Devoir de Philosophie

Friedman se demande : « Quelle signification peut avoir le fait de nous informer qu'ils étaient dans un champ à ce moment-là ?

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

Friedman se demande : « Quelle signification peut avoir le fait de nous informer qu'ils étaient dans un champ à ce moment-là ? » Afin de parvenir à une explication satisfaisante, Friedman passe en revue toute l'histoire des conflits violents entre frères dans la Bible, depuis le meurtre d'Abel par Caïn jusqu'à l'exécution par Salomon de son frère Adonias, des rivalités fratricides à la fois réelles et métaphoriques : entre Jacob et Esaü, entre Joseph et ses frères, entre Abimelek et les siens (« tuant soixante-dix de ses frères », note Friedman), les guerres entre les tribus qui formaient le peuple d'Israël -- Benjamin contre les autres ; Israël contre Judah --, le conflit entre les fils de David, Absalom et Amnon. Friedman continue en faisant une remarque fascinante : le mot « champ » revient de façon récurrente, comme une sorte de leitmotiv, dans ces histoires de violence entre frères. Esaü est « un homme du champ » ; Joseph commence l'histoire du rêve qui offense tant ses frères avec un détail concernant le fait qu'ils liaient des gerbes « dans le champ » ; une femme tente de persuader le roi David de pardonner Absalon pour son acte fratricide en inventant une histoire du meurtre d'un de ses fils par un autre fils -- un crime qui a eu lieu « dans le champ » ; l'histoire du conflit entre Benjamin et les autres tribus (racontée dans Juges 20 et 21) fait deux fois référence au « champ ». Ce que Friedman déduit de tout cela est sûrement correct : « Le mot récurrent, par conséquent, semble être un moyen de relier les différentes instances de l'assassinat d'un homme par son frère. » Et pourtant, il y a là quelque chose, à mon sens, qui reste une fois de plus d'un concret insatisfaisant. En effet, même s'il va jusqu'à spéculer sur les implications psychologiques du motif fratricide bien connu -- « c'est une reconnaissance du fait que la rivalité entre frères est ressentie par à peu près tous les humains, et c'est une façon de nous mettre en garde sur la nécessité d'être vigilant vis-à-vis de nos sentiments hostiles, et aussi vis-à-vis des sentiments de nos frères » - il semble, à moi du moins, qu'il n'y ait pas seulement une résonance littéraire mais psychologique au détail que toute cette violence se déroule dans un champ ; et l'échec de Friedman à spéculer sur ce point me conduit à me demander si le commentateur a des frères. Parce que je trouve qu'il est naturel, d'un point de vue psychologique (et nous savons que c'est historiquement vrai), si vous allez faire quelque chose d'horrible à votre frère, si vous laissez libre cours à votre rage en raison d'un ressentiment qui couve depuis longtemps, que vous projetiez prudemment de le faire dehors, dans un endroit où vous pensez que vous ne serez vu de personne.     au bout de vingt minutes de notre conversation avec Olga, son mari, Pyotr, est rentré de l'église. De petite taille, étonnamment musclé et tonique, portant d'épaisses lunettes et une casquette d'ouvrier, cet homme de près de quatre-vingt-dix ans était vêtu d'un vieux costume de couleur indéterminée et d'un gilet serré : un paysan endimanché. Lui aussi a reconnu immédiatement le nom de famille et nous a raconté des choses. Par exemple, que quiconque essayait d'aider les Juifs était abattu, ce que nous savions, naturellement - Nina nous l'avait dit, Maria aussi, et Nina s'était assurée de le rappeler à Olga, apparemment, au moment où nous avions commencé à parler avec elle. « Certains Juifs étaient employés dans les tanneries locales », disait l'encyclopédie. « Plus tard, les Juifs furent employés dans la scierie d'un camp de travaux forcés. ». Ce que Pyotr nous a raconté, c'est que, lorsqu'il travaillait lui-même à la scierie et qu'il avait essayé d'employer des Juifs pour remplir les quotas d'ouvriers, les Allemands l'avaient menacé. Vous avez vraiment besoin des Juifs ? se souvenait-il d'avoir entendu. Vous voulez vraiment avoir des ennuis ? Et au moment où il a dit ça, je me suis senti déchiré entre le désir de le croire, le désir de croire que l'ouverture et la gentillesse que chaque Ukrainien rencontré pendant ce voyage avait manifestées à notre endroit, sachant que nous étions juifs, sachant ce que nous recherchions, avaient été manifestées dans le passé aussi ; et la volonté d'être objectif - d'essayer de ne pas perdre de vue, au moment où ces deux-là et tous les autres disaient combien les Ukrainiens avaient tenté ou, du moins, voulu aider les Juifs, au moment où nous étions assis en face de ces gens, au moment où nous étions assis en face d'autres gens qui nous ont reçus généreusement, et même somptueusement, dans leurs maisons, au moment où nous étions assis en face de Maria et de Nina, que personne ne raconte jamais une histoire sans avoir quelque chose derrière la tête. Nous étions assis et nous écoutions Olga et Pyotr, et pour la première fois j'étais content de ne pas obtenir d'informations spécifiques sur mes parents, parce que maintenant que j'étais là, je n'étais