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quelques photos que nous avions de lui et de sa famille, qui étaient désormais rangées soigneusement dans un sac en plastique, à l'intérieur d'une boîte qui se trouvait elle-même à l'intérieur d'un carton dans la cave de ma mère.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

famille
quelques photos que nous avions de lui et de sa famille, qui étaient désormais rangées soigneusement dans un sac en plastique, à l'intérieur d'une boîte qui se trouvait elle-même à l'intérieur d'un carton dans la cave de ma mère. Un homme d'affaires à l'allure prospère, âgé de cinquante-cinq ans environ, se tenant, avec la fierté d'un possédant, devant un camion, en compagnie de deux chauffeurs en uniforme ; une famille rassemblée autour d'une table, les parents, les quatre petites filles, un étranger inconnu ; un homme élégant en manteau à col de fourrure, portant un chapeau mou ; deux jeunes gens en uniforme de la Première Guerre mondiale, dont je savais que l'un était Shmiel à l'âge de vingt et un ans, tandis que l'identité de l'autre était impossible à deviner, inconnue et inconnaissable... Inconnue et inconnaissable : cela pouvait paraître frustrant, mais cela conférait aussi une certaine allure. Les photos de Shmiel et de sa famille étaient, après tout, plus fascinantes que n'importe quelles autres photos de famille scrupuleusement conservées dans les archives de la famille de ma mère, précisément parce que nous ne savions presque rien de lui, d'eux. Leurs visages sans sourires, sans paroles, semblaient, de ce fait, plus captivants. Pendant longtemps, il n'y a eu que les photos muettes et, de temps en temps, une vibration désagréable dans l'air lorsque le nom de Shmiel était prononcé. Cela n'arrivait pas souvent, du temps où mon grand-père était encore vivant, parce que nous savions que c'était la grande tragédie de sa vie, le fait que son frère et sa belle-soeur, et ses quatre nièces, avaient été tués par les nazis. Même moi qui, lorsqu'il nous rendait visite, adorais m'asseoir à ses pieds fourrés dans les pantoufles en cuir souple et écouter ses nombreuses histoires sur « la famille », ce qui voulait dire naturellement sa famille, dont le nom avait été autrefois Jäger (et qui, obligée de renoncer à Yumlaut au-dessus du a lorsqu'ils étaient arrivés en Amérique, était devenu successivement Yaegers, Yagers, Jagers et enfin Jaegers, comme lui : toutes ces orthographes figurent sur les pierres tombales à Mount Judah), cette famille qui, pendant des siècles, avait possédé une boucherie et ensuite, beaucoup plus tard, une affaire de viande en gros à Bolechow, une jolie ville, une petite ville animée, un shtetl, un endroit célèbre pour son bois, sa viande et sa maroquinerie que ses marchands expédiaient à travers toute l'Europe, un endroit où une personne pouvait bien vivre, un endroit magnifique au pied des montagnes - même moi qui étais si proche de lui, qui, en grandissant, lui posais si souvent des questions sur les histoires de famille, l'histoire, les dates, les noms, les descriptions, les lieux, qu'il lui arrivait d'écrire, lorsqu'il y répondait (sur de minces feuilles de papier à l'en-tête de la compagnie qu'il avait possédée autrefois, à l'encre bleue d'un gros stylo à plume Parker), Cher Daniel, s'il te plaît, ne me pose plus de questions sur la mishpuchah, parce que je suis un vieil homme et je ne peux plus me souvenir de rien, et de plus es-tu bien sûr de vouloir retrouver d'autres parents ? ! - même moi, je me sentais mal d'en parler de cette chose horrible qui était arrivée à Shmiel, son propre frère. Tué par les nazis. Il m'était difficile, quand j'étais enfant et que j'ai commencé à entendre le refrain sur Shmiel et sa famille disparue, d'imaginer ce que cela signifiait exactement. Même par la suite, après que j'ai été assez âgé pour avoir appris des choses sur la guerre, vu des documentaires, regardé avec mes parents l'épisode d'une série d'émissions intitulées The World at War, qui était précédé d'un avertissement terrifiant sur le fait que certaines images du film pouvaient être trop intenses pour de jeunes spectateurs - même après ça, il était difficile d'imaginer comment ils avaient été tués, de saisir les détails, la spécificité de la chose. Quand ? Où ? Comment ? Avec des fusils ? Dans les chambres à gaz ? Mais mon grand-père ne le disait pas. Ce n'est que plus tard que j'ai compris qu'il ne disait rien parce qu'il ne savait pas ou, du moins, qu'il n'en savait pas assez et que le fait de ne pas savoir était ce qui, en partie, le tourmentait. Et donc je n'en parlais pas. Je me contentais d'évoquer des sujets rassurants, de poser des questions qui l'autorisaient à être drôle, ce qu'il aimait être, comme dans la lettre suivante qu'il m'a écrite juste après mon quatorzième anniversaire : 20 mai 74   Cher Daniel,   Bien reçu ta lettre avec toutes tes questions, mais, désolé, je n'ai pas été en mesure de te donner toutes les réponses. J'ai noté que tu me demandais dans ta lettre si tu ne perturbais pas mon emploi du temps chargé avec toutes tes questions, la réponse est NON   J'ai noté que tu étais très heureux du fait que je me suis souvenu du nom de la femme d'HERSH. Je suis heureux aussi, parce que Hersh est mon grand-père et Feige est ma grand-mère. Maintenant, en ce qui concerne les dates de Naissance de chacun d'eux, je ne sais pas parce que je n'étais pas là, mais lorsque le MESSIE viendra et que tous les parents seront Réunis, je le leur demanderai...   Un addendum figure dans cette lettre et il est adressé à ma soeur et à mon plus jeune frère :   Très chère Jennifer et cher Éric,   Nous vous remercions tous les deux pour votre merveilleuse lettre, et nous sommes tout particulièrement heureux parce que vous n'avez pas de questions à poser sur la Mishpacha.     CHÈRE JENNIFER     J'ALLAIS ENVOYER À TON FRÈRE ÉRIC ET À TOI UN PEU D'ARGENT MAIS COMME TU LE SAIS JE NE TRAVAILLE PAS ET JE N'AI PAS D'ARGENT. TANTE RAY VOUS AIME DONC BEAUCOUP TOUS LES DEUX, ET TANTE RAY VOUS ENVOIE DEUX DOLLARS CI-JOINT, UN POUR TOI ET UN POUR ÉRIC.   AVEC NOTRE AMOUR ET NOS BAISERS   TANTE RAY ET GRANDPA JAEGER   Très chère Marlene   Sache que ce mardi 28, c'est YISKOR...   Yiskor, yizkor : un service commémoratif. Mon grand-père était toujours soucieux des morts. Chaque été, lorsqu'il nous rendait visite, nous l'emmenions à Mount Judah pour voir ma grandmère et tous les autres. Nous, les enfants, nous courions un peu partout et regardions d'un regard vide les noms sur les modestes pierres tombales et les plaques, ou encore le monument géant, en forme d'arbre avec ses branches élaguées, pour la commémoration de la soeur aînée de mon grand-père, qui était morte à vingt-six ans, une semaine avant son mariage, du moins c'est ce qu'avait l'habitude de me dire mon grand-père. Certaines de ces pierres portaient des petits autocollants bleu électrique qui disaient soin perpétuel, presque toutes affichaient des prénoms comme stanley et irving et herman et mervin, comme sadie et pauline, prénoms qui, pour les gens de ma génération, semblaient être la quintessence du prénom juif, bien que, selon une de ces ironies que seul un certain passage du temps peut éclaircir, les immigrants juifs d'il y a un siècle, nés avec des prénoms comme selig et itzig et hercel et mordko, comme scheindel et perl, aient choisi les prénoms de leurs enfants précisément parce qu'ils leur paraissaient très anglais, absolument non juifs. Nous nous promenions alentour et regardions tout ça pendant que mon grand-père, toujours dans un manteau en tweed impeccable, un pantalon aux plis parfaitement écrasés, avec une cravate au noeud extravagant, une pochette de soie sur la poitrine, progressait selon un ordre méticuleux, s'arrêtant devant chaque tombe, celle de sa mère, celle de sa soeur, celle de son frère, celle de sa femme, auxquels il avait survécu, et lisait les prières en hébreu dans une sorte de marmonnement précipité. Si vous roulez le long de l'Interboro Parkway dans le Queens et que vous vous arrêtez près de l'entrée du cimetière Mount Judah, que vous regardez par-dessus le mur de pierre sur la route, vous pouvez tous les voir là, vous pouvez lire les prénoms d'adoption, un peu grandioses, accompagnés des mentions rituelles : femme, mère et grandmère bien-aimée ; mari bien-aimé ; mère.    Donc, oui : il était soucieux des morts. Il allait s'écouler de nombreuses années avant que je me rende compte à quel point il était attentif, mon beau et drôle de grand-père, qui connaissait tant d' histoires, qui s'habillait si fameusement bien : avec son visage ovale si délicatement rasé, ses yeux bleus qui clignaient et son nez droit qui s'achevait par un renflement à peine suggéré, comme si celui qui l'avait conçu avait décidé, à la dernière minute, d'y ajouter une touche d'humour ; avec ses cheveux clairsemés, soigneusement peignés, ses vêtements, son eau de Cologne, ses manucures, ses plaisanteries notoires, et ses histoires intriquées et tragiques.  
famille

