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ACTE Il
l;Jiiit?,1:1
Le décor représente un hameau de verdure avec une grotte
et, au fond, la mer.
Si la scène est censée se dérouler en
Sicile, le patois parlé par les paysans évoque en fait l'Ile-de
France, mais un lie-de-France qui serait au bord de la mer...
L'acte Il possède une unité remarquable.
Il se déroule dans
une campagne au bord de la mer, et confronte Don Juan au
milieu paysan, devant lequel il fait dans l'ensemble piètre
figure, d'où une atmosphère de farce et de gaieté qui con
traste avec l'acte précédent.
La scène 1 met en scène deux jeunes fiancés qui parlent
le patois d'Ile-de-France, Pierrot et Charlotte.
Le premier
raconte à la seconde comme il a sauvé de la noyade un sei
gneur et son valet, avant de les emmener chez lui pour qu'ils
se sèchent.
Puis il reproche à sa fiancée sa froideur.
Don Juan arrive à la scène 2, et entreprend de séduire
Charlotte en l'absence momentanée de Pierrot.
Au retour de
celui-ci, les deux hommes se disputent et Sganarelle reçoit
le soufflet destiné à Pierrot (scène 3).
Arrive alors Mathurine, une autre jeune paysanne, à qui
Don Juan vient de promettre mariage.
Partagé entre les deux
femmes, Don Juan se tire_ d'affaire par la fuite, après une
scène burlesque (scène 4).
À la fin de l'acte, l'action reprend ses droits : un homme
de sa suite vient avertir Don Juan que douze hommes à che
val le recherchent.
Maître et valet se concertent sur le moyen
d'échapper à ce fâcheux événement (scène 5).
ACTE Il, SCÈNE 1
(CHARLOTTE, PIERROT)
Les trois premières courtes répliques nous introduisent au
milieu d'un dialogue déjà commencé.
Pierrot s'est trouvé
« bien à point» pour sauver deux personnes de la noyade.
Sur une question de Charlotte, Pierrot se lance alors dans
un long récit circonstancié du sauvetage.
Le récit met en
scène Pierrot lui-même et un autre jeune paysan, le « gros
Lucas».
Tous deux s'amusent à« batifoler» au bord de la
mer, quand Pierrot aperçoit quelque chose qui « grouille»
dans l'eau et qui avance« par secousse».
Lucas ne voit rien,
ce qui amène les deux paysans à parier.
Pierrot finit par
gagner son pari, persuade Lucas d'aller chercher une bar
que et repêche les deux naufragés qu'il ramène chez lui.
Deux
autres naufragés les rejoignent bientôt, ainsi qu'une jeune
paysanne, Mathurine,« à qui l'en a fait les doux yeux».
Sur
une autre question de Charlotte - l'un d'eux n'est-il pas
« mieux fait que les autres ? » - Pierrot se lance dans la
description des personnages et de leurs costumes.
Le maî
tre se reconnaît à son habit doré.
Il doit s'agir d'un « gros,
gros Monsieur».
D'ailleurs, ses serviteurs sont des« mon
sieurs eux-mêmes».
Et Pierrot,« tout ébobi» décrit à Char
lotte l'habillage de Don Juan par ses valets : la perruque,
évoquée plaisamment par périphrase (« ils avont des che
veux qui ne tenont point à leu tête»), la chemise aux man
ches si larges qu'ils y entreraient tous les deux, le haut de
chausse « aussi large que d'ici à Pâques», le gilet minus
cule, la cravate en dentelle et« parmi tout ça tant de rubans,
tant de rubans» ! Charlotte, intriguée, veut aller voir par elle
même, mais Pierrot la retient.
li a à lui parler, et la conversa
tion s'oriente sur les deux fiancés.
Pierrot reproche à Charlotte sa froideur et son indifférence.
Est-ce là le comportement de quelqu'un qui aime ? Pourtant
Pierrot fait tout son possible et ne mesure pas ses cadeaux.
Non, Charlotte ne l'aime pas « comme il faut».
Charlotte
réplique qu'il faut lui laisser le temps, que« ça vienne de lui-
même ».
Survient Don Juan, et Charlotte ravie, de s'excla
mer : « Ah ! mon quieu, qu'il est genti, et que ç'auroit été
dommage qu'il eût été nayé ! » Pierrot s'en va boire une
chope.
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La scène vaut surtout par une imitation fort réussie du patois d'Ile
de-France, et de la manière de conter, où tous les détails d'un récit,
même les plus oiseux, sont fidèlement rapportés : circonstances, dia
logue avec un tiers, description, etc.
L'effet comique tient à la saveur
des images, au vocabulaire et à la phonétique du patois, aisément com
préhensibles car proches du français.
