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1 re ÉTUDE THÉMATIQUE D'ORAL NATURE ET MÉMOIRE TEXTES 1. LAMARTINE, « Le Lac », Méditations poétiques. Éternité, néant, passé,...

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« 1 re ÉTUDE THÉMATIQUE D'ORAL NATURE ET MÉMOIRE TEXTES 1.

LAMARTINE, « Le Lac », Méditations poétiques. Éternité, néant, passé, sombres abîmes, Que faites-vous des jours que vous engloutissez ? Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes Que vous nous ravissez ? 5 10 15 20 Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure ! Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle nature, Au moins le souvenir ! Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages, Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux, Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages, Qui pendent sur tes eaux ! Qu'il soit dans le zéphir qui frémit et qui passe, Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés, Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface De ses molles clartés ! Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire, Que les parfums légers de ton air embaumé, Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire, Tout dise : «Ils ont aimé !» 2.

ROUSSEAU, Julie ou la Nouvelle Héloïse, IV, lettre 17. 5 !o 15 20 25 30 35 40 Quand nous eûmes atteint ce réduit et que je l'eus quelque temps contemplé : « Quoi ! dis-je à Julie en la regardant avec un œil humide, votre cœur ne vous dit-il rien ici, et ne sentez-vous point quelque émotion secrète à l'aspect d'un lieu si plein de vous? » Alors,sans attendre sa réponse,je la conduisis vers le rocher,et lui montrai son chiffre gravé dans mille endroits,et plusieurs vers de Pétrarque ou du Tasse relatifs à la situation où j'étais en les traçant. En les revoyant moi-même après si longtemps, j'éprouvai com­ bien la présence des objets peut ranimer puissamment les sentiments violents dont on fut agité près d'eux.

Je lui dis avec un peu de véhémence : « Ô Julie,éternel charme de mon cœur ! Voici les lieux où soupira jadis pour toi le plus fidèle amant du monde.

Voici le séjour où ta chère image faisait son bonheur, et préparait celui qu'il reçut enfin de toi-même.

On n'y voyait alors ni ces fruits ni ces ombrages; la verdure et les fleurs ne tapissaient point ces compartiments, le cours de ces ruisseaux n'en formaient point les divisions; ces oiseaux n'y faisaient point entendre leurs ramages; le vorace épervier,le corbeau funèbre,et l'aigle terrible des Alpes, faisaient seuls retentir de leurs cris ces cavernes ; d'immenses glaces pendaient à tous ces rochers ; des festons de neige étaient le seul ornement de ces arbres ; tout respirait ici les rigueurs de l'hiver et l'horreur des frimas ; les feux seuls de mon cœur me rendaient ce lieu supportable, et les jours entiers s'y passaient à penser à toi.

Voilà la pierre où je m'asseyais pour contempler au loin ton heureux séjour; sur celle-ci fut écrite la lettre qui toucha ton cœur ; ces cailloux tranchants me servaient de burin pour graver ton chiffre; ici je passai le torrent glacé pour reprendre une de tes lettres qu'emportait un tourbillon; làje vins relire et baiser mille fois la dernière que tu m'écrivis; voilà le bord où d'un œil avide et sombre je mesurais la profondeur de ces abîmes; enfin ce fut ici qu'avant mon triste départ je vins te pleurer mourante et jurer de ne pas te survivre.

Fille trop constamment aimée, ô toi pour qui j'étais né ! Faut-il me retrouver avec toi dans les mêmes lieux, et regretter le temps que j'y passais à gémir de ton absence? ...» J'allais continuer; mais Julie, qui, me voyant appro­ cher du bord,s'était effrayée et m'avait saisi la main, la serra sans mot dire en me regardant avec tendresse et retenant avec peine un soupir; puis tout àcoup détournant la vue et me tirant par le bras : «Allons-nous-en, mon ami,me dit-elle d'une voix émue; l'air de ce lieu n'est pas trop bon pour moi.» Je partis avec elle en gémissant, mais sans lui répondre, et je quittais pour jamais ce triste réduit comme j'aurais quitté Julie elle-même. 4.

VERLAINE, «Après trois ans», Poèmes Saturniens. Ayant poussé la porté étroite qui chancelle, Je me suis promené dans le petit jardin Qu'éclairait doucement le soleil du matin, Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle. 5 10 Rien n'a changé.

J'ai tout revu: l'humble tonnelle De vigne folle avec les chaises de rotin... Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle. Les roses comme avant palpitent ; comme avant, Les grands lys orgueilleux se balancent au vent. Chaque alouette qui va et vient m'est connue. Même j'ai retrouvé debout la Velléda, Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue, - Grêle, parmi l'odeur face du réséda. 5.

PROUST, «Du côté de chez Swann», À ta recherche du temps perdu. 5 10 15 20 25 Et il m'eût fallu aussi que ce fussent les mêmes femmes, celles dont la toilette m'intéressait parce que, au temps où je croyais encore, mon imagination les avait individualisées et les avait pourvues d'une légende.

