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ACTE III, scène 2 [Le tentateur du pauvre] LE PAUVRE/ Si vous vouliez, Monsieur, me secou­ rir de quelque aumône?...

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« ACTE III, scène 2 [Le tentateur du pauvre] LE PAUVRE/ Si vous vouliez, Monsieur, me secou­ rir de quelque aumône? DON JUAN/ Ah! ah I ton avis est intéressé, à ce que je vois.

LE PAUVRE/ Je suis un pauvre homme, monsieur, retiré tout seul 5 dans ce bois depuis dix ans, et je ne manquerai pas de prier le Ciel qu'il vous donne toute sorte de biens.

DON JUAN/ Eh! prie-le qu'il te donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des autres.

SGANARELLE/ Vous ne connaissez pas Mon1 0 sieur, bon homme! il ne croit qu'en deux et deux sont quatre et en quatre et quatre sont huit.

DON JUAN / Quelle est ton occupation parmi ces arbres? LE PAUVRE/ De prier le Ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien qui me donnent 1 5 quelque chose.

DON JUAN/ Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à ton aise? LE PAUVRE/ Hélas! Monsieur, je suis dans la plus grande nécessité du monde.

DON JUAN/ Tu te moques: un homme qui prie le Ciel tout le jour ne peut pas manquer d'être 2 0 bien dans ses affaires.

LE PAUVRE/ Je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n'ai pas un mor­ ceau de pain à me mettre sous les dents.

DON JUAN/ Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins.

Ah! ah! je m'en vais te 2 5 donner un louis d'or tout à l'heure, pourvu que tu veuilles jurer.

LE PAUVRE/ Ah! Monsieur, voudriez­ vous que je commisse un tel péché ? DON JUAN/ Tu n'as qu'à voir si tu veux gagner un louis d'or ou non: en voici un que je te donne, si tu jures. 3 O Tiens! il faut jurer.

LE PAUVRE/ Monsieur...

DON JUAN/ A moins de cela tu ne l'auras pas.

SGANA­ RELLE/ Va, va, jure un peu, il n'y a pas de mal. DON JUAN / Prends, le voilà ; prends, te dis-je ; mais jure donc.

LE PAUVRE / Non, Monsieur, j'aime 3 5 mieux mourir de faim.

DON JUAN / Va, va, je te le donne pour l'amour de l'humanité. EXPLICATION DE TEXTE Situation Douze hommes à cheval sous la conduite des frères d'Elvire sont partis à la recherche de Don Juan, afin de venger l'outrage fait à la jeune femme.

Pour leur échapper, il se réfugie avec Sganarelle dans une forêt.

Il demande alors son chemin à un pauvre.

C'est une nouvelle occasion pour lui de commettre un sacrilège et de défier Dieu, en incitant le pieux vieillard à renier sa foi. Composition et mouvement Le passage comprend trois étapes dans la progression du blasphème et de la provocation: Don Juan se contente d'abord de remettre en cause le caractère sacré de l'aumône (1.

1 à 11); puis avec plus de violence il se moque de l'inutilité de la prière (1.

12 à 24) ; enfin la provocation atteint un paroxysme, quand il demande au Pauvre de renier sa foi en échange d'un louis d'or (1.

24 à 36). Cette scène est intensément dramatique : elle se présente comme un premier vrai combat entre Don Juan et Dieu. • La remise en cause de l'aumône (!.

I à 11) Pour mieux comprendre la portée de cette scène, il importe de la replacer dans son contexte historique.

Les pauvres constituent au xvne siècle une catégorie sociale et la charité à leur égard fait partie du devoir de tout bon chrétien.

Les œuvres charitables sont nombreuses, à l'exemple des fondations de saint Vincent de Paul.

Bossuet prononce même en 1652 un sermon Sur l'éminente dignité des pauvres.

Ils y sont présentés comme des privilégiés dans l'Église.

Les riches occupent la première place dans 44 la société; aux yeux de l'Église, ce sont les pauvres.

Dans le monde, les pauvres servent les riches ; dans l'Église, c'est l'inverse.

Enfin, si dans le monde les privilèges vont aux riches, dans l'Église, ce sont les pauvres qui reçoivent toutes les bénédictions.

De ce constat, Bossuet tire trois conséquences : les riches doivent honorer la condition des pauvres ; ils doivent soulager leurs nécessités matérielles ; enfin, par leur action, ils ont accès au privilège des pauvres, qui, par leur dénuement et leur détresse, sont des représentants sur terre de Jésus-Christ. C'est tout naturellement, dans ces conditions, que le Pauvre demande à Don Juan une« aumône», c'est-àdire un don charitable qui permettra à celui qui l'accomplit d'être sauvé par Dieu après sa mort.

Le vieil homme fait sa demande sur un ton de soumission déférente que marque l'emploi de l'interrogation et du conditionnel de politesse : « Si vous vouliez, Monsieur, me secourir de quelque aumône? » (1.

1).

A cette demande, Don Juan répond d'une manière non conforme au code de la charité.

Il prend un 'air faussement étonné et fait du Pauvre un être « intéressé ».

Au début de la scène, en effet, le · Pauvre a mis en garde Don Juan et son vaiet contre des voleurs.

Le libertin pervertit donc le rapport habituel de la charité, qui repose précisément sur le désintéressement, en accusant le Pauvre de vouloir échanger son « avis » [= le conseil, la mise en garde] ·contre une « aumône » : « Ah ! ah ! ton avis est intéressé, à ce que je vois » (1.

3). Don Juan commet ainsi un premier blasphème en ignorant la logique de la charité, qui au sens littéral est la manifestation de l'amour de Dieu, et en la remplaçant par celle d'un marché donnant donnant. Face à cette désinvolture, le Pauvre se contente de rappeler à Don Juan l'obligation de charité, en décrivant sa condition.

Il est respectable parce qu'il est pauvre, mais aussi parce qu'il vit en ermite, « retiré tout seul dans ce bois depuis dix ans » (1.

4).

Il peut ainsi consacrer plus de temps à prier.

Tout comme les moines ermites del' époque, il est un représentant de Dieu, dont les prières servent au bonheur et au salut des autres.

Or Don Juan ne peut supporter qu'on lui parle de« prier le Ciel ».

C'est un défi, qu'il ne manque pas de relever avec insolence et 45 méchanceté : « Eh ! prie-le qu'il te donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des autres » (1.

7-9).

Sganarelle, qui a le cœur sensible, est choqué par cette humiliation infligée au vieil homme.

Mais il n'ose pas attaquer directement son maître ; il se contente, pour excuser la violence de sa réplique, de le faire passer pour un original (1.

9). • L'inutilité de la prière (l.

12 à 24) Loin de s'en tenir à son mépris insolent de la charité, Don Juan, heureux d'avoir trouvé un représentant de Dieu, cherche à nouveau l'affrontement:« Quelle est ton occupation parmi ces arbres? ».

Le Pauvre tombe dans le piège, en rappelant une nouvelle fois au libertin la valeur chrétienne de l'aumône : « De prier le Ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien qui me donnent quelque chose» (1.

13-15).

Dans son sermon sur les pauvres, Bossuet développe cette doctrine de l'échange sacré entre les « biens temporels » et les« bénédictions spirituelles ».

Don Juan, en se plaçant dans la logique du donnant donnant exclusivement matériel, feint alors de s'étonner de la misère du PamTe :.... »

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