Devoir de Philosophie

hébraïque.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

hébraïque. Ce récit-là, toutefois, ne nous préoccupera pas dans la mesure où, comme je l'ai dit, lorsque j'ai brièvement étudié la Torah avant de revenir aux Grecs, je suis allé jusqu'à parashat Vayeira, et c'est donc là que nous nous arrêterons. Je reviendrai aux deux histoires plus tard, mais pour l'instant il semble important d'essayer d'interpréter un des passages les plus connus de Vayeira, ne serait-ce qu'en raison du fait que les deux commentaires que j'ai étudiés pour éclairer ces textes, l'ancien et le moderne, celui de Rachi et celui de Friedman, me donnent l'impression d'avoir échoué à élucider le sens de cet étrange et célèbre incident (ce qui est, cependant, assez mineur pour ne pas nous importuner quand nous envisageons les implications morales plus vastes des deux histoires auxquelles j'ai fait allusion). Je fais ici référence à l'histoire bien connue de la femme de Lot - de la façon dont, alors même qu'elle, son mari et leurs deux filles sont sauvés de la ville condamnée grâce à l'intervention d'un ange de Dieu, et sont physiquement emportés loin de leur maison par des créatures célestes, la femme de Lot transgresse l'interdiction formelle transmise par l'ange de ne pas se retourner pour regarder la ville pendant leur fuite, et à cause de cette transgression est transformée en statue de sel. De manière choquante, du moins pour moi, Friedman n'a absolument rien à dire au sujet de cet épisode fascinant - peut-être parce qu'il épargne ses munitions d'exégèse pour le moment où c'est vraiment nécessaire, c'est-à-dire pour l'histoire bien plus troublante de la volonté d'Abraham de tuer son propre fils. L'explication de Rachi ne me semble pas non plus, pour une fois, très convaincante. L'érudit français du Moyen Age commence par expliquer l'ordre de l'ange de « ne pas regarder en arrière » comme une sorte de punition : il glose sur le texte « Ne regarde pas derrière toi » en suggérant que, dans la mesure où Lot et sa famille ont péché exactement comme l'ont fait les habitants des cités jumelles et où ils ne sont sauvés qu'en raison de leur relation à Abraham, ce bon prophète, ils n'ont aucun droit d'être les témoins du châtiment des condamnés depuis le point de vue confortable procuré par leur fuite. « Vous ne méritez pas de voir leur châtiment alors que vous êtes sauvés », voilà comment l'érudit français le formule. Quant au sort de la femme de Lot, Rachi explique l'étrange détail de sa métamorphose d'être humain en minéral en disant qu'elle a « péché avec le sel » et qu'elle est par conséquent «frappée par le sel ». Ce « péché avec le sel» est une référence à une tradition midrashique qui dit que la femme de Lot a rejeté la coutume voulant qu'on donne du sel aux invités (la même tradition soutient que, plus tard, sous prétexte d'emprunter du sel à ses voisins, la femme de Lot a dénoncé aux autorités sodomites les actions de son mari né à l'étranger -- ce qui fait penser que, à la différence de son mari, elle était probablement native de Sodome). Aussi ingénieuse soit-elle, cette explication me paraît manquer complètement la signification émotionnelle du texte - sa magnifique, et magnifiquement économique, évocation des sentiments compliqués que la plupart des gens ordinaires, du moins, éprouvent très régulièrement : les regrets déchirants pour les passés que nous devons abandonner, la nostalgie tragique de ce que nous devons laisser derrière nous. Sans doute parce que j'ai fait des études classiques, j'ai été frappé, à la lecture de l'explication donnée de ce passage, par le peu d'attention accordée, le peu d'appréciation donnée par le texte judaïque et ses commentateurs juifs à ce qui me semble être la question évidente posée dans l'histoire de Sodome et de Gomorrhe, la question de la valeur de la beauté et du plaisir. Abraham, nous ne devons pas l'oublier, est né dans une ville, mais il a passé l'essentiel de sa vie en nomade, comme le montre clairement parashat Lech Lecha ; peut-être qu'il a oublié désormais les plaisirs de l'urbanité. Mais la femme de Lot est profondément attachée à sa ville - Rachi la qualifie en fait de « métropole » --, et nous pouvons imaginer que c'est parce que, comme toutes les grandes métropoles, celle que nous rencontrons dans parashat Vayeira offre sans conteste son lot de beauté, de plaisirs rares et compliqués, parmi lesquels, en effet, les vices mêmes pour lesquels la ville a été châtiée. Toutefois, c'est peut-être le païen, l'helléniste qui parle en moi. (Le rabbin Friedman, au contraire, ne peut se résoudre à envisager seulement ce que les gens de Sodome ont l'intention de faire aux deux anges mâles, lorsqu'ils se rassemblent devant la maison de Lot au début du récit, à savoir les violer, interprétation que Rachi accepte placidement en soulignant assez allègrement que si les Sodomites n'avaient pas eu l'intention d'obtenir un plaisir sexuel des anges, Lot n'aurait pas suggéré, comme il le fait de manière sidérante, aux Sodomites de prendre ses deux filles à titre de substitution. Mais, bon, Rachi était français.) C'est cet échec arbitraire à comprendre Sodome dans son contexte, en tant que métropole ancienne du Proche-Orient, en tant que lieu de plaisirs sophistiqués et même décadents, de beautés hyper-civilisées, qui aboutit à cette incapacité du commentateur à saisir la véritable signification des deux éléments cruciaux de cette histoire : le commandement de l'ange à la famille de Lot de ne pas se retourner vers la ville qu'ils fuient et la transformation de la femme de Lot en statue de sel. Car si vous voyez en Sodome quelque chose de beau - qui le paraîtra encore plus, sans aucun doute, du fait qu'il faut l'abandonner et la perdre à jamais, précisément de la même manière que des parents morts sont toujours plus beaux et meilleurs que ceux qui sont encore en vie -, alors il me paraît clair que Lot et sa famille reçoivent l'ordre de ne pas regarder en arrière non comme une punition mais pour une raison pratique : parce que le regret pour ce que nous avons perdu, pour les passés que nous devons abandonner, empoisonne parfois toute tentative pour commencer une vie nouvelle, ce qui est ce qui attend Lot et sa famille, tout comme l'avaient fait Noé et sa famille, et comme doivent le faire d'une manière ou d'une autre tous ceux qui ont survécu à d'horribles annihilations. Cette explication, à son tour, permet d'expliquer la forme prise par le châtiment de la femme de Lot - si c'est bien un châtiment, ce que je ne crois pas personnellement, dans la mesure où, selon moi, cela ressemble beaucoup plus à un processus naturel, à l'expression inévitable de sa personnalité. Pour ceux qui sont contraints par leur nature de regarder toujours en direction de ce qui est passé, plutôt que vers l'avenir, le grand danger, ce sont les larmes, les sanglots impossibles à contenir dont les Grecs, sinon l'auteur de la Genèse, savaient qu'ils n'étaient pas seulement une douleur mais aussi un plaisir narcotique : une contemplation endeuillée si cristalline, si pure, qu'elle peut finalement vous immobiliser.   Oh, Daniel, ne te retourne pas ! m'a dit ma mère un soir, quelques mois après les funérailles de Mme Begley. Je l'avais appelée pour sonder un peu sa mémoire. A ce moment-là, je réfléchissais beaucoup au voyage de mon grand-père en Israël en 1956 et je lui avais donc demandé, quelques jours auparavant, si cela ne la dérangeait pas de fouiller dans les archives familiales pour retrouver des photos qui, pensais-je, me seraient utiles - non pas, bien entendu, pour réveiller un souvenir, puisque le voyage avait eu lieu bien avant ma naissance, mais pour fournir une contrepartie visuelle aux histoires que j'avais entendues tant de fois. A cause du coté méticuleux de son sang germanique, elle m'avait demandé de la rappeler quelques jours plus tard ; à ce moment-là, avait-elle dit, elle aurait eu l'occasion de déballer soigneusement les albums de ce que j'avais considéré, depuis l'âge de huit ans, comme leurs bandelettes de momies. A présent, alors que j'étais au téléphone avec elle, un jour d'été, il y a un mois, elle m'annonçait qu'elle avait tout déballé et, toujours au téléphone, elle m'avait décrit les différentes photos, séparant celles que je voulais de celles qui ne me paraissaient pas intéressantes. Il y avait Nana, disait-elle, assise dans un fauteuil sur le pont du paquebot, elle avait l'air en bonne santé, cette année-là ; il y avait sa mère au cours de la petite fête organisée au moment du départ dans leur cabine, souriante et de bonne humeur, un bras sur les épaules de sa bellesoeur, Tante Sylvia, qui avait l'air déçue, comme d'habitude, et l'autre sur celles de Minnie Spieler qui, conformément à sa réputation bohème, portait un costume d'homme et une cravate. Il y avait d'autres photos, mélangées à l'album voyage en Israël SS united states, des photos qui, observait ma mère avec un agacement un peu trouble dans la voix, n'avaient rien à faire dans cet album. L'unique frère de sa mère, Jack, le beau célibataire blond que son père n'aimait pas (parce qu'il était, me suis-je dit pendant qu'elle parlait, la compétition), il y avait la soeur aînée de sa mère, l'instable qui, vers la fin de sa vie, ne se lavait plus parce qu'elle était convaincue que les Russes avaient mis des électrodes dans ses cheveux, une histoire qui nous faisait hurler de rire quand nous étions petits ; la même soeur aînée avait, en fait, essayé d'empêcher mon grand-père d'épouser ma grand-mère. C'était une histoire que je connaissais par coeur depuis l'âge de dix ans, un classique dans le répertoire de mon grand-père après le dîner : comment Pauline avait rompu les fiançailles trois fois parce que, insistait-elle, sa petite soeur, une bonne Américaine née à New York, ne devrait pas se marier à quelqu'un d'inférieur à sa condition, à un immigrant, à un novice. Mais l'amour avait triomphé de tout ! plaisantait mon grand-père. Et des années plus tard, quand il avait réussi, racheté l'usine des Mittelmark et vraiment prospéré, Pauline s'était approchée de lui un soir, à l'occasion d'un seder ou d'une fête quelconque, une de ces réceptions au cours desquelles ma grand-mère faisait ses célèbres soupes et les desserts qu'elle ne pouvait pas manger, et avait dit, Tu sais quoi, Abe ? Tu as toujours été mon beau-frère préféré ! A quoi mon grand-père répondit du tac au tac, Ah, Pauline... alors maintenant je suis Yenkee Doohddle Dehndee, hein ? Et de plus, c'était vrai. Personne ne faisait son serment d'allégeance d'une voix plus forte que lui, n'exhibait un plus grand drapeau pour Mémorial Day, ne distribuait plus de cônes de crème glacée, le jour du 4 juillet. Il était venu de loin pour tout ça. Ma mère répétait donc ces histoires tout en feuilletant ses dossiers qu'elle aime, c'est possible, étiqueter et classer si soigneusement parce que, cent ans avant que nous ayons cette conversation, une marieuse de Bolechow avait choisi pour le jeune veuf Elkune Jäger une fille de Dolina, du nom de Taube Ryfka Mittelmark, Mittelmark, une famille dont le sang allemand s'exprimait, se plaisaient-ils à dire, dans un goût pour l'ordre, de la même façon que certains gènes se manifesteront dans un nez droit et des yeux bleus, ou dans la tendance à contracter le cancer de l'intestin. C'était pendant que ma mère feuilletait ses photos soigneusement classées que je lui ai annoncé que j'avais décidé de retourner en Ukraine, à Bolekhiv (Bolekhiv, comme je dois l'appeler dorénavant, puisque je sais désormais que je n'y retournerai jamais, jamais n'y reviendrai, et pour cette raison - et le fait est que, y étant retourné cette dernière fois, je sais enfin qu'il n'y a maintenant vraiment plus rien à voir, qu'il ne reste plus rien de Bolechow - je suis enfin prêt à lui laisser prendre sa place dans le présent). Je lui ai dit que même si je ne me réjouissais pas à l'idée de faire un nouveau voyage - un voyage, de surcroît, vers un endroit où j'étais déjà allé, où j'avais déjà parlé aux gens et vu ce qu'il y avait à voir -, je pensais à présent qu'y retourner serait une façon de mettre un terme à une quête qui avait commencé il y avait si longtemps. Je lui ai dit que je voulais retourner en partie parce que je pensais que, plus que tout autre chose, un retour à Bolekhiv me donnerait une impression d'achèvement ; je pensais qu'il serait intéressant, en dépit de tout ce que nous n'apprendrions jamais, d'opposer ce second et dernier voyage au premier que nous avions fait : marcher de nouveau dans les rues tordues de la ville, armé cette fois de bien plus d'informations que celles dont nous disposions

« toutes lesgrandes métropoles, cellequenous rencontrons dansparashat Vayeiraoffresans conteste sonlotdebeauté, deplaisirs raresetcompliqués, parmilesquels, eneffet, lesvices mêmes pourlesquels laville aété châtiée.

Toutefois, c'estpeut-être lepaïen, l'helléniste qui parle enmoi.

(Lerabbin Friedman, aucontraire, nepeut serésoudre àenvisager seulement ce que lesgens deSodome ontl'intention defaire auxdeux anges mâles, lorsqu’ils serassemblent devant lamaison deLot audébut durécit, àsavoir lesvioler, interprétation queRachi accepte placidement ensoulignant assezallègrement quesiles Sodomites n'avaientpaseul'intention d'obtenir unplaisir sexuel desanges, Lotn'aurait passuggéré, commeille fait demanière sidérante, auxSodomites deprendre sesdeux fillesàtitre desubstitution.

Mais,bon,Rachi était français.) C'est cetéchec arbitraire àcomprendre Sodomedanssoncontexte, entant quemétropole ancienne duProche-Orient, entant quelieudeplaisirs sophistiqués etmême décadents, de beautés hyper-civilisées, quiaboutit àcette incapacité ducommentateur àsaisir lavéritable signification desdeux éléments cruciauxdecette histoire :le commandement del'ange àla famille deLot denepas seretourner verslaville qu'ils fuient etlatransformation delafemme de Lot enstatue desel.

Carsivous voyez enSodome quelquechosedebeau – quileparaîtra encore plus,sansaucun doute, dufait qu’il fautl'abandonner etlaperdre àjamais, précisément de lamême manière quedesparents mortssonttoujours plusbeaux etmeilleurs queceux qui sont encore envie –, alorsilme paraît clairqueLotetsa famille reçoivent l'ordredenepas regarder enarrière noncomme unepunition maispour uneraison pratique :parce quele regret pourceque nous avons perdu, pourlespassés quenous devons abandonner, empoisonne parfoistoutetentative pourcommencer unevienouvelle, cequi estcequi attend Lot etsa famille, toutcomme l'avaient faitNoé etsa famille, etcomme doivent lefaire d'une manière oud'une autretousceux quiont survécu àd'horribles annihilations.

Cetteexplication, à son tour, permet d'expliquer laforme priseparlechâtiment delafemme deLot – si c'est bien un châtiment, ceque jene crois paspersonnellement, danslamesure où,selon moi,cela ressemble beaucoupplusàun processus naturel,àl'expression inévitabledesapersonnalité. Pour ceuxquisont contraints parleur nature deregarder toujoursendirection decequi est passé, plutôtquevers l'avenir, legrand danger, cesont leslarmes, lessanglots impossibles à contenir dontlesGrecs, sinonl'auteur delaGenèse, savaient qu'ilsn'étaient passeulement une douleur maisaussi unplaisir narcotique :une contemplation endeuilléesicristalline, sipure, qu'elle peutfinalement vousimmobiliser.

  Oh, Daniel, neteretourne pas !m'aditma mère unsoir, quelques moisaprès lesfunérailles de Mme Begley. Je l'avais appelée poursonder unpeu samémoire.

Ace moment-là, jeréfléchissais beaucoup au voyage demon grand-père enIsraël en1956 etjelui avais doncdemandé, quelquesjours auparavant, sicela neladérangeait pasdefouiller danslesarchives familiales pourretrouver des photos qui,pensais-je, meseraient utiles– non pas,bien entendu, pourréveiller un souvenir, puisquelevoyage avaiteulieu bien avant manaissance, maispour fournir une contrepartie visuelleauxhistoires quej'avais entendues tantdefois.

Acause du coté méticuleux deson sang germanique, elle m'avait demandé delarappeler quelques joursplus tard ;à ce moment-là, avait-elledit,elle aurait eul'occasion dedéballer soigneusement les albums deceque j'avais considéré, depuisl'âgedehuit ans, comme leursbandelettes de momies.

Aprésent, alorsquej'étais autéléphone avecelle,unjour d'été, ilya un mois, elle m'annonçait qu'elleavaittoutdéballé et,toujours autéléphone, ellem'avait décritles différentes photos,séparant cellesquejevoulais decelles quineme paraissaient pas. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles