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ÉPISTÉMOLOGIE

Publié le 02/04/2015

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ÉPISTÉMOLOGIE_____________________________

A la suite des bouleversements scientifiques des XIXe et XXe siècles, le remaniement du savoir a montré l'échec relatif des tentatives philo­sophiques qui, pour ressaisir la réalité du développement de la pensée scientifique, visaient à lui donner une norme. Est alors apparue l'importance de disciplines prenant directement la science pour objet : philosophie des sciences, histoire des sciences, critique de la connais­sance scientifique. L'épistémologie est le nom donné à ces disciplines, dans la mesure où on tente de leur donner unité et autonomie. L'histoire du mot témoigne de son ambiguïté profonde. Le terme anglais epistemology, utilisé pour traduire le mot allemand Wissen-schaftslehre (théorie de la science) est francisé par la traduction en

1901 de l'Essai sur les fondements de la géométrie de Russell. É. Meyerson (1) l'utilise comme synonyme de philosophie des sciences (Identité et réalité, 1907) pour distinguer ses théories de celles de E. Mach (2).

1.     Les ambiguïtés et leur sens

En général, ceux dont on reconnaît qu'ils font ou ont fait oeuvre d'épistémologie prétendent oeuvrer à la philosophie ou à la théorie de la science. Il en est ainsi de Meyerson déjà cité, et de toute une tradition allant de G. Bachelard lui-même, en passant par P. Duhern (3), Brunschvicg (4), Poincaré (5), Russell, les positivistes jusqu'aux post-b achelardiens G. Canguilhem, F. Dagognet, G. Granger. Pourtant leurs travaux font preuve de déterminations hété­rogènes, qu'on peut d'ailleurs retrouver dans un même ouvrage ; ceux mêmes qui emploient explicitement le terme épistémologie avouent des buts divers.

1 — Théorie de la connaissance. L'étude des sciences est la voie privilégiée pour élaborer une théorie de la connaissance : « le problème central de l'épistémologie a toujours été et reste le problème de la croissance de la connaissance, et la meilleure façon d'étudier cette dernière est d'étudier la croissance de la connaissance scientifique « (6). Piaget formule ce but dans le langage traditionnel de la philo­sophie : « Le problème central de l'épistémologie est d'établir si la connaissance se réduit à un pur enregistrement par le sujet de données déjà toutes organisées indépendamment de lui dans le monde extérieur (physique ou idéal) ou si le sujet intervient activement dans la connaissance et dans l'organi­sation des objets comme le croyait Kant. « Dans cette perspective « l'étude du passage des états de moindre connaissance aux états de connaissance plus poussée « a pour fonction d'arracher la théorie de la connaissance aux spéculations philosophiques abstraites en lui donnant un objet précis. On distinguera alors : les épistémologies méta-scientifiques (ex.: Platon) partant de réflexions sur la science pour les prolonger en une théorie générale et philosophique de la connaissance ; les épistémologies para-scientifiques (ex. : Bergson, Husserl) qui s'appuient sur la critique des sciences pour atteindre un mode de connaissance différent ; les épistemologies scientifiques qui demeurent à l'intérieur d'une réflexion sur la science ; parmi ces dernières il convient de séparer la tendance normalisante des positivistes, l'effort de ceux qui cherchent dans les sciences des informations sur la transformation de la connaissance (Cournot, Brunschvicg, Cassirer) et les réflexions des savants.

2 — Théorie de la science. La plupart des études épistémo­logiques tentent, à partir de l'étude de la science telle qu'elle se présente en elle-même, de répondre à la question tradi­tionnelle « qu'est-ce que la science ? « Elles se heurtent alors

à deux problèmes fondamentaux : celui de l'unité des sciences fortement installée par les théories comtienne et meyersonienne, par exemple, et battue en brèche par le régionalisme de Bachelard ; celui de l'unité des formes de la connaissance : les uns (comme Meyerson) pensent qu'il y a continuité entre la connaissance vulgaire et la science, les autres (les bachelardiens, par exemple) installent une rupture essentielle entre le sens commun et la science, et assignent à celle-ci la tâche perpétuelle d'avoir à rompre avec celui-là.

3 — Élucidation des propositions scientifiques. La crise des sciences (paradoxes de la théorie des ensembles, nouvelle physique) a ouvert une autre voie, empruntée par le néopo­sitivisme (ou positivisme logique ou empirisme logique : Carnap, Hempel, Reichenbach ...) : s'il revient à la science d'établir et de vérifier les propositions scientifiques, la tâche de la philosophie consistera à les élucider (7) en devenant épistémologie. Cette élucidation peut consister dans l'élabo­ration d'une science du langage scientifique (Carnap) ou dans des tâches plus modestes : rechercher les énoncés expérimentaux primitifs, leurs conditions de vérification et celles des propositions générales (cf. Popper).

