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2e ÉTUDE THÉMATIQUE D'ORAL L'ÂME DES CHOSES (LE STATUT DES OBJETS/ OBJETS VIVANTS) TEXTES 1. RIMBAUD, «Le Buffet», Poésies. C'est...

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« 2e ÉTUDE THÉMATIQUE D'ORAL L'ÂME DES CHOSES (LE STATUT DES OBJETS/ OBJETS VIVANTS) TEXTES 1.

RIMBAUD, «Le Buffet», Poésies. C'est un large buffet sculpté; le chêne sombre, Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens; Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants; s 10 Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries, De linges odorants et jaunes, de chiffons De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries, De fichus de grand'mère où sont peints des griffons; - C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits. - Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires, Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noirs. 2.

PROUST, À la recherche du temps perdu. 5 10 15 20 Dans le port étroit et long comme une chaussée d'eau entre ses quais peu élevés où brillent les lumières du soir, les passants s'arrêtaient pour regarder, comme de nobles étrangers arrivés de la veille et prêts à repartir, les navires qui y étaient assemblés. Indifférents à la curiosité qu'ils excitaient chez une foule dont ils paraissaient dédaigner la bassesse ou seulement ne pas parler la langue, ils gardaient dans l'auberge humide où ils s'étaient arrêtés une nuit, leur élan silencieux et immobile.

La solidité de l'étrave ne parlait pas moins des longs voyages qui leur restaient à faire, que ses avaries des fatigues qu'ils avaient déjà supportées sur ces routes glissantes, antiques comme le monde et nouvelles comme le passage qui les creuse et auquel elles ne survivent pas.

Frêles et résistants, ils étaient tournés avec une fierté triste vers l'océan qu'ils dominent et où ils sont comme perdus.

La complication merveilleuse et savante des cordages se reflétait dans l'eau comme une intelligence précise et prévoyante plonge dans la destinée incertaine qui, tôt ou tard, la brisera.

Si récemment retirés de la vie terrible et belle dans laquelle ils allaient se retremper demain, leurs voiles étaient molles encore du vent qui les avait gonflées, leur beaupré s'inclinait obliquement sur l'eau comme hier encore leur démarche, et, de la proue à la poupe, la courbure de leur coque semblait garder la grâce mystérieuse et flexible de leur sillage. 3.

HEREDIA, «Sur un marbre brisé», Les Trophées. La mousse fut pieuse en fermant ses yeux mornes; Car, dans ce bois inculte, il chercherait en vain La Vierge qui versait le lait pur et le vin Sur la terre au beau nom dont il marqua les bornes. 5 10 Aujourd'hui le houblon, le lierre et les viornes Qui s'enroulent autour de ce débris divin, Ignorant s'il fut Pan, Hermès ou Silvain, À son front mutilé tordent leurs vertes cornes. Vois.

L'oblique rayon, le caressant encor, Dans sa face camuse a mis deux orbes d'or; La vigne folle y rit comme une lèvre rouge; Et, prestige mobile, un murmure de vent, Les feuilles, l'ombre errante et le soleil qui bouge, De ce marbre en rune ont fait un Dieu vivant. 4.

GIONO, Le Hussard sur le toit, éditions Gallimard. Angelo, personnage du roman de Giono, est témoin d'une épidémie de choléra qui ravage fa Provence pendant un été torride.

Parvenu à Manosque, il est contraint de passer plusieurs jours caché sur les toits, d'où il pénètre dans un grenier. 5 10 15 20 Le grenier était encore plus beau que ce qu'il paraissait être.

Les fonds qu'on ne pouvait pas voir de la lucarne, éclairés par quelques tuiles de verre disséminées dans la toiture, et sur lesquel­ les à cette heure frappait le soleil couchant étaient baignés d'un sirop de lumière presque opaque.

Les objets n'en émergeaient que par des lambeaux de forme qui n'avaient plus aucun rapport avec leur signification réelle.

Telle commode galbée n'était plus qu'un ventre recouvert d'un gilet de soie prune, un petit saxe sans tête qui devait être à l'origine un ange musicien était devenu par l'agrandissement des ombres portées, par le vif éclat que la lumière donnait aux brisures de sa décollation, une sorte d'oiseau des îles le kakatoès d'une créole ou d'un pirate.

