1. LA REMILITARISATION DE LA RHÉNANIE (7 mars 1936) Le destin suivait son cours. Hitler, sachant maintenant à quoi s'en...
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1.
LA REMILITARISATION DE LA RHÉNANIE
(7 mars 1936)
Le destin suivait son cours.
Hitler, sachant maintenant à quoi s'en
tenir sur notre compte, ouvrait la série des coups de force.
Déjà,
en 1935, à /'occasion du plébiscite sur la Sarre, il avait créé une
atmosphère si menaçante que le gouvernement français abandonnait
5 la partie avant qu'elle ne fût jouée et qu'ensuite les Sarrois, attirés
et intimidés par le déchaînement germanique, votaient en masse
pour le Ill• Reich.
Mussolini, de son côté, bravant les sanctions de
Genève grâce à l'appui du ministère Laval et à la tolérance du cabinet
Baldwin, passait à la conquête de l'Éthiopie.
Soudain, le 7 mars 1936,
10 l'armée allemande franchissait le Rhin.
Le traité de Versailles interdisait aux troupes du Reich l'accès des
territoires de la rive gauche, que l'accord de Locarno avait, en outre,
neutralisés.
En droit strict, nous pouvions les réoccuper, dès lors que
l'Allemagne reniait sa signature.
Si le corps spécialisé avait existé,
15 ne fût-ce qu'en partie, aves ses engins rapides et son personnel prêt
à marcher sur l'heure, la force naturelle des choses l'aurait, du coup,
porté vers le Rhin.
Comme nos alliés, Polonais, Tchèques, Belges,
étaient prêts à nous soutenir et les Anglais engagés d'avance, Hitler
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eût certainement reculé.
Il était, en effet, au début de son effort
20 d'armement et encore hors d'état d'affronter un conflit généralisé.
Mais, pour lui, un tel échec, infligé par la France, à cette époque,
sur ce terrain, risquait d'avoir, dans son propre pays, des consé
quences désastreuses.
En jouant un pareil jeu, il pouvait, d'un seul
coup, tout perdre.
25 Il gagna tout.
Notre organisation, la nature de nos moyens, l'esprit
même de notre défense nationale, sollicitèrent vers /'inaction un
pouvoir qui n'y était que trop porté et nous empêchèrent de marcher
Puisque nous n'étions prêts qu'à tenir notre frontière en nous inter
disant à nous-m_êmes de la franchir en aucun cas, il n'y avait pas à
30 attendre une riposte de la France.
Le Führer en était sûr.
Le monde
entier le constata.
Le Reich, au lieu de se voir contraint de retirer ses
troupes aventurées, les établit, sans coup férir, dans tout le territoire
rhénan, au contact immédiat de la France et de la Belgique.
Dés lors
M.
Flandin, ministre des Affaires étrangères, pouvait bien, l'âme
35 ulcérée, se rendre à Londres pour s'informer des intentions de
l'Angleterre; M.
Sarraut, Président du Conseil, pouvait bien déclarer
que Je gouvernement de Paris "n'admettrait pas que Strasbourg fût
à portée de canon allemand"; la diplomatie française pouvait bien
obtenir de la Société des Nations un blâme de principe pour Hitler,
40 ce n'était là que gestes et mots en face du fait accompli.
CHARLES DE GAULLE,
Mémoires de Guerre
Paris, 1954 (Pion), Tome 1, p.
17-18.
Commentaire
Dans ce texte, placé au début de ses Mémoires, le général de Gaulle
rappelle les événements qui ont servi de prélude à la catastrophe
de juin 1940, où son destin et celui des Français ont pris un cours
nouveau.
En 1936, Hitler est au pouvoir depuis plus de trois ans,
mais, si inquiétant que soit le personnage, il n'a pas encore pris
d'initiative menaçant directement la paix.
C'est précisément ce qu'il
va faire, en lançant· un coup d'audace extrêmement risqué, mais
dont la réussite bouleverse le rapport des forces en Europe.
Tous les
historiens s'accordent à voir, dans l'affaire de la Rhénanie, et si
galvaudée que soit cette expression, un "tournant" de l'entre-deux
guerres.
