs lettres qu'on leur ouvre!...

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Voyage au bout de la nuit,  1932, page 334. 

·    Par métaphore : 

Ø 28. Vainement, Pierre s'efforça de l'instruire [le cardinal Sarno] de l'émouvoir, désolé de le sentir si fermé, si indifférent. Et il s'aperçut que cette intelligence, vaste et pénétrante dans le domaine où elle évoluait depuis quarante ans, se bouchait dès qu'on la sortait de sa spécialité.

ÉMILE ZOLA, Rome,  1896, page 275. 

—  Spécialement.  MÉDECINE.   [Le complément d'objet désigne un canal, un conduit naturel de l'organisme]  Synonyme : oblitérer* :  

Ø 29. Les rapports anatomiques des fosses nasales et de l'arrière-gorge avec le conduit lacrymal permettent de rendre compte des divers accidents, (...) Rien ne prouve le moins du monde qu'il y eût carie; il y avait le conduit naturel que bouchait un obstacle incomplet, et cet obstacle cédait en partie si l'on pressait. De tels cas sont assez simples.

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Port-Royal, tome 3, 1848, page 114. 

Ø 30. Un soir, à Mürren, par exemple. Au pied de la montagne, on boit vite une bière froide qui vous fracasse les tempes à bout portant. Le funiculaire part entre les mûriers. Peu à peu, les oreilles se bouchent, le nez se débouche; on arrive.

JEAN COCTEAU, Le Grand écart,  1923, page 11. 

Ø 31. Tant que l'expectoration peut libérer l'arbre bronchique des mucosités qui le bouchent, et tant que le coeur tient, l'animal peut vivre calmement et avec un exercice très modéré.

ERNEST GARCIN, Guide vétérinaire,  1944, page 99. 

·    Emploi pronominal à sens passif : 

Ø 32. La phlébite, surtout visible à la jugulaire, se traduit par un engorgement chaud et douloureux sur une partie du trajet de la veine au bord inférieur de l'encolure. Au niveau de la plaie de saignée apparaît un peu de suppuration. Dans les cas graves, la veine peut se boucher complètement par un caillot assez long qui remonte vers l'auge.

ERNEST GARCIN, Guide vétérinaire,  1944 page 193. 

B.—  Par analogie avec l'emploi supra II A 2 

1. [Le complément d'objet désigne une voie de circulation]  Encombrer, barrer en gênant ou empêchant le passage de quelque chose ou de quelqu'un : 

Ø 33.... il se produit alors comme un reflux dans toute la ligne, les bêtes épouvantées se pressent, s'empilent; non-seulement la rue est barrée, mais elle est bouchée, et l'on a devant soi une sorte d'obstacle confus, hérissé de jambes, surmonté de têtes,...

EUGÈNE FROMENTIN, Un été dans le Sahara,  1857, page 141. 

Ø 34.... comme la Méchain bouchait la porte, il [Saccard] dut la bousculer, l'enjamber, pour sortir.

ÉMILE ZOLA, L'Argent,  1891, page 313. 

Ø 35. Les soldats de Crucha, s'étant retirés à la hâte, bouchèrent avec des quartiers de roches toutes les issues du monastère...

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, L'Île des pingouins,  1908, page 144. 

Ø 36. Un défilé d'hurluberlus (...) il en surgissait toujours d'autres!... Ils bouchaient la circulation.

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit,  1936, page 531. 

Ø 37. Pour les corps pesants, opaques, ceux qui vous bouchent l'entrée du métro ou vous froissent les côtes les soirs de feu d'artifice, je me fie à peu près [dans les statistiques] aux fonctionnaires de dénombrement...

ALEXANDRE ARNOUX, Paris-sur-Seine,  1939, page 126. 

—  Par métaphore. 

·    Boucher la voie, les routes... à quelqu'un. Semer, sur son chemin, des obstacles qui rendent sa progression difficile ou impossible : 

Ø 38. Je ne connaissais qu'eux. Ils me fermaient l'horizon, ils me bouchaient le ciel, le coeur, toutes les avenues de la vie.

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Vue de la Terre promise, 1934, page 240. 