« m'a écrite justeaprès monquatorzième anniversaire: 20 mai 74   Cher Daniel,   Bien reçutalettre avectoutes tesquestions, mais,désolé, jen'ai pasétéenmesure detedonner toutes lesréponses.

J'ainoté quetume demandais danstalettre situ ne perturbais pasmon emploi dutemps charg éavec toutes tesquestions, laréponse estNON   J'ai noté quetuétais trèsheureux dufait que jeme suis souvenu dunom delafemme d'HERSH. Je suis heureux aussi,parceque Hersh estmon grand-père et Feige estma grand-mère. Maintenant, encequi concerne lesdates deNaissance dechacun d'eux,jene sais pasparce que je n'étais paslà,mais lorsque le MESSIE viendraetque tous lesparents serontRéunis, jeleleur demanderai...

  Un addendum figure danscette lettre etilest adressé àma sœur etàmon plusjeune frère:   Très chère Jennifer etcher Éric,   Nous vousremercions touslesdeux pourvotre merveilleuse lettre,etnous sommes tout particulièrement heureuxparcequevous n'avez pasdequestions àposer surla Mishpacha .     CHÈRE JENNIFER     J'ALLAIS ENVOYER ÀTON FRÈRE ÉRICETÀTOI UNPEU D'ARGENT MAISCOMME TULESAIS JE NE TRAVAILLE PASETJEN'AI PASD’ARGENT.

TANTERAYVOUS AIMEDONC BEAUCOUP TOUS LES DEUX, ETTANTE RAYVOUS ENVOIE DEUXDOLLARS CI-JOINT, UNPOUR TOIETUN POUR ÉRIC.   AVEC NOTRE AMOUR ETNOS BAISERS   TANTERAYETGRANDPA JAEGER. »

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