Hélas ! dans l'avenue des Acacias l'allée de Myrtes - j'en revis quelques-unes, vieilles, et qui n'étaient plus que les ombres terribles de ce qu'elles avaient été, errant, cherchant désespérément on ne sait quoi dans les bosquets virgiliens.

Elles avaient fui depuis longtemps, que j'étais encore à interroger vainement les chemins désertés.

Le soleil s'était caché.

La nature recommençait à régner sur le Bois d'où s'était envolée l'idée qu'il était le Jardin élyséen de la Femme; au-dessus du moulin factice le vrai ciel était gris; le vent ridait le Grand Lac de petites vaguelettes, comme un lac ; de gros oiseaux parcou­ raient rapidement le Bois, comme un bois, et poussant des cris aigus se posaient l'un après l'autre sur les grands chênes qui, sous leur couronne druidique et avec une majesté dodonéenne, sem­ blaient proclamer le vide inhumain de la forêt désaffectée, et m'aidaient à mieux comprendre la contradiction que c'est de chercher dans la réalité les tableaux de la mémoire, auxquels manquerait toujours le charme qui leur vient de la mémoire même et de n'être pas perçus par les sens.

La réalité que j'avais connue n'existait plus.

Il suffisait que Mme Swann n'arrivât pas toute pareille au même moment, pour que l'Avenue fût autre.

Les lieux que nous avons connus n'appartiennent pas qu'au monde de l'espace où nous les situons pour plus de facilité.

Ils n'étaient qu'une mince tranche au milieu d'impressions contiguës qui formaient notre vie d'alors; le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant ; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas! comme les années. Textes complémentaires 6.

ZOLA, L'Œuvre (1886). Le peintre Claude Lantier, en compagnie de son ami, le romancier Sandoz, revient sur les Iieux où il a « travaillé, joui et souffert ». 5 10 15 20 25 30 À mesure qu'il avançait le long de la berge, il se révoltait de douleur.

C'était à peine s'il reconnaissait le pays.

On avait construit un pont pour relier Bonnières à Bennecourt : un pont, grand Dieu ! à la place de ce vieux bac craquant sur sa chaîne, et dont la note noire, coupant le courant, était si intéressante ! En outre, le barrage étabii en aval, à Port-Villez, ayant remonté le niveau de la rivière, la plupart des îles se trouvaient submergées, les petits bras s'élargissaient.

Plus de jolis coins, plus de ruelles mouvantes, où se perdre, un désastre à étrangler tous les ingénieurs de la marine ! - Tiens ! ce bouquet de saules qui émergent encore, à gauche, c'était le Barreux, l'île où nous allions causer dans l'herbe, tu te souviens ? ...

Ah ! les misérables ! Sandoz, qui ne pouvait voir couper un arbre sans montrer le poing au bûcheron, pâlissait de la même colère, exaspéré qu'on se fût permis d'abîmer la nature. Puis, Claude, lorsqu'il s'approcha de son ancienne demeure, devint muet ; les dents serrées.

On avait vendu la maison à des bourgeois, il y avait maintenant une grille, à laquelle il colla son visage.

Les rosiers étaient morts, les abricotiers étaient morts, le jardin très propre, avec ses petites allées, ses carrés de fleurs et de légumes entourés de buis, se reflétait dans une grosse boule de verre étamé, posée sur un pied, au beau milieu ; et la maison, badigeonnée à neuf, peinturlurée aux angles et aux encadrements en fausses pierres de taille, avait un endimanchement gauche de rustre parvenu, qui enragea le peintre.

Non, non, il ne restait là rien de lui, rien de Christine, rien de leur grand amour de jeunesse ! Il voulut voir encore, il monta derrière l'habitation, chercha le petit bois de chênes, ce trou de verdure où ils avaient laissé le vivant frisson de leur première étreinte ; mais le petit bois était mort, mort avec le reste, abattu, vendu, brûlé.

Alors, il eut un geste de malédiction. ÉTUDE THÉMATIQUE D'ENSEMBLE ■ À l'intersection entre les deux dimensions essentielles de notre condition, l'espace et le temps, figurent des lieux auxquels notre mémoire a associé des événements qui s'y sont déroulés.

Que nous venions à y retourner et toutes sortes de réminiscences et de réflexions vont nous assaillir. Voilà schématiquement résumé un thème appelé dans notre littérature à un certain développement, dans la poésie lyrique surtout, mais aussi dans le roman.

Il pourrait s'élargir soit vers celui du sentiment de la nature, soit vers celui de la fuite du temps, soit vers celui de la mémoire.

Nous l'avons intitulé Nature et Mémoire.