Ø 39. Ne vous obstinez pas dans ma direction; vous vous y épuiseriez. (...). Mais, si cette voie-là vous est bouchée, elle n'est pas la seule.

HENRI DE MONTHERLANT, Les Jeunes filles,  1936, page 931. 

·    Boucher les issues à quelqu'un. Lui fermer toute possibilité de faire quelque chose : 

Ø 40. La période qui suivit fut pour Rambert à la fois la plus facile et la plus difficile. C'était une période d'engourdissement. Il avait vu tous les bureaux, fait toutes les démarches, les issues de ce côté-là étaient pour le moment bouchées.

ALBERT CAMUS, La Peste,  1947, page 1306. 

·    Boucher (une carrière). Encombrer (une carrière) et en gêner ou en empêcher l'accès : 

Ø 41. Nous sommes inondés de fils, enfin! On ne voit que cela : ils bouchent toutes les carrières; ce sont des survivances qui barrent tout... C'est que les moeurs, voyez-vous, défont terriblement les lois...

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Renée Mauperin,  1864, page 229. 

Emploi pronominal à sens passif : 

Ø 42. Puis toutes les carrières s'encombrent et se bouchent par cette vulgarisation des aptitudes, des capacités. Un jour viendra où il n'y aura plus que des têtes, des plumes. Nous marchons à n'avoir plus de bras...

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1861, page 871. 

·    Boucher l'avenir (à quelqu'un). Lui borner ou lui fermer ses perspectives d'avenir : 

Ø 43. —  C'est trop fort, grondait-il. On dirait que tout complote pour m'empêcher de percer, de prendre mon vol, de débuter avec éclat. On dirait que tout le monde se ligue pour me boucher l'avenir. Et voilà pourtant un bouquin qui devrait partir tout seul avec son titre épatant : le vent dans les voiles.

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Cécile parmi nous, 1938, page 196. 

Emploi pronominal à sens passif : 

Ø 44. Un homme... n'a pas le droit, sous peine de se boucher l'avenir, d'accepter certaines fonctions subalternes; il s'y dévalorise...

ALEXANDRE ARNOUX, Roi d'un jour,  1956, page 202. 

2. [Le mot est utilisé pour signifier qu'il est fait obstacle, dans les emplois concrets, au passage de quelque chose jusqu'aux sens, et, dans les emplois figurés, au passage de quelque chose jusqu'à la conscience] .

a) Boucher la vue. Faire obstacle, faire écran au regard; empêcher de voir : 

Ø 45. Maintenant, (...) on voyait une immense éclaircie, un coup de soleil et d'air libre; et, à la place des masures qui bouchaient la vue de ce côté, s'élevait, sur le boulevard Ornano, un vrai monument,...

ÉMILE ZOLA, L'Assommoir,  1877, page 737. 

·    Au figuré : 

Ø 46. Il s'agissait de bien faire tourner l'enquête : poser surtout Gilbert en victime et boucher ainsi la vue de ceux qui voudraient regarder le passé de trop près.

HENRI POURRAT, Gaspard des Montagnes, La Tour du Levant, 1931, page 263. 

—  Boucher les yeux de quelqu'un (figuré). L'empêcher de s'apercevoir de quelque chose, lui masquer la réalité, l'aveugler : 

Ø 47. [Josépha :] — ... Y a-t-il un de vous qui ait assez aimé une femme... pour se laisser si bien bander les yeux qu'il n'ait pas pensé qu'on les lui bouchait afin de l'empêcher de voir le gouffre où... on l'a lancé.

HONORÉ DE BALZAC, La Cousine Bette,  1846, page 375. 

Ø 48. Oh, quand j'étais dans ce pays, avec une figure où tous les passants pouvaient me lire et ma voix qui muait, et mes désirs qui me bouchaient les yeux... comme j'étais peu le maître de moi-même, et comme j'étais inconscient même de mon esclavage!

VALÉRY LARBAUD, A. O. Barnabooth,  1913, page 299. 