Une semblable pluralité de vues peut parfois donner une ambiguïté déconcertante à Pceuvre de Bachelard. Il lui arrive d'affirmer que son but est de « donner à la science la philo­sophie qu'elle mérite «. Ce qui peut se comprendre comme la tâche de constituer une philosophie des sciences, qui serait une théorie de la connaissance scientifique, mais ce qui doit aussi se comprendre comme la tentative de dégager une philosophie à partir de la science (« les nouvelles doctrines scientifiques ont un caractère éminemment philosophique «), une philosophie en quelque sorte qui soit construite au plus près des sciences. La problématique bachelardienne révèle le sens même de l'ambiguïté de l'épistémologie. Tradition­nellement la philosophie donnait à la science son statut et ses normes ; les sciences se sont élaborées indépendamment de l'activité des philosophes. Si la science concerne aujourd'hui la philosophie, ce ne peut être que comme objet (8). Mais que peut dire de la science la philosophie, son discours peut-il être autre chose qu'une vaine doublure du discours scientifique ? L'apparition de l'épistémologie révèle la nécessité pour la philosophie de se donner un nouveau statut, et son ambiguïté est celle même du statut de la philo­sophie dans la culture contemporaine.

2.  L'épistémologie historique

Ce sont les crises récentes des sciences (crise des fondements en mathématiques, théorie relativiste et méca­nique quantique en physique), les efforts des savants pour les surmonter et la constitution parallèle d'histoires des sciences prenant pour thème l'évolution particulière des disci­plines, qui ont ruiné les ultimes tentatives pour fonder la

science dans la constitution d'une subjectivité transcen­dantale en révélant une historicité irréductible à toute systématisation extérieure. La recherche historique apparaît nettement chez A. Koyré comme la conséquence des crises en question : « Ayant subi la destruction de nos idées anciennes et fait l'effort d'adaptation aux idées nouvelles, nous sommes plus aptes que nos prédécesseurs à comprendre les crises et les polémiques de jadis. «

Il y a de multiples façons de travailler à l'histoire des sciences, de la simple chronique à l'examen complexe des interactions conceptuelles. L'intérêt philosophique de cette recherche peut varier :

1 — Présenter des matériaux pour une théorie de la connais­sance.

2 — Présenter les conditions de l'apparition historique de certains concepts, et se donner ainsi la possibilité d'annuler leur valeur présente (ce que fait Foucault pour le concept d'homme en élaborant une « archéologie « des sciences humaines).

3 — Fournir la théorie de la science ; dans ce cas, toute épistémologie serait historique. Le dernier point mérite une attention spéciale, il est soutenu par certains élèves d'Althusser (D. Lecourt). Si l'épistémologie historique est la théorie de la science, la théorie de la science est immergée dans la « science « historique ; il en résulte qu'on présuppose qu'il est possible de saisir la scientificité (la spécificité) d'une science effective dans une autre science qui lui est extérieure. On peut se demander si pour être hors de la science, on n'est pas à côté de la science (9) et si l'histoire est apte à ressaisir des enchaînements d'actes qui, quand bien même ils appartiennent à l'histoire, ont parfois pour détermination essentielle de la refuser (10).

3.   Vers un statut de l'épistémologie

Lorsque dans sa thèse Cavaillès entendait rechercher « l'objectivité fondée mathématiquement du devenir mathé­matique «, il donnait pour tâche à l'épistémologie la « vie interne de la science «. C'est cette vie interne que J.-T. Desanti essaie de ressaisir. Pour que cette saisie ne soit pas un discours arbitraire extérieur à la science, il faut qu'elle soit appelée par la science elle-même : « Peut-être les sciences engendrent-elles en leur sein au plus près des objets qu'elles concernent, certaines espèces de problèmes qu'elles ne peuvent résoudre à partir du système qu'elles constituent elles-mêmes « (11). Il convient alors de définir l'épisté­mologie par la détermination de problèmes épistémologiques. Qu'onprenne par exemple la théorie naïve des ensembles (Cantor) ; on y trouve des problèmes épistémologiques de premier niveau : par exemple le problème du bon ordre qui est en fait pour la théorie une lacune à combler, et se trouve soluble (Zermelo) à l'intérieur du système par ses moyens

propres sans remettre en cause l'édifice. On y trouve des problèmes de second niveau comme celui des paradoxes, qui ont pour caractéristique de recevoir une solution dans un système de sécurité construit au-delà de la théorie (théorie des types de Russell, axiomatique de Zermelo), et qui deviennent par là semblables aux premiers. Reste un troisième type de problèmes, dont un bon exemple est celui posé par le statut de l'axiome de choix (12). Ce problème n'est pas véritablement interne, puisqu'il pose une question concernant le champ entier des mathématiques (déterminer la classe des objets qui y sont admissibles), et qu'appa­remment la théorie ne dispose d'aucun moyen univoque de solution. A son sujet les mathématiciens s'opposent : les intuitionnistes, exigeant que l'on exhibe tout objet dont on admet l'existence, refusent l'axiome de choix ; les idéalistes, ne demandant que la simple non contradiction, l'acceptent. II n'est pas non plus véritablement externe, parce qu'il exige que le mathématicien lui donne une solution qui engage sa pratique mathématique.

On doit donc discerner dans le discours mathématique deux types de discours ; un discours univoque stable et dominé, où les enchaînements opératoires se renvoient les uns aux autres, mais renvoient aussi aux unités d'un discours second multivoque et ambigu qui s'efforce de fermer le système des renvois du premier, à l'aide de concepts non éclaircis et qu'on suppose à tort sémantiquement stables (existence, intuition, etc.). Le second discours, étroitement enchaîné au premier, joue le rôle d'un champ d'interprétation. « Briser l'apparente stabilité des noyaux sémantiques immobiles, interrompre -le discours avéugle, bref détruire les catégories vécues, tel devrait être pour commencer la tâche d'une « épistémologie scientifique «. Détruire veut dire ici « déchiffrer «, isoler les champs d'interprétation reçus, comprendre autant qu'on peut la genèse de leur pouvoir de décision sémantique, mesurer par là la portée des enchaînements de sens qu'ils permettent : et une fois cette mesure prise, produire le discours rigoureux qui, se déployant au plus près de l'activité scientifique, enchaîne et éclaire les motivations qui lui sont propres. «

1.    (1859-1933), philosophe français qui a tenté de réhabiliter contre Comte la notion de causalité dans l'explication des phénomènes. De l'Explication dans les sciences, 1921, La Déduction relativiste, 1925, Du cheminement de la pensée, 1931.

2.    Physicien et philosophe des sciences autrichien (1858-1916). Après des recherches en optique et acoustique, il écrit La Méca­nique présentée dans son évolution historico-critique, 1883, histoire d'inspiration anti-métaphysique, selon laquelle la science apparaft comme économie de la pensée, en épargnant les expériences dans la figuration mentale. La cause et l'effet sont alors des abstractions du travail de l'esprit. Il fut également l'un des fondateurs de l'empiriocriticisme, doctrine selon laquelle les théories scientifiques n'ont qu'une valeur de commodité (Connaissance et erreur, 1905) ; elle inspira notamment le positi­visme logique et fut critiquée par Lénine (Matérialisme et empiriocnticisme, 1908).

3.  (1861-1916). On lui doit un monumental Système du monde, histoire des doctrines cosmologiques de Platon .'2 Copernic, 1913, et des ouvrages sur la méthode de la physique.

4.  (1869-1944), philosophe français qui a développé un rationa­lisme critique fondé sur des études historiques (Les étapes de la philosophie mathématique, 1912 ; Les Ages de l'intelligence, 1927, L'Expérience humaine et la causalité physique, 1922).

5.  Mathématicien français, il a écrit des ouvrages sur la science (La Science et l'hypothèse, 1902, La Valeur de la science, 1905), et de nombreux articles où il défend un conventionalisme relatif et critique Russell.

6.  Popper, préface à l'édition anglaise de Logique de la découverte scientifique, 1958.

7.  Voir Wittgenstein.

8.  « Puisque la philosophie a renoncé depuis longtemps à dicter aux sciences leurs principes et leurs méthodes, sa seule ressource est de prendre pour objet la pensée scientifique effective « (R. Martin, Logique contemporaine et formalisation, 1964).

9.  L'histoire des sciences n'est pas une discipline récente et il semble que son importance soit historiquement liée auxboule-versements scientifiques : Montucla entreprend au XVIlle siècle une Histoire des mathématiques, et son contemporain, d'Alembert, déclare que les révolutions de nos connaissances constituent un spectacle agréable à l'esprit.

10.« Le mathématicien n'a pas besoin de connaître le passé, parce que c'est sa vocation de le refuser ; dans la mesure où il ne se plie pas à ce qui semble aller de soi par le fait qu'il est, dans la mesure où il rejette l'autorité de la tradition, méconnaft un climat intellectuel, dans cette mesure seule, il est mathéma­ticien « (Cavaillès, Remarques sur la formation de la théorie abstraite des ensembles).

11.Ces remarques proviennent d'un article paru en 1966 et intitulé « Qu'est-ce qu'un probleme épistémologique ? «

 

12.  Voir mathématiques.

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