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DÉRACINÉ, -ÉE, participe passé et adjectif.

Publié le 08/01/2016

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DÉRACINÉ, -ÉE, participe passé et adjectif.  

I.—  Participe passé de déraciner* 

II.—  Adjectif.  Qui s'est détaché de tout ce à quoi il (ou elle) était attaché(e) par des liens étroits ou qui a été arraché(e) à ce à quoi il (ou elle) tenait, en particulier à son pays ou milieu d'origine. Tant de jeunes femmes désoeuvrées, voyageuses et déracinées de tout devoir (MAURICE BARRÈS, Huit jours chez Monsieur Renan, 1888, page 95 ). « Je suis plus seul et plus déraciné que jamais », écrit Lamartine après la mort de son père (cité par Des Cognets, « La Vie intérieure de Lamartine », page 18) (MAURICE BARRÈS, Mes cahiers, tome 10, 1913, page 53 ). Les populations déracinées et sans attaches solides (ÉDOUARD JEANNERET-GRIS, DIT LE CORBUSIER, La Charte d'Athènes,  1957, page 19) : 

Ø 1. C'est en vain que l'esprit juge avec impartialité le pays qui nous a vus naître, nos affections ne s'en détachent jamais; et quand on est contraint à le quitter, l'existence semble déracinée, on se devient comme étranger à soi-même.

GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, De l'Allemagne, tome 1, 1810, page 191. 

—  Emploi comme substantif.  Personne arrachée à son pays, à son milieu d'origine et/ou qui a été arrachée à tout ce à quoi elle tenait par des liens affectifs et presque sensuels. Les Déracinés (roman de Barrès 1897). Cette cosmopolite qui n'a ni son ciel, ni sa terre, ni sa société, c'est une déracinée (MAURICE BARRÈS, Huit jours chez Monsieur Renan,  1888, page 147) : 

Ø 2. Parfois je suis dans mon cabinet, il n'y a que mon cerveau qui aime ma Lorraine. Je raisonne, j'intellectualise, je suis un déraciné, plongé dans les mots, dans les idées, c'est-à-dire dans un pur néant. Mais voici que je vais à la promenade : l'air doux me baigne, l'horizon rafraîchit mes yeux, de tout mon corps je me conforme à la Lorraine. Je cesse de penser; je suis maintenant une plante lorraine, heureux, joyeux, intéressé par tous mes sens.

MAURICE BARRÈS, Mes cahiers, tome 4, 1904-05, page 15. 

 Fréquence absolue littéraire : 250. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 254, b) 293; XXe.  siècle : a) 756, b) 233. 

 

Forme dérivée du verbe \"déraciner\"

 déraciner

DÉRACINER, verbe transitif.  

A.—  1. [L'objet désigne un arbre ou une plante]  Arracher de terre avec ses racines. Il [Roland] dit, et déracine un chêne. Sire Olivier arrache un orme dans la plaine (VICTOR HUGO, La Légende des siècles, tome 1, 1859, page 172 ). J'aimais beaucoup la terre, et je déracinais les fleurs pour les replanter (MARCEL SCHWOB, Le Livre de Monelle, 1894, page 137 ). 

—  Par métaphore, en emploi pronominal réciproque. Poitrine contre poitrine, front contre front, ils [les deux lutteurs] cherchaient à se déraciner de terre réciproquement, les deux « vigoureux », inflexibles comme des rouvres (PAUL CLAUDEL, Ompdrailles, le tombeau des lutteurs,  1879, page 14 ). 

2. Par extension.  [L'objet désigne une chose qui tient fortement au sol]  Arracher. On ne peut entamer les tours bâties en ciment romain, et les cheminées furent impossibles à déraciner. Elles sont encore debout (AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Histoire de ma vie, tome 2, 1855, page 280) : 

Ø 1. La ville va bouger, ce matin.

Elle va s'arracher à la terre,

Déraciner ses fondations,

Les dépêtrer de la glaise grasse...

LOUIS FARIGOULE, DIT JULES ROMAINS, La Vie unanime, Dieu, la ville, 1908, page 86. 

—  Par analogie.  [L'objet désigne quelque chose qui tient fortement à sa base, parfois par des \" racines \"]  Le navire, arraché aux vagues, avait été en quelque sorte déraciné de l'eau par l'ouragan (VICTOR HUGO, Les Travailleurs de la mer,  1866, page 244 ).  Déraciner un cor, une dent, une verrue (Dictionnaire de l'Académie française.  1878). 