plus très sûr de vouloir apprendre ce qu'ils avaient précisément enduré. Je pensais à ces gens dans le Dom Katolicki, contraints de former cette horrible pyramide humaine. Qui étaientils ? Quelle que soit leur identité, ils n'étaient pas des figurants anonymes. Chacun d'eux était quelqu'un, une personne - une adolescente, par exemple - avec une famille, une histoire, une cousine peut-être en Amérique, dont les enfants reviendraient peut-être un jour pour savoir ce qui lui était arrivé, pour essayer de lui redonner son identité, sinon pour elle-même, du moins pour leur tranquillité d'esprit à eux... Et puis, alors que notre conversation s'achevait et que je me rendais compte que nous n'avions rien appris de spécifique sur Shmiel et sa famille, qu'en venant ici en personne, nous ne nous étions pas rapprochés d'un seul fait, d'un seul détail qui pourrait apporter la preuve ou le démenti des histoires que nous avions toujours entendues (y avait-il un château dans les environs ? ai-je demandé à chaque personne rencontrée, me souvenant ce que mon grand-père avait dit, il y a si longtemps ; et la réponse inévitable tombait de nouveau, comme je m'y attendais, à savoir qu'il n'y avait pas de château, pas d'endroit où se réfugier) - alors que notre conversation prenait fin, nous avons appris un dernier détail. Conduits à une fosse commune et abattus. Pyotr se souvenait de la dernière Aktion, lorsque les Juifs avaient été emmenés dans le cimetière et abattus dans une fosse commune. Où était la route qu'ils ont prise ? avait demandé mon frère. Olga s'est levée vigoureusement, a pointé le doigt vers la fenêtre et dit, Ici !, et Nina a plaqué une main sur sa bouche, surprise, n'ayant jamais auparavant entendu cette histoire, apparemment, comme si elle ne parvenait pas à croire qu'une chose à la fois aussi énorme et aussi lointaine ait pu se produire là devant. Mais c'était en fait toujours aussi près. C'était la route sur laquelle nous avions marché pour venir jusqu'à cette maison, la route sur laquelle Maria nous avait quittés. Pyotr se souvenait aussi que, pendant cette dernière Aktion, alors que leurs voisins juifs de Bolechow étaient emmenés, presque nus, sur cette route - les derniers Freilich, Ellenbogen, Kornblüh, Grünschlag et Adler, quel que fût leur nom, les derniers de ces générations de Juifs de Bolechow, les bouchers, les chiffonniers, les marchands de bois, dont la présence ici, tellement inimaginable à présent, est néanmoins attestée, méticuleusement inscrite à l'encre dans des recensements et des annuaires professionnels depuis longtemps oubliés et désormais disponibles, de façon bizarre et improbable, Pour quiconque dispose d'un ordinateur -, alors que les derniers des Juifs de Bolechow marchaient nus, deux par deux, vers une mort dont la date et le lieu précis n'apparaissent dans aucun document officiel, ils avaient crié en polonais à leurs voisins - c'est-à-dire à Olga qui était toujours debout, le doigt pointé vers la fenêtre, et aux autres -" Portez-vous bien », « Adieu, nous ne nous reverrons plus jamais », "Nous ne rencontrerons plus jamais ». Alors qu'Alex traduisait le récit de Pyotr de la marche vers la mort de ses voisins, je me suis souvenu du timbre exact de la voix de mon grand-père au téléphone quand il disait « Adieu » : ce a à peine soufflé des Juifs polonais, cette prononciation qui a aujourd'hui presque disparu de la terre. Mais ce n'est pas pour cette raison que ces adieux angoissés sont restés gravés dans mon esprit et ont constitué les détails les plus horribles de tous ceux que nous avons entendus ce jour-là. C'est seulement plus tard, après mon retour aux Etats-Unis, que je me suis aperçu que cet unique détail reliait ce que nous avions entendu à Bolechow, ce jour-là, le jour dont tout allait dépendre, à quelque chose dont je m'étais souvenu dans les lettres de Shmiel : l'adieu à la fois conscient et impensable. Je vous dis adieu et Je vous embrasse de tout mon coeur.     Adieu, nous ne nous reverrons plus jamais. C'est un fait bien établi que la plupart des actes de sauvagerie les plus violents perpétrés contre les Juifs de l'Europe de l'Est l'ont été, non par les Allemands eux-mêmes, mais par les populations locales de Polonais, d'Ukrainiens, de Lituaniens, de Latviens - par les voisins, les intimes, avec qui les Juifs avaient vécu côte à côte pendant des siècles, jusqu'à ce qu'un délicat mécanisme se grippe et qu'ils se retournent contre eux. Il y a des gens qui trouvent ça étrange -- à commencer par les Juifs eux-mêmes. Plus d'un survivant que j'ai pu interviewer, dans les années qui ont suivi ce premier voyage à Bolechow, a exprimé sa sidération, sa colère ou sa rage devant le fait que des gens qu'il avait considérés comme ses voisins ont pu, tout à coup, devenir des tueurs. Des cannibales, a craché une femme à Sydney. Je les appelle des cannibales. Nous avons vécu en voisins pendant des années - et puis, soudain, ça. Un autre des Australiens dont je ferais la connaissance plus tard se référait constamment et

« casquette d'ouvrier,cethomme deprès dequatre-vingt-dix ansétait vêtud'unvieux costume de couleur indéterminée etd'un giletserré :un paysan endimanché.