Il réside aussi dans cette psycho
logie paysanne qui fait penser aux héros de Maupassant.
Le comique des mots
C'est bien sûr le plus apparent.
Le patois d'Ile-de-France, vu par
Molière avec une grande cohérence phonétique et grammaticale, et
une saveur imagée incontestable, apparaît comme un écho du fran
çais officiel.
Quelques traits phonétiques : le [a] et le [E] ont tendance à échan
ger leur emploi (Pierrot devient Piarrot, mer et terre deviennent mar
et tarre, elfe donne al!e, etc.).
Au contraire oi devient [E] (droit donne
drait, noyé, nayé, etc,) oi s'élide (v'là).
La voyelle nasale [E] devient
[a] (bien donne bian, reviens donne revians).
Les consonnes [d] et [t]
se palatalisent devant [i], pour donner [g] et [k] (jetions devient jesquions,
Dieu donne Ouieu ou Gieu, tant il y a devient tanquia, amitié se trans
forme en amiquié, etc).
Le [I] se mouille (l'eau devient gliau - pro
noncé l'yeau -).
Le [r] à tendance à disparaître : su(r), leu(r), toujou(rs).
Il y a des inversions de consonnes (éplinque).
La morphologie verbale des patois est bien connue ; elle consiste
à inverser les formes du singulier et du pluriel (je nous amusions, si
je n'aviomme, j'entrerions, je sommes), ou les formes de l'indicatif et
du participe (deux hommes qui nageant).
Le vocabulaire est riche en jurons, en général déformés : Nostre
Dinse, Parguienne, = par Dieu ; testiguienne = Tête de Dieu ; jerni
guenne, jarni = je renie Dieu, etc.
; en mots archaïques : grouiller
(remuer), bouter (mettre), batifoler (jouer) ; en mots dérivés : trépas
sement.
Le style abonde en répétitions : « je les ai avisés le premier, avisés
le premier je les ai» ; batifoler est répété quatre fois.
Les dialogues sont
rapportés au style direct.
Les mots enfantins abondent : batifoler, talo
che, niche, etc.
Le comique de situation
La faillite de l'entreprise amoureuse de Don Juan, due à un hasard
providentiel, met le personnage dans une situation ridicule.
Il man
que se noyer, est sauvé de justesse par un paysan, se chauffe dq_ns
une chaumière, etc.
Mais surtout, ces scènes, impossibles à montrer
à cause de la règle des bienséances, sont vues à travers le regard d'un
paysan, selon le même procédé comique qu'utilise Montesquieu dans
les Lettres persanes.
La scène de l'habillage notamment est d'un comi
que irrésistible.
On dirait le petit lever du roi à Versailles transposé dans
la campagne française !
Le comique psychologique
La deuxième partie de la scène constitue en quelque sorte un « mari
vaudage à la paysanne».
Elle rappelle une autre scène célèbre de dépit
amoureux, celle entre Mariane et Valère dans Tartuffe (Acte Il, sc.
4).
Pourtant la scène suggère la suite de façon inquiétante ; si Charlotte
est si indifférente avec Pierrot, c'est qu'inconsciemment elle désire autre
chose.
Don Juan, avec son charme et son costume, la séduit avant
même qu'elle l'ait vu.
L'inconstance latente de Charlotte fait d'elle un
double inversé d'Elvire.
ACTE Il, SCÈNE 2
(DON JUAN, SGANARELLE, CHARLOTTE)
Don Juan et Sganarelle arrivent de chez Pierrot, séchés
et rhabillés.
Don Juan s'est déjà consolé de l'échec de son
entreprise.
Les charmes de Mathurine, qu'il vient de quit
ter, ont effacé cette contrariété.
Il a même amorcé un plan de
conquête et en fait part à Sganarelle.
Celui-ci est scanda
lisé,« étonné»(c'est-à-dire« frappé du tonnerre») : au lieu
de rendre grâce au Ciel de l'avoir sauvé, son maître travaille
de nouveau à s'attirer sa colère par« ses amours cr...»(cri
minelles ou cruelles).
Don Juan, impatienté, l'interrompt.
Il aperçoit alors Charlotte et, charmé, entreprend aussitôt
de la séduire.
Est-elle de ce village? Comment s'appelle
t-elle? Charlotte répond avec réserve et modestie.
Commen
cent alors les compliments : quels yeux pénétrants, quelle
« taille jolie», quel« visage mignon», quelles lèvres« appé
tissantes» ! Don Juan prend Sganarelle à témoin, fait tour
ner la jeune fille sur elle-même, lui fait hausser la tête, ouvrir
la bouche.
Charlotte mérite un meilleur parti, et c'est le Ciel
assurément qui l'a mis sur sa route pour l'arracher à ce misé
rable lieu.
