ACTE I, scène 3 [L'arrivée d'Elvire] DONE ELVIRE / Me ferez-vous la grâce, Don Juan, de vouloir bien me reconnaître?...
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ACTE I, scène 3
[L'arrivée d'Elvire]
DONE ELVIRE / Me ferez-vous la grâce, Don Juan,
de vouloir bien me reconnaître? et puis-je au moins
espérer que vous daigniez tourner le visage de ce
côté ? DON JUAN / Madame, je vous avoue que je
5 suis surpris, et que je ne vous attendais pas ici.
DONE ELVIRE / Oui, je vois bien que vous ne m'y
attendiez pas; et vous êtes surpris, à la vérité, mais
tout autrement que je ne l'espérais; et la manière
dont vous le paraissez me persuade pleinement ce
1 0 que je refusais de croire.
J'admire ma simplicité et
la faiblesse de mon cœur à douter d'une trahison
que tant d'apparences me confirmaient.
J'ai été
assez bonne, je le confesse, ou plutôt assez sotte,
pour me vouloir tromper moi-même et travailler à
1 5 démentir mes yeux et mon jugement.
J'ai cherché
des raisons pour excuser à ma tendresse le relâche
ment d'amitié qu'elle voyait en vous; et je me suis
forgé exprès cent sujets légitimes d'un départ si
précipité, pour vous justifier du crime dont ma rai2 O son vous accusait.
Mes justes soupçons chaque
jour avaient beau me parler, j'en rejetais la voix qui
vous rendait criminel à mes yeux, et j'écoutais avec
plaisir mille chimères ridicules qui vous peignaient
innocent à mon cœur.
Mais enfin cet abord ne me
2 5 permet plus de douter, et le coup d'œil qui m'a reçue
m'apprend bien plus de choses que je ne voudrais
en savoir.
Je serai bien aise pourtant d'ouïr de votre
bouche les raisons de votre départ.
Parlez, Don
Juan, je vous prie, et voyons de quel air vous sau3 0 rez vous justifier.
DON JUAN / Madame, voilà Sga
narelle qui sait pourquoi je suis parti.
EXPLICATION DE TEXTE
Situation
Don Juan vient d'abandonner lâchement Elvire, son
épouse, après avoir pour cela forcé« l'obstacle sacré d'un
couvent ».
Malgré cette trahison, la jeune femme continue à l'aimer passionnément.
Elle se lance à sa recherche
et le retrouve au moment où il s'apprête à enlever, en compagnie de Sganarelle, une jeune fiancée dont il s'est épris.
Don Juan feint de ne pas reconnaître sa femme, car elle
ne représente désormais plus rien pour lui.
Il est par ailleurs irrité par ce contretemps qui l'oblige à retarder l'exécution de sa nouvelle entreprise amoureuse.
Composition et mouvemént
Le passage comprend trois moments : la surprise agacée
du mari qui revoit soudain l'épouse qu'il vient d'abandonner (1.
1 à 5), la tirade pathétique d'Elvire (1.
6 à 30)
et enfin la dérobade insolente du héros (1.
30-31).
Bien que nous soyons dans une comédie, Elvire est un
personnage de tragédie.
Elle apparait ici en femme trahie, mais aussi en amante passionnée.
La sympathie qu'on
éprouve pour elle est soulignée par les courtes répliques
de Don Juan, qui ajoutent à sa lâcheté une méchanceté
humiliante.
• La surprise de Don Juan (/.
1 à 5)
Désemparée par l'attitude de son mari, Elvire est blessée
dans son amour, mais aussi dans son amour-propre.
Elle
a néanmoins le courage de surmonter son désarroi et de
venir presser Don Juan de justifier son départ.
Par
pudeur, elle ne l'attaque pas violemment, mais le ton
qu'elle utilise manifeste indirectement ses sentiments.
Son
attitude est double : elle a compris la vérité, mais au lieu
d'être ferme, elle s'humilie comme si elle ne voulait pas
la comprendre.
Elle s'adresse à lui en accumulant des
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formules de politesse, qui font ressortir ironiquement la
douleur de la femme offensée : « Me ferez-vous la grâce,
Don Juan, de vouloir bien ...
» (1.
1), « puis-je au moins
espérer que vous daigniez ...
» (1.
2-3).
En lui demandant
de« vouloir bien [la] reconnaître », elle suggère que Don
Juan a déjà pris la décision de l'oublier.
Elle fait par ailleurs appel à sa condescendance·, « puisje au moins espérer que vous daigniez tourner le visage
de ce côté ? » [La condescendance est une complaisance
par laquelle on s'abaisse au niveau d'autrui ou un sentiment de supériorité bienveillante mêlée de mépris].
De
cette façon, Elvire souligne l'attitude offensante et lâche
de son mari, mais en implorant des explications elle
accepte cette humiliation.
Le rythme égal et harmonieux de la phrase traduit l'élégance de la grande dame qui répugne à révéler son intimité.
Elvire cherche à donner une impression de calme
et de détachement.
Mais cette politesse est ironique : pour
qui sait l'entendre, elle révèle passion et indignation.
Don Juan répond en persiflant [ = tourner quelqu'un
en ridicule sur un ton de plaisanterie ironique].
Il blesse
avec insolence la femme sincère en affectant la sincérité :
« Je vous avoue » (1.
4).
Cet aveu suggère cependant les
véritables sentiments de Don Juan: il n'éprouve plus aucun
amour pour Elvire.
Il se déclare « surpris » (1.
5), mot qui
est, dans sa bouche, un euphémisme destiné à faire comprendre qu'il est excédé.
[L'euphémisme est une figure de
style qui consiste à adoucir par l'expression une idée désagréable.] En ajoutant qu'il n'attendait pas cette visite: « je
ne vous attendais pas ici», il souligne par un nouvel euphémisme combien Elvire est devenue importune et indésirable.
Sous la politesse de l'expression Don Juan dévoile
brutalement ses sentiments.
• La confession d'Elvire (!.
6 à 30)
Face à la froideur de Don Juan, Elvire s'abandonne au
désarroi et à l'indignation.
Sa confession se déroule en trois
temps : après avoir répondu à l'insolence de Don Juan (1.
6
à 10), elle reconnaît sa faiblesse (1.
10 à 24) et demande
avec fermeté des explications (1.
24 à 30).
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J.
Lignes 6 à JO.
Elvire, qui avait encore quelque espoir
de retrouver l'amour de Don Juan, n'a maintenant plus
aucune illusion; c'est pourquoi elle peut s'exprimer en
toute franchise.
En reprenant avec« attendiez »et« surpris» les termes mêmes de Don Juan, elle manifeste sa
souffrance devant une déception prévue, mais à laquelle,
par amour, elle ne voulait pas croire.
Elle souligne l'ambiguïté des paroles de Don Juan et en dégage la signification blessante et douloureuse : « vous êtes surpris à la
vérité, mais tout autrement que je ne l'espérais » (1.
7).
2.
Lignes JO à 24.
Tout naturellement, elle cède à un
mouvement de colère et de honte, à la pensée d'avoir été
ainsi bernée par son mari.
Elle avoue sa faiblesse et se
présente en femme déchirée par le conflit de l'amour et
de la raison.
La logique du« cœur » l'a emporté sur celle
du« jugement ».
Elle retourne contre elle-même son énergie comme pour se punir de cette erreur.
Elle accuse sa....
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