·    Emploi pronominal, au figuré. Se boucher les yeux. Refuser de voir les choses telles qu'elles sont : 

Ø 49. C'était là l'évidence. Bien entendu, on pouvait toujours s'efforcer de ne pas la voir, se boucher les yeux et la refuser, mais l'évidence a une force terrible qui finit toujours par tout emporter.

ALBERT CAMUS, La Peste,  1947, page 1357. 

—  Par métonymie. Boucher le jour. Le masquer, faire écran au passage de la lumière : 

Ø 50.... pendant que Buteau s'isolait dans un coin, contre le mur, et qu'Hyacinthe seul restait debout, devant la fenêtre, dont il bouchait le jour, de ses larges épaules.

ÉMILE ZOLA, La Terre,  1887, page 26. 

·    Au figuré. Boucher l'horizon : 

Ø 51. Mais le pire, quand on habite une prison sans barreaux, c'est qu'on n'a pas même conscience des écrans qui bouchent l'horizon.

SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, page 277. 

b) Boucher ses oreilles (à quelque chose). Les obturer avec ses doigts, sa main (pour ne pas entendre quelque chose). Figuré.  Ne pas vouloir entendre pour ne pas savoir; vouloir ignorer : 

Ø 52. François ne pouvait se mentir plus longtemps, ni boucher ses oreilles à la rumeur qui montait.

RAYMOND RADIGUET, Le Bal du comte d'Orgel,  1923, page 86. 

Remarque : Noter, sur ce modèle, un emploi d'auteur boucher son âme : 

Ø 53. Il [l'artiste moderne] peint, il peint; et il bouche son âme, et il peint encore jusqu'à ce qu'il ressemble enfin à l'artiste et à la mode...

CHARLES BAUDELAIRE, Curiosités esthétiques,  1867, page 219. 

—  Au figuré, emploi pronominal. Se boucher les oreilles : 

Ø 54.... mais elle fermait les yeux, elle se bouchait les oreilles, elle voulait ignorer la conduite de son mari au dehors.

HONORÉ DE BALZAC, La Cousine Bette,  1847, page 24. 

·    [Sur ce modèle]  Rare : 

Ø 55. Dans la cuisine chaude où Léonie me bousculait tendrement, je me défendais de ces mauvais souvenirs, j'aurais voulu me boucher la mémoire.

MARCEL AYMÉ, Le Vaurien,  1931, page 186. 

Ø 56. Parce que tu le veux bien que tu te bouches l'oreille, l'intelligence et la bonne foi, que tu te prêtes bénévolement à cette élasticité commode à l'espace.

ALEXANDRE ARNOUX, Le Seigneur de l'heure,  1955, page 75. 

Remarque : Les expressions se boucher les yeux et se boucher les oreilles, qui rendent compte d'un même état d'esprit (refus de savoir, refus de la réalité, de l'évidence) se rencontrent associées : 

Ø 57. Mais c'est le contraire, c'est exactement le contraire qui me frappe si fort. C'est notre immense bonne volonté à nous boucher les yeux et les oreilles. C'est notre lutte désespérée contre l'évidence.

ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY, Pilote de guerre,  1942, page 308. 

c) Boucher son nez, ses narines. Pincer son nez, comprimer ses narines, pour ne pas respirer quelque odeur désagréable. 

·    Par métaphore : 

Ø 58.... mais la ferveur extasiée, l'aventure révolutionnaire ou religieuse bouchent les narines et rendent insensibles à la puanteur...

ALEXANDRE ARNOUX, Roi d'un jour,  1956, page 120. 

·    Emploi pronominal. Se boucher le nez. 

Par métaphore : 

Ø 59. Diable! Je n'ai rien de la vieille dame sentimentale, je veux regarder la réalité en face, et sans me boucher le nez, si elle pue.

VALÉRY LARBAUD, A. O. Barnabooth,  1913, page 146. 

