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ont répondu.

Publié le 06/01/2014

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ont répondu. Et s'ils ont répondu, avec quelle ardeur ? J'ai lu ces lettres bien des fois et je m'inquiète maintenant de savoir si on a assez fait pour eux. Vraiment fait quelque chose, je veux dire. Il est vrai que dans une lettre, qui est adressée à mon grand-père, Shmiel fait référence à une somme d'argent qu'il a reçue -  quatre-vingts dollars. Il y a donc bien eu une réponse. Et la déclaration sous serment ? Pourquoi, compte tenu de la fréquence et de l'intensité des lettres de Shmiel à ses frères et soeurs à New York, se plaint-il toujours de n'obtenir de réponse de personne ? A l'automne 1939 :   Cher frère chéri et chère belle-soeur chérie,   Puisqu'il y a si longtemps que je n'ai pas eu de lettre de vous, j'en envoie une rapidement pour vous rappeler de me faire savoir comment vous allez tous et en particulier comment va toute la chère famille. Cela fait aussi bien longtemps que je n'ai pas eu de lettre de Jeunette. Pourquoi ? Je n'en ai pas la moindre idée...   ou :   Ecris-moi plus souvent, c'est comme si on me donnait une vie nouvelle et je ne me sentirai pas aussi seul.   La chère Ester va vous écrire un post-scriptum de sa main. Je vous serre dans mes bras et vous embrasse de tout mon coeur, et vous me manquez, Votre Sam   ou, plus accablant encore :   Cher Aby,   J'étais sur le point d'envoyer ceci quand j'ai reçu ta lettre. Tu reproches à ma chère femme de ne pas s'être tournée vers ses frères et ses soeurs. Et donc je t'écris pour te dire que tu as perdu la tête. Elle leur a déjà écrit et n'a jamais obtenu de réponse. Que devrait-elle faire ?   Evidemment, il n'y a pas moyen de savoir ce qui s'est passé exactement ici entre les frères. Ce qui ressemble, dans une lecture froide des mots eux-mêmes, à une certaine inhumanité de la part de mon grand-père pourrait bien avoir été, après tout, quelque chose de plus innocent. Peut-être existe-t-il, parmi les trésors cachés dans les greniers et les fosses septiques des maisons encore debout, qui ont autrefois appartenu aux Juifs de Bolechow, une cachette remplie de lettres, d'albums de photos, de bijoux, enveloppés dans des couvertures et fourrés dans une valise en cuir, elle-même plongée dans le purin, et parmi ces lettres, peut-on en trouver une avec un timbre américain, qui commence par ces mots, Cher frère, nous avons épuisé toutes les possibilités ici, mais nous ne pouvons pas réunir la somme h laquelle tu faisais référence. Ester a-t-elle essayé d'écrire à ses frères et soeurs aux Etats-Unis ? ...     Peut-être. Comme toutes les lettres que mon grand-père, Jeanette et Joe Mittelmark ont (peut-être) écrites à Shmiel sont depuis longtemps tombées en poussière, nous ne pouvons rien savoir. J'ai néanmoins essayé. Au cours du mois qui a précédé notre départ en Ukraine, j'ai organisé une réunion de ma mère et de ses cousins -  les enfants survivants des frères et soeurs de Shmiel - pour leur demander quels souvenirs ils gardaient de cette époque, juste avant la guerre, au moment où arrivaient encore les lettres de Shmiel. Ces trois cousins avaient grandi ensemble, parfois dans les mêmes immeubles, dans le Bronx ; ils savaient tous les mêmes choses. Nous nous sommes assis, un après-midi de juin 2001, dans le patio du cousin de ma mère à Chicago, et ils se sont remémorés. Mais ils n'étaient pas assez âgés, ils n'étaient pas assez proches de ce qui se passait, pour pouvoir savoir avec exactitude ; ce dont ils étaient certains, de façon catégorique, c'était que tout le monde adorait Shmiel et que tout ce qu'il était possible de faire pour lui l'avait été. Je voulais des faits établis, des détails, une histoire, une anecdote qui aurait eu l'asymétrie réconfortante de la vérité, mais je n'ai obtenu que le doux ronronnement des platitudes rassurantes. Le cousin de ma mère, Allan, notre hôte, a dit avec fermeté, Ils auraient fait tout ce qui était possible pour les sortir de là. Allan est le fils de la soeur cadette, celle qui m'avait écrit autrefois, Je ne vais pas te dire quand je suis née parce qu'il aurait mieux valu que je ne sois jamais née, et je ne me demande jamais pourquoi il est devenu psychologue. Les autres ont approuvé avec enthousiasme. Je me souviens du moment où la nouvelle est arrivée, après la guerre, qu'ils étaient tous morts, a