Dictionnaire en ligne: DISCRÉTION, substantif féminin. [Correspond à discret1 ] I.— [La discrétion implique la faculté de discerner, le pouvoir de décider] A.— Vieux. Discernement, pouvoir de décider. J'étais dans l'âge de discrétion (PAUL VERLAINE, Œuvres complètes, tome 5, Confessions, 1895, page 25 ). — Par métonymie. [En termes de jeu] Enjeu non déterminé dont le vainqueur décide. Gagner une discrétion. « Voulez-vous parier une discrétion que nous apprendrons demain le départ du sire de Larzac » (PAUL BOURGET, Un Drame dans le monde, 1921, page 230 ). B.— Locutions. 1. À la discrétion de (quelqu'un). À la compétence, à la sagesse de (quelqu'un). — Par extension. Synonymes : à la disposition, à la merci. Être, se mettre à la discrétion de quelqu'un. Dépendre entièrement de lui, être en son pouvoir. Elle entendrait ainsi me mettre à la discrétion de la générosité de son parent (EUGÈNE DELACROIX, Journal, 1822, page 22 ). Je me suis mis à ta discrétion : un mot de toi à Orsenna, bien plutôt, peut me chasser à jamais d'ici (JULIEN GRACQ, Le Rivage des Syrtes, 1951, page 51) : Ø 1. Cette manifestation [de la personnalité] est déjà irrépressible, dans la simple écriture, où pourtant la main s'efforce de suivre le modèle appris. Combien sera-t-elle plus frappante dans le travail du crayon ou du pinceau, dont les modalités sont laissées à la discrétion de l'artiste! RENÉ HUYGHE, Dialogue avec le visible, 1955, page 261. 2. À discrétion. Comme on veut, autant qu'on veut. Boire, manger à discrétion; vin à discrétion. Synonymes : à son gré, à volonté. J'avais le pain, le jambon et la bière à discrétion (FRANCIS AMBRIÈRE, Les Grandes vacances, 1946, page 144 ). — Spécialement. · Vieux. [En parlant surtout des militaires] Vivre à discrétion. Vivre sur l'habitant en le rançonnant selon son gré. En paix ou en guerre, une troupe armée vivait toujours à discrétion partout où elle se trouvait (PROSPER MÉRIMÉE, Chronique du temps de Charles IX, 1829, page 13 ). · [En parlant d'une ville, d'un pays ou d'une troupe] Se rendre à discrétion. Se rendre sans condition, se mettre à la merci du vainqueur. La ville de Menda... fut entourée par les troupes françaises (...) Les habitants, saisis de terreur, offrirent de se rendre à discrétion (HONORÉ DE BALZAC, El Verdugo, 1830, page 162 ). Au figuré. [En parlant d'une femme] Il [Don Juan] pensait aux délices de Séville et aux nombreuses beautés qui n'attendaient, sans doute, que son arrivée pour se rendre à discrétion (PROSPER MÉRIMÉE, Les Âmes du Purgatoire, 1837, page 368 ). Remarque : On rencontre dans la documentation quelques emplois dans ce sens de à la discrétion. Frapper jusqu'à ce qu'il ait capitulé à la discrétion des vainqueurs (Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, 1956, page 544). II.— [La discrétion implique la réserve, la mesure, la modération] A.— Dans le domaine des relations sociales. 1. Qualité d'une personne qui apprécie justement les actes ou les paroles qui peuvent choquer, gêner ou peiner. Mettre de la discrétion dans sa conduite. Synonymes : délicatesse, réserve, tact. Les Anglais sont les hommes du monde qui ont le plus de discrétion et de ménagement dans tout ce qui tient aux affections véritables (GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Corinne ou l'Italie, tome 1, 1807, page 309 ). Tout le monde croyait chez nous : par discrétion (JEAN-PAUL SARTRE, Les Mots, 1964, page 79) : Ø 2. On ne devient vraiment intimes qu'entre gens du même degré de discrétion. Le reste, caractère, culture et goûts importe peu. L'intimité véritable repose sur le sens mutuel des pudenda et des tacenda. C'est par quoi elle permet une incroyable liberté; tout le reste peut être dit. PAUL VALÉRY, Tel quel I, 1941, page 44. — [En parlant de la nature, de l'esprit d'une personne, d'une attitude ou d'un comportement] Cet esprit [de Conrius] vigoureux, opiniâtre, sans discrétion ni délicatesse, ne marchandait en rien : il n'était pas, comme il le dit, pour adoucir les choses (CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Port-Royal, tome 1, 1840, page 305 ). Elle esquissait un sourire d'une discrétion appuyée (SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, page 200 ). 2. Caractère de ce qui manifeste une juste appréciation de ce qui peut choquer, gêner ou peiner. Agir, bailler, tousser, sortir avec discrétion. Le galérien, avec la discrétion qui caractérise l'Espagnol, comprit que sa présence était importune, et se retira (PROSPER MÉRIMÉE, Mosaïque, 1833, page 295 ). Une petite toux facile dont la discrétion contrastait avec sa grosse voix râpeuse (GABRIELLE COLLETTE, DITE COLETTE, Chambre d'hôtel, 1940, page 96) : Ø 3. Il [Delatouche] se laissait aller de temps en temps à raconter ses romans d'avance, avec plus de discrétion et d'intimité que Balzac, mais avec plus de complaisance encore s'il se voyait bien écouté. AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Histoire de ma vie, tome 4, 1855, page 131. Remarque : On rencontre dans la documentation quelques emplois rares au pluriel de discrétion au sens d'actions discrètes. Plusieurs [jurés] avaient des têtes blêmes de donneurs d'eau bénite, de bedeaux rasés et cafards, habitués aux discrétions hypocrites du culte (ÉMILE ZOLA, Les Romanciers naturalistes, Vérité, 1902, page 122). B.— Par extension. [En parlant de choses concrètes ou abstraites] 1. [Indique un jugement de valeur esthétique, moral, etc., en fonction des conditions sociales, des convenances] Caractère de ce qui n'attire pas l'attention, ne se fait pas remarquer, est de bon ton. S'habiller avec discrétion. Les imparfaits du subjonctif. C'est affaire de mesure. La beauté du style est dans sa discrétion (JULES RENARD, Journal, 1887-1910, page 1239) : Ø 4. Les nouvelles mariées apprenaient de lui à retenir leur bonheur et à garder leur mari par la discrétion et la délicatesse de la toilette, par la propreté, par les soins, par la virginité et la finesse du linge. EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Renée Mauperin, 1864, page 71. 2. [En parlant de teintes, de couleurs] Caractère d'une couleur atténuée, douce, neutre : Ø 5. Roger Van der Weyden semble avoir voulu réduire le décor à sa plus simple expression et il n'en a pas moins réussi à créer, en employant des couleurs dont la discrétion ne cherche pas à s'imposer, un chef-d'oeuvre de coloris clair et lucide. GEORGES-CHARLES, DIT JORIS-KARL HUYSMANS, La Cathédrale, 1898, page 369. C.— [La discrétion implique ou suppose le secret] 1. [En parlant d'une personne] Qualité consistant à garder les secrets. Discrétion professionnelle; demander une discrétion absolue. Modèle de conscience et tombeau de discrétion, il devait assister pendant trois ans, en témoin muet et actif, à toutes les séances du conseil (CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, 1956, page 122) : Ø 6. [Nous] avons toujours tenu très secret tout ce qui concernait notre famille, si j'avais pris mes mesures pour que rien ne transpirât au dehors de nos inquiétudes touchant l'état mental de celui qui, tout de même, en était le chef, certains éléments étrangers à la famille n'ont pas eu la même discrétion ni la même prudence, et ton misérable gendre, en particulier, a raconté à ce sujet les histoires les plus dangereuses. FRANÇOIS MAURIAC, Le Noeud de vipères, 1932, page 303. 2. [En parlant d'une action, d'un fait] Caractère de ce qui est accompli de manière à passer inaperçu, à rester secret; fait de passer inaperçu, de rester secret. Celui-ci [Gundermann] (...) menait en effet toute une campagne à la baisse, dans la discrétion la plus grande, n'allant jamais à la Bourse (ÉMILE ZOLA, L'Argent, 1891, page 285 ). Ménager ici un entretien entre vous et Giraud dans des conditions de complète discrétion (CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, 1956 page 75 ). STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 1 037. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 1 360, b) 1 309; XXe. siècle : a) 1 491, b) 1 650.
