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commencé à tuer des Juifs.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

commencé à tuer des Juifs. Quiconque avait un compte à régler, vous savez... Bob l'a interrompu. Vous savez, si vous aviez un problème avec les Juifs, vous pouviez les tuer. Je vous donne un exemple. Après la retraite des Soviétiques, pendant l'été 41, pas mal de garçons juifs qui avaient été enrôlés par les Russes rentraient chez eux à Bolechow - ils avaient été dans l'armée russe et ils rentraient chez eux. Des Ukrainiens étaient sur le pont et regardaient chaque soldat qui rentrait, et quand ils pensaient qu'il s'agissait d'un Juif, ils le jetaient dans la rivière. Et il y avait surtout des gros rochers dans cette rivière, alors vous pouvez imaginer ce qui se passait. J'ai hoché la tête, même si j'étais incapable d'imaginer vraiment, n'ayant jamais été témoin de quelque chose de comparable à ce qu'il décrivait. La référence à la rivière, la rivière au bord de laquelle Frydka, au moins, s'était amusée - car Meg avait à présent sorti toutes les photos de l'album de Pepci Diamant, les photos des filles à ski, des filles alignées devant la maison de l'une d'elles, des filles en maillot de bain, regardant l'appareil cachées assez comiquement derrière des buissons au bord de l'eau, des filles regardant l'appareil pendant qu'elles mangeaient un sandwich, les cheveux relevés sous un mouchoir - cette référence m'a remis en mémoire un souvenir depuis longtemps oublié. Une fois auparavant, j'avais entendu dire que la rivière Sukiel, qui traversait Bolechow et dans laquelle mon grand-père, enfant, péchait la truite de montagne, avait été la scène d'un épisode de terreur. Quand j'étais un petit garçon, mon grand-père me racontait une histoire qui avait eu lieu pendant la Première Guerre mondiale à Bolechow. Comme la ville se trouvait sur la ligne de front entre les armées autrichienne et russe, commençait-il, elle était constamment bombardée, et au début de ces bombardements, ses frères, ses soeurs et lui - tous, sauf Shmiel qui était déjà sur le front, combattant pour l'empereur - couraient dans les bois à la périphérie de la ville pour se mettre à l'abri. Comme les bombardements avaient parfois lieu de nuit, chose terrifiante, sa mère les obligeait à attacher leurs chaussures autour de leur cou avec les lacets avant d'aller se coucher, afin qu'ils pussent les trouver sans tarder s'ils devaient courir se mettre à l'abri. Une nuit, le bombardement avait commencé, mais comme mon grand-père n'avait pas écouté sa mère - et c'était bien évidemment la morale de l'histoire, il fallait toujours écouter sa mère - et n'avait pas attaché ses chaussures autour de son cou, il n'avait pas pu les trouver quand les obus s'étaient mis à exploser, et alors que Ruchel, Susha, Itzhak, Yidl, Neche, sa mère et lui couraient sur la route pour aller se mettre à couvert dans les bois, ils avaient dû traverser un bras de cette rivière, la Sukiel ; et comme les obus étaient tombés dans l'eau, celleci était bouillante et il s'était brûlé les pieds. Un de ces bombardements avait duré près d'une semaine, ajoutait-il parfois, et pour en donner une illustration, il racontait une autre histoire. Un jour, alors qu'ils étaient restés coincés dans la forêt pendant plusieurs jours à cause d'un de ces bombardements, terrifiés à l'idée de retourner dans la ville, sa famille et lui, ainsi qu'un groupe d'habitants de Bolechow, avaient été contraints de tuer une biche et de manger sa viande. En me disant cela, il m'avait adressé un regard insistant et je savais ce qu'il voulait dire : un animal tué dans la forêt ne pouvait pas être cascher. Mon grand-père appartenait à une longue lignée, des générations en fait, de bouchers juifs ; dans les bois, ils devaient savoir ce qu'ils faisaient. Mais si la vie est en jeu, Dieu pardonne ! disait-il à ce moment de son histoire... Il s'était donc brûlé les pieds dans l'eau bouillante de la Sukiel, cette nuit-là. Mais ce n'était pas la fin de l'histoire. Après un silence pour ménager ses effets, il poursuivait. Un garçon avec qui j'allais à l'école est mort bouilli dans la rivière, ce soir-là. Aujourd'hui encore, quand j'entends dans ma tête la façon dont il a prononcé le mot bouilli, je tremble. Qui sait si c'était vrai ? Quand nous sommes revenus, quelques jours plus tard, disait-il pour achever son récit, la moitié de la maison avait disparu. Je pensais à ça pendant que Jack et Bob se souvenaient de la façon dont les Ukrainiens, quand les mauvais jours avaient commencé, jetaient les Juifs dans la rivière. Ou bien (a ajouté Jack), de temps en temps, ils emmenaient les Juifs le long de la rivière et les abattaient là. Tu te souviens que Gartenberg a été abattu ? a-t-il dit en regardant Bob. Bob a hoché la tête, C'est exact. C'était sous le pont, a continué Jack. Voilà les premières choses qui se sont passées, a dit Bob.     Maintenant, pour la première fois, j'allais obtenir une image claire de la première Aktion. J'avais besoin d'avoir le plus de détails possible à ce sujet. C'est à ce moment-là que Ruchele avait été tuée. La première Aktion allemande, a commencé Bob, qui voulait que je comprenne la différence entre les tueries organisées des nazis et les vendettas privées de certains Ukrainiens, ceux qui avaient vécu avec leurs voisins juifs comme dans une grande famille, comme m'avait dit la gentille vieille Ukrainienne à Bolechow, a eu lieu le 28 octobre 1941. Au moment où il a prononcé ces mots, Meg a hoché la tête pensivement vers la table. Puis, d'une voix lente et claire, elle a dit, C'était un mardi. Bob a poursuivi. Ils ont arrêté quelque chose comme sept cents... Jack et Meg l'ont interrompu simultanément. Mille, ont-ils dit. Mille, a repris Bob. Et ils les ont enfermés pendant trente-six heures environ dans Dom Katolicki, le centre de la communauté catholique, et ils les ont gardés là pendant que les Allemands buvaient sur l'estrade et que les Juifs devaient rester agenouillés sur le sol, et ils se sont soûlés et ils ont commencé à en abattre dans la foule. Et au bout de trente-six heures, ils les ont emmenés dans des camions en dehors de la ville, dans le champ de Taniawa, et ils avaient déjà fait creuser un grand trou, et ils les ont tous abattus. C'est ce que m'a raconté Bob, ce dimanche-là, le jour de l'anniversaire de mon grand-père, quand Matt et moi avons fait la connaissance de ces anciens habitants de Bolechow. Quand j'ai parlé seul avec lui, quelques jours plus tard, il a dit, Je me souviens de sept cent vingt, mais tous les autres disent que c'était mille. Je crois qu'ils avaient une planche au-dessus du trou et ils les abattaient sur cette planche. A la mitrailleuse, je ne sais pas. Tout le monde se souvient de ça un peu différemment, tout dépend de ce qu'on a entendu et de ce dont on se souvient. Comment, c'est ce que je voulais savoir, avaient-ils procédé à l'arrestation de tous ces gens au cours de cette Aktion ? Je me souvenais des histoires de ma famille, du fait que Shmiel avait figuré sur une sorte de liste. Bob a dit, Les Allemands allaient partout avec des policiers ukrainiens, parce qu'ils avaient une liste au début. Sur la liste, a-t-il expliqué, se trouvaient les noms des Juifs éminents de Bolechow : docteurs, avocats, chefs d'entreprise. L'idée était de démoraliser la ville en éliminant les citoyens importants. Comment, ai-je demandé, les Allemands avaient-ils établi la liste - comment savaient-ils qui était qui ? Les Allemands venaient évidemment d'arriver dans la région et ils n'avaient pas eu le temps de se familiariser avec Bolechow et ses habitants. Bob a répondu que les Ukrainiens du coin accompagnaient les officiers allemands partout, leur signalant qui était qui et où chacun vivait. Je crois qu'ils étaient cent quarante ou cent soixante sur la liste et si les gens n'étaient pas chez eux, comme mon père par exemple, ils commençaient à arrêter les gens dans les rues. Ils avaient une liste et Shmiel était dessus, m'avait dit un jour mon cousin Elkana. De qui l'avaitil appris, c'est impossible à savoir désormais. Cela ne pouvait manquer d'être la même liste que celle dont parlait Bob à présent. Et pourtant j'étais à peu près sûr que Shmiel n'avait pas été pris au cours de la première Aktion. Tante Miriam, en Israël, avait écrit, il y a bien longtemps, qu'elle avait entendu dire que Shmiel n'avait pas été tué avant 1944, en même temps qu'une de ses filles, après qu'ils avaient rejoint les partisans ; mon frère Matt était tombé, lors de cette réunion de survivants de l'Holocauste, sur cet homme qui, comme le faisaient souvent les artisans, avait utilisé le nom de Shmiel parce que ce dernier était mort. Et Jack, au cours de notre première conversation téléphonique, un an plus tôt, m'avait dit qu'à sa connaissance seule Ruchele avait été arrêtée au cours de cette première Aktion. J'avais donc conclu que Shmiel, s'il avait figuré sur cette liste (très probablement, a dit Bob), n'était pas chez lui, ce jour-là, quand les Allemands et les Ukrainiens étaient venus frapper à sa porte. Les gens à Bolechow me prennent pour un homme riche, s'était-il vanté dans une de ses lettres. Peut-être que c'était vrai et, au bout du compte, cela ne lui avait pas rendu service. Le jour où nous avons parlé à tous ces anciens de Bolechow, j'ai voulu savoir comment il se faisait que Ruchele avait été arrêtée. La malchance, a dit Jack, l'air songeur. Vous comprenez, il y avait quatre filles qui étaient des amies très proches. Il y avait Ruchele et les trois autres. Sur les quatre, trois ont péri ce jour-là. J'imagine qu'elles s'étaient retrouvées quelque part - qu'elles s'étaient donné rendez-vous, et elles ont été arrêtées et emmenées. Pendant qu'il parlait, j'ai pensé à la photo de Ruchele que j'avais : une grande fille blonde, au large sourire, avec les cheveux ondulés des Mittelmark qu'elle avait hérités de sa grand-mère, les cheveux que j'avais quand j'étais adolescent. Une fille gentille, une fille adorable, une fille « placide », m'avait dit Jack. En octobre 1941, elle avait seize ans...     Mais cela vient plus tard. Ce que je voulais savoir pour le moment, c'était comment était cette fille avec qui cet homme, mon interlocuteur de soixante-dix-huit ans aujourd'hui, était sorti pendant un an et demi, soixante-quatre ans plus tôt. Boris, lorsque je lui avais demandé comment était Shmiel, m'avait répondu qu'il était boucher. C'était ma faute, je le savais, si je n'avais pas préparé les bonnes questions, si je n'avais pas été capable de prévoir qu'il était impossible d'apprendre quoi que ce fût sur quelqu'un en demandant simplement, Et il était comment ? Bien sûr, il n'avait peut-être pas grand-chose à dire : si quelqu'un me demandait,