La forte personnalité du narrateur ajoute à l'intérêt du
récit, puisque, au moment des événements, de Gaulle a déjà atteint
la notoriété par ses ouvrages, où la théorie stratégique s'appuie
sur une vaste perspective historique et politique.
Le premier alinéa (lignes 1 à 10) constitue une sorte de préambule
au coup de force de mars 1936, et à ceux qui suivront.
De Gaulle
évoque deux événements de 1935, qui, selon lui, ont précipité le des
tin.
Le plébiscite de la Sarre avait été prévu par le Traité de Versailles
au terme de quinze ans d'administration par la Société des Nations;
les Sarrois devaient alors choisir entre le rattachement à la France
(ce qui était tout à fait invraisemblable), le statu quo ou le rattache
ment à l'Allemagne.
Il est incontestable que le gouvernement Laval
se désintéressa du plébiscite, imitant en cela l'immense majorité de
l'opinion française; et comme les nazis firent de leur côté un énorme
effort de propagande, le résultat fut conforme à ce que l'on pouvait
prévoir.
Mais les Français pensaient au fond comme Laval que "la
Sarre ne valait pas une guerre franco-allemande".
Ils avaient sans
doute raison, bien que leur résignation ne fût pas de bon augure
pour l'avenir.
Et le rétablissement par Hitler du service obligatoire
en Allemagne, deux mois après le plébiscite sarrois (janvier et mars
1935), ne les fit pas réagir davantage.
L'autre événement évoqué est l'attaque de l'Italie contre l'Éthiopie
(lignes 7 sq.).
C'est à bon droit que le général stigmatise l'inertie
des gouvernements franco-anglais; leur excuse aurait pu être le
désir de maintenir le front de Stresa, conclu en avril 1935 entre Paris,
Londres et Rome pour contenir les.
ambitions nazies.
Hélas, le Duce,
vexé par les sanctions, ne leur sut aucun gré de leur complaisance,
et commença à se rapprocher de l'Allemagne.
Ainsi l'affaire d'Ethio
pie contribua directement au coup de force de Hitler.
Le narrateur évoque maintenant le contexte juridique de l'affaire
rhénane.
Deux traités s'appliquaient en l'occurence (ligne 11).
Le
Traité de Versailles (28 juin 1919) stipulait la démilitarisation défi
nitive de la rive gauche du Rhin et d'une zone de 50 kilomètres sur
la rive droite; certains dirigeants français auraient voulu davantage,
notamment la séparation de la Rhénanie et du Reich, mais les alliés
s'y étaient opposés.
Naturellement on pouvait.se demander si l'Alle
magne supporterait à perpétuité cette diminution de sa souveraineté,
d'autant qu'elle n'avait accepté le Traité de Versailles que contrainte
et forcée.
Mais, à partir de 1924, les rapports franco-allemands
s'étaient améliorés, et en octobre 1925, à la Conférence de Locarno
(ligne 12), le ministre allemand des Affaires étrangères, Gustav
Stresemann, reconnaissait librement, au nom de son pays, les fron
tières franco-allemande et belgo-allemande, et acceptait, au cas
où l'Allemagne envahirait la zone démilitarisée, que l'on recourût
aux armes contre elle (Article 2).
Donc, si Hitler peut contester les
effets du "Diktat" de Versailles, il lui est impossible en droit de renier
le libre engagement contracté par son pays moins de onze ans aupa
ravant.
Quant à la France, dont le dossier est inattaquable, pourquoi
ne le défend-elle pas avec l'aide de ses armées?
Parmi les raisons de son inaction, le général de Gaulle retient en
premier lieu l'absence du corps spécialisé qu'il prônait sans résultat
depuis quelques années, et que son livre Vers /'Armée de métier
(1934) avait fait connaître au public.
Il s'agissaii d'une force mot0-
risée et blindée largement autonome et capable d'offensives rapides
et profondes chez l'ennemi; de Gaulle, tout comme d'autres théori
ciens militaires à l'étranger, tirait ainsi les leçons de l'apparition des
chars à la fin de la Grande Guerre, en vue d'une utilisation complè
tement nouvelle de ces engins.
Justement, une telle innovation fut.
mal accueillie par les....
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