dit d'une voix traînante l'autre cousine de ma mère, Marilyn. Marilyn a deux ans de plus que ma mère, mais elle a un front, un nez et une mâchoire d'une douceur, d'une délicatesse presque translucide qui lui viennent, me confie-t-elle inutilement, de sa mère, la tante préférée de ma mère, Jeanette (c'était sa peau à elle qui était tellement belle, mais on peut le voir sur les photos, a-t-elle dit à un moment donné, pendant ce weekend, avec ce surprenant accent profond du Sud qu'elle a pris, après tant d'années loin du Bronx. Phoooh-tos. J'ai de nombreuses photos de la mère de Marilyn -  l'une dans une somptueuse robe de mariée en dentelle que ses riches cousins, sa belle-famille à présent, avaient achetée pour parer l'épouse captée ; l'autre a été prise juste avant sa mort, à l'âge de trente-cinq ans. Dans la dernière, me dit ma mère, Jeanette était muette, incapable de parler à cause de la première des attaques qui allaient finalement la tuer -  et je suis obligé d'être d'accord, car la beauté légendaire dont j'ai si souvent entendu parler n'a rien d'évident dans ces photos de ce qui semble être simplement une dame juive du début du siècle dernier plaisante à regarder. Je me demande à présent si la raison pour laquelle je me suis senti bizarrement soulagé d'entendre sa fille me dire, presque cinquante ans après sa mort, qu'elle était réellement une beauté, ne tenait pas au fait de ne pas vouloir encore admettre, à ce moment-là, l'idée que tant d'histoires de ma famille étaient peut-être des embellissements ou même des inventions). En tout cas, Marilyn répondait maintenant à ma question concernant ce qui avait été fait ou non pour Shmiel par ses parents, qui étaient après tout les destinataires de deux de ces lettres au moins ; mais alors qu'elle était incapable de se souvenir de les avoir jamais entendu discuter des requêtes de Shmiel avant la guerre, Marilyn avait des souvenirs précis du jour où, des mois après la fin de la guerre, ils avaient appris la nouvelle que lui, sa femme et leurs enfants avaient été tués avec tous les autres. Je me souviens du jour où la nouvelle est arrivée, m'a dit cette séduisante dame du Sud, en me fixant de ses yeux bleus écarquillés, un peu surpris. Il n'y a pas eu que des larmes -  il y a eu des cris. Qui sait ce qui a pu se passer entre ces frères et soeurs, il y a soixante-dix ans ? Impossible de le dire. A un moment donné, pendant la conférence des cousins à Chicago, j'ai pris les photocopies des traductions que j'avais faites des lettres de Shmiel à ses divers Parents, et je les leur ai fait lire. Non, non, non, a dit ma mère, en repoussant sa lettre au milieu de la table. Je ne veux pas les lire, c'est trop triste. Puis, elle a émis ce son légèrement sifflant, gloussant et triste, de la langue qu'elle a toujours fait quand elle est sur le point de prononcer le mot yiddish nebuch, qui veut dire quelque chose comme Quelle chose de terriblement pitoyable.     Lorsque Caïn s'offense du fait que Dieu a préféré l'offrande de son jeune frère à la sienne, Dieu le réprimande : « Pourquoi es-tu irrité et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu es bien disposé, ne relèveras-tu pas la tète, et si tu n'es pas bien disposé, le péché n'est-il pas à la porte ? Qui te convoite. Et pourras-tu le dominer ? » Rachi est très soucieux d'expliquer cette image frappante et plutôt mystérieuse du péché, décrit comme un animal femelle, tapi à la porte. Où est-elle tapie, cette bête ? nous demandons-nous. A la porte de quoi, exactement? «A l'entrée de ta tombe », répond Rachi, c'est là «que ton péché est conservé ». Mais, pour lui, plus importante encore que la signification de ce passage est celle de l'antécédent du « qui te convoite ». Le texte hébreu est ici assez contrariant. « Péché » en hébreu se dit hatâ't, nom féminin, et par conséquent nous devrions avoir littéralement un pronom au féminin, t'shukâtâh -  qui correspondrait à « elle te convoite ». Et pourtant l'hébreu emploie ici un masculin plutôt qu'un féminin : t'shukâtu, « il te convoite ». C'est-à-dire que lorsqu'on lit cette phrase, il semble qu'elle dise « il te convoite », auquel cas le « il » se référerait probablement à Abel. Par conséquent, le sens de la phrase semblerait être quelque chose comme « son désir de toi » -- c'est-à-dire de se réconcilier avec toi, de maintenir de bonnes relations avec toi, son frère -- « mais tu le domineras » -- en

« Peut-être existe-t-il, parmilestrésors cachésdanslesgreniers etles fosses septiques des maisons encoredebout, quiont autrefois appartenu auxJuifs deBolechow, unecachette remplie delettres, d'albums dephotos, debijoux, enveloppés dansdescouvertures etfourrés dans unevalise encuir, elle-même plongéedanslepurin, etparmi ceslettres, peut-on en trouver uneavec untimbre américain, quicommence parces mots, Cherfrère, nousavons épuisé touteslespossibilités ici,mais nous nepouvons pasréunir lasomme hlaquelle tufaisais référence.

Estera-t-elle essayéd'écrire àses frères etsœurs auxEtats-Unis ? …     Peut-être. Comme toutesleslettres quemon grand-père, JeanetteetJoe Mittelmark ont(peut-être) écrites àShmiel sontdepuis longtemps tombéesenpoussière, nousnepouvons riensavoir. J'ai néanmoins essayé.Aucours dumois quiaprécédé notredépart enUkraine, j'aiorganisé une réunion dema mère etde ses cousins – les enfants survivants desfrères etsœurs de Shmiel – pourleurdemander quelssouvenirs ilsgardaient decette époque, justeavant la guerre, aumoment oùarrivaient encoreleslettres deShmiel.

Cestrois cousins avaientgrandi ensemble, parfoisdanslesmêmes immeubles, dansleBronx ;ils savaient touslesmêmes choses.

Nousnoussommes assis,unaprès-midi dejuin 2001, danslepatio ducousin dema mère àChicago, etils se sont remémorés.

Maisilsn'étaient pasassez âgés,ilsn'étaient pas assez proches decequi sepassait, pourpouvoir savoiravecexactitude ;ce dont ilsétaient certains, defaçon catégorique, c'étaitquetout lemonde adorait Shmieletque tout cequ'il était possible defaire pour luil'avait été.Jevoulais desfaits établis, desdétails, unehistoire, une anecdote quiaurait eul'asymétrie réconfortante delavérité, maisjen'ai obtenu quele doux ronronnement desplatitudes rassurantes. Le cousin dema mère, Allan,notrehôte,adit avec fermeté, Ilsauraient faittout cequi était possible pourlessortir delà. Allan estlefils delasœur cadette, cellequim'avait écritautrefois, Je ne vais pastedire quand je suis néeparce qu'ilaurait mieuxvaluquejene sois jamais née, et jene me demande jamais pourquoi ilest devenu psychologue. Les autres ontapprouvé avecenthousiasme.

Jeme souviens dumoment oùlanouvelle est arrivée, aprèslaguerre, qu'ilsétaient tousmorts, adit d'une voixtraînante l'autrecousine de ma mère, Marilyn. Marilyn adeux ansdeplus quemamère, maiselleaun front, unnez etune mâchoire d'une douceur, d'unedélicatesse presquetranslucide quiluiviennent, meconfie-t-elle inutilement, de samère, latante préférée dema mère, Jeanette (c'était sa peau à elle quiétait tellement belle, maisonpeut levoir surles photos, a-t-elle ditàun moment donné,pendant ceweek- end, avec cesurprenant accentprofond duSud qu'elle apris, après tantd'années loinduBronx.

Phoooh-tos.

J'ai denombreuses photosdelamère deMarilyn – l'une dansunesomptueuse robe demariée endentelle quesesriches cousins, sabelle-famille àprésent, avaientachetée pour parer l'épouse captée;l'autre aété prise justeavant samort, àl'âge detrente-cinq ans. Dans ladernière, meditma mère, Jeanette étaitmuette, incapable deparler àcause dela première desattaques quiallaient finalement latuer – et jesuis obligé d'êtred'accord, carla beauté légendaire dontj'aisisouvent entendu parlern'arien d'évident danscesphotos dece qui semble êtresimplement unedame juivedudébut dusiècle dernier plaisante àregarder.

Je me demande àprésent sila raison pourlaquelle jeme suis senti bizarrement soulagé d'entendre safille medire, presque cinquante ansaprès samort, qu'elle étaitréellement une beauté, netenait pasaufait dene pas vouloir encoreadmettre, àce moment-là, l'idéequetant d'histoires dema famille étaient peut-être desembellissements oumême desinventions).. »

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