Dictionnaire en ligne: ENTAME, substantif féminin. A.— Action d'entamer. 1. [Correspond à entamer I A 3] Action d'attaquer, de creuser quelque chose. Carrés cyclopéens où la furie des barbares n'a pu faire d'autre entame que des trous de ver (EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Madame Gervaisais, 1869, page 25 ). Après l'entame au biseau (LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit, 1936, page 169 ). 2. [Correspond à entamer II] Action de commencer quelque chose : Ø ... un jeune homme de vingt ans qui me débite (...) une trentaine de lieux communs très-ramassés, tendant à me prouver charitablement que je ne suis pas dans la bonne voie. Entame d'une conférence. LÉON BLOY, Journal, 1905, page 252. B.— Par métonymie. [Correspond à entamer I A 2 a] Première part, tranche, premier morceau coupé de quelque chose qui se mange. Un enfant, mince, (...) qui volait les entames de jambon et les bouts de saucissons oubliés (ÉMILE ZOLA, Le Ventre de Paris, 1873, page 659 ). Remarque : Les dictionnaires généraux enregistrent un emploi en terme de jeu « première carte jouée dans une partie ». STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 3 Forme dérivée du verbe "entamer" entamer ENTAMER, verbe transitif. I.— [Avec l'idée de couper, de creuser, de pénétrer, d'attaquer] A.— [Le complément désigne une chose] 1. [Le complément désigne la peau, la chair, une partie du corps] Couper en faisant une incision. Entamer l'épaule, la joue, la mâchoire, l'os : Ø 1.... un grand matelot américain, armé de deux fragments de disque ramassés sur le pavé et tranchants comme des rasoirs, faisait des moulinets avec ses longs bras, tailladait des visages, fendait des nez, entamait des joues, coupait des oreilles. Le sang pissait de ces vilaines balafres. BLAISE CENDRARS, Bourlinguer, 1948, page 265. — Emploi pronominal réfléchi. Se faire une plaie superficielle. Il faudra me mettre un morceau de saindoux pour me graisser les pieds (...). Je peux par marcher une heure sans m'entamer (JEAN GIONO, Le Grand troupeau, 1931, page 72 ). · Emploi pronominal indirect. On ne peut quelquefois empêcher l'excoriation et l'ulcération; pour lors, (...) on couvre l'endroit entamé de cérat de saturne (ÉTIENNE-LOUIS GEOFFROY. Manuel de médecine pratique, 1800, page 38 ). La lame (...) se replie sur la virole qui a cédé, et il s'entame deux doigts (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Les Dieux ont soif, 1912, page 296 ). 2. [Le complément désigne une chose considérée comme un ensemble, un tout intégral, intact dont on enlève, supprime ou utilise une partie] a) Enlever une partie en coupant Entamer un gâteau, un jambon, un pâté. Entamer une pièce de drap (Dictionnaire de l'Académie Française). Quand sa lame entamait Gruyère ou Roquefort, Je la voyais peser sur elle avec effort (MAURICE ROLLINAT, Les Névroses, 1883, page 73 ). b) Diminuer en utilisant, en faisant disparaître une partie. Entamer des provisions, un stock. L'artillerie française, qui ne voulait pas trop entamer ses réserves de projectiles, laissait le tir s'espacer, s'égrener (LOUIS FARIGOULE, DIT JULES ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, 1938, page 45 ). — En particulier. a ) [Le complément désigne de l'argent] (Quasi-)synonyme : écorner. Il s'était juré de ne pas entamer son gain de la veille (LOUIS ARAGON, Les Beaux quartiers, 1936, page 401 ). Il songea tout aussitôt à l'entamer, ce billet (RAYMOND QUENEAU, Pierrot mon ami, 1942, page 122) : Ø 2. Son notaire, son agent de change s'effrayaient de le voir entamer, avec tant d'appétit, cette fortune, lentement acquise et prudemment gérée par deux générations de grands bourgeois. ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, page 120. ß ) [Le complément désigne un mets, un aliment] Familier. Commencer à manger, à boire. Entamer une bouteille, le dîner. Nous entamions l'immanquable « conserve de tomates » (LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, 1932, page 198 ). ? ) Fréquent au participe passé. [Le complément désigne une période de temps] Le mois de juin se trouvait bien entamé (LOUIS ARAGON, Les Beaux quartiers, 1936 page 381 ). Desmarais se désolait fort qu'elle restât fille, la trentaine entamée (GERMAINE GUÈVREMONT, Le Survenant, 1945, page 28 ). Il faut vivre, et vivre c'est chaque jour entamer l'avenir (CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, 1956, page 557 ). Remarque : Les dictionnaires généraux enregistrent un emploi spécial, en terme de jeu de cartes entamer une couleur. Jouer la première carte de cette couleur. 3. Par extension. [Le complément désigne la matière, un objet concret, un espace] Couper, pénétrer, attaquer. a) [Le sujet désigne un agent d'érosion, le complément une roche, un terrain] La Méditerranée entame le Roussillon (MARCELLIN BOULE, Conférences de géologie, 1907, page 168 ). Un océan terrible (...) entame les craies dures de la Saintonge (PAUL VIDAL DE LA BLACHE, Tableau de la géographie de la France, 1908, page 46 ). Le fleuve (...) a rencontré ici le roc et, ne l'ayant point entamé, en a épousé le contour (ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY, Citadelle, 1944, page 677 ). b) [Le sujet désigne une personne ou un outil] Il faut retirer le fer [du rabot] de plus en plus, afin qu'il soit moins saillant et entame moins le bois (M. NOSBAN, Nouveau manuel complet du menuisier, de l'ébéniste, du layetier, du marqueteur, du sculpteur. 1857, page 135 ). Ils [les faucheurs] entamaient à pleine lame ce dessous de l'herbe ombreux et vert (JEAN GIONO, Que ma joie demeure, 1935, page 300 ). D'un commun accord, Didace et Venant ajustèrent la scie. Les dents d'acier entamèrent la plane (GERMAINE GUÈVREMONT, Le Survenant, 1945 page 37 ). — En particulier. a ) [Le sujet désigne un animé ou un véhicule en mouvement, le complément un espace à parcourir] Commencer à parcourir. La voiture entame la pente. L'un était à cheval, l'autre à pied. Ils n'avaient pas encore entamé le raidillon abrupt qui menait à l'école, bâtie au flanc d'une colline (ALBERT CAMUS, L'Exil et le Royaume, 1957, page 1609 ). ß ) Dans le domaine militaire [Le complément désigne une troupe, une armée, etc.] Commencer à percer. Entamer une ligne de défense. L'armée franque, hérissée et compacte, refusa le combat sans se laisser entamer (RENÉ GROUSSET, L'Épopée des Croisades, 1939, page 227 ). Remarque : La documentation atteste a) Quelques emplois pronominaux à sens passif. Le granit ne s'entame pas (Faure, Histoire art, 1909, page 40). b) Quelques emplois par analogie Une mince flamme battue par le vent fait glisser lentement sur eux-mêmes, sans les entamer, tous les plans d'ombre (Georges Bernanos, M. Ouine, 1943, page 1506). 4. Au figuré. a) [Le complément désigne un état de chose] (Quasi-)synonymes : altérer, attaquer, diminuer. Cela n'eût sans doute pas entamé mon bonheur (ANDRÉ GIDE, Journal, 1935, page 1221 ). Non seulement le silence était profond, mais il ne semblait pas que quelque chose pût l'« entamer », pût le réduire (PIERRE-JEAN JOUVE, La Scène capitale, 1935, page 146 ). b) [Le complément désigne une pensée, une croyance, des principes, etc.] (Quasi-)synonyme : porter atteinte à. Que votre foi ne se laisse pas entamer, vous serez toujours heureux dans l'Église (MARCEL AYMÉ, La Jument verte, 1933, page 112 ). Nous aimons que le loyalisme monarchique dont a toujours fait preuve Pierre Corneille (...) n'ait rien entamé chez lui des devoirs de l'amitié et de la fidélité (ROBERT BRASILLACH, Pierre Corneille, 1938, page 390) : Ø 3. Le proverbe est une sorte de court poème, souvent rimé, toujours rythmé d'une certaine manière, de façon que la mémoire machinale ne le déforme pas aisément. Ainsi il se fait notre importun compagnon. L'agitation même de notre esprit fait surnager le proverbe; nos