Luiaussi areconnu immédiatement lenom defamille etnous araconté deschoses.

Parexemple, quequiconque essayait d'aiderlesJuifs était abattu, ceque nous savions, naturellement – Ninanousl'avait dit, Maria aussi,etNina s'était assurée delerappeler àOlga, apparemment, aumoment oùnous avions commencé àparler avecelle.« Certains Juifsétaient employés danslestanneries locales », disaitl'encyclopédie.

« Plustard,lesJuifs furent employés danslascierie d'uncamp de travaux forcés. ».

Ceque Pyotr nousaraconté, c'estque,lorsqu'il travaillait lui-même àla scierie etqu'il avait essayé d'employer desJuifs pour remplir lesquotas d'ouvriers, les Allemands l'avaientmenacé.

Vous avezvraiment besoindesJuifs ? se souvenait-il d'avoir entendu.

Vous voulez vraiment avoirdesennuis ? Et au moment oùila dit ça, jeme suis senti déchiré entreledésir delecroire, ledésir decroire quel'ouverture etlagentillesse quechaque Ukrainien rencontré pendantcevoyage avaitmanifestées ànotre endroit, sachantquenous étions juifs,sachant ceque nous recherchions, avaientétémanifestées danslepassé aussi;et la volonté d'êtreobjectif – d'essayer denepas perdre devue, aumoment oùces deux-là et tous lesautres disaient combien lesUkrainiens avaienttentéou,dumoins, vouluaiderlesJuifs, au moment oùnous étions assisenface deces gens, aumoment oùnous étions assisenface d'autres gensquinous ontreçus généreusement, etmême somptueusement, dansleurs maisons, aumoment oùnous étions assisenface deMaria etde Nina, quepersonne ne raconte jamaisunehistoire sansavoir quelque chosederrière latête. Nous étions assisetnous écoutions OlgaetPyotr, etpour lapremière foisj'étais content dene pas obtenir d'informations spécifiquessurmes parents, parcequemaintenant quej'étais là,je n'étais plustrèssûrdevouloir apprendre cequ'ils avaient précisément enduré.Jepensais àces gens dans leDom Katolicki, contraints deformer cettehorrible pyramide humaine.Quiétaient- ils ?Quelle quesoitleur identité, ilsn'étaient pasdes figurants anonymes.

Chacund'euxétait quelqu'un, unepersonne – uneadolescente, parexemple – avecunefamille, unehistoire, une cousine peut-être enAmérique, dontlesenfants reviendraient peut-êtreunjour pour savoir ce qui luiétait arrivé, pouressayer deluiredonner sonidentité, sinonpourelle-même, dumoins pour leurtranquillité d'espritàeux... Et puis, alors quenotre conversation s'achevaitetque jeme rendais compte quenous n'avions rien appris despécifique surShmiel etsa famille, qu'envenant icien personne, nousnenous étions pasrapprochés d'unseulfait,d'un seuldétail quipourrait apporter lapreuve oule démenti deshistoires quenous avions toujours entendues (yavait-il unchâteau dansles environs ?ai-je demandé àchaque personne rencontrée, mesouvenant ceque mon grand-père avait dit,ilya si longtemps ;et laréponse inévitable tombaitdenouveau, commejem'y attendais, àsavoir qu'iln'yavait pasdechâteau, pasd'endroit oùseréfugier) – alorsquenotre conversation prenaitfin,nous avons appris undernier détail.

Conduits àune fosse commune et abattus.

Pyotr sesouvenait deladernière Aktion, lorsque lesJuifs avaient étéemmenés dans le cimetière etabattus dansunefosse commune. Où était laroute qu'ilsontprise ?avait demandé monfrère.

Olgas'estlevée vigoureusement, a pointé ledoigt verslafenêtre etdit, Ici !, etNina aplaqué unemain sursabouche, surprise, n'ayant jamaisauparavant entenducettehistoire, apparemment, commesielle neparvenait pas àcroire qu'une choseàla fois aussi énorme etaussi lointaine aitpu seproduire là devant.

Mais c'était enfait toujours aussiprès.C'était laroute surlaquelle nousavions marché pour venir jusqu'à cettemaison, laroute surlaquelle Marianousavait quittés. Pyotr sesouvenait aussique,pendant cettedernière Aktion, alors queleurs voisins juifsde Bolechow étaientemmenés, presquenus,surcette route – lesderniers Freilich,Ellenbogen,. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles