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Ma mère a continué.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

Ma mère a continué. Elle a dit qu'elle avait appelé l'hôpital juste avant de quitter la maison pour l'aéroport et que, par une sorte de miracle, sa mère avait brièvement émergé du coma, et ma mère avait dit à sa mère, Ne t'inquiète pas, j'arrive. Mais au moment où nous étions arrivés à Miami Beach, ma grand-mère était retombée dans un sommeil dont elle ne se réveillerait plus, un coma qui devait durer plus d'une semaine. Une semaine, dix jours, je ne me souviens plus à présent. Tu ne te souviens pas que nous sommes allés à l'hôpital tous les jours ? m'a demandé ma mère à Long Island tandis que je l'écoutais sous le haut plafond de ma chambre à L'viv, regardant passer sous ma fenêtre des Ukrainiens blonds qui riaient dans les rues où ne marche plus aucun Juif aujourd'hui. Non, ai-je dit. Hé bien, c'est ce que nous avons fait. Et puis, le jour où elle est morte, toi et moi nous avons passé la journée entière, assis près de son lit. Oh, elle t'aimait tant. Et puis, la fin de la journée est arrivée et nous avons descendu l'escalier jusque dans l'entrée. Et puis - c'est ce à quoi m'a fait penser Froma - soudain, quelque chose en moi, comme une voix, une impression que j'ai ressentie, quelque chose, quelque chose m'a dit qu'il fallait que je remonte. Je me suis donc penchée vers toi et je t'ai dit, Daniel, retournons jeter un coup d'oeil à Nana encore une fois, et nous avons remonté l'escalier. Et lorsque nous sommes arrivés, elle était morte. L'infirmière était dans le couloir et elle a dit, Je suis désolée, votre mère vient de décéder. Et je suis allée dans la chambre et je me suis mise à genoux au pied du lit, et j'ai dit, Maman, Maman, ne me laisse pas, ne me laisse pas, j'ai encore besoin de toi. Pendant que ma mère parlait, je pensais - je me souvenais - que c'était ce qui m'avait rempli de honte : avant ce jour-là, j'avais toujours voulu revoir ma grand-mère, parce que ce serait tellement agréable de frotter son bras, comme nous le faisions pendant qu'elle était couchée là, avec ses yeux bleus grands ouverts. Mais, ce jour-là, j'étais fatigué ; et il y avait quelque chose aussi dans l'urgence perceptible dans la voix de ma mère lorsqu'elle s'était penchée et avait dit, Retournons, qui m'avait fait peur, qui m'avait convaincu, pour une raison quelconque, que ma grand-mère était déjà morte. Je désirais retourner et j'étais terrifié par ce que j'allais voir, j'étais troublé, j'avais honte de l'être, et je ne voulais pas que ma mère s'en aperçût, du trouble et de la honte. Et nous avons pleuré, disait ma mère, et puis nous sommes allés dans la salle de bains et je me suis lavé le visage et les mains, et j'ai lavé ton visage et tes mains, parce qu'il faut toujours se laver les mains quand on a été près des morts. Je me suis souvenu : l'eau qui coulait. Je me suis souvenu de mon grand-père, lorsque nous revenions du cimetière tout au long de ces années, disant, Allez, les enfants, montez vous laver les mains, vous êtes allés au cimetière. Montez fous léfer les mains. Tu ne te souviens de rien ? répétait ma mère. J'ai dit, Maintenant, oui. Quelques semaines plus tard, quand j'ai fait le récit de cette conversation à mon amie, celle qui avait parlé à une voyante, elle m'a écouté un long moment et, à la fin, elle a dit, C'est tellement bizarre ce blocage que tu as concernant le fait de retourner et de jeter un dernier coup d'oeil. Elle avait bien détaché les mots, fait sonner sa phrase comme un axiome, comme la phrase ultime d'une fable. J'ai dit, Pourquoi ? Ce n'est pas bizarre du tout, cette histoire l'explique complètement ! J'étais assez satisfait de moi-même. Donna, qui est poétesse, a ri et dit, Oh Daniel, c'est tellement évident. C'est bizarre parce que tu es helléniste, tu es l'historien de la famille. Tu as passé ta vie entière à te retourner pour jeter un dernier coup d'oeil.   Il y avait donc ça. La seconde information produite par cet après-midi à Bolekhiv a été, dix jours après notre retour à New York, un e-mail d'Alex qui a, lui aussi, changé la façon dont je voyais les choses. Avant que nous partions, j'avais eu une idée : peut-être, avais-je dit à Alex, qu'il pourrait retourner à Bolekhiv après notre départ, une semaine après environ - assez longtemps pour que les souvenirs de Prokopiv puissent remonter, mais pas trop pour qu'ils ne s'effacent pas de nouveau - et lui demander s'il pouvait se souvenir du nom du traître. Je pensais - et comme je me sentais parfaitement à l'aise avec lui, je l'avais dit à Alex - que si Prokopiv cachait quelque chose dans le souci de protéger quelqu'un, il se sentirait peut-être plus libre de parler à Alex en tête à tête, d'Ukrainien à Ukrainien, sans la grappe des parents juifs suspendus à chacun de ses mots. Alex avait dit être assez convaincu du fait que Prokopiv avait été honnête avec nous, mais il avait admis que les souvenirs du vieil homme ayant été remués, le nom pourrait lui revenir au bout de quelques jours. Et donc, une semaine après notre vol de retour aux Etats-Unis, il était retourné à Bolekhiv pour rencontrer Prokopiv et lui avait parlé. Ils avaient parlé un long moment, m'écrivait-il dans un long e-mail, et le vieil homme n'avait toujours pas été en mesure de retrouver le nom du traître. Il avait passé en revue tous les noms des gens qui vivaient dans le pâté de maisons - car il avait lui-même, comme un propos tenu par lui ultérieurement allait le révéler, toujours vécu dans ce quartier, et pouvait se souvenir des noms des familles qui y avaient habité avant l'arrivée des Allemands, par exemple, la famille Kessler, un charpentier juif -, et aucun d'eux n'avait semblé être le nom de la personne qui avait trahi, il y a bien longtemps, Szedlakowa et que tout le monde à l'époque connaissait. En un sens, j'étais soulagé : la traque du coupable était, je le ressentais à ce moment-là, presque une histoire différente. Nous étions partis à la recherche de Shmiel et des autres, de ce qu'ils avaient été et de la façon dont ils étaient morts, et nous avions trouvé plus de détails concrets que nous n'aurions jamais pu en rêver. Ça suffisait comme ça. En fait, j'étais moins intéressé à présent par l'identité du traître que par la personnalité de cette Mme Szedlak. Car les sauveurs étaient, à leur manière, aussi inexplicables et mystérieux pour moi que les traîtres. Pour une raison quelconque, peut-être parce que je savais qu'elle avait été institutrice, et - la force des clichés et des habitudes mentales étant supérieure à ce que nous voulons bien admettre, raison pour laquelle, en opérant sur des suppositions inconscientes à propos des gens, nous commettons de graves erreurs dans l'interprétation des événements historiques, sauf si nous restons sur nos gardes - j'avais, depuis le jour où, dans sa salle de séjour, Anna Heller Stern avait dit zey zent behalten hay a lererin, imaginé une femme entre deux âges qui vivait seule, peut-être une femme assez grande et mince, avec des cheveux gris en chignon. Maintenant que je m'étais rendu dans la maison de cette femme, j'étais très curieux de savoir qui avait été la personne qui y avait vécu autrefois, la personne qui, indépendamment de tout ce que nous pouvions savoir d'elle, avait obéi, en toute lucidité, à une morale rigoureuse, sachant qu'elle pourrait lui coûter la vie, ce qui avait été le cas. Ils les ont tous tués là, dans le jardin, avait dit Prokopiv. Elle était polonaise. Je me demandais si elle avait été une catholique dévote, comme l'avaient été de nombreux sauveurs. Une vieille fille qui partageait son temps entre l'école et l'église. C'est pour cette raison que ce qu'Alex avait à m'apprendre sur le sauveur supposé de Shmiel et de Frydka était si intéressant. Tout d'abord, a-t-il écrit, Prokopiv s'était souvenu d'un détail supplémentaire concernant le jour où la cachette chez Szedlak avait été découverte : il rentrait à pied de l'école, ce jour-là, et en passant devant la maison de l'institutrice, il avait vu les corps étendus dans la rue, dans l'attente d'être transportés jusqu'à la fosse commune du cimetière juif, là où étaient emportés les corps des gens qui avaient été trouvés dans leur cachette et tués. J'ai lu et je me suis dit, Au moins, ils sont dans le cimetière juif, quelque part. J'ai repris ma lecture. J'avais dit à Alex de demander à Prokopiv s'il se souvenait d'avoir entendu parler d'une Juive enceinte qui avait été arrêtée et tuée, ce jour-là. Et Alex m'écrivait ceci : Prokopiv ne savait pas qu'une des personnes qui se cachaient était enceinte. Toutefois, il dit que l'institutrice qui cachait les Juifs avait eu un enfant illégitime avec le directeur de l'école, Paryliak (ou Parylak). Cependant, Prokopiv ne sait pas ce qui est arrivé a l'enfant (une fille) lorsque la mère a été tuée. Je m'étais donc trompé une fois de plus. Je ne savais pas qui elle avait été, mais elle n'était pas, semblait-il, la femme pieuse, à chignon et entre deux âges, que j'avais imaginée. En lisant l'email d'Alex, j'ai pensé à l'histoire de Stepan concernant la famille Medvid, à la famille entière pendue sur le Rynek, à tous les Medvid du comté tués eux aussi. Ces exécutions publiques avaient eu lieu pour une raison précise, nous le savons : décourager les gens, les gens comme les Szymanski, les Szedlak et tous les autres, de faire ce qu'ils avaient fait, pour les mystérieuses raisons qui étaient les leurs : l'amour, la bonté, la conviction religieuse. Peu importe qui elle était, peu importe ce qui était vrai d'elle - et je ne sais pas du tout si je découvrirai un jour d'autres choses à son sujet, quand bien même j'ai commencé à chercher -, peu importe qui elle était, cette Szedlakowa, en tout cas, n'était pas une célibataire mettant en péril sa seule vie pour le salut de deux Juifs. Peut-être plus que n'importe quelle autre parashah dans la Genèse, parashat Vayeira se préoccupe des implications des choix moraux : dans l'histoire de Sodome et de Gomorrhe, nous sommes censés apprécier les conséquences de la décision de suivre la voie du mal, et dans le récit qui achève cette parashah riche en événements - l'histoire de Dieu exigeant d'Abraham qu'il sacrifie son unique enfant légitime -, nous sommes censés apprécier, je crois, les conséquences de l'autre choix, le choix de suivre la voie du bien. L'exigence d'un sacrifice humain par Dieu qui, comme nous l'apprenons au tout début de ce remarquable passage, n'est, du moins pour Dieu, qu'un test de la dévotion d'Abraham, est tellement contraire à un esprit civilisé que les commentateurs ont déversé des océans d'encre pour l'expliquer, l'analyser, l'interpréter et la justifier au cours des millénaires. Friedman, par exemple, consacre trois pages entières de son commentaire au sacrifice -- ce qui est frappant en soi, puisque auparavant l'histoire de Sodome et de Gomorrhe se déroule sans qu'il fasse le moindre commentaire -- et présente un résumé d'une lucidité admirable des réponses

