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ACTE I, scène 1 [« Un grand seigneur méchant homme »}1 SGANARELLE / Je n'ai pas grande peine à le...

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« ACTE I, scène 1 [« Un grand seigneur méchant homme »}1 SGANARELLE / Je n'ai pas grande peine à le compren­ dre, moi ; et si tu connaissais le pèlerin, tu trouve­ rais la chose assez facile pour lui.

Je ne dis pas qu'il ait changé de sentiments pour Done Elvire, je n'en 5 ai point de certitude encore : tu sais que, par son ordre, je partis avant lui, et depuis son arrivée il ne m'a point entretenu; mais, par précaution, je t'apprends, inter nos, que tu vois en Don Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais 1 O porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni enfer, ni loup­ garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, un pourceau d'Epicure, un vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille à toutes les remontrances qu'on lui 1 5 peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons.

Tu me dis qu'il a épousé ta maîtresse : crois qu'il aurait plus fait pour sa passion, et qu'avec elle il aurait encore épousé toi, son chien et son chat.

Un mariage ne lui coûte rien à contrac2 O ter; il ne se sert point d'autres pièges pour attra­ per les belles, et c'est un épouseur à toutes mains. Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui; et si je te disais le nom de toutes celles qu'il a épou2 5 sées en divers lieux, ce serait un chapitre à durer jusques au soir.

Tu demeures surpris et changes de couleur à ce discours; ce n'est là qu'une ébauche du personnage, et, pour en achever le portrait, il faudrait bien d'autres coups de pinceau.

Suffit qu'il 3 0 faut que le courroux du Ciel l'accable quelque jour, qu'il me vaudrait bien mieux d'être au diable que d'être à lui, et qu'il me fait voir tant d'horreurs, que 1.

Ces intertitres entre crochets ne sont pas de Molière ; ils donnent l'idée d'ensemble du texte. je souhaiterais qu'il fût déjà je ne sais où.

Mais un grand seigneur méchant homme est une terrible 3 5 chose ; il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j'en aie: la crainte en moi fait l'office du zèle, bride mes sentiments, et me réduit d'applaudir bien sou­ vent à ce que mon âme déteste.

Le voilà qui vient se promener dans ce palais : séparons-nous.

Écoute 4 O au moins: je t'ai fait cette confidence avec fran­ chise, et cela m'est sorti un peu bien vite de la bou­ che, mais, s'il fallait qu'il en vînt quelque chose à ses oreilles, je dirais hautement que tu aurais menti. LECTURE MÉTHODIQUE Présentation Sganarelle, valet de Don Juan, s'entretient avec Gusman, l'écuyer de Done Elvire.

On apprend que la jeune femme, après avoir été enlevée d'un couvent, puis épousée par Don Juan, vient d'être abandonnée par lui.

Sganarelle ôte à Gusman tout espoir que son maître revienne jamais à Elvire.

A cette occasion, il brosse, à sa manière, un por­ trait du grand seigneur impie et débauché.

Ce texte appar­ tient à la scène d'ouverture de la pièce.

Il nous renseigne sur l'intrigue, mais nous permet aussi de découvrir le caractère du héros, celui de son valet, ainsi que les rap­ ports spécifiques qui lient ce couple. 1 .

Le portrait du maître par son valet Pour expliquer la conduite scandaleuse de son maître, Sga­ narelle fait de lui une description où il apparaît sous trois aspects essentiels : impie, débauché et grand seigneur scélérat. • L'impie Sganarelle est d'abord choqué par l'impiété de son maî­ tre.

Don Juan n'a ni religion ni superstition: il ne« croit ni Ciel, ni enfer, ni loup-garou » (1.

11-12).

[D'après les croyances populaires, le loup-garou est un homme qui, la nuit, devient loup.] De ce point de vue, Don Juan est ce qu'on appelle au xvn e siècle un libertin, c'est-à-dire un homme qui ne reconnaît aucune autorité étrangère et supérieure à celle de la conscience et qui revendique une indépendance totale vis-à-vis des pouvoirs de l'Etat, de l'Église et des traditions intellectuelles.