Remarque : On rencontre dans la documentation les composés a) Bouche-bouteilles, substantif masculin invariable, néologisme, technologie. Machine servant à effectuer le bouchage des bouteilles (confer Raymond Brunet, Le Matériel vinicole, 1925, page 496; Grand Larousse encyclopédique en dix volumes et Dictionnaire encyclopédique Quillet 1965 qui écrit bouche-bouteille, substantif masculin; confer d'autre part boucheur*). b) Bouche-four, substantif masculin, technologie. Synonyme de bouchoir* (confer L. Vincent, George Sand et le Berry, 1919, page 356). c) Bouche-nez, substantif masculin invariable, métiers : \" Masque de cuir percé de trous et quelquefois recouvert de filasse que, dans certaines fabrications ou manipulations, les ouvriers se mettent sur le visage pour se garantir contre les émanations dangereuses \" (Dictionnaire des dictionnaires (SOUS LA DIRECTION DE PAUL GUÉRIN) 1892; également attesté dans le Dictionnaire de l'Académie Française, Compléments 1842, Dictionnaire universel de la langue française (Louis-Nicolas Bescherelle) 1845, Grand dictionnaire universel du XIXe. siècle (Pierre Larousse), Dictionnaire de la langue française (Émile Littré), Nouveau Larousse illustré et Dictionnaire encyclopédique Quillet 1965). d) Bouche-oeil, substantif masculin, familier, rare. \" Somme d'argent que l'on donne à quelqu'un pour obtenir de lui qu'il ferme les yeux sur quelque chose, pour acheter son silence, sa complicité... \" Pour ne pas voir, il faut ou se boucher les yeux, ou avoir reçu un bouche-oeil (Léon Daudet, L'Avant-guerre, 1913, page 211) (attesté dans Grand Larousse de la langue française en six volumes et comme terme argotique, sous la forme bouche(-)l'oeil dans Les excentricités du langage français (Lorédan Larchey) 1880 : \" Pièce de cinq, dix ou vingt francs dans l'argot des filles qui font allusion à la pantomime de certaines enchères \" et dans le Dictionnaire historique des argots français (Gaston Esnault) 1965 : \" C'est une pantomime, pour se faire ouvrir une porte, de se poser une pièce d'or sur la paupière (campagnards, soldats, 1er.  Empire) \". e) Bouche-pores, substantif masculin invariable, néologisme, technologie : \" Préparation à base de gomme —  laque et de matières plastiques, destinée au remplissage des pores du bois avant vernissage, des rainures de parquet, etc. \" (Dictionnaire de la chimie et de ses applications (CLÉMENT DUVAL, RAYMONDE DUVAL, ROGER DOLIQUE) 1959; confer également Charles Coffignier, Couleurs et peintures, 1924, page 744; Grand Larousse encyclopédique en dix volumes qui enregistre de plus bouche-porage : \" Phase du vernissage du bois \" et bouche-porer : \" Pratiquer le bouche-porage \"). 

 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 568. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 413, b) 976; XXe.  siècle : a) 1 152, b) 846. 

 

BOUCHE(-)À(-)BOUCHE, (BOUCHE À BOUCHE, BOUCHE-À-BOUCHE) substantif masculin.  

MÉDECINE.  \" Procédé de respiration artificielle dans lequel le réanimateur insuffle l'air de ses propres poumons dans la bouche du sujet, dont le maxillaire inférieur est maintenu en position antérieure et les narines sont fermées \" (Dictionnaire français de médecine et de biologie (ALEXANDRE MANUILA, LUDMILLA MANUILA, M. NICOLE, H. LAMBERT) tome 1 1970). Pratiquer le bouche-à-bouche sur un noyé. 

Remarque : 1. \" L'air peut aussi être insufflé par les narines du sujet \" (Ibidem). 2. Attesté dans Grand Larousse encyclopédique en dix volumes Supplément 1968, DICTIONNAIRE ALPHABÉTIQUE ET ANALOGIQUE DE LA LANGUE FRANÇAISE  (PAUL ROBERT ) Supplément 1970 et Grand Larousse de la Langue française. 

—  Par plaisanterie : 

Ø Et les voilà [Maurice et Maman] devant moi enlacés, entortillés l'un dans l'autre... pour un bouche-à-bouche écrasé, un gros plan de fin de mélo.

HERVÉ BAZIN, Qui j'ose aimer,  1956, page 30. 

 

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