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C'est bizarre parceque tu es helléniste, tu es l' historien de lafamille.

Tuaspassé tavie entière à te retourner pour jeter undernier coupd'œil.   Il yavait doncça. La seconde information produiteparcetaprès-midi àBolekhiv aété, dixjours après notre retour àNew York, une-mail d'Alexquia,lui aussi, changé lafaçon dontjevoyais leschoses. Avant quenous partions, j'avaiseuune idée :peut-être, avais-jeditàAlex, qu'ilpourrait retourner àBolekhiv aprèsnotredépart, unesemaine aprèsenviron – assezlongtemps pour que lessouvenirs deProkopiv puissentremonter, maispastrop pour qu'ils nes'effacent pasde nouveau – etluidemander s'ilpouvait sesouvenir dunom dutraître.

Jepensais – etcomme je me sentais parfaitement àl'aise aveclui,jel'avais ditàAlex – que siProkopiv cachaitquelque chose danslesouci deprotéger quelqu'un, ilse sentirait peut-être pluslibre deparler àAlex en tête àtête, d'Ukrainien àUkrainien, sanslagrappe desparents juifssuspendus àchacun deses mots.

Alexavait ditêtre assez convaincu dufait que Prokopiv avaitétéhonnête avecnous, mais il avait admis quelessouvenirs duvieil homme ayantétéremués, lenom pourrait luirevenir au bout dequelques jours. Et donc, unesemaine aprèsnotrevolderetour auxEtats-Unis, ilétait retourné àBolekhiv pour rencontrer Prokopivetlui avait parlé.

Ilsavaient parléunlong moment, m'écrivait-il dansun long e-mail, etlevieil homme n'avaittoujours pasétéenmesure deretrouver lenom du traître.

Ilavait passé enrevue touslesnoms desgens quivivaient danslepâté demaisons – car il avait lui-même, commeunpropos tenuparluiultérieurement allaitlerévéler, toujours vécu dans cequartier, etpouvait sesouvenir desnoms desfamilles quiyavaient habitéavant l'arrivée desAllemands, parexemple, lafamille Kessler, uncharpentier juif –,etaucun d'eux n'avait semblé êtrelenom delapersonne quiavait trahi, ilya bien longtemps, Szedlakowa et que tout lemonde àl'époque connaissait. En un sens, j'étais soulagé :la traque ducoupable était,jeleressentais àce moment-là, presque unehistoire différente.

Nousétions partisàla recherche deShmiel etdes autres, dece qu'ils avaient étéetde lafaçon dontilsétaient morts,etnous avions trouvé plusdedétails concrets quenous n'aurions jamaispuenrêver.

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Car les sauveurs étaient,àleur manière, aussiinexplicables etmystérieux pourmoiquelestraîtres. Pour uneraison quelconque, peut-êtreparcequejesavais qu'elle avaitétéinstitutrice, et– la force desclichés etdes habitudes mentalesétantsupérieure àce que nous voulons bien admettre, raisonpourlaquelle, enopérant surdes suppositions inconscientes àpropos des gens, nouscommettons degraves erreurs dansl'interprétation desévénements historiques, sauf sinous restons surnos gardes – j'avais, depuislejour où,dans sasalle deséjour, Anna Heller Sternavaitdit zey zent behalten hayalererin, imaginé unefemme entredeuxâgesqui vivait seule, peut-être unefemme assezgrande etmince, avecdescheveux grisenchignon. Maintenant quejem'étais rendudanslamaison decette femme, j'étaistrèscurieux desavoir qui avait étélapersonne quiyavait vécuautrefois, lapersonne qui,indépendamment detout ce que nous pouvions savoird'elle, avaitobéi, entoute lucidité, àune morale rigoureuse,. »

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