Charlotte reste sur ses gardes : Don Juan se
moque d'elle sans doute.
Mais celui-ci reprend de plus belle.
Charlotte est-elle mariée? Non, mais elle doit bientôt l'être
avec Pierrot.
Don Juan se récrie : une personne comme elle,
la femme d'un paysan ! Il parle de profanation.
Charlotte
reste sur sa réserve.
On lui a appris qu'il ne faut pas croire
les« Monsieurs», et que tous les courtisans sont des« enjo
leux» qui ne songent qu'à abuser les filles.
Don Juan pro
teste .de sa bonne foi, prend Sganarelle à témoin, déploie
toute sa force de persuasion.
Il n'est pas comme les autres
fourbes.
Charlotte ne doit pas mettre en doute sa sincérité.
Consent-elle à devenir sa femme? La jeune fille, émue par
le ton plus que par les propos, cède enfin mais refuse le bai
ser que veut lui donner Don Juan.
Survient Pierrot.
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Le séducteur à I' œuvre
Cette scène constitue en quelque sorte l'illustration du portrait de
Don Juan par Sganarelle (1, 1) et la mise en pratique des déclarations
du héros lui-même (1,2).
Molière nous montre le séducteur aux prises
avec une paysanne aux mains noires, apparemment vertueuse.
L'écart
des rangs sociaux et des langages est source de comique : préciosité
ampoulée de Don Juan, mais aussi mépris pour la jeune fille, détaillée
comme une esclave au marché ; rapidité irrésistible de l'attaque, où
Don Juan passe, en quelques répliques, des préliminaires aux décla
rations hyperboliques•, et enfin aux promesses de mariage assorties
de serments.
Cependant il se peut que ce virtuose du verbe soit, à l'ins
tant où il parle, sincère, qu'il se grise de ses propres paroles.
Il aurait
alors des« sincérités successives»...
Un portrait féminin
Charlotte est sensible à l'aspect physique de Don Juan, mais elle
a reçu de sa tante une solide éducation sur le chapitre de la vertu
elle est« honteuse» des compliments que lui adresse Don Juan, se
croit« raillée», a peur d'être abusée et déshonorée.
En cela, elle ne
diffère guère d'une grande dame comme Elvire, qui, elle aussi, a été
séduite, et peut-être en termes semblables.
Pourtant, en dépit de sa
méfiance, elle ne peut se défendre du magnétisme de Don Juan.
Fonction de la scène
La scène, unique en son genre dans la pièce, a une fonction démons
trative.
Elle vaut pour toutes les femmes.
Contrairement à ses modè
les, Molière ne s'est pas spécialement intéressé à ce genre de scène.
Tirso de Molina peint un Don Juan utilisant mille identités et mille mas
ques divers pour séduire des femmes de toute condition : duchesses,
pêcheuses, bergères.
Chez d'autres auteurs, ce sont tous les âges de
la vie, ou tous les statuts sociaux qui défilent : religieuses, femmes
mariées, vierges.
Charlotte est en quelque sorte !;archétype de la
femme, et, si elle a les mains noires, le désir universel de Don Juan
n'en ressort que mieux.
La présence de Sganarelle humanise la scène.
Il attire à lui la sympa
thie du spectateur : vertueux, craignant le Ciel, mais aussi son maître,
ses interventions pleines de bon sens confèrent à ce dialogue entre
séducteur et victime une réalité qu'il n'aurait peut-être pas sans lui.
ACTE Il, SCÈNE 3
(DON JUAN, SGANARELLE, PIERROT, CHARLOTTE)
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Au moment où Don Juan va baiser galamment la main de
Charlotte, Pierrot s'interpose avec politesse mais fermeté.
Il demande à Don Juan de retenir ses élans.
Il risque une pleu
résie à s'échauffer ainsi ! Mais comme Don Juan repousse
Pierrot avec rudesse, le jeune homme devient plus précis et
le prie de ne point caresser son « accordée».
Charlotte inter
vient et demande à son fiancé de « laisser faire».
Pierrot
se révolte : « parce qu'ous êtes Monsieu, ous viendrez cares
ser nos femmes à notre barbe ? » Don Juan, à bout d'argu
ments, réplique par quatre soufflets bien assénés à celui qui
vient de le sauver.
Pierrot est indigné mais n'ose riposter.
Charlotte s'interpose et tente de convaincre son fiancé.
Elle
va épouser Don Juan, et Pierrot, s'il l'aime, doit en être « bien
aise».
Une fois devenue châtelaine, elle lui fera porter beurre
et fromage « cheux nous» ! Pierrot est suffoqué : si c'était
à refaire, il taperait plutôt à coups d'aviron....
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