Les robes et les redingotes étaient vraiment réunies en assemblées.

Les souliers apparaissaient sous des franges de clartés comme dépassant du bas d'un rideau, et les personnages d'ombres dont ils trahissaient ainsi la présence ne se tenaient pas sur un plancher mais comme sur les perchoirs en escalier d'une vaste cage de canaris.

Les rayons du soleil dardés en étincelantes constellations rectilignes de poussière faisaient vivre ces êtres étranges dans des mondes triangulaires, et la descente sensible du couchant qui déplaçait lentement les fonds de lumière les animait de mouvements indéfiniment étirés comme dans l'eau tiède d'un aquarium. 5.

PONGE, «Le Pain», Le Parti pris des choses, 1942, éditions Gallimard. 5 10 15 La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne: comme sil'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la cordillère des Andes. Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses ...

Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, - sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente. Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois.

Lorsque le pain rassit, ces fleurs fanent et se rétrécissent: elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable ... Mais brisons là: car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation. 6.

ROBBE-GRILLET, Les Gommes, éditions de Minuit. Dans son enquête à travers la ville, Wallas, le détective, s'arrête pour déjeuner dans un restaurant automatique.

Après une vue d'ensemble de ce monde de la similitude et de la répétition, il va choisir. Arrivé devant le dernier distributeur, Wallas ne s'est pas encore décidé.

Son choix est d'ailleurs de faible importance, car les divers mets proposés ne diffèrent que par l'arrangement des articles sur l'assiette; l'élément de base est le hareng mariné. 5 Dans la vitre de celui-ci Wallas aperçoit, l'un au-dessus de l'autre, six exemplaires de la composition suivante; sur un lit de pain de mie, beurré de margarine, s'étale un large filet de hareng à la peau bleu argenté ; à droite cinq quartiers de tomate, à gauche trois rondelles d'œuf dur; posées par-dessus, en des points calculés, 10 trois olives noires.

Chaque plateau supporte en outre une four­ chette et un couteau.

Les disques de pain sont certainement fabriqués sur mesure. Wallas introduit son jeton dans la fente et appuie sur un bouton. Avec un ronronnement agréable de moteur électrique, toute la 15 colonne d'assiettes se met à descendre; dans la case située à la partie inférieure apparaît, puis s'immobilise, celle dont il s'est rendu acquéreur.

Il la saisit, ainsi que le couvert qui l'accompa­ gne, et pose le tout sur une table libre.

Après avoir opéré de la même façon pour une tranche du même pain, garni cette fois de 20 fromage, et enfin pour un verre de bière, il commence à couper son repas en petits cubes. Un quartier de tomate en vérité sans défaut, découpé à la machine dans un fruit d'une symétrie parfaite. La chair périphérique, compacte et homogène, d'un beau rouge de 25 chimie, est régulièrement épaisse entre une bande de peau luisante et la loge où sont rangés les pépins, jaunes, bien calibrés, mainte­ nus en place par une mince couche de gelée verdâtre le long d'un renflement du cœur.

Celui-ci, d'un rose atténué légèrement granu­ leux, débute, du côté de la dépression inférieure, par un faisceau 30 de veines blanches, dont l'une se prolonge jusque vers les pépins - d'une façon peut-être un peu incertaine. Tout en haut, un accident à peine visible s'est produit : un coin de pelure, décollé de la chair sur un millimètre ou deux, se soulève imperceptiblement. Textes complémentaires 7.