B.—  Par métaphore ou au figuré. 

1. [L'idée dominante est celle d'arrachement de la base] 

a) [L'objet désigne un souvenir]  Arracher (du coeur) : 

Ø 2. J'accompagnai Colomb (...) portant toujours en moi cette mystérieuse souffrance, ce souvenir déchirant que ni fatigues ni aventures n'avaient pu déraciner de mon coeur.

ALEXANDRE DUMAS PÈRE, Le Gentilhomme de la montagne,  1861, 1, 2, page 22. 

b) [L'objet désigne une personne, sa vie]  Arracher quelqu'un à sa terre natale, à son milieu d'origine; par extension, à tout ce à quoi il tient par des liens étroits : 

Ø 3. Déraciner ces enfants, les détacher du sol et du groupe social où tout les relie, pour les placer hors de leurs préjugés dans la raison abstraite, comment cela le [Bouteiller] gênerait-il, lui qui n'a pas de sol, ni de société, ni, pense-t-il, de préjugés?

MAURICE BARRÈS, Les Déracinés,  1897, page 21. 

—  Emploi pronominal (Confer Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, tome 2, 1835, page 106). 

2. [L'idée dominante est celle de mort, de destruction, conséquence de l'arrachement] 

a) [L'objet désigne des institutions, des systèmes politique]  Supprimer totalement : 

Ø 4.... elle [la bourgeoisie révolutionnaire] voulait en finir avec le régime féodal et nobiliaire. Elle voulait le déraciner si bien qu'aucun rejeton n'en pût rejaillir un jour comme par surprise.

JEAN JAURÈS, Études socialistes,  1901, page 221. 

b) [L'objet désigne des personnes]  Faire disparaître brutalement : 

Ø 5. Les jérémiades éloquentes de ce vieux paysan attaché au sol par toutes ses fibres et que la mort allait déraciner n'étaient point faites pour émouvoir Barnabé...

FERDINAND FABRE, Barnabé,  1875, page 347. 

c) [L'objet désigne des préjugés, des mauvaises habitudes, etc.]  Supprimer radicalement, faire disparaître : 

Ø 6. Déracinez donc, si vous le pouvez, de telles idées [les privilèges] inhérentes à un régime, sans détruire ce régime de fond en comble!

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Nouveaux lundis, tome 11, 1863-69, page 153. 

Remarque : On rencontre dans la documentation déracinant, ante, adjectif, par métaphore Qui arrache; qui abat, détruit. Une demande pécuniaire, de toutes les bourrasques qui tombent sur l'amour, étant la plus froide et la plus déracinante (Gustave Flaubert, Madame Bovary, tome 2, 1857, page 166). Des Esseintes se réveiLa tout valide (...); plus de toux déracinante, plus de coins enfoncés à coup de maillet dans la nuque (Joris-Karl Huysmans, À rebours, 1884, page 148). 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 194 (déracinant : 7). 

DÉRIVÉS : 1.  Déracinable,  adjectif,  par métaphore.  Qui peut être arraché à son milieu naturel. a)  [En parlant de quelque chose qu'on estime nuisible]  Qui peut être supprimé totalement. Cette sensualité retardée (...) s'affirme (...) plus difficilement déracinable, que les fièvres normales de l'adolescence et de la jeunesse (CHARLES DU BOS, Journal, 1926, page 39 ). b)  [En parlant d'une personne]  Qui peut être arraché à son pays d'origine. C'est la période de ma vie où j'eusse été le plus déracinable si une force qui a résisté à tout ne m'avait ancré au pays (FRANCIS JAMMES, Mémoires,  1923, page 58 ). 2.  Déracineur,  substantif masculin. a)  Celui qui déracine (des arbres, des plantes). Ces niveleurs [nom d'une secte] étaient de plusieurs espèces : les uns, les fouilleurs et déracineurs, s'emparaient des bruyères et des champs en friche (FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Les Quatre Stuarts,  1830, page 248 dans LITTRÉ. ).  [Désigne le vent]  Je me réjouissais, moi aussi, de cette défaite du destructeur, du déracineur (ALEXANDRE ARNOUX, Paris-sur-Seine,  1939, page 123 ). b)  Au figuré.  Celui qui prône le déracinement, l'arrachement à son pays et à son milieu d'origine (confer Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme, tome 2, 1902, page 180). 

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