1 KIERKEGAARD ou Le cri paradoxal de l'intériorité par Léon-Louis Grateloup Un crieur public de l'ii1tériorité est un curieux animal....
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KIERKEGAARD
ou
Le cri paradoxal de l'intériorité
par Léon-Louis Grateloup
Un crieur public de l'ii1tériorité est un
curieux animal.
Kierkegaard, Post-scriptum, p.
50.
L'exception et le paradoxe
L'Histoire, que Kierkegaard a si sévèrement interrogée,
offre parfois des raccourcis saisissants et presque intemporels.
Ainsi, la même année 1841, tandis que Feuerbach
publiait L 'Essence du christianisme, deux jeunes gens
- dont la pensée allait s'inscrire bien différemment en
marge de la philosophie officielle - soutenaient leur thèse
de doctorat en philosophie.
L'un, à Iéna : il s'appelait
Karl Marx.
L'autre, à Copenhague, s'appelait Sôren Kierkegaard.
Et il y avait à peine dix ans que la philosophie officielle venait de perdre, avec Hegel, son plus illustre sinon
son dernier grand représentant : or, c'est Hegel qui devait
fournir à ces jeunes docteurs, tous deux penseurs d'exception et si radicalement différents, leur seule référence commune - et négative.
Mais tandis que l'œuvre de Marx
allait révéler sa tumultueuse fécondité en donnant naissance
aux divers marxismes, celle de Kierkegaard devait rester à
tous égards exceptionnelle, même sous la catégorie de la
marginalité.
C'est d'ailleurs Kierkegaard lui-même qui a
placé son œuvre sous le double signe de l'exception et du
paradoxe.
Exceptionnelle, elle l'est en effet, en un premier sens,
par son ampleur, par son style et par sa forme même, qui
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Kierkegaard
ressortit à un mode d'expression baroque, aux confins de
la philosophie spéculative, de la théologie savante et de la
poésie lyrique.
Et le paradoxe est d'abord que cette œuvre
n'est exceptionnelle, sous son affabulation poétique et sa
diversité pseudonymique, qu'à force d'être obstinément
fidèle à son dessein de manifester une unité sans couture
entre le penseur ed'homme, entre l'existence et son écriture.
Pourtant, au fond de sa singularité, cette œuvre déconcertante nous découvre, comme entièrement inédite, la
problématique de l'universel.
Le cri qui s'élève des écrits
de Kierkegaard, est celui d'une revendication de la subjectivité, qui prétend disqualifier tout savoir et ébranler tous les
« discours », objectifs, bien ordonnés et bien-pensants.
Si
bien qu'après avoir été longtemps réputée excentrique,
l'œuvre de Kierkegaard se retrouve insensiblement au centre de l'espace philosophique, comme un terrible préalable
à tout système, comme si, de tout temps, elle avait barré
Jes lignes de fuite de toutes les spéculations.
Dans son élan; cette œuvre pose, comme elle ne s'était
jamais posée auparavant, la question du fondement de la
morale.
Un terrible procureur
S'il n'est pas aisé de déchiffrer un cri, il est possible
de l'entendre.
Surtout lorsqu'il s'élève....
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