folles pensées ne peuvent l'entamer. ÉMILE-AUGUSTE CHARTIER, DIT ALAIN, Propos, 1933, page 1162. c) [Le complément désigne les sentiments, les facultés, les qualités, etc. d'une personne] (Quasi-)synonymes : altérer, détruire partiellement, ruiner. Entamer la santé morale, la sérénité de quelqu'un; entamer le crédit, la réputation de quelqu'un. Je ne pense pas que même l'amour parvienne plus tard à entamer sa suffisance (ANDRÉ GIDE, Journal, 1942, page 157 ). La réalité terrible n'avait pu entamer mon sang-froid (HENRI BOSCO, Le Mas Théotime, 1945, page 220 ). Le maître du Kremlin plongé aux abîmes de l'angoisse, mais sans que rien n'entamât sa lucidité, son âpreté, sa ruse (CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, 1954, page 213 ). B.— [Le complément désigne une personne] Réduire les réactions, les résistances, commencer à convaincre. Heureux celui qui entend ces paroles, et sur qui elles coulent sans l'entamer! (HENRI DE MONTHERLANT, La Reine morte, 1942, III, 4, page 212 ). Comme Ferdinand était le digne fils de son père, mon éloquence finit par l'entamer (HERVÉ BAZIN, Vipère au poing, 1948, page 169 ). Dubreuilh ne s'interrogeait plus : il écrivait. Il continua à écrire chaque jour. Dans ce domaine-là, rien ne pouvait l'entamer (SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, page 224) : Ø 4. Certainement il n'a pas compris combien sa lettre pouvait m'être cruelle. Les abominables calomnies qu'on lui fait entendre sur moi l'ont entamé, et comme il croit, d'après ce qu'on lui dit, que je suis un être fourbe et sans coeur, il n'a pas à craindre de me faire souffrir. ANDRÉ GIDE, Journal, 1929, page 943. II.— Par extension. [Le complément d'objet désigne une action, une oeuvre, des négociations, une discussion] Commencer, engager. Entamer un procès. C'est l'artillerie qui entame le combat (MARÉCHAL FERDINAND FOCH, Des Principes de la guerre, 1911, page 317 ). Il entama en mots obscurs (...) une hargneuse histoire de succession, entre son frère et lui (JOSEPH MALÈGUE, Augustin ou le Maître est là, tome 2, 1933, page 249 ). Démarches indirectes, tentées auprès de Wilson par le nouveau cabinet allemand, pour entamer des négociations (ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, Épilogue, 1940, page 998 ). SYNTAXE : Entamer le chapitre, le sujet; entamer la lutte, la partie; entamer des démarches. — Emploi pronominal à sens passif, rare. La partie diplomatique qui s'entame (CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Nouveaux lundis, tome 11, 1863-69, page 94 ). Remarque : 1. On rencontre dans la documentation un emploi absolu Il tenta de se remettre les sens en buvant chopine sans rien dire, tournant dans sa tête le discours qu'il allait faire à sa femme et ne sachant par quel bout entamer (George Sand, François le Champi, 1850, page 76). 2. La documentation atteste a) Entamable, adjectif. Qui peut être entamé (supra I A 3 a). Rencontrer des couches [de terrain] plus entamables (Paul Vidal de La Blache, Tableau géographique de la France, 1908, page 66). b) Entameur, substantif masculin Personne qui entame (supra II A). Des brouilleurs d'affaires, des entameurs de procès (Alfred de Musset, Le Temps, 1831, page 26). STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 1 283. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 1 423, b) 2 293; XXe. siècle : a) 1 893, b) 1 871. DÉRIVÉS : Entamure, substantif féminin. vieilli. Coupure, écorchure. Des plaies ou entamures. Dans les endroits où la peau est plus épaisse (...) le virus ne peut pas pénétrer, à moins qu'il n'y ait quelque entamure ou écorchure (ÉTIENNE-LOUIS GEOFFROY. Manuel de médecine pratique, 1800, page 535 ). Les dictionnaires généraux et techniques attestent l'emploi, dans le MINES ET CARRIÈRES : entamure (d'une carrière). Extraction des premières pierres d'une carrière, ensemble des premières pierres extraites d'une carrière.