« Quand noussommes revenus, quelques joursplustard, disait-il pourachever sonrécit, la moitié delamaison avaitdisparu.

Je pensais àça pendant queJack etBob sesouvenaient delafaçon dontlesUkrainiens, quand les mauvais joursavaient commencé, jetaientlesJuifs dans larivière.

Oubien (aajouté Jack),de temps entemps, ilsemmenaient lesJuifs lelong delarivière etles abattaient là. Tu tesouviens queGartenberg aété abattu ?a-t-il ditenregardant Bob. Bob ahoché latête, C'est exact. C'était souslepont, acontinué Jack. Voilà lespremières chosesquisesont passées, adit Bob.     Maintenant, pourlapremière fois,j'allais obtenir uneimage clairedelapremière Aktion. J'avais besoin d'avoir leplus dedétails possible àce sujet.

C'estàce moment-là queRuchele avait ététuée. La première Aktion allemande, acommencé Bob,quivoulait quejecomprenne ladifférence entre lestueries organisées desnazis etles vendettas privéesdecertains Ukrainiens, ceuxqui avaient vécuavecleurs voisins juifs comme dansunegrande famille, comme m'avaitditla gentille vieilleUkrainienne àBolechow, aeu lieu le28 octobre 1941. Au moment oùila prononcé cesmots, Megahoché latête pensivement verslatable.

Puis, d'une voixlente etclaire, elleadit, C'était unmardi. Bob apoursuivi.

Ilsont arrêté quelque chosecomme septcents... Jack etMeg l'ont interrompu simultanément.

Mille,ont-ils dit. Mille, arepris Bob.Etils les ont enfermés pendanttrente-six heuresenviron dansDom Katolicki, lecentre delacommunauté catholique,etils les ont gardés làpendant queles Allemands buvaientsurl'estrade etque lesJuifs devaient resteragenouillés surlesol, etils se sont soûlés etils ont commencé àen abattre danslafoule.

Etau bout detrente-six heures,ils les ont emmenés dansdescamions endehors delaville, dans lechamp deTaniawa, etils avaient déjàfaitcreuser ungrand trou,etils les ont tous abattus. C'est ceque m'araconté Bob,cedimanche-là, lejour del'anniversaire demon grand-père, quand Mattetmoi avons faitlaconnaissance deces anciens habitants deBolechow.

Quandj'ai parlé seulavec lui,quelques joursplustard, ila dit, Jeme souviens desept cent vingt, maistous les autres disentquec'était mille.Jecrois qu'ils avaient uneplanche au-dessus dutrou etils les abattaient surcette planche.

Ala mitrailleuse, jene sais pas.

Tout lemonde sesouvient deça un peu différemment, toutdépend decequ'on aentendu etde cedont onsesouvient. Comment, c'estceque jevoulais savoir,avaient-ils procédéàl'arrestation detous cesgens au cours decette Aktion ? Je me souvenais deshistoires dema famille, dufait que Shmiel avait figuré surune sorte deliste. Bob adit, LesAllemands allaientpartout avecdespoliciers ukrainiens, parcequ'ilsavaient une. »

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