Précisons qu'il s'agit le plus souvent d'une mémoire centrée sur des souvenirs à coloration amoureuse. ■ Dans Julie ou La Nouvelle Héloïse, Saint Preux, on le sait, reste quelque temps séparé de sa chère Julie dans les premiers mois de leur liaison. Cultivant son souvenir, trompant sa frustration par l'écriture, il n'en finit pas d'associer l'image de l'aimée absente à plusieurs sites dans lesquels il séjourne non loin de sa maison. C'est là sans doute que nous pouvons saisir l'élaboration du thème sous une forme qu'il serait tentant de qualifier de préromantique: -Le héros a mis sa marque concrètement sur les lieux dans un effort dérisoire d'appropriation.On devrait même ne pas trop s'attarder sur l'hyperbole «dans mille endroits» et sur cette manie de l'écriture: «plusieurs vers de Pétrarque ou du Tasse relatifs à la situation où j'étais en les traçant», car cela pourrait faire ressortir une certaine invraisemblance romanesque. -Ses sentiments se réveillent devant la Nature, il s'enflamme et apostrophe ardemment Julie à qui il adresse des reproches sur sa «froideur» présente Uuste après prendra place l'épisode de la traversée du lac où il subira la «terrible tentation» de se jeter à l'eau avec elle). -Ses souvenirs se ravivent très précisément et il énumère avec une emphase lyrique et moult détails tous les souvenirs personnels attachés à nombre d'endroits précis, tentant d'émouvoir Julie au contact de ses propres souvenirs. - Il esquisse un contraste entre la Nature telle qu'il la connut alors, prise «par l'horreur des frimas» et telle qu'elle apparaît en cette belle saison ; mais lui n'a pas changé et c'est plutôt Julie qui n'est plus la même, passant, à l'inverse de la Nature, de la chaleur à la glace. -Ainsi s'esquisse un jeu de comparaisons implicites entre l'apparence de la Nature et les sentiments des personnages qui concerne non seulement le présent mais aussi le passé, thème appelé à de multiples développements au x1x• siècle. -Arrêtons-nous un instant sur l'évocation de «/'hiver» dans les Alpes pour apprécier: • les sonorités ; • les épithètes choisies pour les trois volatiles: «le vorace épervier, le corbeau funèbre, et l'aigle terrible des Alpes» ; • l'atmosphère générale (avec un alexandrin de belle facture) : «faisaient seuls de leurs cris retentir ces cavernes». - La réflexion finale qui annonce, par son baroque appuyé, certaines outrances romantiques, dans une prose rythmée 6/3/6 : «/es feux seuls de mon cœur/ me rendaient/ ce lieu supportable». - Mais la nature retrouvée devient un théâtre où Saint Preux, mimant le danger vécu, fait surgir l'idée du suicide par amour. - Et si Saint Preux a déployé tous ses efforts pour faire partager ses impressions à Julie, il est partiellement arrivé à ses fins puisqu'elle lui confesse : «/'air de ce lieu n'est pas bon pour moi».

Est-ce la magie d'un environnement chargé de souvenirs qui a agi sur elle ou plutôt le discours passionné de l'amoureux ? -En tout cas, l'attachement extraordinaire au cadre naturel est souligné dans les dernières lignes.

L'identification entre le lieu et l'amante (d'autrefois) est poussée à son paroxysme'.

C'est un arrachement: «je quittai ce triste lieu comme j'aurais quitté Julie elle-même». Ainsi est mise en place cette sorte d'illusion romantique que Lamartine ou Hugo pousseront bien plus loin : la mémoire a tissé des liens entre la Nature et leur cœur : « Votre cœur ne vous dit-il rien ici et ne sentez-vous point quelque émotion secrète à l'aspect d'un lieu si plein de vous ? » Le personnage ne prend aucun recul critique face à ses impressions : il subit, il s'étonne que Julie ne vibre pas aussitôt à l'unisson... ■ Ce trouble, cette émotion, nous les retrouvons sous la plume de Hugo dès le premier vers, et la tournure imagée illustre avec un schématisme caracté­ ristique le rapport entre la Nature et les souvenirs : « Savoir si l'urne encor conservait la liqueur...

». - Nous retrouvons l'alliance entre nature et mémoire « Les fils mystérieux où nos cœurs sont liés ! » - Et voilà que la Nature est personnifiée «Et voir ce qu'avait fait cette heureuse vallée...

» et que l'on s'adresse à elle, sobrement il est vrai (v.

6 à 8). - On constate son changement, mais cette fois-ci pour le déplorer car les pistes sont brouillées et même les marques concrètes ont disparu (v.

9-16). (Différence notable avec le texte précédent, les deux amoureux ont évolué dans ce paysage.) N.B.

Sur ce thème de la nature changée par l'homme, sur un mode plus prosaïque, voir le texte de complément (Zola, L'Œuvre).

C'est la révolte de l'artiste et de l'amoureux contre le saccage de lieux chers. -Ce qui aiguille la sensibilité poétique de Hugo vers un méditation sur la fuite du temps qui n'épargne pas la Nature, mais frappe prioritairement les souvenirs qui y étaient attachés (v.

21 à 25). - L'élément nouveau est essentiellement l'apostrophe" à la nature sur le ton du reproche. ■ Dans Le Lac de Lamartine, nous retrouvons l'apostrophe' à la Nature sous une forme plus véhémente qui se traduit par le rythme. C'est une interrogation passionnée sur le thème.... »

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