KLINGSOR, «Nature morte», Le Livre d'esquisses. 5 10 15 20 25 C'est une lumière chaude qui filtre par l'ogive de la croisée dans cette cuisine sombre d'où la servante est partie, et donne aux choses qui ne se sentent plus surveillées, l'aspect d'une scène d'Hoffmann. Elle éclaire les pommes écarlates ainsi que des fiilettes norman­ des, et les carottes coiffées de bonnets roux de grenadiers à longs plumets verts, et les oignons cuivrés comme des têtes coupées de bonzes japonais avec une touffe de cheveux au sommet de leurs crânes chauves et luisants. Elle éclaire les courges rondes et brunes ainsi que des seins de négresses, et les choux renversés la racine en l'air comme des marionnettes en crinolines gonflées de jupons, et la noix de coco à l'écorce velu comme un derrière de singe. Mais elle laisse dans l'ombre un vase fin et gracieux d'où sort une rose de même qu'une tête ébouriffée de princesse émergeant d'une robe de soie, une mignonne princesse de Chine qui attend sans doute, en guise d'amoureux, quelque champignon nabot caché sous son ombrelle blanche de mandarin. Et le hareng saur à ventre maigre et multicolore, le hareng saur étendu, nonchalamment sur un plat à fleurs et qui a l'air d'un vieux et bizarre gentleman à visage pointu et filet chamarré de satin, le maigre hareng saur reste immobile à côté d'une carte géographi­ que de Sicile figurée par une côtelette rose, et il regarde tran­ quillementtout cela de ses petits yeux ronds et sardoniques cerclés de lunettes d'or. 8.

PONGE, ((Le Verre d'eau», Le Grand Recueil, éditions Gallimard. Ce passage est daté : 25 mars (matin). 5 10 15 20 25 30 35 40 Une des choses que je tiens à dire du verre d'eau est la suivante. Je vois bien qu'il faut que je la dise (malgré le côté mesquin, superliciel et tournant au précieux que je lui prête) parce que je la ressens très authentiquement, -toujours tenté néanmoins de lui appliquer ma censure, mais elle me revient à chaque instant.

Peut­ être le seul moyen de m'en débarrasser est-il donc que je la confie à mon lecteur, après avoir toutefois pris la précaution de le prévenir qu'il ait à s'en défier, à ne la prendre trop au sérieux et à s'en débarrasser lui-même au plus tôt.

Voici. Le mot VERRE D'EAU serait en quelque façon adéquat à l'objet qu'il désigne ...

Commençant par un V, finissant par un U, les deux seules lettres en forme de vase ou de verre.

Par ailleurs, j'aime assez que dans VERRE, après la forme (donnée par le V), soit donnée la matière par les deux syllabes ER RE, parlaitement symétriques comme si, placées de part et d'autre de la paroi du verre, l'une à l'intérieur, l'autre à l'extérieur, elles se reflétaient l'une en l'autre.

Le fait que la voyelle utilisée soit la plus muette, la plus grise, le E, fait également très adéquat.

Enfin, quant à la consonne utilisée, le R, le roulement produit par son redoublement est excellent aussi, car il semble qu'il suffirait de prononcer très fort ou très intensément le mot VERRE en présence de l'objet qu'il désigne pour que, la matière de l'objet violemment secouée par les vibrations de la voix prononçant son nom, l'objet lui-même vole en éclats.

(Ce qui rendrait bien compte d'une des principales propriétés du verre : sa fragilité.) Ce n'est pas tout.

Dans VERRE D'EAU, après VERRE (et ce que je viens d'en dire) il y a EAU.

Eh bien, EAU à cette place est très bien aussi : à cause d'abord des voyelles qui le forment.

Dont la première, le E, venant après celui répété qui est dans VERRE, rend bien compte de la parenté de matière entre le contenant et le contenu, - et la seconde, le A (le fait aussi que comme dans Œil il y ait là diphtongue suivie d'une troisième voyelle) - rend compte de l'œil que la présence de l'eau donne au verre qu'elle emplit (œil, ici, au sens de lustre mouvant, de poli mouvant). Enfin, après le côté suspendu du mot VERRE (convenant bien au verre vide), le côté lourd, pesant sur le sol, du mot EAU fait s'asseoir le verre et rend compte de l'accroissement de poids (et d'intérêt) du verre empli d'eau.J'ai donné mes louanges à la forme du U. ...

Mais, encore une fois, je ne voudrais pas m'éblouir de ce qui précède ...