Cette attitude, à une époque d'ardente renaissance du catholicisme, pas­ sait pour une provocation intolérable.

Sganarelle, annon­ çant le dénouement de la pièce, redoute pour son maître un châtiment divin: « Suffit qu'il faut que le courroux du Ciel l'accable quelque jour » (1.

29-30). • Le débauché A ce libertinage de pensée s'ajoute un libertinage des mœurs qui aggrave l'impiété de Don Juan.

Car pour la conscience chrétienne, le désir sexuel est volontiers asso­ cié au diable, surtout quand il s'exprime avec exubérance et refuse les limitations.

Proclamant la nécessité d'être libre dans sa vie morale, le libertin aime donc la débau­ che, dont le plaisir est accrn par la conscience de trans­ gresser les préceptes de la morale et de la religion.

En cela, Don Juan excelle.

Il se moque éperdument des règles sociales et « ferme l'oreille à toutes les remontrances qu'on lui peut faire » (1.

14).

Sacrifiant tout à ses appé­ tits sensuels, il s'empare de toutes les femmes: « Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui.

» Et pour arriver plus rapidement à ses fins, il bafoue sans scrupules l'institu­ tion sacrée du mariage: « Un mariage ne lui coûte rien à contracter » (1.

19).

Cette boulimie sexuelle heurte dou­ blement l'idéologie chrétienne: en souillant l'honneur des femmes, elle pèche contre le respect de la virginité ; en faisant de la sexualité une manifestation d'orgueil, elle offense la vertu d'humilité. • Le grand seigneur Don Juan défie allégrement les lois divines et humaines, parce que c'est un aristocrate qui profite des privilèges de son éducation et de sa classe pour s'arroger sur les autres une supériorité facile.

Sganarelle constate avec effroi cé pouvoir : « un grand seigneur méchant homme est une terrible chose >} (1.

34).

II a du mépris pour ceux qui, par peur, n'osent réaliser leurs désirs et pour les fai­ bles qui se soumettent servilement à la loi.

II en éprouve aussi pour les croyances des superstitieux comme Sgana­ relle ou Gusman : il « traite de billevesées tout ce que nous croyons » (1.

15).

[Les billevesées sont des sottises, des paroles vides de sens.] Mais ce sont surtout les femmes qu'il méprise.

Il les collectionne, sans se soucier du mal et du déshonneur qu'il leur cause.

Pour les séduire, il se montre hypocrite et le mariage est un piège dont il use « pour attraper les belles ».

En évoquant les« horreurs » dont il été témoin, Sganarelle fait allusion à la méchan­ ceté de son maître, à son plaisir de faire souffrir les autres. Le lâche abandon d'Elvire en est la dernière preuve. Le tempérament aristocratique du héros se manifeste aussi dans son goût de la dépense et de la démesure.

Con­ trairement au roturier qui est obligé de travailler pour sur­ vivre, Don Juan jouit d'un continuel loisir qui lui permet de donner libre cours à ses désirs.

Il n'épargne pas, il con­ somme.

Sganarelle le compare à« Sardanapale » (1.

13), personnage par excellence de la dépense et de la gratuité. Ce roi assyrien, célèbre pour ses débauches, fit un jour détruire tous ses biens et mettre à mort tous ceux qui lui appartenaient : femmes, esclaves, animaux.

Cette volonté de jouir en permanence de la vie s'accompagne chez Don Juan d'une allégresse provocante. 2.

Le portrait du valet par lui-même Le portrait que Sganarelle nous donne de son maître est exact dans ses grandes lignes, mais il est brossé par une intelligence grossière, déformée par la crainte et par les préjugés.

C'est pourquoi, en décrivant son maître, le valet sans le vouloir se décrit lui-même.

Il est aux antipodes de Don Juan.

Autant ce dernier est insoumis, incrédule et hardi, autant le premier est servile, crédule et poltron.

Ce contraste a une double fonction: il permet d'abord aux caractères de mieux se révéler ; il crée ensuite un contraste comique, en opposant deux univers radicalement diffé­ rents.

Sganarelle se pose en s'opposant à.... »

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