ACTE 1 - Scène 2 : commentaire composé (tirade de Don Juan : « Quoi ? tu veux qu'on se...
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ACTE 1 - Scène 2 : commentaire composé (tirade de Don Juan :
« Quoi ? tu veux qu'on se lie...
pour y pouvoir étendre mes
conquêtes amoureuses »)
Jusqu'à la scène 2 nous ne connaissons de Don Juan que le portrait très
contrasté qu'en a livré Sganarelle.
Mi charmé mi épouvanté, Sganarelle
recense les forfaits de Don Juan et il le traite de tous les noms qu'il peut
imaginer.
Il est « un "enragé" hors la loi de raison, un "chien" hors la loi de
l'homme, un "diable" hors la loi de Dieu, un "Turc" hors la loi de l'Égypte,
un "hérétique" hors la loi chrétienne» (M.
Serres).
Le maître pénètre en scène précédé de cette flatteuse réputation.
Il traîne
une renommée sulfureuse, il est une légende dont on parle comme du
diable.
Après quelques hésitations, Sganarelle essaie de dire à Don Juan
qu'il a tort de se consacrer ainsi à l'inconstance.
Car Don Juan pourchassé
vient d'élire encore un nouvel objet d'amour
Je trouve fort vilain d'aimer de tous côtés comme vous faites.
Don Juan lui répond sans animosité en une longue tirade qui s'apparente
à une profession de foi: il y développe sa conception de l'amour coupé
absolument du vœu de mariage et animé par la circulation des désirs.
À
travers l'énoncé arrogant de sa doctrine, Don Juan passe lui-même en
représentation ; il trace son autoportrait en libertin, avide de plaisir et
théoricien talentueux de l'amour.
a.
De l'amour: la révolte du conquérant
a.1.
Structure du texte : de /'insoumission à /'offensive
Don Juan se révolte contre la pensée conformiste dont Sganarelle est le
traducteur timoré : « Quoi ! » Rien n'exaspère plus le séducteur que les
chaînes de la fidélité qui stérilisent le désir et tuent l'homme.
Rien n'est
plus contraire à la nature que la convention humaine du mariage : elle
prive des charmes variés de la beauté.
Or Don Juan veut être capable, de
façon excessive, de répondre à toutes les incitations et toutes les
sollicitations.
Et le charme procuré par le spectacle divers des beautés
féminines doit encourager une stratégie de la conquête qui sache goûter à
toute force leurs saveurs.
Don Juan, avec jubilation, revit et commente ses
plans d'assaut.
En rébellion contre les institutions établies et sacrées, le voilà donc
devenu un autre Alexandre, assoiffé de victoires galantes qui fournissent
autant de métaphores de victoires militaires.
Le désir, à son degré ultime,
équivaut à la jouissance de dominer et de satisfaire tout désir.
Par sa
structure, notre passage au style emphatique suit en fin de compte la
progression de l'insoumission vis-à-vis des lois sociales à l'affirmation de la
puissance individuelle du Moi.
a.2.
L'horreur de la fidélité et le sublime de /'inconstance
Dans un premier temps, Don Juan s'insurge avec sarcasme* contre le
mariage et la fidélité qui en assure la légitimité et la stabilité.
La tirade
s'élargit en plaidoyer éloquent à l'adresse de Sganarelle et d'un public
imaginaire.
Don Juan joue son rôle et pose devant l'univers ses propres
règles morales qui défient celles des sociétés et de la religion.
L'inconstance peut être considérée comme une morale mais dans la mesure
où, pour Don Juan, elle ne rend de comptes qu'à une éthique de l'individu.
En ce sens, se justifie par avance la trahison envers Elvire.
Don Juan
énonce pour lui-même et pour autrui la rigueur de ses convictions,
présentées non comme des lâchetés mais comme des principes de vie.
Les institutions comme le mariage dilapident le sens de la liberté.
L'homme libre est un homme en vie, l'homme fidèle meurt avant l'âge.
La belle chose de vouloir se figurer d'un faux honneur d'être
fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être
mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent
:.
frapper les yeux !
La passion n'est pas l'amour fidèle qui endort le désir.
Aimer, c'est ne
pas cesser de désirer, de s'enflammer, c'est ne pas vivre dans l'assurance
d'une durée amoureuse morte, qui s'éteint en habitude puisque l'amour se
dégrade avec le temps.
Le maître se satisfait d'avoir, le conquérant jouit de
repousser les limites de ses possibilités et il parcourt le pays des femmes
comme des territoires à emporter au gré des toquades et des reniements.
La
mégalomanie désirante l'oriente vers une possession infinie: il ne veut pas
avoir une mais«toutes les belles».
Propriétaire de la gent féminine, Don
Juan rêve d'être le maître du monde du désir et de détenir non une seule
mais toutes les runes.
Son ambition n'est pas celle d'un homme mais celle
d'un Dieu inversé : il aimerait être le diable, une créature négative mais
transcendante qui quitte les coordonnées habituelles du temps et de
l'espace.
Il aspire à un héroïsme purement narcissique et débarrassé de la
contingence*.
La possession, dans son expression banale(«lorsqu'on en est maître une
fois, il n'y a plus rien à dire, ni rien à souhaiter») est le contraire du
pouvoir ; elle est une mutilation.
Celui qui croit avoir fait le tour de ce qu'il
peut désirer se trompe : il a perdu le sens de la vie.
Au contraire, chaque
nouvel amour rassure sur l'existence.
Rien n'est plus doux que les amorces
du désir : «les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes
inexplicables».
L'amour est sublime à son origine, quand il faut tout
inventer pour séduire.
Don Juan est l'homme du commencement absolu, de
la résurrection à chaque fois totale qu'il trouve seulement dans le
renouvellement amoureux.
a.3.
Séduire, être séduit : paradoxes du désir
Le désir encourage l'équilibre de l'envie de séduire et du bonheur de se
voir ravi.
Don Juan n'est pas seulement actif, toujours en avant ; il éprouve
aussi, avec délice, l'exaltation d'être séduit («la beauté me ravit partout où
je la trouve »).
Aimable et brutal, amant alangui qui accentue son plaisir dans la fièvre
du désir, Don Juan veut éprouver et faire ressentir la sensation parfaite et
oxymorique*: la«douce violence».
«Douce» car, aux premiers signes
de l'éveil d'un désir, il ressent la continuité de son être.
Il s'éprouve le
même par l'accueil répété de la séduction de l'autre.
Mais la passion reste
violence car elle ranime l'énergie, elle réveille, elle régénère l'être qui, tel le
phénix, renaît des cendres de sa flamme.
Aussi bien Don Juan ne peut s'attacher à une seule femme.
Il n'envisage
les objets d'amour qu'en abondance et emportés par l'inconstance.
Si les
débuts envoûtent Don Juan c'est que la passion est la fulgurance d'un
instant suivi du déroulement plus lent et plus doux de la conquête, à
condition que cette douceur soit, chez Don Juan, relevée de violence : le
séducteur exprime là tout le jeu contradictoire de son plaisir tendre et
suborneur, lent et vif, apaisant et excitant, beau et sacrilège.
Don Juan affirme sa conception fatale de l'amour(« les hommages et les
tributs où la nature nous oblige ») qui va de pair avec la violence.
La beauté
« ravit », Don Juan, lui, « cède », il ne peut rien refuser aux belles (« quoi
qu'il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d'aimable, et
dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avais dix....
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