Plutôt me l'être rendu transparent, l'avoir franchi ... ÉTUDE SYNTHÉTIQUE GÉNÉRALE ■Présents Il est mille et une façons de décrire les objets de notre vie quotidienne. à l'état fonctionnel, utilitaire, dès l'aube de la littérature (armes, boucliers, toilettes, demeures), ils susciteront l'attention passionnée des romanciers dits «réalistes», et cela, non seulement en eux-mêmes, mais parce qu'ils semblent refléter la psychologie de leur propriétaire (dans le cas d'objets familiers, par exemple la casquette de Charles Bovary) ou qu'ils jouissent d'une sorte de vie propre intéressante, ou bien encore qu'ils sont riches d'une signification rituelle ou sociologique (reflet des mœurs : pièce montée de la noce dans Madame Bovary). « Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?» : beaucoup d'auteurs du x1xe auraient pu souscrire à cette interrogation de Lamartine que l'on devine parallèle au sentiment grandissant de la Nature, puisque, plus sûrement encore que le décor naturel, l'objet familier, par exempl� le meuble, peut se charger de tant de souvenirs (cf.

Le Buffetde Rimbaud).

A telle enseigne que, par comparaison, à l'aube du symbolisme, il peut symboliser l'être qui se souvient : Baudelaire, dans Spleen: « un vieux meuble à tiroirs, encombré de billets...» ou dans Le Flacon: « Il est un vieux flacon qui se souvient...

je serai ton flacon...» L'anthropomorphisme, toujours présent, a tôt fait d'animer les objets surtout quand les circonstances y aident, et ce n'est pas particulier à la poésie. Il Zola, avec l'ère triomphante du machinisme, hausse au niveau de mons­ tres fantastiques et/ ou épiques des objets industriels comme le puits de mine de Germinal, la locomotive de La Bête humaine, ou l'alambic dans L 'Assommoir. Mais en même temps, le paysage, et les personnages dans le paysage, sont tout de même plus prisés, d'une façon analogue à l'évolution de la peinture du XIXe siècle. Mais l'objet a toujours un statut un peu ambigu : d'un côté, on peut accentuer son côté végétal, ou minéral «anti-humain» ; de l'autre, il peut, à la faveur de certaines circonstances, s'animer ou susciter la fascination. ■ C'est ainsi que, dans le cas particulier de l'objet d'art, il peut y avoir rêverie infinie sur son origine, ses formes, son destin.

En contemplant un « marbre brisé», Heredia y projette toute sa dévotion de !'Antiquité pour le faire revivre un bref instant.

Il a suffi d'un jeu de lumière pour que l'objet apparaisse tout autre qu'il n'était ; c'est le cas aussi pour tel grenier rempli de choses hétéroclites, aussi bien sous la plume de Giono que sous celle de Klingsor (texte complémentaire n ° 7) ; les objets alors, à la faveur de rencontres aléatoire, de l'amoncellement sous le toit, prennent une allure fantastique; la frontière s'abolit entre l'animé et l'inanimé.

Ce peut être aussiune prédisposition particulière du narrateur ou du héros qui déclenche ce dépassement de la réalité. ■ Les objets modernes, souvent liés à la vitesse ou au loisir, ou aux deux, peuvent faire rêver aussi quand on les contemple à l'arrêt, encore pleins du souvenir de leur course antérieure et riches de la poésie de leurs formes qui sont adaptées au déplacement : bel exemple de Proust, méditant devant les voiliers de Balbec, qui ont ce charme supplémentaire d'être en harmonie avec les maîtres racés qui les dirigent, et l'on retrouve l'anthropomorphisme toujours présent (cf.

lecture méthodique). Le xx• siècle s'affirme bien comme le siècle des objets, notamment standar­ disés, industriels, qui pourraient décourager tout émerveillement par leur répétition identique.

Dans les années soixante-dix, Georges Perec, dans Les Choses, nous montre un jeune couple qui ne conçoit point le bonheur sans cet amoncellement d'objets à la mode, vaine quête dont la stupidité même ne leur apparaîtra peut-être pas.

Dans un autre roman, La vie mode d'emploi, ce ne sont qu'inventaires minutieux, descriptions sans fin des entrailles d'un immeuble associées aux vies individuelles, et les objets retrouvent donc un rôle privilégié. ■ Mais ce qui rend le mieux compte de la double tentation des écrivains du xx• siècle face à l'objet, c'est l'opposition, à quelques années de distance, entre le poète Ponge et le Nouveau Roman : D'un côté, Le Parti pris des choses, titre de l'un des recueils essentiels de Ponge, le poète acceptant de laisser de côté les illusions habituelles de notre regard et tout le fatras de l'anthropomorphisme pour passer du côté des choses,.... »

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